Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 3, 13 septembre 2019, n° 17/04038

  • Transaction·
  • Fruit·
  • Locataire·
  • Données personnelles·
  • Cnil·
  • Bailleur·
  • Illicite·
  • Sous-location·
  • Communiqué·
  • Accession

Chronologie de l’affaire

Commentaire1

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Me Cassandra Ribeiro · consultation.avocat.fr · 4 novembre 2020

En février 2016, un propriétaire loue son appartement situé dans le 4e arrondissement de Paris à un locataire. Le bail comporte une clause interdisant au locataire de céder ou sous-louer l'appartement, sauf accord écrit du bailleur. Malgré cette clause, le locataire sous-loue l'appartement en location saisonnière, via la plateforme Airbnb, à l'insu du bailleur, entre 2016 et 2017. Il perçoit au total la somme de 51.939,61 €. Lorsqu'il apprend l'existence d'une sous-location, le bailleur assigne en justice le locataire et la société Airbnb. La décision rendue le 5 juin 2020 par le juge …

 
Testez Doctrine gratuitement
pendant 7 jours
Vous avez déjà un compte ?Connexion

Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 4 - ch. 3, 13 sept. 2019, n° 17/04038
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 17/04038
Décision précédente : Tribunal d'instance de Nogent-sur-Marne, 20 février 2017, N° 16/00860
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 3

ARRÊT DU 13 SEPTEMBRE 2019

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 17/04038 – N° Portalis 35L7-V-B7B-B2XDS

Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Février 2017 -Tribunal d’Instance de Nogent sur Marne
- RG n° 16/00860

APPELANTS

Monsieur C X

Né le […] à […]

[…]

[…]

Madame H-I J K épouse X

Née le […] à […]

[…]

[…]

Représentés par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151

Ayant pour avocat plaidant Me Olivia ZAHEDI avocat au barreau de PARIS, toque : K103

substituant Me Jonathan BELLAICHE avocat au barreau de PARIS, toque : K103

INTIMEES

Madame D A

Née le […] à Toulon

[…]

[…]

Madame F Z

Née le […] à […]

[…]

[…]

Représentés par Me Laurent KARILA, avocat au barreau de PARIS, toque : P0264

Ayant pour avocat plaidant Me Bruno DEMONT (LA SELAS KARILA) avocat au barreau de PARIS, toque : P0264

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Juin 2019, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Pascale WOIRHAYE, Conseillère, M. Philippe JAVELAS, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Claude TERREAUX, Président

M. Philippe JAVELAS, Conseiller

Mme Pascale WOIRHAYE Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Viviane REA

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Philippe JAVELAS, Conseiller et par Viviane REA, Greffière présente lors de la mise à disposition.

***

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Par acte sous seing privé du 1er août 2014, M. et Mme X ont donné à bail à Mmes Z et A un pavillon sis […] (94120), moyennant un loyer mensuel révisable de 3 000 euros hors charges.

M. et Mme X, par courrier recommandé du 12 juillet 2016, ont informé leurs locataires qu’ils avaient découvert l’existence d’annonces de mise en location de leur bien sur le site Airbnb et les ont mises en demeure, en conséquence de cette sous-location illicite, de quitter les lieux.

Les époux X ont fait établir un procès-verbal de constat d’huissier de justice, le 19 juillet 2016, pour faire constater l’existence d’annonces sur les sites Airbnb et « Le bon coin ». Par l’intermédiaire de leur conseil, ils ont adressé à leurs locataires une mise en demeure, par lettre recommandée du 25 juillet 2016, d’avoir à cesser toute sous-location du bien, dans l’attente d’une procédure engagée aux fins de résiliation du bail.

Après avoir tenté sans succès d’obtenir la communication des relevés de transactions auprès de leurs locataires et des plates-formes concernées, les époux X ont obtenu du président du tribunal de grande instance de Paris deux ordonnances les autorisant à mandater un huissier de justice pour se

rendre dans les locaux des sociétés Airbnb France et Airbnb Ireland pour y rechercher tout support de relevés de transaction effectuées par Mmes B et A, concernant leur pavillon, en prendre copie et les conserver sous séquestre jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné.

M. et Mme X ont communiqué directement cette ordonnance à la société Airbnb Ireland qui leur a adressé en retour un relevé de transactions faisant apparaître une mise en location de neuf jours à compter du 10 juillet 2016 pour le prix de 847 euros.

Par acte d’huissier de justice du 19 octobre 2016, les époux X ont fait assigner devant le tribunal d’instance de Nogent sur Marne leurs locataires en résiliation du bail, expulsion, paiement d’une somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral, en paiement d’une somme de 847 euros au titre des loyers perçus au titre de la sous-location illicite, et en paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement contradictoire du 21 février 2017, le tribunal d’instance a :

— écarté des débats le relevé de transaction produit par les époux X au motif qu’ils n’avaient pas respecté les termes des ordonnances sur requête en sollicitant et obtenant directement de la société Airbnb communication du relevé de transactions, alors que l’ordonnance prévoyait une collecte et une conservation sous séquestre par l’huissier de justice mandaté,

— débouté les époux X de leurs demandes,

— condamné in solidum les époux X au paiement des dépens et d’une indemnité de

1 000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile.

M. et Mme X ont relevé appel de cette décision le 23 février 2017.

Par ordonnance du 25 janvier 2018, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné, sous astreinte de 50 euros par jour de retard pendant un mois, à Mmes A et Z de communiquer aux époux X, dans le délai d’un mois à compter de la signification de l’ordonnance sur incident, le relevé de transactions avec la société Airbnb relatif au bien situé sis […].

Mmes Z et A ont communiqué le relevé le 9 mars 2018.

Dans le dispositif de leurs conclusions, notifiées par la voie électronique le 3 mai 2019, les époux X, appelants, demandent à la Cour de :

— infirmer le jugement déféré,

— déclarer recevable le relevé de transactions communiqué par Mmes Z et A, conformément à l’ordonnance du magistrat chargé de la mise en état du 25 janvier 2018,

— condamner in solidum Mme Z et Mme A à payer à M. et Mme X une somme de 847 euros au titre des fruits civils perçus, une somme de 4 000 euros en réparation de leur préjudice moral,

— débouter Mme Z et A de leurs demandes,

— condamner in solidum Mme Z et Mme A aux dépens et à payer une indemnité de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Mmes Z et A, intimées, dans le dispositif de leurs conclusions, notifiées par la voie électronique le 2 mai 2019, demandent à la Cour de :

à titre principal

— confirmer le jugement entrepris,

à titre subsidiaire et si la Cour devait juger recevable le relevé de transactions Airbnb

— confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a écarté la demande de résiliation judiciaire du bail en l’absence de preuve rapportée par les consorts X d’un manquement grave et réitéré des locataires à leurs obligations issues du bail,

— déclarer en tout état de cause la demande de résiliation judiciaire infondée au vu de la libération effective des lieux par les locataires le 7 août 2017,

en tout état de cause

— condamner in solidum les époux X au paiement d’une somme de 5 000 euros pour procédure abusive,

— condamner in solidum Mmes F Z et Mme D A aux dépens et au paiement d’une indemnité de 12 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Mmes Z et A ont quitté les lieux donnés à bail le 7 août 2017.

La clôture de de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 9 mai 2019.

MOTIFS DE LA DECISION

I) Sur la recevabilité du relevé de transactions communiqué par Mmes Z et A conformément à l’ordonnance rendue par le magistrat de la mise en état le 25 janvier 2018

Mme Z et A, qui demandent à la Cour d’écarter des débats le relevé de transaction Airbnb litigieux, soutiennent que :

— le relevé de transactions qu’elles ont communiqué constitue un moyen de preuve illicite et doit être écarté des débats, en qu’il est issu d’un système de traitement automatisé de données personnelles soumis à déclaration à la Cnil et que la société Airbnb Ireland s’est abstenue de toute déclaration en ce sens,

— il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. soc. 8 octobre 2014, n°13-1499) qu’un moyen de preuve issu d’un traitement automatisé de données personnelles n’ayant pas fait l’objet d’une déclaration à la Cnil doit être écarté des débats, peu important que le relevé de transactions litigieux ait été produit par les locataires et non par la société Airbnb, l’illicéité résultant de l’absence de déclaration à la Cnil valant erga omnes, sans distinction de la qualité des parties,

— les données de transaction sont soumises à un régime de déclaration « normal » et non « simplifié »puisqu’elles ont vocation à être communiquées à l’étranger en Irlande, aux États-Unis et aussi dans d’autres pays, en sorte que les bailleurs ne peuvent se prévaloir de la jurisprudence de la Cour de cassation qu’ils invoquent (Cass. soc. 1er juin 2017, n°15-23522) et selon laquelle l’absence de déclaration ne rend pas illicite le moyen de preuve en justice si celui qui invoque l’illicéité du

moyen de preuve savait que les données étaient enregistrées et conservées par le système informatique, cette jurisprudence ne s’appliquant qu’aux seules données soumises à un régime de déclaration simplifié et non « normal »,

— la société Airbnb Ireland, qui est responsable du système de traitement automatisé de données personnelles dont est issu le relevé de transactions litigieux et s’estime soumise au droit irlandais de protection des données personnelles et non au droit français, s’est abstenue de toute déclaration à la Cnil concernant le système de traitement automatisé de données personnelles dont est issu le relevé de transactions litigieux,

— or la société Airbnb Ireland est soumise à la loi française de protection des données personnelles, du fait de son établissement sur le territoire français au sens de l’article 5 de la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978.

Les époux X, bailleurs intimés, qui demandent à la Cour de déclarer recevable le relevé de transactions produit par Mme Z et Mme A, répliquent que le moyen selon lequel le relevé de transactions communiqué constituerait une preuve illicite ne peut prospérer, dans la mesure où :

— il a été ordonné aux locataires de produire le relevé des transactions avec la société Airbnb et non pas spécifiquement celui qui n’aurait prétendument pas fait l’objet d’une déclaration,

— le relevé litigieux a été communiqué par les locataires elles-mêmes, qui constituent les personnes concernées au sens des articles 2 et 39 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978, et non par la société Airbnb Ireland,

— même si la Cour devait considérer que l’absence de déclaration préalable est opposable aux époux X, et donc que le relevé de transactions est illicite pour n’avoir pas fait l’objet d’une déclaration préalable auprès de la Cnil, ce relevé demeurerait néanmoins recevable et ne pourrait être écarté des débats, dès lors, en premier lieu, que les locataires ne pouvaient ignorer que la société Airbnb enregistrait et conservait les données relatives à leur bien, puisqu’il relevait de ses obligations légales d’adresser aux locataires intimées un relevé annuel de leurs transactions effectuées sur la plate-forme, et dès lors, en deuxième lieu, que le relevé litigieux constitue un élément de preuve indispensable permettant d’établir la vérité et constitue la pièce primordiale permettant aux époux X de démontrer de manière incontestable le caractère illicite des agissements commis par les locataires,

— la demande des locataires visant à voir confirmer le jugement déféré en ce qu’il déclaré irrecevable le relevé de transactions produit par M. et Mme X est devenue sans objet, puisque M. et Mme X n’entendent plus, en cause d’appel, se fonder sur cette pièce pour appuyer leurs demandes, mais sur le relevé de transactions dont la communication a été ordonnée par le conseiller de la mise en état.

Sur ce

Il résulte de l’article 9 du Code de procédure civile que chaque partie doit prouver les faits qu’elle invoque conformément à la loi et toute preuve obtenue par un procédé déloyal est irrecevable en justice, cette règle s’appliquant à tout contentieux soumis aux dispositions du Code de procédure civile (Cass. ass. plén.7 janvier 2011, n°09-14.316). Par ailleurs, sont illicites les informations collectées par un système de traitement automatisé de données personnelles avant sa déclaration à la Cnil (Cass. soc. 8 octobre 2014, n°13-14.991).

En l’espèce, les dames Z et A soutiennent que le relevé de transactions qu’elles ont communiqué constitue un moyen de preuve illicite et doit être écarté des débats, en qu’il est issu d’un système de traitement automatisé de données personnelles soumis à déclaration à la Cnil et que

la société Airbnb Ireland s’est abstenue de toute déclaration en ce sens.

Toutefois, il ressort des éléments de la procédure que les informations ont été communiquées, non pas par la société Airbnb, mais par les dames Z et A elles-mêmes, qui sont les « personnes concernées » au sens de l’article 2 de la Loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978 qui dispose : « La personne concernée par un traitement de données à caractère personnel est celle à laquelle se rapportent les données qui font l’objet du traitement ». Le fait que Mmes Z et A aient communiqué leurs propres données personnelles fait obstacle à ce qu’elles puissent exciper utilement d’un défaut de déclaration à la Cnil et, partant, du caractère illicite des informations collectées.

En outre, les moyens de preuve dont s’agit n’ont pas été obtenus à l’insu des « personnes concernées », et donc par un procédé déloyal, dans la mesure où les intimées ne pouvaient ignorer que la plate
-forme enregistrait et conservait leurs données, le relevé de transactions résultant d’une obligation légale de la société Airbnb et ayant été communiqué aux dames Z et A, en application des dispositions de l’article 42 bis du Code général des impôts qui fait obligation aux plates-formes d’adresser à leurs utilisateurs chaque année un récapitulatif de l’ensemble des transactions réalisées par leur intermédiaire. Il s’ensuit que la pièce litigieuse n’est pas illicite et peut donc être admise comme moyen de preuve, sans qu’il y ait lieu de distinguer selon que la déclaration à la Cnil était une déclaration « simplifiée » ou « normale », comme le soutiennent les intimées.

Enfin et surtout, il apparaît que la production du relevé de transactions litigieux est primordiale pour permettre aux époux X de rapporter la preuve d’un élément de fait essentiel pour le succès de leurs prétentions et que cette pièce ne peut donc être écartée des débats, dès lors que la production litigieuse est indispensable au droit à la preuve dont dispose les demandeurs à l’action (Cass. 1er civ. 5 avril 2012, n°11-14.177), et proportionnée aux intérêts antinomiques en présences, d’autant plus qu’il n’est pas même soutenu par les intimées que la pièce litigieuse porterait atteinte en quelque manière que ce soit à leur vie privée.

Au vu de ces éléments, à supposé que le relevé de transactions constitue une donnée personnelle devant faire l’objet d’une déclaration à la Cnil, le défaut de déclaration imputable à la société Airbnb Ireland ne pourrait avoir pour effet de rendre illicite le relevé de transactions produit, sur injonction du conseiller de la mise en état, par les dames Z et A.

Par suite, le relevé de transactions litigieux sera jugé recevable et les intimées déboutées de leurs demandes visant, d’une part, à voir confirmer le jugement déféré en ce qu’il a écarté des débats le relevé de transactions produit en première instance par les époux X et, d’autre part, à voir écarter des débats les relevé de transactions produit en cause d’appel par les dames Z et A.

II) Sur la résiliation judiciaire du bail

Les époux X exposent que, les intimées ayant libéré les lieux le 7 août 2017, ils n’entendent pas maintenir leur demande visant à obtenir la résiliation judiciaire du bail, qui est désormais sans objet.

III) Sur la restitution des fruits civils perçus

Les époux X sollicitent, sur le fondement des articles 546, 547, 548 et 549 du Code civil la restitution des fruits civils perçus par leurs locataires, qui s’élèvent à la somme totale de 847 euros, en faisant valoir que la propriété immobilière donne droit sur tout ce qu’elle produit, les fruits civils appartenant au propriétaire par accession et que le "détournement" de la somme de 847 euros au détriment de M. et Mme X leur a nécessairement causé un préjudice financier.

Mmes Z et A, pour s’opposer à la demande de restitution des fruits civils,

rétorquent que :

— les bailleurs n’ont subi aucun préjudice,

— les époux X ont perçu les loyers stipulés au contrat de bail constituant la juste contre-partie de l’occupation des lieux et ne sauraient se prévaloir de la moindre somme supplémentaire au titre de la jouissance des lieux,

— les sommes perçues par un sous-locataire ne peuvent constituer les fruits civils accessoires de l’immeuble sous-loué, s’agissant de créances personnelles trouvant leur source dans la volonté des parties au contrat de sous-location et dont l’effet relatif fait obstacle à ce qu’ils puissent être perçus comme attachés à l’immeuble sous-loué,

— la sous-location produit ses effets dans les rapports entre le locataire principal et le sous-locataire de sorte que le bailleur ne peut réclamer à son profit l’exécution des engagements contractés par le sous-locataire,

— en vertu du principe de l’accession différée en fin de bail posé par la Cour de cassation, les fruits, accessoires de la chose louée, sont, par principe, la propriété du preneur pendant toute la durée du bail et n’ont vocation à revenir au bailleur qu’à l’expiration du bail, par application des règles différées de l’accession immobilière ; en conséquence, en cours de bail, seul le locataire a vocation à percevoir les fruits de la chose louée, ce principe étant commandé par le souci d’éviter tout enrichissement sans cause du bailleur.

Sur ce

Il résulte tant de l’article 8 de la loi du 6 juillet 1989 que du bail concédé aux dames Z et A qu’il était interdit aux locataires de sous-louer le bien, sauf à obtenir l’accord des bailleurs.

Par ailleurs, aux termes des articles 546, 547,548 du Code civil, la propriété immobilière donne droit sur tout ce qu’elle produit et les fruits civils appartiennent au propriétaire par accession.

L’article 549 de ce même code précise que " le simple possesseur ne fait les fruits siens que dans le cas où il possède de bonne foi. Dans le cas contraire, il est tenu de restituer les produits avec la chose au propriétaire qui la revendique…". la bonne foi requise pour l’acquisition des fruits doit revêtir un caractère permanent. Sitôt qu’elle cesse, cesse l’acquisition des fruits (Cass. 3e civ. 2 décembre 2014, n°13-21.127).

Le caractère différé de l’accession, invoqué par les intimées pour échapper à la restitution des fruits civils et en vertu duquel le preneur reste propriétaire, pendant la durée de la location, des constructions qu’il a édifiées sur le terrain du bailleur, implique que le locataire reste maître des constructions par lui édifiées jusqu’à l’expiration du bail, et qu’il puisse ainsi les sous-louer librement.

Il s’ensuit qu’en l’espèce, ce principe ne peut trouver à s’appliquer, dès lors que les dames Z et A n’étaient pas en droit de sous-louer le bien dont elles savaient n’être pas propriétaires, la loi et leur bail leur en faisant interdiction formelle, et qu’ayant violé tout à la fois la loi et le bail qui leur avait été consenti, elles ont été, depuis qu’elles ont publié des annonces en vue de sous-louer, des possesseurs de mauvaise foi, et qu’elles ne peuvent, de ce fait, prétendre faire leurs les fruits de sous-locations illicites, tous les fruits perçus après la survenance de la mauvaise foi devant être restitués au propriétaire.

Mmes Z et A ne sauraient utilement invoquer la théorie de l’enrichissement sans cause dès lors que l’enrichissement des époux X trouve, en l’espèce, sa cause légitime dans les

dispositions du Code civil précitées, et donc, dans le texte même de la loi.

De même est inopérant le moyen tiré du fait que les bailleurs n’auraient subi aucun préjudice parce qu’ils ont perçu les loyers en contrepartie de la jouissance du bien donnée aux intimées. En effet, les preneurs de mauvaise foi ont causé un préjudice à leurs bailleurs en faisant leurs les fruits de la chose qui, aux termes de la loi, reviennent aux époux X.

En outre, il sera relevé que la revendication des bailleurs est fondée sur le droit de propriété, avec des effets autonomes par rapport au contrat de location, que les preneurs peuvent d’autant moins alléguer pour se disculper qu’ils en ont bravé les interdictions et que, du fait de l’autonomie de la prétention, les bailleurs n’ont à justifier ni d’une faute, ni d’un préjudice, ni même d’un lien de causalité.

Les locataires ne pouvaient donc valablement payer au bailleur leur loyer avec d’autres fruits civils produits par la sous-location de la propriété immobilière, car les fruits reviennent tous au propriétaire "par accession", celle de l’article 547 du code civil s’étendant à tout ce que produit une chose ou s’y unit, soit naturellement soit artificiellement.

Enfin, le principe de l’effet relatif des contrats et les relations contractuelles existant entre locataire principal et sous-locataire ne sauraient faire obstacle à la restitution des fruits civil, dès lors que cette restitution n’a pas pour effet de créer de relation contractuelle entre bailleurs et sous-locataire et que les bailleurs ne réclament pas à leur profit l’exécution des engagements contractés par le sous-locataire, mais la restitution des fruits de la chose frugifère qui leur reviennent aux termes de la loi.

Par suite, la demande en restitution des époux X sera accueillie.

IV) Sur la demande indemnitaire des époux X en réparation de leur préjudice moral

Les époux X exposent que :

— leur droit de propriété a été bafoué par l’attitude de leurs locataires,

— ils ont ressenti comme une trahison l’occupation par des étrangers de leur bien, alors que le bail les liant à Mmes Z et A constituait un acte intuitu personae,

— les intimées, en violation de l’article 1134 du Code civil, ont fait preuve d’une particulière mauvaise foi, tout au long de la procédure de première instance et jusqu’en cause d’appel où elles persistent à solliciter que soit écartée des débats une pièce dont la communication a été ordonnée par le conseiller chargé de la mise en état et dont elles ne contestent pas le contenu,

— les époux X ont été « atteints » par la publication sur deux sites bien connus du grand public, Airbnb et Le bon coin, de photographies intérieures et extérieures de leur bien,

— enfin, leur préjudice moral a consisté dans le fait qu’ils ont dû prendre de leur temps pour remédier à cette situation blâmable qui leur a occasionné des troubles psychologiques.

Mmes Z et A répliquent que les prétentions des époux X à être indemnisés d’un préjudice moral sont abusives et ne reposent que sur de simples arguties, qui ne sont point démontrées.

Sur ce

Si les dames Z et A ont effectivement commis une faute et n’ont pas exécuté de bonne foi la convention qui les liait aux époux X, ces derniers ne justifient pas que cette faute

leur aurait causé un préjudice distinct de ceux qui sont indemnisés par ailleurs par le remboursement des fruits civils dont ils ont été privés et par la condamnation des intimées au paiement d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

L’existence des troubles psychologiques invoqués, en lien avec les sous-locations illicites et résultant de l’attitude de leurs locataires et de la publication de vues de leur logement sur des sites accessibles au grand public, n’est pas établie ni étayée par aucune des pièces versées aux débats par les appelants.

Aussi M. et Mme X seront-ils déboutés de leur demande indemnitaire en réparation de leur préjudice moral.

V) Sur la demande de dommages et intérêts formée par Mmes Z et A pour procédure abusive

Le débouté des intimées de la quasi-totalité de leurs prétentions emporte rejet de cette demande.

VI) Sur les demandes accessoires

Mmes Z et A, qui succombent, pour l’essentiel, seront condamnées aux dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau

Déclare recevable le relevé de transactions communiqué par Mmes F Z et Mme D A, en exécution de l’ordonnance du conseiller de la mise en état rendue le 25 janvier 2018 ;

Condamne in solidum Mmes F Z et Mme D A à payer à M. C X et Mme H-I J K, épouse X, une somme de 847 euros avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

Déboute M. C X et Mme H-I J K, épouse X, de leur demande en réparation de leur préjudice moral ;

Déboute Mmes F Z et Mme D A de leurs prétentions ;

Vu l’article 700 du Code de procédure civile, condamne in solidum Mmes F Z et Mme D A à payer à M. C X et Mme H-I J K, épouse X, une indemnité de 6 000 euros ;

Condamne in solidum Mmes F Z et Mme D A aux dépens de première instance et d’appel.

LA GREFFIÈRE P/ LE PRÉSIDENT



Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 3, 13 septembre 2019, n° 17/04038