Cour d'appel de Paris, Pôle 5 chambre 5, 3 octobre 2019, n° 17/08719

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 5

ARRÊT DU 03 OCTOBRE 2019

(n° , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 17/08719 – N° Portalis 35L7-V-B7B-B3GTB

Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Mars 2017 -Tribunal de Commerce de LYON – RG n° 2016J01496

APPELANTE

SARL BEL

Ayant son siège social [Adresse 2]

[Localité 1]

N° SIRET : 389 862 244

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Marie-Catherine VIGNES de la SCP GRV ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010

Ayant pour avocat plaidant Me Sarah KREMER, avocat au barreau de PARIS, toque : K0048

INTIMÉE

SAS BESSON CHAUSSURES

Ayant son siège social [Adresse 1]

[Localité 2]

N° SIRET : 304 318 454

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Julien CHEVAL de l’AARPI VIGO, avocat au barreau de PARIS, toque : G0190 substitué à l’audience par Me Christine GENDRE, avocat au barreau de PARIS, toque : G0190

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 06 juin 2019, en audience publique, devant la cour composée de :

Monsieur Patrick BIROLLEAU, Président de chambre, chargé du rapport

Madame Christine SOUDRY, Conseillère

Madame Estelle MOREAU, Conseillère

qui en ont délibéré,

un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur [T] [G] dans les conditions prévues par l’article 785 du code de procédure civile.

Greffière, lors des débats : Madame Hortense VITELA

ARRÊT :

— contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Monsieur Patrick BIROLLEAU, Président de chambre et par Madame Cécile PENG, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCÉDURE :

Le 23 décembre 1997, la société Besson Chaussures a confié à la société Bel la gérance d’un fonds de commerce sis à Saint Germain du Puy (Cher) selon contrat de gérant-mandataire renouvelé à plusieurs reprises.

Le 4 septembre 2008, la société Besson Chaussures a confié à la société Bel la gérance d’un fonds de commerce sis à [Localité 3] (Loire Atlantique) sous le statut de gérant-mandataire.

Par courrier en date du 15 septembre 2014, la société Besson Chaussures a notifié à la société Bel qu’elle mettait un terme au contrat du 4 septembre 2008, avec un préavis de deux mois. Le 17 novembre 2014, [Y] a versé à [R] la somme de 127.273,53 euros à titre d’indemnité de rupture.

Estimant que la résiliation du contrat s’analysait en une rupture brutale de la relation commerciale établie, la société Bel a, par acte du 6 février 2015, assigné la société Besson, sur le fondement de l’article L.442-6, I, 5° du code de commerce, devant le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand, lequel s’est déclaré incompétent au profit de celui de Lyon.

Par jugement rendu le 8 mars 2017, le tribunal de commerce de Lyon a :

— débouté la société Bel de ses demandes ;

— condamné la société Bel à payer à Besson Chaussures la somme de 7.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

La société Bel a relevé appel de cette décision le 26 avril 2017.

***

PRÉTENTIONS DES PARTIES :

La société Bel, par conclusions signifiées le 16 novembre 2017, demande à la cour, au visa des articles L. 442-6, I, 5° et L. 146-4 du code de commerce, 1184 du code civil et 700 du code de procédure civile, de :

— dire recevable et bien-fondé l’appel interjeté par la société Bel ;

— infirmer le jugement prononcé par le tribunal de commerce de Lyon le 8 mars 2017 en toutes ses dispositions ;

En conséquence,

— dire que la société Besson Chaussures s’est rendue coupable d’agissements constitutifs d’une rupture brutale des relations commerciales établies entre les sociétés Bel et Besson Chaussures ;

— dire que le délai de préavis contractuellement stipulé au sein de la convention de gérance-mandat (article 3.5.2) en date du 4 septembre 2008 ne respectant pas les exigences prévues par la loi est insuffisant ;

— fixer la durée du préavis suffisant eu égard à l’ancienneté des relations commerciales établies entre les sociétés Besson Chaussures et Bel qui aurait dû être respecté par [Y] [W] à 30 mois ;

En conséquence,

— condamner la société Besson Chaussures au paiement de la somme de 437.628 euros à titre de réparation du préjudice entraîné par le caractère brutal de la rupture ;

— condamner la société Besson Chaussures au paiement de la somme de 15.000 euros à titre de réparation du préjudice moral distinct subi par [R] du fait du caractère brutal et vexatoire de la rupture ;

— condamner la société Besson Chaussures au paiement de la somme de 8.000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Elle invoque l’application des dispositions, revêtant le caractère d’ordre public, de l’article L.442-6 du code de commerce aux ruptures brutales de conventions de gérance-mandats régies par les articles L.146-1 et suivants du même code ; elle souligne qu’en cas de résiliation du contrat de gérance-mandat par le mandant, deux obligations doivent être respectées par celui-ci : le respect d’un préavis raisonnable, le versement d’une indemnité de fin de contrat ; or, l’article L.146-4 du code de commerce (à l’inverse de l’article L.134-11 du code de commerce relatif aux agents commerciaux) ne dispose en rien sur le délai de préavis à respecter en cas de dénonciation d’un contrat de gérance-mandat, de sorte que le fait que la rupture de la convention de gérance-mandat soit régie par des dispositions spéciales ne fait pas obstacle à l’application des dispositions plus générales et d’ordre public de l’article L.442-6 I 5° du code de commerce à partir du moment où l’application de ces deux types de dispositions n’est pas incompatible.

Elle indique que la relation entretenue entre les parties s’analyse bien en une relation commerciale établie, les parties ayant contracté pour la première fois il y a 17 ans par la conclusion d’une première convention de mandat entre la société Besson et la société Bel le 23 décembre 1997.

Elle soutient qu’aucun délai de préavis raisonnable n’a été respecté par la société Besson pour rompre les relations commerciales. Le simple fait de respecter le délai de préavis prévu au contrat peut s’avérer insuffisant si celui-ci n’est pas raisonnable au regard de la durée de la relation, du chiffre d’affaires réalisé avec la partie à l’origine de la rupture, la notoriété de la partie à l’origine de la rupture, la dépendance économique de la partie qui subit la rupture et l’existence de solutions alternatives, l’existence d’investissements particuliers réalisés par cette dernière du fait de la relation et la durée prévue par des accords interprofessionnels éventuels. Elle en infère que [Y] aurait dû respecter un préavis proportionnel à la durée des relations commerciales entretenues entre les parties ne pouvant être inférieur à un délai de 30 mois, soit, pour une moyenne annuelle de la marge sur coûts variables réalisée par [R] avec [Y] au titre des trois dernières années 2011, 2012 et 2013 d’un montant de 187.555 euros (187.904 + 187.547 +187.2013/ 3 = 187.555 ) de 468.887 euros correspondant à la durée raisonnable du préavis qui aurait dû être alloué : 30 mois ([187.555/12 x 30= 468.887).

Elle ajoute que la rupture brutale des relations commerciales établies lui a également causé un préjudice moral distinct, cette rupture ne reposant que sur des motifs manifestement infondés et injustifiés (les résultats de la gestion du fonds de commerce, la vision commerciale entre les deux sociétés, l’absence de lein de confiance).

La société Besson Chaussures, par conclusions signifiées le 6 mai 2019, demande à la cour, au visa des articles L 146-1 et suivants et L 442-6 I 5° du code de commerce et 1134 et 1147 anciens du code civil, de confirmer le jugement entrepris et de condamner la société Bel au paiement de la somme de 7.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Elle fait valoir qu’elle a pleinement respecté les stipulations de la convention de gérance mandat relatives à la résiliation, en soulignant que la résiliation d’une telle convention est libre sous réserve de respecter le préavis contractuellement prévu et de verser une indemnité de résiliation ; elle précise que, si le législateur n’a pas entendu fixer un préavis minimum de résiliation du contrat, il a néanmoins renvoyé sur ce point aux stipulations du contrat et a réglé les conditions de rupture du contrat par l’institution d’une indemnité minimale de résiliation, ce cadre juridique étant dès lors distinct de celui organisé par L 442-6 I 5°, article en conséquence inapplicable aux contrats de gérance mandataire.

La société Besson indique que l’indemnité de résiliation versée à Bel permettait à cette dernière de redéployer son activité ; elle rappelle que [R] n’était pas propriétaire du fonds de commerce et, en conséquence, ne supportait aucun des risques attachés à l’exploitation de celui-ci.

Elle ajoute que la résiliation ne présente aucun caractère abusif en ce qu’elle était justifiée par l’incapacité de la société Bel à atteindre les objectifs fixés.

Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.

***

MOTIFS

Sur la rupture brutale de la relation commerciale établie

Aux termes de l’article L.442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la cause, 'Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : 5) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (…)'.

Ces dispositions s’appliquent à toutes les relations commerciales établies, sauf lorsque les relations commerciales sont régies par des lois spéciales organisant également la rupture des relations contractuelles et prévoyant son indemnisation.

Les conventions de gérance-mandat sont régies par une loi spéciale n° 2005-882 du 2 août 2005 qui a codifié le mécanisme de la gérance-mandat et qui précise, dans son exposé des motifs, que le nouveau dispositif tend à 'combler un vide juridique, confortant ainsi la situation des gérants-mandataires qui disposent d’une très grande latitude dans la conduite de leur activité sans être cependant propriétaires de leur outil de travail'. Les articles L.146-1 et suivants du code de commerce introduits par cette loi définissent les règles applicables aux contrats de gérance-mandat, notamment celles relatives à la fin du contrat. Il résulte de ces dispositions spécifiques que :

— le gérant-mandataire ne supporte pas les risques liés à l’exploitation du fonds ;

— dans la gestion du fonds, le gérant-mandataire agit au nom et pour le compte du propriétaire du fonds ;

— il n’y a pas de transfert des employés attachés au fonds ;

— le gérant-mandataire a droit à une indemnité en fin de contrat.

L’article L.146-4 du même code régit la rupture des relations contractuelles, prévoit notamment que 'le contrat liant le mandant et le gérant-mandataire peut prendre fin à tout moment dans les conditions fixées par les parties’ et fixe les modalités d’indemnisation du gérant-mandataire en cas de résiliation du contrat par le mandant en l’absence de faute grave du gérant-mandataire ; il en résulte que la cessation des relations contractuelles ayant existé entre un gérant-mandataire et son mandant, spécifiquement prévue par des dispositions spéciales protectrices fixant les modalités de la rupture et son indemnisation – lesquelles renvoie aux prévisions du contrat de gérant-mandataire – bénéficie d’un régime propre, de sorte qu’elle n’est pas soumise aux dispositions de l’article L.442-6, I, 5° du code de commerce.

Les parties ont, dans le contrat de gérant-mandataire du 4 septembre 2008, expressément fait référence aux dispositions des articles L.146-1 et suivants du code de commerce dans la convention de gérance-mandat du 4 septembre 2008 ('Le mandant (Besson Chaussures) confie au mandataire (Bel) qui l’accepte l’exploitation et la gestion du fonds de commerce ci-après désigné au contrat dans les conditions de la gérance mandat telle que définie aux articles L.146-1 et suivants du code de commerce, issus de la loi n°2005-882 du 2 août 2005.'). C’est en conséquence, à raison, que les premiers juges ont retenu que le statut des gérants-mandataires était exclusif du régime de l’article L.442-6, I, 5°. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

La convention du 4 septembre 2008 stipule une durée du préavis en fonction de la durée du contrat, à savoir un préavis de deux mois pour une relation de dix ans, ce qui est le cas en l’espèce. Il n’est pas contesté que ces dispositions ont, en l’espèce, été respectées par le mandant. Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté la société Bel de sa demande fondée sur l’article L.442-6, I, 5°.

Sur le préjudice moral

La société Bel, se bornant à invoquer le caractère vexatoire de la rupture résultant de sa brutalité, ne peut qu’être déboutée de sa demande de ce chef dès lors que la rupture brutale alléguée n’est pas caractérisée. Le jugement sera, en conséquence, confirmé sur ce point.

L’équité commande de condamner la société Bel à payer à la société Besson la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement entrepris ;

CONDAMNE la SARL Bel à payer à la SAS Besson Chaussures la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

CONDAMNE la SARL Bel aux dépens d’appel qui seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

La Greffière Le Président

Cécile PENG Patrick BIROLLEAU

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