Cour d'appel de Paris, 20 janvier 2016, n° 15/06144

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, 20 janv. 2016, n° 15/06144
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 15/06144
Décision précédente : Conseil de prud'hommes d'Évry, 28 mai 2015, N° 14/00252

Sur les parties

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 10

ARRÊT DU 20 Janvier 2016

(n° , 4 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : S 15/06144

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 29 Mai 2015 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’EVRY RG n° 14/00252

APPELANTE

Madame F G X

XXX

XXX

née le XXX en IRAN

comparante en personne,

assistée de Me Philippe YON, avocat au barreau de PARIS, toque : P0521

INTIMEE

SAS MEUBLE IKEA FRANCE

XXX

XXX

XXX

N° SIRET : 351 745 724 00200

représentée par Me Laurent DELVOLVE, avocat au barreau de PARIS, toque : C0542

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 26 Novembre 2015, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Marie-Antoinette COLAS, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

— Madame Marie-Antoinette COLAS, présidente de chambre

— Madame Françoise AYMES-BELLADINA, conseiller

— Madame Chantal GUICHARD, conseiller

Greffier : Mademoiselle Marjolaine MAUBERT, lors des débats

ARRÊT :

— contradictoire.

— prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Madame Marie-Antoinette COLAS, présidente de chambre et par Madame Marjolaine MAUBERT, greffier en stage de pré-affectation auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme X a été engagée par la SAS Meubles Ikea, suivant contrat de travail à durée indéterminée du 31 juillet 2006 en qualité de conseillère clientèle service après-vente.

Le 27 janvier 2014, Mme X a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 4 février 2014, lequel licenciement lui a été notifié pour une cause réelle et sérieuse par lettre du 7 février 2014.

Contestant le bien fondé de son licenciement, Mme X a saisi le conseil de prud’hommes de Paris afin d’obtenir une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre une indemnité pour les frais de procédure engagés.

Par jugement du 29 mai 2015, le conseil de prud’hommes d’Evry a jugé que le licenciement ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse et a accordé à la salariée une indemnité de 10'000 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse outre 1500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Mme X a interjeté appel de ce jugement en ce qu’il a limité à 10'000 euros le montant de l’indemnité à lui revenir en application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail.

Elle demande à la cour de réformer ce jugement sur ce point et statuant à nouveau de porter à 40'000 euros le montant de l’indemnité à lui revenir. Elle réclame 2500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La SAS Meubles Ikea a relevé appel incident de ce jugement, demande à la cour de le réformer en retenant que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse.

Elle réclame également une indemnité de 2000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens développés, aux conclusions respectives des parties, visées par le greffier et soutenues oralement lors de l’audience.

MOTIFS

Sur le licenciement';

En application des dispositions de l’article L. 1235 -1 du code du travail, en cas de litige, le juge à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties… si un doute subsiste, il profite au salarié.

La lettre de licenciement du 7 février 2014, qui circonscrit le litige est rédigée dans les termes suivants':

«' Cette convocation fait suite aux événements qui se sont produits sur la plate-forme le 18 janvier 2014 entre vous-même et Z G. votre collègue. Ce jour-là, une violente altercation entre vous deux s’est produite sur la plate-forme. À la demande d’une collaboratrice, B B. Responsable du service a dû intervenir afin de calmer la situation et de vous entendre conjointement sur ce qui venait de se passer. Z G. explique que vous avez remis en cause son travail sur la boîte mail. Elle vous accuse de lui avoir tenu les propos suivants «'tu crois que c’est un bon comportement de musulmane ça'''». Le ton entre vous est alors monté et, alertée par les bruits et les propos échangés, une collaboratrice demande à B B. d’intervenir. Lors de la confrontation, vous expliquez que vous avez agi avec bienveillance et que vous ne comprenez pas la réaction de Z. S’agissant des propos que Z vous dit avoir tenus, vous niez. La tension monte de nouveau entre vous deux et B B. clôt la discussion en indiquant qu’entre collègues on ne saurait juger le travail de l’autre, que seule une responsable peut évaluer le travail fourni et qu’enfin des propos en lien avec les croyances religieuses sont intolérables et n’ont pas leur place au travail.

Un peu plus tard dans la journée, vous sollicitez une entrevue avec B B. La responsable du jour Jessica S. ayant eu vent des précédents événements souhaite être présente ce que vous acceptez. Lors de vos échanges, votre version a évolué puisque vous indiquez avoir effectivement parlé religion à Z, mais dans les termes suivants : «'je suis musulmane comme toi'». Les deux responsables vous réaffirment que de tels propos ne sont pas acceptables.

Le lundi 20 janvier 2014, Z sollicite un rendez-vous auprès de la responsable Ressources Humaines. Elle m’explique qu’elle ne supporte plus les brimades venant de votre part qui consistent à décrédibiliser son travail. Elle fait également état de propos tenus par vous à son égard pour lesquels une enquête approfondie m’a alors semblé nécessaire. J’ai ainsi entendu plusieurs de vos collègues afin de recueillir leurs témoignages sur les faits remontés par Z G.

Au terme de ces entretiens, il ressort qu’à plusieurs reprises auprès de différents collègues vous avez tenu des propos injurieux, humiliants à son égard, avec une totale malveillance. Le paroxysme a été atteint le samedi 18 janvier, lorsque vous l’avez interpellée au sujet de sa confession religieuse. Le vendredi 17 janvier, vous prenez les affaires de Z qui sont posées sur un bureau et les jetez par terre avec violence en vous exprimant ainsi : «'Elle fait chier, cette racaille'!…'» Ce geste a choqué. Vous vous exprimez régulièrement sur l’odeur corporelle de Z, dans ces termes': «'qu’est ce qu’elle pue…'» et cherchez le soutien d’autres collègues. Vous allez même jusqu’à affirmer que vous refusez de la former parce qu’ «'elle sent la banane frite'». Vous inventez des problèmes de dysfonctionnements de poste informatique auprès du responsable pour ne pas vous asseoir à ses côtés. Devant l’incompréhension du responsable, vous lui indiquez’ « mais si, cela ne fonctionne pas'» en faisant mine de vous boucher le nez. Z amène un gâteau fait par ses soins pour son anniversaire le 20 janvier 2014, une collaboratrice vous propose une part et vous répondez': «'je ne mange pas de ce gâteau là'». Tous ces faits vous ont été exposés. Nous procédons à la lecture du témoignage écrit par Z G.

Concernant les faits du 17 janvier, vous dites que ceux-ci sont faux, que vous ne connaissez pas le terme «'racaille'» et demandez à quitter la salle pour vérifier sur le planning que vous travailliez bien ce jour. Nous acceptons votre demande. Après vérification, il s’avère que vous étiez bien planifiée ce jour là. Concernant les faits du 18 janvier vous expliquez : «'un samedi je traite les mails et dis à Z «'tu n’as pas mis les PJ dans le SAMS'» elle me répond «'oui, on me l’a déjà dit'» Z se lève en s’adressant à moi «'tu veux dire quoi'' Que je travaille mal'''». Alors je lui ai dit : « il ne faut pas mal interpréter, moi aussi, je suis musulmane ».

Concernant les faits du 20 janvier, vous confirmez vos propos tenus à la collaboratrice : « je ne mange pas de ce gâteau là » mais pour des raisons diététiques.

S’agissant de la qualification de son odeur de «'banane frite'» vous niez et ajoutez que vous ne connaissez pas ce terme.

Je vous alerte alors sur le fait que plusieurs collaborateurs ont rapporté mot pour mot ces faits.

L’entretien se poursuit et nous souhaitons vous entendre sur les propos liés à l’odeur corporelle. Vous concédez avoir eu des propos par rapport à son odeur corporelle et indiquez «'j’ai des amies au Koweït qui portent le voile, mais qui ne sentent pas. Et vous reconnaissez avoir dit «'j’espère ne pas devoir la former'».

Pour le reste, vous niez avoir tenu de tels propos et indiquez que les gens mentent et que vous êtes dans la bienveillance vis-à-vis de Z.

Vous indiquez avoir tenu des propos en lien avec sa religion, mais dans un esprit de bienveillance , à savoir : «'je peux t’aider, car moi aussi, je suis musulmane, on se comprend.'»

Face aux nombreux témoignages concordants et à votre attitude qui ne laisse pas présager de votre part une prise de conscience de la situation, nous vous alertons alors sur la gravité de votre comportement qui constitue un acharnement, tant envers le travail effectué par Z G. qu’envers son intégrité morale. Votre responsable souligne que la bienveillance à laquelle vous faites référence pour justifier vos actes est sérieusement contestable. À l’appui de ses affirmations, elle évoque les différentes altercations que vous avez eues avec différents collaborateurs par le passé. Nous procédons également à la lecture d’un passage de votre entretien annuel d’évaluation du 23 octobre 2013 où il est écrit «'il faut que tu restes positive et ne pas dénigrer tes collègues'» vous avez par ailleurs contesté cette évaluation refusant de signer le mot «'dénigrer'».

Au vu de la gravité des éléments qui vous sont reprochés, les explications que vous nous avez fournies ne nous permettent pas de modifier notre appréciation des faits.[…].'»

Si plusieurs collègues et ex-collègues de Mme X témoignent en sa faveur en expliquant qu’elle n’a pas prononcé en leur présence des propos homophobes ou islamophobes, qu’elle n’a pas dénigré le travail de ses collègues et a toujours été à leur écoute, il est patent que plusieurs personnes présentes le 18 janvier 2014 ont entendu qu’une altercation vive a eu lieu entre Mme X et Mme Z G., qu’à cette occasion, Mme X a fait allusion à leur religion commune, la religion musulmane, ce qu’elle admet pour avoir reconnu avoir exprimé': «'je suis musulmane comme toi.'»,

Par ailleurs, il est établi que Mme X a exprimé auprès de tiers ses réserves sur l’odeur corporelle de sa collègue et son refus de la former (M. A). Ce constat a été confirmé par Mme Y qui témoigne que Mme X assise devant un poste informatique près de Mme Z G. a, lors d’une animation, «'mimé le geste de se boucher le nez pour insinuer que l’odeur la gênait'».

Alors même que Mme X avait une ancienneté de huit années et n’avait pas fait preuve de comportement inapproprié envers d’autres collègues jusqu’alors, même s’il lui avait recommandé de ne pas dénigrer les autres lors de son évaluation en octobre 2013, les différentes attitudes adoptées et les propos tenus par elle vis à vis de Mme Z G. relevant du dénigrement sur un aspect de sa personne physique, a fortiori parce qu’ils avaient été exprimés à des tiers et du jugement de son comportement en rapport avec une religion qu’elles partageaient, caractérisaient une réelle atteinte à l’intégrité de sa collègue en tant que personne que la SAS Meubles Ikea devait s’employer à faire cesser.

L’employeur est effectivement tenu à l’égard des salariés qu’il emploie à une obligation de sécurité de résultat impliquant qu’il prenne les décisions appropriées pour préserver leur sécurité et leur santé et mette un terme à des comportements ou propos caractéristiques d’une forme de harcèlement en ce qu’ils sont de nature à dégrader les conditions de travail d’une collègue et à porter atteinte à sa santé.

Le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse.

Le jugement déféré sera infirmé.

Mme X sera déboutée de l’ensemble de ses demandes.

L’équité commande de débouter aussi la SAS Meubles Ikea de sa demande d’indemnité en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant contradictoirement et publiquement';

INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions';

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,

Déboute Mme X de toutes ses demandes,

Déboute la SAS Meubles Ikea de sa demande d’indemnité en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme X aux entiers dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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Textes cités dans la décision

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  2. Code du travail
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