Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 7, 20 février 2020, n° 18/00140

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 6 - ch. 7, 20 févr. 2020, n° 18/00140
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 18/00140
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Paris, 9 novembre 2017, N° F16/05517
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le

 : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 7

ARRÊT DU 20 FÉVRIER 2020

(n° , pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/00140 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B4XBZ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Novembre 2017 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F 16/05517

APPELANT

Monsieur Y X

[…]

[…]

Représenté par Me Françoise KALTENBACH, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 19

INTIMÉE

SA AL KHALIJI FRANCE

[…]

[…]

Représentée par Me Charlotte LAMBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : B0901

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 Décembre 2019, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Brigitte DELAPIERREGROSSE, Présidente de chambre, et Madame Hélène FILLIOL, Présidente de chambre, chargées du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Brigitte DELAPIERREGROSSE, Présidente de chambre

Madame Hélène FILLIOL, Présidente de chambre

Monsieur François MELIN, Conseiller

Greffier, lors des débats : Mme Anna TCHADJA-ADJE

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Madame Hélène FILLIOL, Présidente de chambre et par Anna TCHADJA-ADJE, Greffier présent lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCÉDURE

Par contrat à durée indéterminée en date du 16 mai 1983, M. X a été engagé par la Banque libanaise du commerce en qualité d’employé au service trésorerie-arbitrage-change.

En 2008, la banque a été rachetée par la banque Al Khaliji.

Un blâme lui a été notifié le 26 janvier 2015 pour manque de rigueur et de conscience professionnelle.

Il a été convoqué à un entretien préalable fixé le 22 février 2016 puis licencié par courrier du 9 mars 2016 pour insuffisance professionnelle en ces termes exactement reproduits :

« ('), vous avez la charge de réaliser des missions de contrôle par activité, par département, par thème et par process, d’identifier les principaux risques liés au activités de chaque périmètre et vérifier que l’ensemble des contrôles internes et réglementaires adéquats ont été mis en place et formalisés de façon à minimiser les risques, de déceler les écarts par rapport aux procédures internes et émettre des axes d’amélioration aux responsables des services audités, d’analyser et effectuer un suivi des incidents et d’assurer un suivi des recommandations sur les périmètres audités par l’unité de contrôle périodique.

En tant que Compliance Officer ou Responsable de la Conformité, vous avez également pour fonction d’assurer l’exercice d’une activité irréprochable par la Banque en identifiant de manière précoce le risque de compliance pouvant nuire à sa réputation afin de protéger l’établissement de préjudices qui pourraient résulter d’une non-conformité au cadre réglementaire.

Or, nous constatons que vous commettez divers manquements dans la réalisation de vos missions, manquements auxquels il convient d’ajouter un comportement laxiste et non professionnel préjudiciable aux intérêts de la Banque.

A cet égard, et afin de vous alerter sur la nécessité de vous ressaisir, nous vous avions fait part – lors de votre entretien annuel d’évaluation 2014 – d’un certains nombres de manquements dont certains avaient nuit à la réputation de la Banque et vous avions également notifié un avertissement en date du 26 janvier 2015 pour d’autres évènements laissant transparaitre un manque de responsabilisation et de rigueur dans l’exercice de vos fonctions.

A cette période, nous avions pris note du fait que vous entendiez vous améliorer durant l’année 2015 sur tous les points abordés et comptions sur vous pour redresser la situation.

Nous constatons néanmoins que vous ne vous êtes pas ressaisi et que les divers manquements que nous vous reprochions tels que le manque de rigueur et de responsabilisation perdurent ainsi que d’autres manquements directement liés à ces qualités qui doivent être les vôtres.

Ainsi, force est de constater que :

Ø Vous ne respectez pas les process de contrôles au moment où ces derniers doivent être réalisés et ce, malgré l’ensemble des demandes sur ce sujet sensible pour la Banque.

Ainsi, sur le planning annuel des contrôles de second niveau mis en place en concertation entre vous et l’audit interne début 2015, seul 10% avaient été réalisés lors de l’audit interne réalisé en octobre 2015.

L’ensemble des 60 contrôles annuels nécessitaient pourtant d’être réalisés de manière régulière aux échéances convenues pour garantir leur efficacité et protéger, de ce fait, la Banque contre toute éventuelle anomalie.

Or, non seulement il apparaissait que seul 10% des contrôles avaient été réalisés mais il était surprenant d’apprendre que vous aviez par votre propre initiative modifié à la baisse la fréquence des contrôles sans en informer votre direction.

Lors de l’audit interne, vous avez reconnu avoir abaissé le niveau de contrôle sans en aviser votre responsable et il était convenu que vous rattrapiez votre retard avec comme nouvelle échéance maximum le 31 décembre 2015 en espérant qu’aucune anomalie tardivement identifiée ne serait révélée.

Le risque était, en effet, important puisque sans les contrôles, il était impossible d’identifier d’éventuelles anomalies opérationnelles et d’y remédier dans les temps. Au-delà du risque financier inhérent à ce type d’anomalie, il existait surtout un risque en terme d’image et de réputation pour la Banque.

Or, nonobstant votre engagement lors de l’audit interne, vous n’avez pas du tout pris la mesure de vos responsabilités et du risque que vous faisiez encourir à la Banque.

En effet, fin décembre 2015, la situation n’avait pas évolué.

Vous n’avez commencé à réagir qu’au moment de votre entretien annuel d’évaluation 2015 qui s’est tenu en janvier 2016 ce qui est assez déroutant car les contrôles réalisés avec plusieurs mois de retard n’ont plus le même sens et vous ne l’ignoriez pas. Il sera, en effet, impossible de remédier dans les temps impartis à une anomalie découverte sur l’année N+1.

Effectivement, vous connaissiez les risques pour la Banque en cas de dysfonctionnement de ses Contrôles de 2 nd niveau mais cela ne vous a pas alerté ni responsabilisé.

Nous ne pouvons accepter cette attitude qui compromet sérieusement la réputation de la Banque, cruciale en cette période et qui ne la protège pas, de surcroit, d’un risque financier.

Ø Vous ne respectez pas les délais à la fois dans le cadre de ces contrôles mais, également, d’autres tâches qui vous incombent et lorsqu’ils sont réalisés, ces contrôles/taches le sont souvent très tardivement, voire bien après les calendriers fixés, ne permettant aucune anticipation en cas de problème. Cela génère une situation de risque pour la Banque. Par ailleurs, nous déplorons un manque d’anticipation, d’organisation et de communication avec les autres départements de la banque dans l’exercice de vos fonctions.

Comme indiqué ci-avant, les délais ne sont pas respectés même après des rappels successifs. Ainsi, les contrôles de 2 nd niveau n’étaient pas réalisés dans les temps malgré les réunions mensuelles pour discuter des diverses problématiques au sein de la Banque et de l’audit interne.

Les fiches afférentes aux contrôles ont, ainsi, fait défaut durant toute l’année 2015.

En règle générale sur d’autres aspects, vous mettez du temps à respecter les échéances et transmettez la documentation souhaitée au tout dernier moment ne laissant, là encore, aucune marge de man’uvre pour modifier ou corriger cette dernière.

Vous mettez la Banque dans une situation de risque et d’incertitude par manque d’organisation et de rigueur.

Cela recoupe avec l’absence de communication fluide au sein de la Banque et un manque de prise d’initiative qui la freine dans son dynamisme en interne.

Vous n’ignorez pas qu’une telle carence dans votre organisation constitue un obstacle à une collaboration efficace au sein de la Banque.

Ø Nous déplorons, également, un manque d’implication, de responsabilisation, de rigueur et de conscience professionnelle.

Nous constatons qu’il n’y a eu aucune amélioration de votre comportement et ce malgré nos tentatives pour vous faire prendre conscience de vos lacunes.

Le manque de responsabilisation dont vous faites preuve est un facteur anxiogène pour la Banque d’autant que vos responsabilités en son sein sont importantes.

L’ensemble de ces éléments, que vous avez au demeurant reconnus lors de l’entretien préalable, nous contraints aujourd’hui à remettre en cause la poursuite de notre collaboration après avoir considéré toute autre solution envisageable.

Aussi, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour insuffisance professionnelle. »

Par courrier du 17 mars 2016, M. X a sollicité en application de l’article 26.2 de la convention collective la révision de la décision de l’employeur, en contestant le bien fondé de chacun des griefs invoqués.

Par courrier du 30 mars 2016, l’employeur a informé le salarié qu’il maintenait sa décision de le licencier.

C’est dans ces circonstances que M. X a saisi le 18 mai 2016 le conseil de prud’hommes de Paris aux fins d’obtenir le paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

Par jugement du 5 septembre 2017, le conseil de prud’hommes de Paris a :

— débouté M. X de l’ensemble de ses demandes et l’a condamné au paiement des entiers dépens.

— débouté la société Al Khaliji France de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Pour statuer ainsi, le conseil a jugé que le blâme était motivé et que les griefs reprochés à M. X relatifs à son insuffisance professionnelle étaient réels et sérieux et justifiaient le licenciement.

Le 11 décembre 2017 M. X a interjeté appel de ce jugement.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Selon ses conclusions transmises par la voie électronique le 6 septembre 2018, M. X conclut à l’infirmation de la décision et sollicite la condamnation de la société Al Khaliji au paiement des sommes suivantes :

—  140 000€ à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse

—  46 800€ à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral

—  5 000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

M. X fait valoir que l’organisation de la société a fortement évolué depuis son rachat par une banque qatari.

Sur l’annulation du blâme notifié le 26 janvier 2015, il estime qu’il n’est pas responsable des dysfonctionnements du système de surveillance lors de sa prise de congés le 19 décembre 2014 ; que ceux-ci ont été causés par un changement du fournisseur de listes des noms suspects qui était incompatible avec le logiciel. Il considère donc ne pas être responsable des évènements survenus durant l’été 2014, et fait valoir qu’il a prévenu son supérieur plusieurs fois avant son départ en congés pour l’informer des difficultés rencontrées. L’appelant conteste la réalité du second grief, soutenant que son amie n’a pas occupé son bureau, qu’il l’a simplement accueillie ponctuellement lorsqu’elle passait des entretiens d’embauche dans le quartier. Il estime que les accusations de l’employeur reposent sur de simples affirmations, et non sur des preuves.

S’agissant de son licenciement, M. X fait valoir qu’il a été employé dans la banque pendant 33 ans, et que l’article 26 de la convention collective des employés de banque impose à l’employeur une tentative de reclassement avant d’engager une procédure de licenciement pour motif non disciplinaire, ce qui n’a pas été fait en l’espèce. M. X considère que la rupture est donc pour ce seul motif, privée de cause réelle et sérieuse. En outre, il estime que les manquements sont formulés en termes très généraux, qu’ils les a contestés, et fait valoir qu’aucune conséquence ni aucun préjudice subi par la banque du fait de l’insuffisance professionnelle ne sont invoqués dans la lettre de licenciement. M. X fait valoir que la banque a montré peu d’intérêt envers les contrôles et leur résultat, que la baisse des contrôles n’a pas entrainé d’anomalie et qu’il a été contraint de gérer de nombreuses tâches, ce qui démontre sa forte implication dans l’entreprise. Il relève que l’embauche d’un auditeur interne a été décidée avant l’intervention des inspecteurs de l’AMF et fait valoir qu’il n’a pas eu le temps de modifier la fréquence des contrôles à la suite du rapport de l’AMF, qu’il a toujours respecté les délais qui lui ont été imposés au cours de sa carrière.

L’appelant estime que son licenciement lui a causé un préjudice financier, du fait de son âge et de l’ancienneté acquise dans l’entreprise, ainsi qu’un préjudice moral en raison de la soudaineté du licenciement, de l’absence de recherche de solutions amiable et d’un contexte personnel difficile à l’époque.

Selon ses conclusions transmises par la voie électronique le 8 juin 2018, la société Al Khaliji conclut à la confirmation du jugement sauf en ce qu’il l’a déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et sollicite la condamnation de M. X à lui verser la somme de 3 000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La société Al Khaliji fait valoir que les entretiens annuels d’évaluation de M. X de 2009 à 2013 démontrent qu’il n’a pas été rigoureux et professionnel, que des difficultés quant à ces contrôles, ont été soulevées à maintes reprises, qu’il en a été informé mais ne s’est pas remis en question pour autant.

Concernant le blâme, la société Al Khaliji soutient que M. X n’a pas anticipé les conséquences de son absence consécutives à sa prise de congés en décembre 2014, qu’il n’a pas assuré son intérim

et n’a pas mentionné en amont un problème quelconque avec le logiciel. L’intimée fait valoir que le personnel est venu se plaindre auprès de la direction que M. X avait permis à l’une de ses amies de passer trois jours dans son bureau, que ce dernier n’a pas contesté les faits lorsqu’il a reçu son blâme. L’employeur estime que le blâme est par conséquent fondé.

S’agissant du licenciement, la société Al Khaliji indique que les contrôles de second niveau effectués par M. X représentaient une part importante de ses fonctions. L’intimée conteste l’argument de M. X selon lequel il a réalisé une multitude de tâches sortant de ses attributions. Elle estime en outre que les documents produits par le salarié ne prouvent pas la caractère infondé du licenciement, d’autant plus que certains d’entre eux sont datés postérieurement à la rupture.

Par ailleurs, la société Al Khaliji considère que l’interprétation par l’appelant de l’article 26 de la convention collective de la banque est inexacte, cet article s’appliquant « lorsque l’insuffisance résulte d’une mauvaise adaptation de l’intéressé à ses fonctions », ce qui n’est pas le cas de l’insuffisance professionnelle reprochée à M. X.

Concernant le préjudice invoqué par ce dernier, l’intimée soutient qu’il n’est pas justifié, car il a reçu une indemnité de licenciement conséquente, n’a pas été en situation de surcharge de travail, a été alerté pendant plusieurs années quant aux efforts à fournir, de sorte qu’il n’a pas pu croire qu’il a été soudainement licencié.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique.

L’instruction a été déclarée close le 20 novembre 2019 selon un calendrier de procédure établi le 20 novembre 2018.

La société Al Khaliji France a signifié de nouvelles conclusions en réplique le 19 novembre 2019 à 17h46 et a demandé le report de la clôture afin que la partie adverse puisse éventuellement répondre. Par conclusions transmises par la voie électronique le 4 décembre 2019, M. X a demandé la révocation de l’ordonnance de clôture, estimant ne pas avoir pu répliquer. La société a transmis des conclusions en réponse le 9 et 10 décembre 2019.

A l’audience collégiale du 19 décembre 2019, la cour a rejeté la demande de révocation de l’ordonnance de clôture, en l’absence de cause grave justifiant ladite révocation.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur le blâme :

L 'article L.1333-1 du code du travail dispose qu’en cas de litige concernant le bien fondé d’une sanction disciplinaire, l’employeur doit fournir au conseil de prud’hommes les éléments qu’il a retenus pour prendre la sanction et le juge doit former sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, après avoir ordonné en cas de besoin toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ; si le doute subsiste, il profite au salarié.

Aux termes de la lettre de blâme du 26 janvier 2015 susvisée, l’employeur reproche au salarié :

— de ne pas avoir le 19 décembre 2014 lors de son départ en congés organisé son remplacement, et de ne pas avoir anticipé qu’il pourrait y avoir un problème pour la bonne marche du système de détection des noms suspects (DNFS) ce qui a occasionné des démarches en urgence pour pallier ce problème pouvant générer des insuffisances graves de la banque vis à vis des autorités de régulation.

— d’avoir autorisé une amie à occuper son bureau pendant 3 jours en violation du règlement intérieur

qui interdit l’accès des locaux à une personne étrangère à l’entreprise.

La réalité du premier grief est établie. En effet il ressort des éléments de la cause :

— que M. X, rattaché au directeur général auquel il reportait directement, était chargé de s’assurer de l’exercice d’une activité irréprochable par la banque en identifiant de manière précoce le risque de « compliance » pouvant nuire à la réputation de celle-ci afin de protéger l’établissement des préjudices qui pourraient résulter d’une non conformité au cadre réglementaire,

— que M. X avait sous sa responsabilité le système de détection des noms suspects,

— qu’au cours de l’été 2014, alors que M. X était en congé, M. Akkad, dont le nom était inscrit sur la liste noire des noms suspects depuis le 22 juillet 2014, n’a pas été détecté par le système DNFS, ce qui a eu pour conséquence un retard de 49 jours du gel de ses avoirs et une demande d’explication sur ce retard, adressée par la banque de France à l’employeur par courrier du 11 décembre 2014.

— qu’à compter du 19 décembre 2014, M. X a été absent de l’entreprise pour cause de congés payés et n’a pas organisé son service en son absence.

— que ce même jour, l’employeur l’a informé par courrier électronique, qu’il était saisi d’une demande d’autorisation pour casser son mot de passe et a déploré qu’il soit parti à midi sans nommer de « back-up », renouvelant ainsi l’erreur de l’été, soulignant que M. X venait pourtant de préparer une réponse à la demande d’explication de la banque de France du 11 décembre 2014 précitée.

— que par courrier électronique du 29 décembre 2014, le salarié a répondu notamment à son employeur qu’il avait pris toutes les précautions pour que l’erreur de l’été 2014 ne se reproduise plus, connaissant parfaitement les risques en cas de non détection d’un nom suspect et a notamment indiqué qu’il était dans son intention de contacter M. A B le 22 décembre au matin pour lui dicter la marche à suivre pour ce contrôle qui devait s’effectuer sous son profil et que le lundi 21 décembre au matin il avait pris contact avec « Amine » pour lui dicter la marche à suivre.

— que par courrier électronique du 21 janvier 2015, M. X a informé l’employeur de la mise en place d’un « back up » en cas d’absence de sa part, dans la cadre du contrôle quotidien de la base clientèle avec la liste des noms suspects, via l’outil DNFS.

Compte-tenu de ces éléments, c’est vainement que le salarié fait valoir pour s’exonérer de sa responsabilité, que ce qui lui est reproché est relatif au non fonctionnement du logiciel DNFS qu’il avait à plusieurs reprises signalé à son employeur, sans produire aucun élément à l’appui de ses allégations alors que le grief porte sur le fait de ne pas avoir organisé son remplacement durant son absence et ce faisant sur une absence d’anticipation des problèmes pouvant survenir durant ses congés sur la bonne marche du système de détection des noms suspects, dont il avait la responsabilité.

Les arguments tirés de ce que l’employeur devait nommer durant son absence un remplaçant sont inopérants dès lors qu’il ressort des éléments de la cause que rattaché directement au directeur général, sans hiérarchie intermédiaire, cette organisation relevait de sa responsabilité comme en atteste son courrier électronique du 21 janvier 2015 précité.

Le fait qu’il ait signalé en janvier 2015 à son employeur, que le système de détection des noms suspects ne fonctionnait pas et que l’employeur ait alerté en février 2015 le prestataire, est sans conséquence sur la faute qui lui est reprochée, laquelle est caractérisée.

Le seul fait de ne pas avoir tiré les leçons des évènements de l’été 2014, en n’organisant pas son

remplacement en décembre 2014 lors de son départ en congé, pour la détection des noms suspects suffit à justifier son blâme, au regard des conséquences graves notamment pour la réputation de la banque pouvant résulter de ce défaut d’anticipation. Le jugement doit être confirmé sur ce point.

Sur le licenciement :

Selon l’article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi l’administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, l’employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

L’insuffisance professionnelle, qui se définit comme l’incapacité objective et durable d’un salarié à exécuter correctement les tâches et missions qui lui sont confiées, se caractérise par une mauvaise qualité du travail due, soit à une incompétence professionnelle, soit à une inadaptation à l’emploi.

L’appréciation de l’insuffisance professionnelle, laquelle se manifeste dans les répercussions en tant qu’elle perturbe la bonne marche de l’entreprise ou le fonctionnement du service, relève du pouvoir de direction de l’employeur. Toutefois ce dernier doit invoquer des faits objectifs, précis et vérifiables.

Aux termes de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, il est reproché au salarié :

— le non respect des process de contrôles au moment où ces derniers doivent être réalisés et ce malgré l’ensemble des demandes sur ce sujet sensible pour la banque.

— le non respect des délais à la fois dans le cadre de ces contrôles mais également d’autres tâches lui incombant, et de les réaliser souvent tardivement, voire bien après les calendriers fixés ne permettant aucune anticipation en cas de problème, ce qui génère une situation de risque pour la banque.

— un manque d’implication, de responsabilisation, de rigueur et de conscience professionnelle.

Le salarié, pour conclure au caractère abusif du licenciement, ne peut valablement invoquer les dispositions de l’article 26 de la convention collective des employés de banque. En effet, cet article prévoit qu’avant d’engager la procédure de licenciement, l’employeur doit avoir considéré toutes les solutions envisageables, notamment recherché le moyen de confier au salarié un autre poste dans le cas où l’insuffisance résulte d’une mauvaise adaptation de l’intéressé à ses fonctions. Or en l’espèce l’insuffisance professionnelle ne résulte pas d’une mauvaise adaptation du salarié à ses fonctions mais d’une incompétence professionnelle se manifestant par les griefs susvisés. Ce moyen doit en conséquence être rejeté.

Le salarié ne peut pas plus valablement faire valoir que la lettre de licenciement est rédigée en des termes généraux alors qu’elle comporte des motifs précis c’est à dire matériellement vérifiables et fait état des risques encourus par la banque du fait de l’insuffisance professionnelle alléguée. Le moyen tiré de l’imprécision des motifs doit en conséquence également être écarté.

La réalité de l’incapacité objective et durable de M. X à mettre en place les process de contrôles au moment où ces derniers doivent être réalisés, ce qui constituait une de ses activités principales, en dépit des demandes réitérées de son employeur et du soutien de ce dernier pour l’aider à s’améliorer, est établie.

En effet, il résulte :

— de la fiche de poste de M. X versée aux débats que, ce dernier, contrôleur permanent second niveau, était notamment chargé de définir un planning annuel des contrôles de second niveau, de dérouler les contrôles de second niveau (contrôles sur pièce et sur place, interviews, suivi d’indicateur..), d’établir un fiche de contrôle synthétisant les manquements et les anomalies rencontrées et de proposer des recommandations, d’effectuer à la demande de sa hiérarchie ou de l’audit interne tout contrôle ponctuel ou récurrent, en fonction de la survenance d’événements particuliers, de rédiger trimestriellement un reporting à la direction générale sur le dispositif de contrôle interne, de rédiger semestriellement un reporting à l’organe délibérant, aux commissaires aux comptes et au sécrétariat de la commission bancaire, d’analyser toutes les opérations suspectes, de centraliser les dysfonctionnements et les alertes en matière de non conformité, d’effectuer de la veille réglementaire, en liaison avec les unités opérationnelles et le département juridique.

— des entretiens annuels d’évaluation de M. X de 2010 à 2012 que des difficultés quant à ces contrôles ont été relevées en 2010 et chaque année par son employeur sans que le salarié ne progresse sur cet aspect principal de ses attributions alors que la banque avait mis en place une supervision plus étroite en 2012 pour l’aider à assurer l’exécution de ces contrôles.

— des conclusions de M. Dervaux, nouveau dirigeant de la Banque en 2013, jointes à l’entretien annuel d’évaluation de 2013, que ce dernier lui a demandé d’être plus proactif concernant les contrôles ; lui a affirmé sa confiance, son appui total ainsi que son soutien si besoin pour accomplir ses tâches ; et lui a annoncé l’embauche d’un agent d’audit en interne, en insistant sur le fait que les fonctions de contrôle ainsi qu’un environnement de réglementation sécurisée seraient les facteurs clés du succès.

Il est également établi :

— que lors de l’entretien annuel d’évaluation 2014, son employeur lui a fait part de son insatisfaction et a insisté sur la nécessité d’améliorations concernant sa fonction de contrôleur permanent notamment s’agissant du plan de contrôle interne et du reporting à la direction générale sur le dispositif de contrôle mis en place ;

— qu’un plan de contrôle de second niveau a été mis en place début 2015 en concertation avec lui et validé par ses soins ;

— qu’à la fin du mois d’août 2015, M. X n’avait pas respecté ce plan, seulement 10% de celui-ci ayant été effectué, soit six contrôles sur les soixante contrôles annuels initialement prévus ; qu’il avait en outre modifié la fréquence des contrôles de second niveau, sans approbation de son directeur général, ce qui générait des risques importants pour la réputation et/ou la perte financière de la banque puisque sans contrôle il était impossible d’identifier les erreurs opérationnelles, les lacunes et les erreurs de système à temps (cf : rapport confidentiel d’audit « sur la conformité, le contrôle permanent et la lutte le blanchiment »).

— que lors de l’entretien annuel d’évaluation 2015, la situation n’avait pas évolué, aucun contrôle complémentaire n’ayant été effectué par M. X entre le mois d’ août et la fin du mois de décembre 2015 et aucun rapport n’ayant été envoyé par ce dernier au directeur général durant l’année. L’évaluateur mentionne dans une pièce jointe à l’entretien annuel qui n’a fait l’objet d’aucun commentaire de la part de M. X, que ce dernier reconnaît le fait que très peu de contrôles internes ont été effectués en 2015 ; qu’il sait que les contrôles de second niveau sont obligatoires et doivent être effectués de façon régulière et que lorsqu’ils ne sont pas effectués la banque est en danger d’un point de vue opérationnel mais également réglementaire ; qu’il a participé aux réunions mensuelles d’audit durant lesquelles il a été mentionné à de nombreuses reprises qu’un nombre significatif de contrôles de second niveau manquaient ; que lorsque la question lui a été posée, il a toujours répondu qu’ils seraient tous faits avant la fin de l’année ; qu’il apparaît qu’aucune

amélioration n’a été constatée entre 2014 et 2015 et que compte-tenu de ces éléments, l’auto-évaluation de ce dernier doit être rétrogradée à 5C en considération des risques élevés, opérationnels, et réglementaires, auxquels la banque a fait face en raison de son manque d’implication.

Au regard de ces constatations, le salarié ne peut sérieusement soutenir que des fiches de contrôle permanent de second niveau étaient communiquées au directeur général par email alors que les seuls emails produits par ce dernier sont datés des 5 et 12 février 2016.

C’est encore inutilement qu’il soutient que la diminution des contrôles en 2015 n’est pas aussi importante que le dit l’employeur dans sa lettre de licenciement, le rapport confidentiel d’audit sur la conformité, le contrôle permanent et la lutte le blanchiment précité, démontrant le contraire. Il importe également peu que les contrôles réalisés n’aient pas montré d’anomalie, ce fait, au demeurant non établi, ne l’exonérant pas de l’obligation qui était la sienne d’exécuter correctement les tâches qui lui étaient confiées, à savoir la mise en oeuvre du plan de contrôle de second niveau qu’il avait validé début 2015.

Il ne peut sérieusement soutenir que cette diminution des contrôles est due à la multiplication de ses tâches en invoquant son compte d’épargne temps mentionnant 47 jours de congés à prendre alors d’une part qu’un compte d’épargne temps est alimenté tout au long de la relation contractuelle, que d’autre part la question de l’insuffisance des contrôles n’est pas nouvelle et qu’enfin il ne ressort pas d’éléments de la cause que ses taches aient été multipliées entre 2014 et 2015, sa charge de travail n’ayant d’ailleurs pas été abordée lors des entretiens d’évaluation 2014 et 2015.

Au regard du contenu des entretiens d’évaluation précités, M. X ne peut sérieusement soutenir que la banque a montré peu d’intérêt envers les contrôles et leur résultat.

Le fait qu’il ait indiqué à son employeur que la fréquence des contrôles validés par ses soins, serait à l’avenir validée par le directeur général, est également sans conséquence.

La non exécution par M. X des process de contrôles au moment où ces derniers devaient être réalisés et ce malgré des demandes répétées de son employeur sur ce sujet sensible du fait des risques importants pour la réputation et la situation financière de la banque, caractérise une inaptitude professionnelle justifiant le licenciement de M. X.

Il s’ensuit, qu’il y a lieu en confirmant le jugement de débouter M. X de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le salarié ne justifie pas d’une faute de l’employeur dans la mise en oeuvre du licenciement. Il doit en conséquence être débouté de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice moral subi.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens :

Les dispositions du jugement relatives à l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens doivent être confirmées.

Aucune considération d’équité ou d’ordre économique ne justifie application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

Les dépens d’appel seront à la charge de M. X qui succombe.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire et rendu en dernier ressort, mis à disposition

au greffe,

Rejette les conclusions du 4 et 11 décembre 2019.

Confirme le jugement.

Y ajoutant

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

Condamne M. X aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE



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Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 7, 20 février 2020, n° 18/00140