Cour d'appel de Paris, Pôle 6 chambre 9, 24 janvier 2018, n° 15/12164

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRÊT DU 24 Janvier 2018

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : S 15/12164

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 27 Octobre 2015 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MEAUX section RG n° 13/00115

APPELANTE

SAS [L]

[Adresse 1]

[Adresse 2]

N° SIRET : 380 389 239

représentée par Me Anne LEVEILLARD, avocat au barreau de MEAUX

INTIMEE

Madame [L] [S]

[Adresse 3]

Batiment B

[Adresse 4]

née le [Date naissance 1] 1961 à [Localité 1]

comparante en personne

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 08 Novembre 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Benoît HOLLEAUX, Conseiller faisant fonction de président

Mme Christine LETHIEC, Conseillère

Mme Laure TOUTENU, Vice-présidente placée

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Laurie TEIGELL, lors des débats

ARRET :

— CONTRADICTOIRE

— mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile

— signé par Monsieur Benoit HOLLEAUX, conseiller faisant fonction de Président et par Madame Laurie TEIGELL, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE :

Mme [L] [S] a été engagée par la SNC France Boissons Nord & Cie, dans le cadre d’un contrat de travail à durée saisonnière de six mois à compter du 19 avril 1982, pour y exercer les fonctions d’employée de comptabilité en contrepartie d’une rémunération horaire de 25.15 Francs pour un volume mensuel de travail de 169 heures.

Ce contrat à durée déterminée a été renouvelé pour une durée identique le 18 octobre 1982 et le 30 mars 1983, la salariée a été titularisée pour exercer les mêmes fonctions, en contrepartie d’une rémunération mensuelle de 4 598 Francs pour 39 heures de travail hebdomadaire.

A compter du 1er janvier 1999, Mme [L] [S] a été promu comptable, agent de maîtrise au coefficient 210.

En 2006, le contrat de travail de la salariée a été repris par la SARL Brasserie Les Vosges, devenue France Boissons Nayrolles, cette société a été rachetée en 2007 par la SAS Aprolia, devenue [L] – Aprolia.

Par courrier adressé le 13 septembre 2011, l’employeur a informé la salariée de sa décision de transférer l’ensemble de son personnel sur son site principal à [Localité 2], suite au refus de la mairie de Drancy de renouveler le bail commercial et l’intéressée a été affectée sur ce nouveau site à compter du 21 novembre 2011.

La SAS [L], exerçant sous les noms commerciaux Brasserie Les Vosges -Oransol- Etablissements Jacquier, est devenue l’employeur de Mme [L] [S].

Cette dernière a fait l’objet d’un arrêt maladie pour syndrome anxio-dépressif à compter du 23 janvier 2012 jusqu’au 11 octobre 2012.

Suite aux visites de reprise des 12 et 26 octobre 212 et après une étude de poste le 22 octobre 2012, le médecin du travail a déclaré Mme [L] [S] « inapte au poste de comptable dans l’établissement», en précisant qu'«elle peut être affectée à un autre poste similaire dans un autre établissement du groupe. »

La salariée qui s’est vue décerner la médaille du travail le 17 novembre 2012. Elle exerçait, en dernier lieu, les fonctions de comptable et elle percevait une rémunération mensuelle de base de 2 188.27 €, outre des primes.

L’entreprise qui employait, au jour de la rupture, plus de dix salariés, est assujettie à la convention collective des distributeurs conseils hors domicile.

Par lettre recommandée du 9 novembre 2012, la société [L] a convoqué Mme [L] [S] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 20 novembre 2012.

Un licenciement pour inaptitude au poste de travail et impossibilité de reclassement a été notifié à l’intéressée par courrier recommandé du 26 novembre 2012, rédigé en ces termes :

«…. En effet, du 23 janvier 2012au 11 octobre 2012, vous avez été arrêtée suite à une maladie non professionnelle. A la suite des visites médicales des 12/10/2012et 26/12/2012, le médecin du travail vous a déclaré inapte à l’emploi de comptable dans l’établissement.

Conformément à nos obligations légales en termes de reclassement, nous avons donc étudié vote profil, à la lumière des métiers pratiqués au sein de l’entreprise et du groupe.

Compte tenu des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu’il formule sur votre aptitude, nous avons procédé à un examen et à des recherches approfondies : or, il s’avère qu’aucun poste adapté n’est actuellement disponible ou permutable, que ce soit au niveau de l’entreprise ou du groupe.

Nous sommes don contraints de vous licencier . Votre état de santé ne vous permettant pas d’effectuer votre préavis dans les conditions requises, la date de première présentation de cette lettre fixera la date de rupture de votre contrat. Conformément à la législation en vigueur, nous vous verserons l’indemnité légale de licenciement.

Nous tiendrons à votre disposition, vos soldes de tout compte, certificat de travail et attestation Pôle emploi…. »

Estimant ne pas être remplie de ses droits, Mme [L] [S] a saisi, le 5 février 2013, le conseil de prud’hommes de [Localité 3], lequel, par jugement rendu le 27 octobre 2015, a dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, en condamnant l’employeur à verser à la salariée les sommes suivantes :

—  592.44 € de rappel d’heures supplémentaires

—  5 477 € d’indemnité compensatrice légale de préavis

—  547.70 € au titre des congés payés afférents sur préavis

—  3 603 € de solde d’indemnité conventionnelle de licenciement

—  500 € de rappel de prime de bilan

avec intérêts au taux légal à compter de la convocation de l’employeur en bureau de conciliation

—  31 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

—  950 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision.

Il a été ordonné à la société [L] de remettre à Mme [L] [S] un certificat de travail et une attestation pôle emploi rectifiés et ce, sous astreinte de 20 € par jour et par document, le conseil de prud’hommes se réservant la faculté de liquider cette astreinte.

La capitalisation des intérêts au taux légal a été ordonnée.

La salariée a été déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral.

L’employeur a été débouté de ses demandes reconventionnelles au titre d’un trop perçu d’indemnité de licenciement ainsi que de l’article 700 du code de procédure civile, et condamné aux dépens.

Par une déclaration reçue au greffe de la cour le 24 novembre 2015, la société [L] a interjeté appel de cette décision.

A la suite de l’audience des plaidoiries du 19 avril 2017, date à laquelle les parties ont développé oralement leurs conclusions visées par le greffier, vu l’accord des parties, une médiation a été ordonnée par la cour par ordonnance du 10 mai 2017.

Les parties n’étant pas parvenues à trouver une solution amiable à leur litige, l’affaire a été rappelée à l’audience collégiale du 8 novembre 2017.

Par conclusions visées par le greffe le 8 novembre 2017 et soutenues oralement, la société [L] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande en indemnisation pour harcèlement moral, mais de l’infirmer en ses autres dispositions, en disant que le licenciement pour inaptitude est fondé sur une cause réelle et sérieuse et en rejetant l’intégralité des demandes en rappel de salaires et indemnisation formées par Mme [L] [S].

La société [L] sollicite la condamnation de la salariée à lui verser les sommes suivantes :

—  851.63 € à titre de trop perçu sur l’indemnité de licenciement.

—  2 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions visées par le greffe le 8 novembre 2017 et soutenues oralement, Mme [L] [S] demande à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a dit que son licenciement notifié le 26 novembre 2012 était dépourvu de cause réelle et sérieuse, et condamné l’employeur à lui verser les sommes de :

—  592.44 € de rappel de salaire pour les heures supplémentaires

—  5 477 € d’indemnité compensatrice légale de préavis

—  547.70 € de congés payés afférents sur préavis

—  3 603 € de solde d’indemnité conventionnelle de licenciement

—  500 € de rappel de prime de bilan

avec intérêts au taux légal à compter de la convocation devant le bureau de conciliation.

—  950 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

outre la capitalisation des intérêtséchus, la remise sous astreinte des documents sociaux, et le rejet des demandes reconventionnelles de la société [L].

La salarié sollicite l’infirmation du jugement déféré sur le quantum des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de même en ce qu’il l’a déboutée de sa demande indemnitaire pour harcèlement moral et, statuant à nouveau, la condamnation de la société [L] à lui verser les autres sommes de :

—  65 734 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

—  20 000 € de dommages et intérêts pour harcèlement moral

—  1 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, reprises et complétées oralement lors de l’audience des débats.

MOTIFS :

Sur l’exécution du contrat de travail

a) Sur les heures supplémentaires

Mme [L] [S] sollicite la confirmation du jugement déféré qui a condamné la société [L] à lui verser la somme de 592.44 € à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires forfaitaires effectuées à compter du mois de janvier 2012.

L’employeur conteste le bien fondé de ce chef de demande en faisant valoir qu’il a procédé à une régularisation au mois d’octobre 2012 dont le conseil de prud’hommes n’a pas tenu compte.

Les fiches de paie de Mme [L] [S] établissent que le salaire de l’intéressée était constitué des quatre lignes suivantes :

— un salaire de base,

— une compensation RTT,

— un complément individuel,

— des heures supplémentaires 125% forfait sédentaire & O/E.

L’examen des bulletins de salaire fait ressortir qu’ à compter du mois de janvier 2012,

la société [L] s’est abstenue d’intégrer dans la rémunération de la salariée un montant de 160.04 € pour ce dernier poste, qu’elle a versé à l’intéressée une somme de 118.18 € au mois de janvier 2012 et qu’elle a procédé à une régularisation au mois d’octobre 2012 à hauteur de la somme de 889.76 €.

Il en résulte que Mme [L] [S] a perçu la somme globale de 1007.94 € alors même qu’en application des dispositions contractuelles, elle aurait dû percevoir la somme forfaitaire de 1 600.40 €, de sorte qu’elle est fondée en sa demande en rappel de salaire au titre des heures supplémentaires forfaitaires à hauteur de la somme de 592.46 € conformément à ce qu’ont retenu les premiers juges dont la décision sera confirmée à ce titre, avec intérêts au taux légal partant du 11 février 2013, date de réception par l’employeur de sa convocation en bureau de conciliation.

b) Sur la prime de bilan

Mme [L] [S] sollicite la confirmation du jugement déféré qui a condamné la société [L] à lui verser la somme de 500 € à titre de rappel sur primes de bilan.

L’employeur conteste le bien fondé de ce chef de demande en faisant valoir que la salariée ne démontre pas que le paiement de cette prime serait général, constant et fixe, qu’il ne s’agit pas d’un usage mais d’une simple libéralité et qu’en tout état de cause, des raisons objectives ont justifié le non paiement de cette prime pour les années 2008 et 2011.

En l’absence d’accord, l’obligation de l’employeur de verser une prime peut résulter d’un usage dès lors que sont remplies les conditions de généralité, de constance et de fixité propres à cette source d’obligation, étant observé que la constance implique un renouvellement régulier de l’avantage et l’absence de réserves et que la fixité ne nécessite pas que le montant de la prime soit fixe mais seulement son mode de calcul.

En l’occurrence, le courriel du supérieur hiérarchique de la salariée, M. [I] [A], adressé le 12 décembre 2007, rappelle que l’intéressée bénéficie de cette prime de bilan «'.depuis plus de six ans et rentre dans ce cas comme un avantage acquis.» et cette prime a été réglée avec le salaire du mois d’octobre 2007.

En décembre 2008, l’employeur a refusé de verser cette prime en invoquant des motifs que la salariée a contestés dans un courrier daté du 12 décembre 2008 et la prime litigieuse lui a été versée pour les années 2009 et 2010, mais non en 2011sans qu’il soit rapporté la preuve de raisons objectives s’opposant à ce paiement.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que Mme [L] [S] justifie avoir régulièrement bénéficié d’une prime de bilan d’un montant fixe de 450 € depuis 2000 et qu’en l’absence de dénonciation par l’employeur de cet usage constant, elle est fondée en sa demande en paiement d’un rappel de salaire de 500 € au titre de la prime de bilan, conformément à ce qu’ont retenu les premiers juges dont la décision sera confirmée à ce titre, avec intérêts au taux légal à compter du 11 février 2013.

Sur le harcèlement moral

Mme [L] [S] sollicite une indemnisation du préjudice subi en raison des faits de harcèlement moral dont elle a été victime, à hauteur de 20 000 €.

La société [L] conteste le bien fondé de cette demande.

Aux termes de l’article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L’article L 1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et il incombe alors à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge est tenu d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié au titre d’un harcèlement.

En l’espèce, Mme [L] [S] fait valoir que l’employeur a refusé de lui verser la prime de bilan en 2008 et en 2011 alors même qu’il s’agissait d’un avantage acquis

non dénoncé, et qu’elle a été victime d’un dénigrement systématique, d’un isolement tant psychologique que physique ayant contribué à une dégradation de son état de santé caractérisée par un état dépressif constaté dès 2011 par son médecin traitant et dès le mois de mars 2012 par le médecin du travail.

*

S’agissant de l’absence de versement de la prime de bilan, il a été précédemment démontré que la salariée bénéficiait d’une prime de bilan d’un montant fixe de 450 € depuis 2000, caractérisant ainsi un avantage acquis non dénoncé par le nouvel employeur, la société [L] après le rachat de la société Aprolia, lequel a tenté de retirer cette prime à la salariée en 2007 en dépit de l’opposition de M. [I] [A], supérieur hiérarchique de la salariée, dans un courriel du 12 décembre 2017où l’intéressé conclut en ces termes :

«'.Le fait de revenir sur les décisions de primes accordées à certaines personnes met en doute la crédibilité et la gestion de la société faite par les responsables du site.»

En 2008, Mme [L] [S] n’a pas davantage bénéficié de cette prime de bilan bien qu’elle ait contesté les griefs allégués par l’employeur dans une lettre adressée le 12 décembre 2008 à laquelle il n’a pas été apporté de réponse.

Les éléments du dossier et notamment les bulletins de paie de la salariée établissent que celle-ci a perçu la prime de bilan pour les années 2009 et 2010, tandis qu’en 2011 cette prime ne lui a pas été versée.

La société [L] qui n’a pas dénoncé l’avantage acquis dont bénéficiait Mme [L] [S] depuis plus de six ans avant le rachat de la société Aprolia, n’apporte aucun élément objectif sérieux de nature à justifier le non paiement de la prime litigieuse.

*

Concernant le dénigrement systématique de la salariée par Mme [J] [L], responsable du site de Drancy et par ses collègues, les échanges de courriels entre Mme [L] [S], M. [I] [A] et Mme [K] [B] les 12 septembre, 9 et 11 décembre 2007 et 17 janvier 2008, ainsi que ceux entre M. [I] [A], M. [S] [R] et Mme [J] [K] les 28 novembre, 1er et 14 décembre 2007, établissent que le nouveau logiciel ARCOLE mis en place par l’entreprise pour la gestion de la comptabilité générait des dysfonctionnements récurrents au sein du service.

Le courriel de M. [I] [A], adressé le 28 décembre 2007, fait état de la situation suivante :

«… Il serait plus judicieux de prévenir dans les temps et de ne pas faire systématiquement la loi du juste à temps….Toujours le cas de [K], pour elle le système ARCOLE marchait le matin de la consolidation chez elle donc forcément il marchait à Drancy, elle ne veut rien entendre du fait que nous n’avions ni ARCOLE, ni téléphone pour elle, nous mettons tous de la mauvaise volonté!!!

Tous les problèmes informatiques sont forcément des problèmes de personne et non pas une défaillance du système informatique.

Il y a surtout un gros problème relationnel selon elles entre elles et [L], il faut dire qu’elle prenne [L] de haut en la rabaissant constamment au niveau informatique que si les divers logiciels ne marchent pas c’est forcément du à son incompétence et à son refus de faire avancer les choses.

Car selon les dires de [J], notre [L] doit s’estimer heureuse car elle est très largement payée au niveau de [Localité 2] il y a des filles qui travaillent autant que [L] et qui ont salaire moindre, je n’ai pas répondu à cette attaque…. ».

Les courriels échangés les 31mai et 5 juin 2008 entre M. [I] [A],Mme [J] [K] et M. [S] [R] et le courriel de Mme [L] [S] adressé le 5 décembre 2008 à son supérieur hiérarchique font état de la persistance de dysfonctionnements au cours de l’année 2008, alors même qu’aucun élément de ce dossier n’établit que ces dysfonctionnements soient imputables à la salariée.

Par ailleurs, celle-ci s’est vu notifier le 20 janvier 2012 un avertissement pour ne pas avoir informé son employeur de son absence pour congé les 20 et 23 janvier 2012.

Cependant, Mme [L] [S] verse aux débats la demande de congés établie le 20 décembre 2011, signée par la direction, M. [S] [R], qui mentionne précisément un report des congés de la salariée aux 20 et 23 janvier 2012 «exceptionnellement compte tenu du déménagement » de l’entreprise.

L’employeur ne justifie pas avoir répondu au courrier de contestation de la salariée adressé le 30 janvier 2012.

*

Sur l’isolement physique et psychologique de Mme [L] [S], celle-ci communique les clichés photographiques de son bureau établissant que la configuration des lieux la conduit à tourner le dos à ses collègues ainsi qu’elle le signale à Mme [K] [B] dans un courriel du 16 janvier 2012.

Les nombreux échanges de courriels entre Mme [L] [S] et M. [I] [A] au cours des années 2007, 2008, 2009 et 2010 retracent les difficultés rencontrées par les intéressés pour éditer les comptes en raison d’une déficience d’informations fiables et de moyens matériels inadaptés ainsi que la nécessité de travailler dans l’urgence.

Par courriel du 3 novembre 2010, Mme [L] [S] informe son supérieur hiérarchique, M. [I] [A], que suite au « changement de pack info », elle n’a pas «de logiciel ACTIM (immo) », et qu’en tout état de cause elle n’a aucune nouvelle de la part du service info en dépit de signalements.

Les termes de la lettre adressée le 3 novembre 2010 à M. [L] par M. [I] [A] confirment la situation en ces termes :

Le 25 octobre 2010, « j’étais dans l’incapacité de pouvoir travailler normalement et donc d’être dans les conditions optimums de productivité. Le système informatique de l’entreprise, sur le site de Drancy, était indisponible suite au changement du parc des ordinateurs entamé semaine 39; celui-ci devait durer du 25 au 27 octobre et s’est prolongé jusqu’au 29 octobre 2010.

A ce jour, l’ensemble des fonctionnalités informatiques rattaché au service dont j’ai la responsabilité ne sont toujours pas opérationnelles ( caisse- immobilisations- paies des commerciaux- logiciels ACCESS -logiciel ACTIM); ce qui pourrait me porter préjudice au niveau de ma productivité annuelle…..».

Les courriels échangés entre les intéressés les 13, 15, 18 et 26 avril 2011 et 17 mai 2011 mentionnent les difficultés rencontrées pour établir la situation 2010 de la société APROLIA avant l’audit de FIDCOMPTA, notamment l’application du logiciel INVOKE pour les immobilisations et par courrier recommandé du 24 mai 2011, Mme [L] [S] a contesté chacun des griefs invoqués à l’appui de l’avertissement notifié le 16 mai 2011, en rappelant avoir signalé les nombreuses incohérences de solde pour la clôture 2009 et la reprise de solde 2010 et en reprochant à l’employeur un comportement de harcèlement.

Les courriels échangés en janvier 2012 entre Mme [K] [B], Mme [L] [S] et M. [S] [R] établissent qu’il a été demandé dans l’urgence à la salariée de mettre en conformité les comptes des frais généraux en raison de la centralisation comptable des sociétés BLV et APROLIA ainsi que d’un manque d’effectif; la salariée précisant avoir signalé toutes les anomalies comptables à son responsable comptable jusqu’au départ de celui-ci le 2 juillet 2011.

Par ailleurs, Mme [L] [S] a dénoncé la situation de harcèlement vécue depuis 2007 dans un courrier circonstancié de trois pages, adressé le 24 octobre 2012, où elle rappelle que , suite à son retour d’arrêt de travail le 12 octobre 2012, elle a constaté que les tiroirs de son bureau avaient été forcés , que ses affaires personnelles avaient disparu ainsi que ses fournitures de bureau et que sa supérieure, Mme [K] [B], l’a informée de sa décision de la rétrograder à la comptabilité fournisseurs.

Enfin, Mme [L] [S] justifie de la dégradation de son état de santé dès lors qu’elle a fait l’objet d’un arrêt maladie pour syndrome anxio-dépressif à compter du 23 janvier 2012 jusqu’au 11 octobre 2012 par son médecin traitant, le docteur [F], et elle produit une lettre du psychiatre [Q] [Z] confirmant la suivre depuis le 16 mai 2012 à la demande de son médecin traitant, compte tenu des problèmes professionnels rencontrés au travail.

Cette situation est confirmée par le médecin du travail qui relève, lors de la visite du 15 mars 2012 , la nécessité de prolonger l’arrêt de travail de la salariée, et celle « de consulter en souffrance au travail.»

Ces éléments circonstanciés, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral subi par la salariée au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail.

*

La société [L] échoue à démontrer que les faits matériellement établis par Mme [L] [S] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, de sorte que le harcèlement moral est établi contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges dont la décision sera infirmée à ce titre.

*

Mme [L] [S] est en conséquence bien fondée à solliciter la réparation du préjudice en résultant qui sera indemnisé, au vu des éléments soumis à l’appréciation de la cour, à hauteur de la somme de 10 000 €, et à laquelle la société [L] sera condamnée au paiement par infirmation du jugement entrepris qui l’a déboutée de cette demande, avec intérêts au taux légal partant du présent arrêt.

Sur le licenciement pour inaptitude

Aux termes de l’article L.1226-2 du code du travail, dans sa rédaction applicable au présent litige, : «Lorsqu’à l’issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou un un accident non professionnel, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.

Cette proposition prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur l’aptitude du salarié à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise.

L’emploi proposé est aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en 'uvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail».

*

En l’espèce, Mme [L] [S] justifie de la dégradation de son état de santé dès lors qu’elle a fait l’objet d’un arrêt maladie pour syndrome anxio-dépressif à compter du 23 janvier 2012 jusqu’au 11 octobre 2012.

Lors de la première visite médicale de reprise du 12 octobre 2012, le médecin du travail a constaté l’inaptitude de la salariée à occuper son poste de travail, et à l’issue de la seconde visite de reprise du 26 octobre 2012 il a conclu à son inaptitude au poste de comptable dans l’établissement mais à son aptitude « à un poste similaire dans un autre établissement du groupe ».

Mme [L] [S] reproche à l’employeur de ne pas avoir respecté son obligation de reclassement, en relevant le caractère prématuré de l’envoi, le 9 novembre 2012, de la lettre de convocation à un entretien préalable, alors que le médecin du travail n’avait rendu ses dernières conclusions que le 26 octobre 2012, et que la société [L] ne justifie pas avoir procédé à des recherches sérieuses de son reclassement au sein du groupe.

La société [L], pour sa part, fait valoir qu’elle a satisfait à ses obligations légales.

*

L’obligation de reclassement n’est pas une obligation de résultat mais une obligation de moyens renforcée dont le périmètre s’étend à l’ensemble des sociétés du même secteur d’activité avec lesquelles l’entreprise entretient des liens ou compose un groupe dont la localisation et l’organisation permettent la permutation de tout ou partie du personnel.

L’employeur n’est ainsi pas tenu de proposer un poste qui n’est pas disponible ni de créer un poste nouveau, sans réelle utilité ou encore incompatible avec le bon fonctionnement de l’entreprise

Il lui appartient de démontrer par des éléments objectifs qu’il a satisfait à cette obligation et que le reclassement du salarié par le biais de l’une des mesures prévues par la loi s’est avéré impossible, soit en raison du refus d’acceptation par le salarié d’un poste adapté à ses capacités et conforme aux prescriptions du médecin du travail, soit en considération de l’impossibilité de reclassement à laquelle il aurait été confronté.

En l’espèce, suite à l’avis d’inaptitude de Mme [L] [S] au poste de comptable dans l’établissement de [Localité 2] émis le 26 octobre 2012 par la médecine du travail, l’employeur a convoqué la délégation unique du personnel pour le 5 novembre 2012, séance au cours de laquelle il a été constaté l’impossibilité de reclasser la salariée sur le site de [Localité 2].

Le 6 novembre 2012, le service des relations humaines de la société [L] a adressé une demande de reclassement de la salariée aux responsables de quatre autres établissements, Mme Christine [V], M. [B] [L], M. [N] [P] et M. [Y] [Q] qui lui ont adressé des réponses négatives les 7 et 12 novembre 2012.

La société [L] qui appartient à un groupe devenu le premier distributeur indépendant de l’Île de France, et qui exerce son activité dans plusieurs établissements situés à [Localité 2], [Localité 4], Drancy et [Localité 5] sur Marne, sous plusieurs noms commerciaux – Etablissements Jacquet, Aprolia, Bières de Paris, Brasserie des Vosges, le Cellier des Ducs – en générant un chiffre d’affaires de plus de 60 millions d’euros, ne justifie pas avoir recherché des propositions de reclassement sérieuses compatibles au sein de son groupe et compatibles avec les préconisations de la médecine du travail qui recommandaitt un poste de comptable au sein d’un autre établissement.

En l’occurrence, l’entreprise a convoqué la salariée à un entretien préalable à un licenciement, dès le 9 novembre 2012, soit trois jours après l’unique demande de reclassement par courriel du service des relations humaines, et avant même d’avoir reçu toutes les réponses des responsables d’établissement,M. [Y] [Q] n’ayant adressé sa réponse que le 12 novembre 2012.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la société [L] a fait preuve d’une certaine précipitation dans la mise en 'uvre de la procédure de licenciement pour inaptitude, alors même que la médecine du travail avait conclu à l’aptitude de la salarié à un poste de comptable dans un autre établissement, qu’elle n’a pas respecté les obligations lui incombant en matière de reclassement, telles que prévues à l’article L.1226-2du code du travail, de sorte qu’est privé de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude de Mme [L] [S].

Le jugement déféré sera ainsi confirmé sur ce point.

*

Si le salarié ne peut en principe prétendre au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis qu’il est dans l’impossibilité physique d’exécuter en raison de son inaptitude à son emploi, cette indemnité est due au salarié dont le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison du manquement de l’employeur à son obligation de reclassement consécutive à l’inaptitude.

Mme [L] [S] dont le salaire mensuel de référence est de 2 738. 92€ est fondé à solliciter une indemnité compensatrice de préavis d’un montant de 5 477 € correspondant à deux mois de salaires, outre les congés payés afférents d’un montant de 547.70 €, en application de l’article L 1234-1 du code du travail, conformément à ce qu’ont retenu les premiers juges dont la décision sera confirmée à ce titre, avec intérêts au taux légal partant du 11 février 2013.

En vertu des dispositions des articles 1.2 et 6.6 de la convention collective nationale des distributeurs conseils hors domicile, Mme [L] [S], qui justifie d’une ancienneté de 29 ans et 7 mois au sein de l’entreprise déduction faite de ses absences pour maladie et qui a déjà perçu au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement la somme de 20 748.40 €, est fondée en sa demande en paiement d’un complément à concurrence de la somme de 2 608.48 € ainsi calculée :

[( 2 738.92 €: 5 ) x 29 ] + [(2 738.92 € : 12) x 7 ] : 5 = 16 205.28 €,

[( 2 738.92 € x 2/15 ) x 19] +[(2 738.92 € : 12) x 7 ] x 2/15 = 7 151.60 € ,

soit un total de 23 356.88 € dont à soustraire les 20 748.40 € déjà encaissés, comme précédemment relevé.

Il convient donc, après infirmation du jugement critiqué sur le quantum, de condamner l’appelante à payer à Mme [L] [S] la somme à ce titre de 2 608,48 € majorée des intérêts au taux légal à compter du 11 février 2013.

Aux termes de l’article L 1235-3 du code du travail, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, il est octroyé au salarié à la charge de l’employeur une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Compte tenu de l’effectif de l’entreprise d’au moins 11 salariés, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme [L] [S], de son ancienneté de plus de 29 années, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelles, ainsi que des conséquences du licenciement à son égard, en particulier de la période de chômage de neuf mois qui a suivi la rupture, après infirmation de la décision querellée sur le quantum, il y a lieu de condamner l’appelante à lui payer de ce chef la somme de 50 000 € à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal partant du présent arrêt.

L’application de l’article L 1235-3 du code du travail appelle celle de L 1235-4 du même code, de sorte qu’il sera ordonné le remboursement par la société [L] à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à Mme [L] [S], dans la limite de six mois.

Sur la capitalisation des intérêts au taux légal

Il sera ordonné la capitalisation des intérêts au taux légal sur les sommes revenant à l’intimée en application de l’article 1343-2 du code civil, tel qu’issu de l’ordonnance n° 2016-131du 10 février 2016.

Sur la délivrance des documents sociaux

Il sera ordonné à l’employeur de délivrer à la salariée un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi conformes au présent arrêt, sans que le prononcé d’une astreinte ne soit nécessaire.

Sur l’article 700 du code de procédure civileet les dépens

La société [L], qui succombe, supportera la charge des dépens en cause d’appel, et sera condamnée en équité à payer à Mme [L] [S] la somme complémentaire de 1 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

CONFIRME le jugement entrepris en ses seules dispositions de condamnation au titre des rappels d’heures supplémentaires et de prime de bilan, de l’indemnité compensatrice légale de préavis, de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que sur les dépens ;

L’INFIRME pour le surplus et, STATUANT à nouveau,

CONDAMNE la SAS [L] à payer à Mme [L] [S] les autres sommes de :

10 000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral

2 878.48 € de complément d’ indemnité conventionnelle de licenciement

50 000 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Y AJOUTANT,

DIT que les sommes revenant à Mme [L] [S] au titre des rappels d’heures supplémentaires et de prime de bilan, et des indemnités de rupture, sont assorties des intérêts au taux légal partant du 11 février 2013

DIT que les sommes indemnitaires allouées à Mme [L] [S] au titre du harcèlement moral et du licenciement sans cause réelle et sérieuse sont assorties des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt

ORDONNE la capitalisation des intérêts échus dans les conditions de l’article 1154 du code civil recodifié sous l’article 1343-2 par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016

ORDONNE à la SAS [L] de délivrer à Mme [L] [S] un certificat de travail et une attestation destinée au pôle emploi, conformes au présent arrêt

ORDONNE le remboursement par la SAS [L] à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à Mme [L] [S], dans la limite de six mois

CONDAMNE la SAS [L] à verser à Mme [L] [S] la somme de 1 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SAS [L] aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LE CONSEILLER FAISANT FONCTION DE PRESIDENT

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Cour d'appel de Paris, Pôle 6 chambre 9, 24 janvier 2018, n° 15/12164