Cour d'appel de Paris, Pôle 5 chambre 3, 16 janvier 2019, n° 16/14143

  • Vente·
  • Sociétés·
  • Droit de préemption·
  • Entrée en vigueur·
  • Demande·
  • Locataire·
  • Pourparlers·
  • Loyer·
  • Agent immobilier·
  • Bail

Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 3

ARRÊT DU 16 JANVIER 2019

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 16/14143 – N° Portalis 35L7-V-B7A-BZERT

Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Juin 2016 -Président du TGI de BOBIGNY – RG n° 15/04284

APPELANTE

EURL QL… prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de BOBIGNY sous le numéro 324 358 118

[…]

Représentée par Me Richard X…, avocat au barreau de PARIS, toque : D0516

INTIMÉES

Madame Annie Y…

née le […] à […]

[…]

Représentée par Me Emilie Z…, avocat au barreau de PARIS, toque : E0974, avocat postulant

Assistée de Me Nicolas A… de l’AARPI J… BLANCHOT MAC I… A…, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 282, avocat plaidant substitué par Me Camille B… de l’AARPI J… BLANCHOT MAC I… A…, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 282, avocat plaidant,

SNC FINANCIÈRE DE LA MARNE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 537 593 600

[…]

Représentée par Me Audrey C… – HALIMI, avocat au barreau de PARIS, toque : P0428

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 06 Novembre 2018, en audience publique, devant la Cour composée de:

Madame Agnès THAUNAT, présidente de chambre

Madame Sandrine GIL, conseillère

Madame Françoise BARUTEL-NAULLEAU, conseillère

qui en ont délibéré,

un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues par l’article 785 du code de procédure civile.

Greffière, lors des débats : Madame Marie-Gabrielle P…

ARRÊT :

— contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Madame Agnès THAUNAT, présidente de chambre et par Madame Marie-Gabrielle de La REYNERIE, greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par la magistrate signataire.

*****

FAITS ET PROCÉDURE

Selon acte des 11 juillet et 5 août 2013, Mme Arlette D… a renouvelé pour une durée de neuf ans à compter du 1er juin 2013 le bail commercial consenti à la société les Q… L… portant sur un local situé […] .

Par acte authentique du 10 décembre 2014, Mme Annie Y…, venant aux droits de sa mère Mme Arlette D… décédée le […] , a vendu à la société FINANCIÈRE DE LA MARNE les lieux objet du bail.

Le 16 avril 2015, la société les Q… L… a fait assigner Mme Annie Y… et la société FINANCIÈRE DE LA MARNE devant le tribunal de grande instance de BOBIGNY aux fins d’annulation de la vente.

Par jugement du 14 juin 2016, le tribunal de grande instance de Bobigny a :

— Débouté la société les Q… L… de l’ensemble de ses demandes,

— Condamné la société les Q… L… à payer à Madame Annie Y… et à la société FINANCIÈRE DE LA MARNE la somme de 1.500 € à chacune au titre de l’article700 du code de procédure civile,

— Condamné la société les Q… L… aux dépens, dont distraction au profit de Maître Audrey C… conformément à l’article 699 du code de procédure civile pour ceux des dépens exposés par la société FINANCIÈRE DE LA MARNE,

— Ordonné l’exécution provisoire de la présente décision en toutes ses dispositions.

Par déclaration du 28 juin 2016, la société les Q… L… , a interjeté appel de jugement.

Par arrêt en date du 21 mars 2018, la cour d’appel de Paris a :

— Révoqué l’ordonnance de clôture du 20 décembre 2017,

— Ordonné la réouverture des débats afin que les parties concluent :

— sur une date d’entrée en vigueur de l’article 14 de la loi du 18 juin 2014 pour toute cession d’un local intervenant à compter du 18 novembre 2014, selon un calcul de date à date,

— sur l’application des articles 14 et 21 de la loi du 18 juin 2014 au moment de la formation de la vente c’est- à- dire celle du compromis et sur ses conséquences dans le cas d’espèce au regard des possibles dates d’entrée en vigueur de l’article 14 de la loi du 18 juin 2014, à savoir les 18 novembre, 1er décembre ou 18/19 décembre 2014,

— Sursis en conséquence à statuer sur l’ensemble des demandes des parties,

— Renvoyé l’affaire à la mise en état,

— Réservé les dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 11 octobre 2018, la société les Q… L… , société unipersonnelle à responsabilité limitée, demande à la cour de :

— Recevoir l’appelante en son recours.

Et, sous réserve pour la Cour de faire usage en cette espèce particulière de la faculté que lui ouvrent les articles L 441-1 et suivants et R 441-1 et suivants du Code de l’organisation judiciaire et de solliciter l’avis de la Cour de Cassation sur la date d’entrée en vigueur du droit de préemption du preneur à bail commercial en cas de vente du local dans lequel il exploite son fonds de commerce,

— réformer le jugement entrepris et

Vu l’article L 145-46-1 du Code du commerce,

Vu l’article 1134 (ancien) du Code civil, et les articles 1147 et suivants (anciens),

Vu l’article 1382 (ancien) du Code civil,

Vu encore l’article 566 du Code de procédure civile,

1) annuler la vente reçue en l’étude R…'S…, notaires au […], le 10 décembre 2014 au profit de la société FINANCIERE DE LA MARNE du local au rez-de-chaussée de l’immeuble sis à […]- […] ' cadastré secteur BF n°5 d’une surface de 00 ha 08 a 08 ca, composé d’une boutique avec sous-sol et double WC ainsi que les 42/1010èmes de la propriété du sol et des parties communes générales.

Subsidiairement déclarer la vente inopposable à l’EURL QL…

,

— Donner acte à celle-ci de ce qu’elle entend se prévaloir du droit de préemption instauré par l’article L 145-46-1 du Code de commerce et de ce qu’elle tient à la disposition de la venderesse la somme de 470.000 €uros et qu’elle se déclare prête à supporter les frais et honoraires de la nouvelle mutation,

2) dire et juger en conséquence, que l’EURL QL… les Q… L… sera substituée à la société FINANCIERE DE LA MARNE en qualité d’acquéreur de l’immeuble dont s’agit, et ENJOINDRE à Mme Y… de donner mandat à l’Office Notarial R… S…, notaires au […], de rédiger un nouvel acte de vente au profit de l’EURL QL… les Q… L… aux mêmes conditions que celles consenties à la société FINANCIERE DE LA MARNE , dans le délai d’un mois à compter de la signification de l’arrêt à intervenir, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard, passé ledit délai, étant précisé que l’EURL QL… les Q… L… sera assistée de Maître Marie Christine E…, notaire à […], […] .

3) condamner solidairement la société FINANCIERE DE LA MARNE et Mme Y… à rembourser à l’EURL QL… les Q… L… les loyers et les charges versés depuis le jour de la vente, soit la somme de 220.470,93 euros à la date du 1 juin 2018. S’entendre sur ce point s’il y a lieu requalifier la condamnation en dommages-intérêts.

— Condamner Mme Y… à payer à titre de restitution du dépôt de garantie à l’EURL QL… les Q… L… la somme de 7.430.22 €

— autoriser l’EURL QL… les Q… L… à consigner les loyers futurs entre les mains de tel séquestre qu’il plaira à la Cour de désigner, jusqu’à ce que l’arrêt à intervenir soit devenu définitif

4) Très subsidiairement et pour le cas où le Cour ne ferait pas droit à la demande d’annulation de la vente litigieuse, condamner Mme Y… sur le fondement de l’article 1382 du Code civil à verser à l’EURL QL… les Q… L… , la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts,

— condamner solidairement Madame Y… et la FINANCIERE DE LA MARNE à lui payer la somme de 10.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

— débouter les intimées de leurs demandes reconventionnelles et particulièrement celles pour procédure abusive présentée par Mme Y…,

— les condamner aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 17 octobre 2018, Mme Annie Y… demande à la cour de :

Vu les articles 14 et 21 de la loi n°2014-626 du 18 juin 2014,

Vu l’article L.145-46-1 du code de commerce,

Vu l’article 1240 (nouveau) du code civil,

Vu les articles 561 et suivants du code de procédure civile,

— confirmer le jugement rendu le 14 juin 2016 par le tribunal de grande instance de Bobigny, sauf en ce qu’il a rejeté la demande de Mme Y… au titre de la procédure abusive,

— rejeter l’ensemble des demandes de la société les Q… L… , en particulier :

o constater que la demande de la société les Q… L… de saisir la Cour de Cassation a été formulée pour la première fois en cause d’appel,

o constater que les critères de l’article L441-1 du code de l’organisation judiciaire pour la saisine de la Cour de Cassation pour avis ne sont pas remplis,

o débouter en conséquence la société les Q… L… de sa demande à ce titre,

o constater que sa demande de remboursement des loyers versés pendant la durée de la procédure n’est pas fondée, pas plus que sa demande de remboursement du dépôt de garantie,

o En conséquence, l’en débouter,

o constater que sa demande de dommages et intérêts pour rupture abusive des pourparlers est intervenue pour la première fois en cause d’appel,

o constater en tout état de cause que Mme Y… n’a pas commis de faute dans le cadre de la vente de son bien,

o En conséquence, débouter la société les Q… L… de sa demande de réparation à ce titre,

— juger que la présente procédure est abusive,

— condamner en conséquence la société les Q… L… à verser à Mme Y… la somme de 5 000 € en réparation du préjudice qu’elle a subi à ce titre,

— la condamner à verser à Mme Y… la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— la condamner aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 17 septembre 2018, la SNC FINANCIERE DE LA MARNE a :

Vu la loi ACTPE n°2014-626 du 18 juin 2014,

Vu les articles 14 et 21 de ladite loi,

Vu l’article L.145-46-1 du Code de commerce,

Vu les articles 564 et suivants du Code de procédure civile,

Vu l’article L.441-1 du Code de l’organisation judiciaire,

Vu l’article 700 du Code de Procédure Civile,

Vu l’ensemble des pièces versées au débat.

— confirmer le jugement rendu le 14 juin 2016 par le tribunal de grande instance de Bobigny en toutes ses dispositions,

— débouter la société les Q… L… de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

Plus particulièrement :

Sur la demande de saisine de la Cour de cassation pour avis :

A titre principal :

— constater que la demande de saisine de la Cour de cassation pour avis est une demande nouvelle présentée pour la première fois devant la Cour d’appel de Céans,

En conséquence,

— juger irrecevable la demande de saisine de la Cour de cassation présentée pour la première fois en cause d’appel, par la Société les Q… L… .

A titre subsidiaire :

— constater que les conditions requises par l’article L.441-1 du Code de l’organisation judiciaire ne sont pas remplies,

En conséquence,

— rejeter la demande faite par la société les Q… L… de voir la Cour de cassation saisie pour avis en vertu des dispositions de l’article L.441-1 du Code de l’organisation judiciaire ; les conditions requises

— Sur la demande de condamnation solidaire de la société FINANCIERE DE LA MARNE et de Mme Y… à des dommages-intérêts :

— constater que la demande effectuée par la société appelante de voir condamner solidairement la société FINANCIERE DE LA MARNE et Mme Y… au paiement de la somme de 202.174,93 euros, à la date du 1 er juin 2018, à titre dommages-intérêts sur le fondement de l’article 1382 du Code civil est une demande nouvelle présentée pour la première fois devant la Cour d’appel de Céans,

En conséquence,

— juger irrecevable la demande de condamnation au versement de dommages-intérêts sur le fondement de l’article 1382 du Code civil présentée pour la première fois en cause d’appel par la Société les Q… L… .

Si par extraordinaire, cette demande ne serait pas jugée comme étant nouvelle :

— constater que la demande de remboursement des loyers versés n’est pas fondée et en tout état de cause irrecevable,

En conséquence,

— débouter la société les Q… L… de sa demande de condamnation au versement de dommages-intérêts sur le fondement de l’article 1382 du Code civil.

En tout état de cause,

— condamner la société les Q… L… au paiement de la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

— condamner la société les Q… L… en tous dépens dont distraction au profit de Maître Audrey C…, Avocat au Barreau de Paris, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de Procédure Civile.

La clôture est intervenue le 25 octobre 2018.

MOTIFS

Sur la demande de saisine de la Cour de cassation

La société les Q… L… expose que les avis sont partagés en doctrine quant à la date d’application de l’article 14 de la loi du 18 juin 2014 relatif au droit de préemption du locataire commercial ; que la cour peut saisir pour avis la cour de cassation par application de l’article L441-1 du code de l’organisation judiciaire. Elle estime qu’il s’agit d’une question de droit nouvelle qui présente une difficulté sérieuse qui est susceptible de donner lieu à de solutions divergentes de la part des juridictions de fond et qui peut se poser dans de nombreux litiges ; qu’elle commande l’issue du présent litige dès lors que si la date d’entrée en vigueur est bien le 1er décembre 2014 comme elle le soutient et non le 18 décembre 2014 comme le prétendent les intimés, alors la vente est nulle.

les intimées soulèvent l’irrecevabilité de la demande de saisine de la Cour de cassation comme étant nouvelle en cause d’appel. Elles soutiennent qu’il n’y a pas lieu à saisine de la Cour de cassation car les conditions d’application n’en sont pas réunies.

La cour relève que la saisine pour avis de la Cour de cassation est une faculté ouverte au juge par les articles L441-1 et suivants et R 441-1 et suivants du code de l’organisation judiciaire et de l’article du 1031-1 du code de procédure civile qui est non susceptible de recours ; que le juge peut saisir d’office la Cour de cassation, de sorte que lorsque une partie sollicite qu’une juridiction saisisse la cour de cassation il ne s’agit pas d’une prétention au sens de l’article 4 du code de procédure civile. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de déclarer irrecevable la demande formulée par l’appelante en ses termes 'sous réserve pour la Cour de faire usage en cette espèce particulière de la faculté que lui ouvrent les articles L 441-1 et suivants et R 441-1 et suivants du code de l’organisation judiciaire et de solliciter l’avis de la Cour de cassation sur la date d’entrée en vigueur du droit de préemption du preneur à bail commercial en cas de vente du local dans lequel il exploite son fonds de commerce'.

Toutefois, il n’y a pas lieu de saisir la Cour de cassation pour avis car s’il s’agit d’une question nouvelle, il n’est pas établi qu’elle se poserait dans de nombreux litiges puisqu’elle ne pourrait le cas échéant que concerner une période de temps très limitée, ni qu’elle poserait une difficulté sérieuse quant à l’appréciation de la date d’entrée en vigueur de l’article 14 de la loi du 18 juin 2014 nonobstant les avis divergents de la doctrine qui datent essentiellement de l’année 2014.

Sur la demande d’annulation de la vente

La société les Q… L… soutient que la vente du local objet du bail est intervenue le 10 décembre 2014 en méconnaissance de son droit de préemption prévu par le nouvel article L. 145-46-1 du code de commerce créé par loi du 18 juin 2014, applicable selon elle à toutes les ventes conclues à compter du 6e mois suivant la promulgation de la loi du 18 juin 2014. Elle expose, suite à la réouverture des débats, qu’il peut être considéré que le sixième mois qui suit le mois de la promulgation a débuté le 18 novembre 2014 de sorte que la vente intervenue le 10 décembre est nulle. A défaut, elle considère que l’entrée en vigueur de l’article 14 est le 1er décembre 2014 ; que si le législateur avait voulu que la date corresponde au 18 décembre, il aurait utilisé l’expression six mois après la promulgation ; qu’à défaut de précision du jour, c’est bien le 1er jour du mois qui doit s’appliquer.

La société FINANCIÈRE DE LA MARNE et Mme Annie Y… répliquent que l’article L.145-46-1 du code de commerce n’est applicable qu’aux ventes conclues à compter soit du 19 décembre 2014, soit du 18 décembre 2014 ; que la doctrine retient majoritairement le 18 décembre ou le 19 décembre ; qu’à la lecture même du texte de l’article 21 de la loi du 18 juin 2014, il est manifeste que le législateur a effectué une distinction entre les dispositions applicables aux contrats conclus ou renouvelés à compter du premier jour du troisième mois suivant la promulgation de loi et l’article 14 relatif au droit de préemption applicable à toute cession d’un local intervenant à compter du sixième mois qui suit la promulgation de la loi. Elle ajoute que la date d’entrée en vigueur ne saurait être le mois de novembre, rappelant que la loi du 18 juin 2014 est applicable aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 1er jour du 3ème mois qui suit la promulgation de la loi ; qu’il est constant que le 3ème mois est le mois de septembre 2014 ; que le 6ème mois suivant la promulgation de la loi ne peut donc qu’être le mois de décembre.

La société les Q… L… a fait procéder à la publication de son assignation conformément au décret du 4 janvier 1955.

L’article 14 de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, publiée au journal officiel du 19 juin 2014, relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, a instauré un droit de préemption au bénéfice du locataire commercial en cas de mise en vente des locaux à usage commercial ou artisanal dans lequel est exploité le fonds, ainsi codifié à l’article L. 145-46-1 du code de commerce :

'Lorsque le propriétaire d’un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci, il en informe le locataire par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, ou remise en main propre contre récépissé ou émargement. Cette notification doit, à peine de nullité, indiquer le prix et les conditions de la vente envisagée. Elle vaut offre de vente au profit du locataire. Ce dernier dispose d’un délai d’un mois à compter de la réception de cette offre pour se prononcer. En cas d’acceptation, le locataire dispose, à compter de la date d’envoi de sa réponse au bailleur, d’un délai de deux mois pour la réalisation de la vente. Si, dans sa réponse, il notifie son intention de recourir à un prêt, l’acceptation par le locataire de l’offre de vente est subordonnée à l’obtention du prêt et le délai de réalisation de la vente est porté à quatre mois.

Si, à l’expiration de ce délai, la vente n’a pas été réalisée, l’acceptation de l’offre de vente est sans effet.

(…)'.

Selon l’article 1 alinéa 1 du code civil: 'les lois et, lorsqu’ils sont publiés au Journal officiel de la République française, les actes administratifs, entrent en vigueur à la date qu’ils fixent ou, à défaut, le lendemain de leur publication. Toutefois, l’entrée en vigueur de celles de leurs dispositions dont l’exécution nécessite des mesures d’application est reportée à la date d’entrée en vigueur de ces mesures'.

En l’espèce, la loi n°2014-626 a été promulguée le 18 juin 2014 et publiée au Journal officiel le 19 juin 2014. Elle est entrée en vigueur le 20 juin 2014, sous réserve toutefois de ses dispositions pour lesquelles le législateur a fixé une date différente.

A cet égard, selon l’article 21 de la loi du 18 juin 2014 :

I.-Le 2° de l’article 2 de la présente loi s’applique à toute succession ouverte à compter

de l’entrée en vigueur de la même loi.

II.-les articles 3,9 et 11 de la présente loi ainsi que l’article L.145-40-2 du code de commerce, tel qu’il résulte de l’article 13 de la même loi, sont applicables aux contrats

conclus ou renouvelés à compter du premier jour du troisième mois suivant la

promulgation de ladite loi.

III.-L’article 14 de la présente loi s’applique à toute cession d’un local intervenant à compter du sixième mois qui suit la promulgation de la même loi.

Le litige entre les parties porte sur l’interprétation à donner au membre de phrase suivant : 'à compter du sixième mois qui suit la promulgation de la même loi '.

les parties s’accordent sur le fait qu’en application des dispositions de la promesse de vente notariée en date du 24 septembre 2014, la réalisation de la vente est intervenue à la date de la signature de l’acte authentique constatant le caractère définitif de la vente, soit le 10 décembre 2014.

La cour relève qu’il est admis que le troisième mois suivant la promulgation de la loi du 18 juin 2014 visé pour l’entrée en vigueur des dispositions applicables aux contrats conclus ou renouvelés est le mois de septembre 2014 (le premier mois étant le mois de juillet, le deuxième celui d’août, le troisième celui de septembre) ; que par conséquent le 6e mois qui suit la promulgation de la loi du 18 juin 2014 est bien le mois de décembre 2014 et non le mois de novembre 2014.

Comme l’a relevé à juste titre le jugement de première instance, le recours, par le législateur, à deux formulations différentes, à savoir le 1er jour du 3e mois et le 6e mois au sein du même article exprime deux intentions distinctes d’entrée en vigueur des dispositions concernées.

Ainsi, alors que les dispositions visées dans le II sont applicables aux contrats conclus ou renouvelés 'à compter du premier jour du troisième mois suivant la promulgation', soit le 1er septembre 2014, l’article 14 visé dans le III est applicable aux cessions intervenant 'à compter du sixième mois qui suit la promulgation de la même loi'. Si le législateur avait souhaité que l’entrée en vigueur différée de l’article 14 de la loi du 18 juin 2014 soit fixée au 1er décembre 2014, il aurait utilisé une même formule, à savoir à compter du 'premier jour’ du sixième mois suivant la promulgation. Or tel n’est pas le cas.

La loi ayant été promulguée le 18 juin 2014, l’article 14 est par conséquent applicable aux ventes intervenant à compter du sixième mois qui suit la promulgation de ladite loi, soit le 18 décembre 2014.

La vente litigieuse ayant été conclue le 10 décembre 2014, avant la date d’entrée en vigueur de l’article 14 de la loi du 18 juin 2014, la société les Q… L… est mal fondée à se prévaloir d’un droit de préemption qui n’existait pas lors de la vente et dont elle ne peut par conséquent solliciter le bénéfice, de sorte qu’elle sera déboutée de sa demande d’annulation de la vente.

Pareillement, elle ne peut davantage se prévaloir d’un droit de préemption pour voir déclarer la vente inopposable à son égard.

Par conséquent, la société les Q… L… sera déboutée de ses demandes de voir dire qu’elle sera substituée à la société FINANCIÈRE DE LA MARNE en qualité d’acquéreur de l’immeuble et de voir enjoindre à Mme Y… de donner mandat à l’Office Notarial R… S…, notaires au […], de rédiger un nouvel acte de vente à son profit aux mêmes conditions que celles consenties à la société FINANCIÈRE DE LA MARNE sous astreinte. Pareillement, la vente n’étant ni annulée, ni déclarée inopposable à la société les Q… L… , l’appelante sera déboutée de sa demande de consignation des loyers 'futurs’ dont elle reste redevable par application des clauses du bail en tant que locataire.

Il convient donc de confirmer le jugement entrepris qui a déboutée la société les Q… L… de ces chefs de demandes.

Sur la demande formée par l’appelante de remboursement des loyers et charges versés depuis le jour de la vente et du dépôt de garantie

L’appelante prétend que si elle avait pu exercer son droit de préemption, elle serait devenue propriétaire des murs et elle n’aurait pas eu à régler les sommes mensuelles de 4 575,50 euros au titre des loyers outre les charges locatives et que Mme Y… lui doit restitution du dépôt de garantie. Elle précise que s’il n’était pas fait droit à sa demande de remboursement de loyers et charges, alors il conviendrait de l’indemniser de la perte de chance de ne pas avoir eu à payer les loyers et charges par application de l’article 1382 du code civil.

La société FINANCIÈRE DE LA MARNE réplique que la demande d’indemnisation au titre de la perte de chance sur le fondement de l’article 1382 est nouvelle ; qu’elle est donc irrecevable.

Mme Y… prétend que la demande n’est pas fondée car elle n’est plus le bailleur de la société les Q… L… depuis la vente et que la demande de dommages et intérêts pour perte de chance n’étant pas fondée sur la caractérisation d’un préjudice distinct de celui d’avoir eu à payer des loyers et charges doit être rejetée.

Dans la mesure où la société les Q… L… est mal fondée à se prévaloir d’un droit de préemption qui n’existait pas lors de la vente et dont elle ne peut par conséquent solliciter le bénéfice, elle sera déboutée de sa demande de remboursement des loyers et charges dont elle reste redevable en application du bail en sa qualité de locataire. Pareillement, le bail n’ayant pas pris fin, il n’y a pas lieu à restitution du dépôt de garantie de sorte que cette demande ne sera pas accueillie.

Le jugement entrepris qui a débouté la société FINANCIÈRE DE LA MARNE de ces chefs de demande sera donc confirmé.

Pour ce qui relève de l’indemnisation au titre de la perte de chance de ne pas avoir eu à payer les loyers et charges, cette demande est recevable par application de l’article 565 du code de procédure civile, en ce qu’elle tend aux mêmes fins que la demande de remboursement des loyers et charges formée en première instance. En revanche, dès lors que la société les Q… L… ne peut pas se prévaloir d’un droit de préemption qui n’existait pas lors de la vente, elle ne rapporte pas la preuve d’une faute des intimées. Elle sera donc déboutée de cette demande.

Sur la demande d’indemnisation pour rupture des pourparlers pré-contractuels

— Sur la recevabilité de la demande

les intimées prétendent que la demande d’indemnisation formée par l’appelante est nouvelle en cause d’appel.

La société les Q… L… fait valoir que par application de l’article 566 du code civil, les parties peuvent expliciter les prétentions virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge; que tel est le cas car elle a fait état du comportement déloyal de Mme Y… en première instance.

Selon l’article 566 du code de procédure civile, dans sa version applicable à l’espèce, 'les parties peuvent aussi expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge et ajouter à celles-ci toutes les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément.'.

En première instance, la société les Q… L… a sollicité l’annulation de la vente, subsidiairement qu’elle lui soit déclarée inopposable, et elle a demandé le remboursement des loyers et charges versés depuis la vente. Il ressort cependant de l’assignation introductive d’instance qu’elle produit qu’elle y énonce que la société les Q… L… a manifesté son intérêt pour acquérir les locaux lorsqu’elle a appris que Mme Y… souhaitait vendre le bien qu’elle avait hérité de sa mère ; que des échanges ont eu lieu avec l’agent immobilier de Mme Y… entre juin et septembre 2014 à ce sujet ; que lorsqu’elle a eu connaissance de ce que cette dernière négociait avec un autre acquéreur sans lui en avoir parlé, ni répondu à ses offres et qu’elle s’apprêtait à vendre, elle a fait notifier une opposition à vente en raison de ses droits à préemption. Il résulte de ces éléments que la société les Q… L… avait ainsi déjà évoqué en première instance le comportement de Mme Y… dans le cadre des pourparlers.

Il s’ensuit que la demande d’indemnisation pour rupture des pourparlers pré-contractuels est recevable par application de l’article 566 du code de procédure civile.

— Sur le bien fondé de la demande

La société les Q… L… fait valoir que Mme Y… a manqué à la loyauté qui doit régir les parties pendant la période pré-contractuelle ; que sa responsabilité doit être retenue s’agissant d’une rupture brutale et unilatérale. Elle rappelle que cette dernière n’ignorait pas que sa mère, Mme D…, entretenait d’excellentes relations avec le gérant de la société appelante ; que Mme D… lui avait fait comprendre qu’elle lui vendrait les murs, ce pourquoi le gérant a acquis les murs adjacents et effectué d’importants travaux de rénovation ; qu’elle pensait légitimement pouvoir acquérir les murs du local dont lequel elle exerce depuis 25 ans, qu’elle a négocié pendant 6 mois avec l’agent immobilier de Mme Y…. La société les Q… L… ajoute avoir appris incidemment que Mme Y… négociait avec un tiers et avait signé une promesse de vente ; que celle-ci n’ignorait pas la possibilité de se trouver assujettie au droit de préemption de sa locataire , ce qui ne l’a pas empêchée de conclure la vente avec un tiers opérant sous le statut de marchand de biens.

Mme Y… expose qu’il n’est pas démontré que sa mère aurait eu l’intention ou se serait engagée à vendre à la société les Q… L… les locaux donnés à bail ; que le fait que le locataire ait procédé à des travaux importants d’aménagement intérieur du magasin résulte de sa volonté personnelle. Elle ajoute qu’à aucun moment l’agent immobilier ne s’est engagé à vendre le bien à l’appelante ; que si la société les Q… L… a fait une proposition à l’agent immobilier le 10 juillet 2014, Mme Y… n’a manifestement pas entendu y donner suite et le dernier échange avec l’agent immobilier produit aux débats date de septembre 2014.

La cour relève que Mme Y… n’ignorait pas que la société les Q… L… par l’intermédiaire de son gérant M. F… souhaitait acquérir le bien lui appartenant puisqu’il lui écrivait en ce sens le 18 juin 2014 précisant que l’achat pouvait se faire rapidement sans l’aide d’un prêt. Il ressort des échanges de courriels intervenus entre le 1er juillet 2014 et le mois de septembre 2014 entre M. F… et M. G… agent immobilier, dont il n’est pas discuté qu’il était en charge de la vente du bien immobilier dont s’agit, que des négociations dont Mme Y… était informée ont eu lieu sur le prix de vente qui était, selon les courriels de 499 000 euros ; que le 10 juillet 2014 M. F…, après avoir procédé à une estimation comparative de prix de locaux commerciaux, faisait une proposition d’achat à 475 000 euros ; que cette offre était transmise à Mme Y… par M. G… qui en informait le 23 juillet 2014 M. F…, précisant ne pas avoir eu de réponse à cette date et qui lui indiquait le 8 septembre 2014 avoir un rendez-vous avec Mme Y… ; que M. F… relançait en vain M. G… le 30 septembre 2014.

Le compromis de vente conclut entre Mme Y… et la société FINANCIÈRE DE LA MARNE le 24 septembre 2014 porte sur un prix de 470.000 euros.

Par la suite, informé de la vente à la société FINANCIÈRE DE LA MARNE, la société les Q… L… faisait signifier par acte d’huissier à Mme Y… et au notaire en charge de la vente selon acte d’huissier en date du 5 décembre 2014 qu’elle s’opposait à la vente faute par la bailleresse d’avoir respecté le droit de préemption de la locataire.

Il résulte de ces éléments que les négociations pour la vente étaient avancées puisque le prix était discuté et qu’il était fait une proposition d’achat pour un prix de 475 000 euros le 10 juillet 2014 sans que Mme Y…, à qui l’offre avait été transmise, n’y réponde alors que le compromis de vente signé le 24 septembre 2014 porte sur prix de 470 000 euros.

Par conséquent, l’attitude de Mme Y… qui, alors que des négociations avaient lieu entre l’agent immobilier en charge de la vente et la société les Q… L… représentée par son gérant M. F…, société qui était locataire depuis de nombreuses années du bien immobilier en vente, laissant ainsi croire qu’un accord était possible quant à la vente, n’a pas répondu à la proposition d’achat pour un montant de 475 000 euros et a signé peu après un compromis de vente pour un prix légèrement inférieur, a été déloyale envers l’appelante pendant les relations régissant la période pré-contractuelle en mettant fin sans motif aux pourparlers.

Le comportement fautif de Mme Y… ouvre par conséquent droit à réparation au profit de la société les Q… L… .

Il est admis qu’une faute commise dans l’exercice du droit de rupture unilatérale par un vendeur ne peut être la cause du préjudice consistant dans la perte de chance de réaliser des gains que permettait d’espérer la conclusion du contrat projeté.

En l’espèce, le préjudice résultant de la rupture fautive des pourparlers est constitué par la déconvenue de l’appelante de ne pouvoir acquérir le bien convoité alors qu’elle exploite le fonds de commerce dans les locaux depuis 1989 ; qu’elle y a fait d’important travaux et l’a relié, avec l’accord de Mme D…, à un local mitoyen appartenant à son gérant, M. F… ; qu’il convient d’indemniser ce préjudice à hauteur de 10 000 euros.

Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive

Mme Y… expose que la société les Q… L… qui était informée avant l’introduction de son assignation qu’elle ne pouvait pas bénéficier d’un droit de préemption a fait preuve d’un acharnement qui l’a perturbée moralement.

L’exercice d’une action en justice constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de mauvaise foi. En l’espèce, Mme Y… ne démontre pas la mauvaise foi ou l’intention de nuire de la société les Q… L… , d’autant que la date d’entrée en vigueur du droit de péremption pour le locataire commercial faisait l’objet d’avis divergents de la doctrine à l’époque de la vente. Elle sera par conséquent déboutée de sa demande et le jugement de première instance qui a rejeté sa demande sera confirmé.

Sur les demandes accessoires

L’équité commande de ne pas prononcer de condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile de sorte que les parties seront déboutées de leurs demandes respectives de ce chef.

La société les Q… L… qui succombe principalement sera condamnée aux dépens dont distraction au profit de l’avocat postulant adverse qui en fait la demande, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant contradictoirement,

Dit n’y avoir lieu à déclarer irrecevable la demande de la société les Q… L… tendant à voir la cour user de la faculté ouverte par l’article L 441-1 du code de l’organisation judiciaire de solliciter l’avis de la Cour de cassation sur la date d’entrée en vigueur du droit de préemption du preneur à bail commercial en cas de vente du local dans lequel il exploite son fonds de commerce,

Dit n’y avoir lieu à saisine pour avis la Cour de cassation,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant

Dit que la demande d’indemnisation de la somme de 220 470,93 euros à titre de dommages et intérêts est recevable mais déboute la société les Q… L… de cette demande d’indemnisation,

Dit que la demande de la société les Q… L… de dommages et intérêts pour rupture fautive des pourparlers pré-contractuels est recevable,

Condamne Mme Annie Y… à régler à la société les Q… L… la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture fautive des pourparlers pré-contractuels,

Dit n’y avoir lieu à condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société les Q… L… aux dépens dont distraction, pour ce qui la concerne, au profit de Me Audrey C…, avocat au barreau de Paris, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de Procédure Civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Paris, Pôle 5 chambre 3, 16 janvier 2019, n° 16/14143