Cour d'appel de Paris, 16 janvier 2020, 19/034107

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, i7, 16 janv. 2020, n° 19/03410
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 19/034107
Importance : Inédit
Dispositif : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes
Identifiant Légifrance : JURITEXT000041482147

Sur les parties

Texte intégral

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 7

ARRÊT DU 16 JANVIER 2020

(no 1, 17 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 19/03410 – No Portalis 35L7-V-B7D-B7JV7

Décision déférée à la cour : décision de l’ Autorité de la concurrence no 18-D-26 en date du 20 décembre 2018

REQUÉRANTE :

La société CANNA FRANCE S.A.S.U.
prise en la personne de son gérant
inscrite au RCS de PARIS sous le no 402 335 145
Ayant son siège social au […]
[…]

Élisant domicile chez la SELARL […]
[…]
[…]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assistée de Me Aurore BOUQUEAU substituant Me Antoine DEROT, de la SELARL REINHART MARVILLE TORRE, avocat au barreau de PARIS, toque : K0030

EN PRÉSENCE DE :

L’AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
prise en la personne de sa présidente
[…]
[…]

représentée par Mme S… G… , dûment mandatée

MONSIEUR LE MINISTRE CHARGÉ DE L’ÉCONOMIE
[…].
[…]
7[…]

représenté par Mme X… C…, dûment mandatée

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 21 novembre 2019, en audience publique, devant la cour composée de :

— Mme Frédérique SCHMIDT, présidente de chambre, présidente
- Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre
- Mme Sylvie TRÉARD, conseillère

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : Mme Véronique COUVET

MINISTÈRE PUBLIC : auquel l’affaire a été communiquée et représenté lors des débats par Mme Madeleine GUIDONI, avocate générale, entendue en son avis

ARRÊT :

— contradictoire ;

— rendu par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

— signé par Mme Frédérique SCHMIDT, présidente de chambre, et par Mme Véronique COUVET, greffière à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

* * * * * * * *

Vu la décision de l’Autorité de la concurrence no 18-D-26 du 20 décembre 2019 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la commercialisation des fertilisants liquides pour la production hors-sol dédiés à la culture domestique ;

Vu la déclaration de recours déposée au greffe de la cour par la société Canna France le 18 février 2019 ;

Vu les conclusions déposées au greffe de la cour par la société Canna France le 14 mars 2019 ;

Vu les observations du ministre de l’économie et des finances déposées au greffe de la cour le 12 juillet 2019 ;

Vu les observations de l’Autorité de la concurrence déposées au greffe de la cour le 16 juillet 2019 ;

Vu l’avis écrit du ministère public communiqué aux parties le 18 novembre 2019 ;

Après avoir entendu à l’audience publique du 21 novembre 2019 le conseil de la société Canna France, qui a été mis en mesure de répliquer et a eu la parole en dernier, les représentants de l’Autorité de la concurrence et du ministre de l’économie et des finances, ainsi que le ministère public ;

*
* *
FAITS ET PROCÉDURE

Le secteur de la commercialisation des fertilisants liquides pour la production hors-sol dédiés à la culture domestique

1.Cette affaire intervient dans le secteur de la commercialisation des fertilisants liquides dédiés à la culture domestique, plus précisément à la culture dite « hors-sol », ou « hydroponique ». A la fois productive et économe en eau, cette technique de culture recourt à des solutions nutritives renouvelées et à un substrat inerte (minéral ou végétal) permettant de se passer du support et des apports d’un sol. Elle est très utilisée dans l’agriculture urbaine, l’horticulture et les cultures maraîchères, ainsi que dans la culture de plantes exotiques par les jardiniers amateurs.

2.Il existe environ une vingtaine de producteurs de fertilisants liquides pour la culture hors-sol, majoritairement néerlandais ou anglo-saxons. La société Canna France, qui est une filiale d’une société néerlandaise, constitue l’un d’entre eux.

3.La distribution de ces produits passe par une dizaine de grossistes, dont les plus importants sont les sociétés Hydro Factory et C.I.S., ainsi que par une série de détaillants.

4.S’agissant des grossistes, ils fournissent les détaillants mais peuvent aussi exploiter un ou plusieurs sites Internet de vente directe aux consommateurs. Ces sites marchands portent généralement le nom du réseau de distribution développé par le grossiste et servent de vitrine publicitaire à l’ensemble des points de vente du réseau.

5.C’est le cas du site Internet dénommé «Culture Indoor», exploité par la société C.I.S., laquelle se trouve aussi à la tête d’un réseau de trente-sept distributeurs. C’est également le cas du site Internet dénommé «indoorgardens», exploité par la société Hydro Logistique, laquelle a été créée en 2008 par le gérant de la société Hydro Factory afin de séparer la vente en gros de la vente en ligne au détail. Le réseau «Indoor gardens», destiné à regrouper les détaillants indépendants sur ce site Internet «indoorgardens», compte environ quatre-vingt points de vente.

6.S’agissant des détaillants de fertilisants liquides pour la culture hors-sol, ils peuvent être classés en trois catégories.

7.Une première catégorie correspond aux distributeurs uniquement présents sur Internet («pure players»). Ces distributeurs peuvent utiliser les capacités logistiques d’autres grossistes pour livrer les particuliers (sites Internet de livraison directe). C’est le cas du grossiste Hydro Logistique, ce dernier exploitant un service de livraison à domicile pour le compte de vendeurs tiers.

8.Les deux autres catégories de distributeurs recouvrent les détaillants traditionnels, qui disposent de points de vente en dur. Certains de ces points de vente sont indépendants ; d’autres appartiennent à un réseau de distribution. Les réseaux de distribution les plus importants sont, d’une part, le réseau «Culture Indoor», rattaché au grossiste C.I.S. et, d’autre part, le réseau «Indoor Gardens», rattaché au grossiste Hydro Factory, ces deux réseaux disposant, comme cela vient d’être indiqué, d’un site Internet dédié.

Données propres au litige

9.Le 27 novembre 2013, le ministre chargé de l’économie a demandé à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) l’ouverture d’une enquête sur des pratiques d’entente susceptibles d’être relevées dans le secteur de la commercialisation des fertilisants liquides dédiés au jardinage domestique, à la suite du signalement d’un détaillant indépendant.

10.Cette enquête a donné lieu, le 12 décembre 2013, à une opération de visite et saisies au sein des sociétés C.I.S, Hydro Factory et Hydro Logistique, ainsi qu’à des investigations auprès de distributeurs de détail.

11.Deux rapports d’enquête ont été établis et transmis à l’Autorité de la concurrence (ci-après «l’Autorité»), respectivement, le 22 août et le 21 octobre 2014. Au vu de ces rapports, l’Autorité a décidé, le 28 octobre 2014, de se saisir d’office de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation des fertilisants liquides dédiés au jardinage domestique (décision no 14-SO-07, enregistrée sous le numéro 14/0082 F).

12.Par décision du 25 avril 2018, prise en application des articles L. 463-3 et R-463-12 du code de commerce, le rapporteur général de l’Autorité a décidé que l’affaire serait examinée sans établissement préalable d’un rapport.

13.Le 4 mai 2018, une notification des griefs a été adressée :

– à cinq producteurs de fertilisants liquides pour la culture hors-sol à usage domestique, dont la société Canna France, ainsi que sa société-mère JMB Holding B.V ;

– aux principaux grossistes, à savoir, les sociétés C.I.S., Hydro Factory et Hydro Logistique.

14.Le grief notifié à la société Canna France et à sa société-mère (grief no2) est rédigé selon les termes suivants :

«Il est fait grief aux entreprises Canna France (
), auteur des pratiques, et JMB Holding B.V. (…), société mère de Canna France, ainsi qu’aux sociétés Hydro Factory (…), Hydro Logistique (
) et C.I.S. (
) de s’être entendues, de manière continue, pour fixer les prix de revente aux consommateurs (au détail) et aux professionnels (en gros) des fertilisants liquides pour la production hors-sol à usage domestique de la marque Canna :

– pour la période de mars 2010 à décembre 2013 en ce qui concerne Canna France, JMB Holding B.V. et Hydro Factory,
– pour la période de mars 2010 à décembre 2013 en ce qui concerne Canna France, JMB Holding B.V. et Hydro Logistique,
– pour la période de mai 2012 à décembre 2013 en ce qui concerne Canna France, JMB Holding B.V. et C.I.S.

Cette pratique est contraire aux articles L.420-1 du Code de commerce et 101 du TFUE. »

15.Par décision no 18-D-26 du 20 décembre 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation des fertilisants liquides pour la production hors-sol dédiés à la culture domestique (ci-après «la décision attaquée»), l’Autorité a, notamment, retenu que les pratiques reprochées à la société Canna et à sa société mère étaient établies et leur a infligé, solidairement, une sanction pécuniaire de 152 000 euros.

16.Par déclaration déposée au greffe de la cour d’appel le 18 février 2019, la société Canna France a formé un recours en annulation ou en réformation contre cette décision, laquelle lui avait été notifiée le 18 janvier 2019.

17.Aux termes de l’exposé des moyens, présenté par conclusions déposées au greffe le 14 mars 2019, la société Canna France demande à la cour :

– d’annuler la décision attaquée en toutes ses dispositions ;

– statuant à nouveau, de juger qu’elle n’a pas enfreint les règles françaises et communautaire de concurrence en mettant en œuvre un système d’entente sur les prix avec les grossistes ;

– à titre subsidiaire, de réformer la décision attaquée en fixant à de plus justes proportions la sanction prononcée à son encontre.

18.L’Autorité, le ministre de l’économie et des finances et le ministère public invitent la cour à rejeter le recours.

MOTIVATION

19.Par la décision attaquée, l’Autorité a, notamment :

– estimé que le commerce entre les Etats membres était susceptible d’être affecté de manière sensible par les pratiques en cause, de sorte qu’il convenait de les examiner tant au regard du droit national, notamment de l’article L 420-1 du code de commerce, que du droit de l’Union européenne, notamment de l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union (TFUE) ;

– considéré que les pratiques en cause devaient être regardées sur le marché français de la distribution (en gros et au détail) des fertilisants liquides pour la production hors-sol dédiés à la culture domestique, défini comme étant le marché pertinent ;

– retenu que la société Canna France s’était entendue avec ses revendeurs, les sociétés Hydro Factory/Hydro Logistique et C.I.S., sur les tarifs de gros et de détail des produits en cause et que cette entente était établie avec le premier revendeur de mars 2010 à décembre 2013 et avec le second de mai 2012 à décembre 2013 ;

– précisé que ces pratiques étaient imputables, d’un côté, à la société Canna France, en tant qu’auteur, et à la société JMB Holding B.V, en raison de sa qualité de société mère ayant exercé une influence déterminante sur le comportement de sa filiale pendant la période des pratiques et, de l’autre, aux sociétés Hydro Factory /Hydro Logistique et C.I.S. ;

– déterminé le montant de la sanction pécuniaire infligée solidairement à la société Canna France et à sa société mère au regard notamment de la gravité des faits, de l’importance du dommage à l’économie et de la durée de participation de celles-ci aux pratiques en cause.

20.Dans son exposé des moyens, la société requérante en développe cinq.

21.Ces moyens portent sur :

– la définition du marché pertinent ;

– l’établissement des pratiques reprochées ;

– le dommage à l’économie ;

– la durée de sa participation aux pratiques en cause ;

– le caractère «mono-produit» de l’entreprise en cause.

22.Il convient de les examiner successivement.

1) Sur la définition du marché pertinent

23.La société Canna France fait valoir que la limitation du marché pertinent aux fertilisants liquides pour la production hors-sol dédiés à la culture domestique est affectée d’une erreur manifeste d’appréciation, qui justifie l’annulation de la décision attaquée. Elle soutient que le marché de référence devrait être étendu à l’ensemble des fertilisants liquides dédiés à la culture domestique, quel que soit le mode de production ou de culture, qu’il soit hors-sol ou en sol.

24.Elle fait valoir en ce sens :

– que les engrais liquides destinés à la culture domestique peuvent être indifféremment utilisés pour la culture hors-sol et pour la culture en sol, quelle que soit la plante cultivée ;

– que la circonstance que certains engrais et additifs produits par la société Canna France soient uniquement destinés à la culture hors-sol ne remet pas en cause cette analyse ;

– que seul le matériel utilisé pour la culture hors-sol est spécifique (utilisation de chambre ou de châssis de culture, de régulateur climatique ou de ventilation, d’éclairage, de système d’irrigation, etc).

25.L’Autorité invite la cour à rejeter le moyen. Elle fait valoir que la délimitation du marché pertinent n’est pas toujours nécessaire en matière d’entente, ou du moins qu’une délimitation précise ne s’impose pas systématiquement. Elle invoque la jurisprudence du Tribunal de l’Union européenne selon laquelle l’obligation d’opérer une délimitation du marché en cause dans une décision adoptée en application de l’article 101 du TFUE ne s’impose aux autorités de concurrence que lorsque, sans une telle délimitation, il n’est pas possible de déterminer si l’accord, la décision d’association d’entreprises ou la pratique concertée en cause a pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun. Elle ajoute que, selon sa pratique décisionnelle, lorsque les pratiques en cause sont examinées au titre de la prohibition des ententes ou des pratiques concertées, il n’est pas nécessaire de définir le marché pertinent avec davantage de précision, dès lors que le secteur a été suffisamment identifié pour qualifier les pratiques en cause et permettre de les imputer aux opérateurs qui les ont mises en œuvre.

26.L’Autorité fait valoir qu’en l’espèce et en tout état de cause, le marché pertinent a été exactement défini comme étant celui du marché français (en gros et au détail) des fertilisants liquides pour la production hors-sol dédiés à la culture domestique, eu égard à la spécificité de ces produits, tant du point de vue de la demande que de l’offre, cette spécificité résultant de leurs qualités intrinsèques, de leur forme liquide, de leur fabrication par une vingtaine de producteurs, principalement néerlandais ou anglo-saxons, de leur destination à des consommateurs avertis pratiquant un certain type de jardinage et souhaitant utiliser des produits différents de ceux du jardinage traditionnel, de leur marketing et de leur mode de distribution. Elle ajoute que cette analyse n’est pas remise en cause par l’argumentation de la société requérante dans la mesure où, comme l’a relevé la décision attaquée, si certains engrais et additifs produits par celle-ci peuvent être indifféremment utilisés pour la culture hors-sol et en sol, il n’en demeure pas moins que d’autres sont bien destinés à la culture hydroponique et que cette société est présentée sur le site internet «Culture Indoor» comme «une des marques de fertilisants (
) les plus connues du marché européen» et «considérée comme un des leaders mondiaux dans l’industrie de l’engrais hydroponique», de sorte que la marque et l’opérateur en cause sont parfaitement identifiés.

27.Le ministre de l’économie et des finances présente un argumentaire dans le même sens.

28.Le ministère public approuve cette analyse.

Sur quoi, la cour :

29.La société requérante n’explique pas en quoi ce moyen portant sur la délimitation matérielle du marché pertinent serait de nature à justifier l’annulation de la décision attaquée.

30.En tout état de cause, une délimitation fine du marché pertinent n’est pas nécessaire à la qualification d’une entente dès lors que le secteur a été suffisamment identifié et permet d’imputer les pratiques litigieuses aux opérateurs qui les ont mises en œuvre, ce qui est le cas en l’espèce. En outre, force est de constater que l’Autorité a exactement défini le marché matériel pertinent aux paragraphes 227 à 231 de la décision attaquée, par des motifs que la cour fait siens, comme étant celui du marché des fertilisants liquides pour la production hors-sol dédiés à la culture domestique.

31.Ce moyen est donc rejeté.

2) Sur l’établissement des pratiques reprochées

32.La société requérante rappelle la jurisprudence (notamment, l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 28 janvier 2009, dans l’affaire Espé Joué Club, RG no 2008/00255) selon laquelle la démonstration de l’accord de volonté de nature à caractériser l’existence d’une entente verticale sur les prix, peut se faire par tout moyen :

– par des preuves directes ou explicites, résultant de documents ou de clauses contractuelles ;

– à défaut, par des preuves indirectes ou comportementales, de nature à établir un faisceau d’indices précis, graves et concordants, résultant, généralement, premièrement, de l’évocation entre fournisseurs et distributeurs des prix de revente au public, deuxièmement, de la mise en place d’une police ou d’une surveillance des prix, troisièmement, de l’application effective ou significative de ces prix.

33.Sur le fondement de cette jurisprudence, dont l’Autorité a fait application dans la décision attaquée, la société requérante soutient que l’existence d’une entente verticale sur les prix n’est pas démontrée, en l’absence de clause contractuelle claire et de faisceau d’indices précis, graves et concordants, de sorte que la décision attaquée est affectée d’une erreur manifeste d’appréciation.

34.Elle fait valoir en ce sens :

– qu’elle s’est bornée à adresser aux grossistes des listes de prix indicatifs s’agissant de prix de vente au détail conseillés hors taxe ; que ces listes de prix sont usuelles et licites dès lorsqu’elles ne fixent ni les prix de revente aux professionnels, ni les prix de revente entre grossistes et revendeurs, ni le prix de revente aux consommateurs ; qu’il n’est pas établi qu’elle ait mis en œuvre l’article 14 de ses conditions générales de vente, sur lequel l’Autorité s’est fondée, en plus des listes de prix, pour retenir l’adoption d’une politique tarifaire de revente ;

– qu’elle n’a jamais mis en œuvre de système de contrôle des prix au détail et encore moins adopté des mesures de rétorsion ; que l’éventuelle surveillance de ces prix, à supposer qu’elle existe, est imputable aux seuls grossistes, lesquels, forts de leur puissance de marché, auraient exercé une pression tarifaire sur leur réseau et les producteurs, en prenant l’initiative, sans concertation avec elle, premièrement, de diffuser à leurs revendeurs les listes de prix conseillés par elle en les imposant comme des prix fixes, deuxièmement, de mettre en place un système de veille et de contrôle de l’application de ces prix et, troisièmement, de signaler tout manquement émanant de leur réseau de revente ou d’un réseau concurrent ;

– qu’en tout état de cause, à supposer même qu’elle ait participé à la mise en place d’un système de surveillance et de contrôle des prix, il n’est pas démontré que ces prix aient été effectivement appliqués, mais qu’au contraire les grossistes sont demeurés libres de fixer leur prix.

35.L’Autorité estime que l’existence de l’entente en cause résulte d’éléments de preuve directes (diffusion des listes de prix et des conditions générales de vente, échanges de courriels), sans qu’il soit nécessaire de recourir à un faisceau d’indices, graves, précis et concordants impliquant notamment le constat de l’application significative des prix litigieux par les distributeurs.

36.Elle relève que les mentions manuscrites apposées par la société C.I.S. sur la liste de prix applicable à compter de juillet 2013 ne procèdent pas d’une prétendue liberté tarifaire des grossistes, mais se limitent à préciser le prix de vente au détail TTC, intégrant le taux de TVA applicable, à partir du prix de vente au détail hors taxe imposé par la société requérante.

37.Le ministre de l’économie et des finances présente un argumentaire dans le même sens.

38.Le ministère public s’associe à ces observations.

Sur quoi, la cour :

39.La démonstration de l’accord de volonté, nécessaire pour caractériser l’existence d’une entente verticale sur les prix, peut se faire par tout moyen, notamment, par des preuves directes ou explicites, résultant de documents ou de clauses contractuelles. En présence de tels éléments, il n’est pas nécessaire de recourir à des preuves indirectes ou comportementales, constitutives d’un faisceau d’indices graves, précis et concordants, impliquant la caractérisation d’une application significative ou effective par les distributeurs des prix conseillés par le fournisseur.

40.Ces principes sur le standard de preuve requis en matière d’entente verticale sur les prix résultent d’une jurisprudence bien établie (voir, notamment, arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes devenu Tribunal de l’Union européenne du 6 octobre 2009, affaire GlaxoSmithKline Services Unlimited, T-168/01, points 83 et 84, arrêts de la cour d’appel de Paris, du 28 janvier 2009, précité, du 26 janvier 2012, affaire Beauté Prestige International e.a. RG no 2010/23945 et du 16 mai 2013, affaire Kontiki, RG no 2012/01227, et arrêt de la Cour de cassation, Com. 11 juin 2013, pourvoi no 12-13.961, Bull. no98).

41.En l’espèce, il est constant que, lors des opérations de visite et saisie dans les locaux des grossistes Hydro Factory et C.I.S., ont été saisies des listes de prix de revente émanant de la société Canna France, à savoir :

– une liste de prix applicable à partir du 1er avril 2011, transmise au grossiste C.I.S. (cote 811) ;

– une liste de prix applicable à partir du 1er juin 2012, transmise aux deux grossistes C.I.S. et Hydro Factory (cotes 792 à 794 s’agissant de celle transmise au premier et, cotes 1629 et 1630, s’agissant de celle transmise au second) ;

– une liste de prix applicable à compter du 1er juillet 2013, transmise aux deux grossistes C.I.S. et Hydro Factory (cotes 592 à 597 s’agissant de celle transmise au premier et cotes 217, 2071 à 2074 s’agissant de celle transmise au second).

42.Ces listes de prix hors taxe sont applicables à la revente en gros, par les grossistes et, au détail, par les détaillants ou par vente directe en ligne.

43.Comme l’a relevé à juste titre l’Autorité (paragraphes 249 et 255 de la décision attaquée), l’adhésion des grossistes à la politique tarifaire adoptée par la société Canna France, au moyen de listes de prix, résulte de plusieurs échanges de courriels.

44.Cette adhésion se manifeste :

– d’une part, par la diffusion par le grossiste Hydro Factory/Hydro Logistique auprès des détaillants des nouvelles listes de prix de revente au détail émanant de la société Canna France et par le travail d’actualisation de la liste des prix figurant sur son site web, afin d’intégrer ces nouvelles listes de prix, les prix mis en ligne servant de référence aux détaillants de son réseau «Indoor Gardens» (échanges de courriels, du 3 janvier 2013, entre un détaillant du réseau «Indoor Gardens» et Hydro Factory/Hydro Logistique, cotes 2538 et 2539) ;

– d’autre part, par la participation des grossistes Hydro Factory/Hydro Logistique et C.I.S. à la surveillance des prix pratiqués par les détaillants, afin de s’assurer, sous le contrôle de la société requérante, du respect par les détaillants des prix de référence définis par celle-ci (échanges de courriels, du 23 mars et 1er avril 2010, entre le gérant de Canna France et celui d’Hydro Factory et, du 24 mai et 2 juillet 2013, entre le directeur commercial de C.I.S. et un détaillant de son réseau «Culture Indoors», cotes 2543 et 2545, 926 à 930).

45.La démonstration de la volonté commune de la société Canna France et des grossistes Hydro Factory/Hydro Logistique et C.I.S. de se comporter sur le marché d’une manière déterminée à travers une politique des prix se trouve confortée par les conditions générales de vente figurant au verso du courrier en date du 15 mai 2012, par lequel la société requérante a transmis aux deux grossistes la «nouvelle liste de prix (
) applicable à partir du 1er juin 2012».

46.En effet, ces conditions générales de vente comportent, à l’article 14, une clause intitulée «revente», rédigée de la manière suivante :

«14. 1 L’autre partie n’est pas autorisée à revendre les produits achetés à des prix qui s’écartent de plus de 10 % des prix de vente recommandés mentionnés sur la liste de prix de CANNA France SARL.

14.2 Si Canna France a reconnu l’autre partie en tant que grossiste, l’autre partie /le grossiste doit vendre les produits achetés conformément aux prix à la consommation de CANNA France SARL mentionnés sur la liste de CANNA France SARL.

14.3 L’autre partie imposera à ses acheteurs une obligation comparable à celle invoquée au paragraphe 1 sous peine d’une pénalité de 5000 €.

14.4 En cas de violation de ce qui est convenu dans cet article, l’autre partie est redevable d’une pénalité immédiatement due et exigible et non remboursable de 5000 € à payer à CANNA France SARL, pour chaque livraison, indépendamment de sa grandeur, sans préjudice de l’obligation de l’autre partie à payer une indemnisation pour la perte totale ou le dommage subi par CANNA France SARL ».

47.Il résulte de ces stipulations que la société requérante a imposé aux grossistes, sous peine de sanction pécuniaire, un prix de revente correspondant à ceux fixés dans la nouvelle liste de prix jointe aux conditions générales de vente. Elle leur a également imposé, sous peine de sanction pécuniaire, une obligation de police ou de surveillance des prix pratiqués par les détaillants afin de s’assurer que le prix de revente au détail ne soit pas inférieur à celui recommandé dans la liste de prix (prix plancher) et supérieur à 10 % de ce dernier (prix plafond).

48.Il s’ensuit que, premièrement, loin d’être simplement recommandés ou conseillés, les prix figurant sur les listes de prix émanant du producteur Canna France revêtent un caractère contraignant, deuxièmement, que ce caractère contraignant ne procède pas, contrairement à ce qui est allégué par cette société, d’une initiative isolée des grossistes C.I.S. et Hydro Factory/Hydro Logistique, mais d’un accord de volonté entre ce producteur et ces grossistes, résultant des stipulations contractuelles liant ces parties et, troisièmement, que la liste de prix applicable à partir du 1er juin 2012, à laquelle ont été jointes ces stipulations contractuelles, a été diffusée en tant que telle, par le producteur Canna France auprès des grossistes, comme fixant des prix imposés.

49.Les mentions manuscrites apposées par la société CIS sur la liste des prix hors taxe, que lui a transmise la société Canna France et applicable à partir du 1er juillet 2013, ne remettent pas en cause cette analyse, dès lors que ces mentions se limitent à préciser le prix de vente au détail TTC, intégrant le taux de TVA applicable, de sorte qu’elles ne sauraient établir une prétendue liberté tarifaire du grossiste C.I.S.

50.L’ensemble de ces éléments, qui constituent des preuves directes, suffit à établir l’existence d’une entente verticale sur les prix entre la société Canna France et, respectivement, les sociétés C.I.S. et Hydro Factory/Hydro Logistique, sans qu’il soit par conséquent nécessaire d’établir l’application significative par les distributeurs des prix communiqués par le fournisseur, voire la mise en oeuvre effective par le producteur Canna France de l’article 14 des conditions générales de vente précitées.

51.Il convient donc de rejeter le moyen portant sur l’établissement des pratiques en cause.

52.La société requérante ne conteste pas le caractère continu de ces pratiques, que la décision attaquée a fondé sur des faits suffisamment rapprochés dans le temps pour établir que ces pratiques se sont poursuivies de façon ininterrompue sur toute la période de l’entente retenue à l’égard de chacun des participants.

3) Sur le dommage à l’économie

53.La société requérante conclut à l’annulation de la décision. Elle soutient que les pratiques en cause n’ont causé aucun dommage à l’économie.

54.Elle fait valoir en ce sens :

– qu’elle ne dispose que d’une faible part de marché, selon elle de 3,75%, sur un marché «de niche» fortement concurrentiel ;

– que la durée des pratiques est limitée à vingt mois, de mai 2012 à décembre 2013 ;

– que les ententes verticales sur les prix sont moins graves que les ententes horizontales ;

– que les produits en cause sont aisément substituables et ne correspondent pas à des biens de première nécessité ;

– que la clientèle est avertie et non captive, de sorte que les consommateurs ont tout loisir de se reporter sur d’autres marques ou d’autres gammes équivalentes ;

– qu’elle réalise la totalité de son activité en France, ce qui exclut que le marché intra-communautaire ait pu être affecté.

55.L’Autorité soutient que ce moyen est inopérant, en ce qu’il est invoqué comme moyen d’annulation de la décision attaquée alors qu’il constitue un moyen de réformation relatif à la sanction, et qu’en tout état de cause, il n’est pas fondé.

56.Elle fait valoir :

– que la part de marché alléguée par la société requérante comme étant de 3,75 % procède d’une erreur de calcul dans la mesure où les ventes de Canna France de fertilisants liquides pour la culture hors-sol sont rapportées au total des ventes de fertilisants (toutes formes et toute destination confondues) et qu’en tout état de cause l’importance du dommage à l’économie s’apprécie de façon globale pour les pratiques litigieuses, c’est-à-dire au regard de l’action cumulée de tous les participants, sans qu’il soit besoin d’identifier la part imputable à chacun d’entre eux pris séparément ;

– que la durée des pratiques en cause est, en partie, supérieure à celle alléguée, dans la mesure où l’entente avec les sociétés Hydro Factory et Hydro Logisitique a duré de mars 2010 à décembre 2013 ;

– que la gravité des pratiques ne concerne pas le dommage à l’économie et qu’en tout état de cause selon la jurisprudence (arrêt de la cour d’appel de Paris, du 28 janvier 2009, affaire dites des jouets, no RG 2008/00255), «les ententes verticales sur les prix, même si elles ne sont pas regardées avec autant de sévérité que les ententes horizontales, figurent parmi les plus graves des pratiques anticoncurrentielles (
) [dès lors] que les effets de telles pratiques, avantageuses pour les fournisseurs comme pour les distributeurs, tendent à éliminer la concurrence intra-marque, laquelle mérite d’autant plus d’être préservée que les consommateurs sont attachés aux marques, même si la concurrence inter-marque demeure (
) [étant précisé que ces pratiques]peuvent avoir des effets anticoncurrentiels même quand la concurrence inter-marque est forte (
) [en ce qu’elles] peuvent faciliter la cartellisation du marché si les structures verticales ne sont pas indépendantes et si les fournisseurs négocient avec les mêmes distributeurs » ;

– qu’en l’espèce, comme le relève la décision attaquée, les pratiques en cause ont contribué à harmoniser les prix des produits d’un producteur donné et à réduire ainsi la concurrence intra-marque au sein des réseaux de revente, privant de ce fait les consommateurs finaux de la possibilité de profiter de prix concurrentiels ; que les pratiques litigieuses ont également eu un impact sur la concurrence inter-marques, entre fabricants, même s’il existe une vingtaine de producteurs des produits en cause, de sorte que l’ampleur de la hausse des prix de vente imposés a pu être limitée par la concurrence entre fabricants, mais dont l’intensité a pu être elle-même limitée par une certaine différentiation des marques présentes sur le marché pertinent ; que les pratiques litigieuses ont pu faciliter la cartellisation du marché dans la mesure où les fabricants mis en cause vendent leurs produits au travers des mêmes grossistes, lesquels sont informés de la mise en œuvre de mêmes pratiques par différents concurrents et de la participation à ces pratiques de leur principal concurrent sur le marché de gros, outre que ces distributeurs peuvent servir de grossistes à des fabricants concurrents, non mis en cause, mais qui vont indirectement être affectés par ces pratiques ;

– que, si la faible élasticité de la demande induite par le caractère de «bien de première nécessité» peut être considérée comme un facteur d’aggravation du dommage, la circonstance que les produits en cause ne présentent pas cette caractéristique ne remet pas en cause l’existence d’un dommage à l’économie ;

– que le fait que la société requérante réalise la totalité de son activité en France n’exclut pas que le marché de l’Union ait pu être affecté (paragraphes 219 à 222 de la décision attaquée) et qu’en tout état de cause l’argument portant sur l’affectation sensible du commerce entre les États membres est inopérant au stade de l’analyse du dommage à l’économie s’agissant d’un critère d’applicabilité du droit de l’Union ;

– qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’Autorité a retenu à juste titre que le dommage à l’économie apparaissait certain mais modéré, du fait du maintien d’une relative concurrence entre fabricants d’une part et entre revendeurs d’autre part.
57.Le ministre de l’économie et des finances estime que le moyen doit être rejeté. Il fait valoir :

– que la décision attaquée comporte une analyse complète de l’importance du dommage à l’économie, au regard des caractéristiques économiques du secteur, de l’ampleur des pratiques et de leurs conséquences conjoncturelles et structurelles ;

– que l’Autorité a déjà relativisé dans la décision attaquée l’importance du dommage à l’économie en relevant que, malgré l’objectif visé par les pratiques consistant à accroître les marges des revendeurs, il existe un maintien de la concurrence intra-marque (entre les revendeurs), ce qui a conduit à une appréciation certaine mais modérée du dommage à l’économie.

58.Le ministère public approuve cette analyse.

Sur ce, la cour :

59.A titre liminaire, il convient de souligner qu’un moyen mettant en cause la caractérisation du dommage à l’économie n’est pas de nature à entraîner l’annulation de la décision attaquée, dès lors que ce dommage, lorsqu’il est établi, est un critère d’appréciation de la proportionnalité de la sanction infligée, et non un élément constitutif de l’entente en cause. Par conséquent, c’est à titre surabondant, et dans l’hypothèse où la société requérante aurait en réalité entendu faire valoir un moyen aux fins de réformation de la décision attaquée, quant au montant de la sanction infligée, que la cour examinera les éléments qui suivent.

60.En premier lieu, il importe de rappeler que le dommage à l’économie ne se présume pas et qu’il fait l’objet d’une appréciation globale, au regard de l’action cumulée de tous les participants aux pratiques d’entente en cause et de la perturbation générale que celles-ci sont de nature à engendrer pour l’économie. Ces principes résultent d’une jurisprudence désormais bien établie et ont été appliqués avec constance (voir, notamment, Cour de cassation, Com. 18 février 2004, pourvoi no02-11.754, Com. 7 avril 2010, pourvois no 09-65.940, 09-13.163, 09-12.984, Bull. no 70, et Com. 30 mai 2012, pourvoi no 11-22.144 et Com. 21 octobre 2014, pourvois no 13-16.602, 13-16.696 et 13-16.905, Bull. no 152).

61.En l’espèce, il n’est pas contesté, ainsi que l’a relevé la décision attaquée, qu’il existe environ une vingtaine de producteurs de fertilisants liquides pour la culture hors-sol (cotes 26 à 28), de sorte que l’ampleur de la hausse de prix résultant des pratiques de prix de vente imposés a pu être limitée par la concurrence entre fabricants. Cependant, nul ne remet en cause le constat opéré à juste titre par l’Autorité, dans la décision attaquée (paragraphe 362), concernant l’existence d’une certaine différenciation des marques présentes sur le marché des fertilisants destinés à la culture domestique hors-sol, qui a pu limiter l’intensité de cette concurrence inter-marques. D’ailleurs, la société Canna a revendiqué, et continue à le faire (page 6 de ses conclusions), le fait qu’elle commercialise des produits « premium » bénéficiant «d’un positionnement de gamme élevé ». La part de marché détenue par la société Canna France sur le marché pertinent est à cet égard indifférente, en ce qu’elle ne permet pas de remettre en cause ce constat.

62.Il est également établi que les pratiques en cause, qui avaient pour objectif un accroissement des marges impliquant une hausse des prix supérieure aux variations de coûts, ont eu une envergure nationale. Si cet élément doit être relativisé en tenant compte du fait que la société Canna France travaille exclusivement avec quatre grossistes (les sociétés C.I.S., Hydro Factory, Florateck et HPS), de sorte que les pratiques en cause n’ont pas impliqué l’ensemble des grossistes de ce fabricant, ce qui a pu permettre un maintien de la concurrence intra-marque, néanmoins, comme l’a relevé à juste titre l’Autorité dans la décision attaquée (paragraphes 52, 59 et 360), les grossistes vis-à-vis desquels les pratiques de prix de revente imposés ont été mises en œuvre sont les plus importants du secteur, C.I.S. étant présenté comme le «leadeur» du marché français et HydroFactory comme le deuxième opérateur du marché.

63.En deuxième lieu, il y a lieu d’écarter les arguments portant sur la gravité des faits et l’affectation du commerce entre États membres, ces arguments étant sans portée quant à la détermination du dommage à l’économie. La cour ajoute, à titre surabondant, que c’est à juste titre que l’Autorité a retenu dans la décision attaquée, par des motifs que la cour fait siens, que les pratiques en cause :

– sont graves (paragraphes 348 à 352) ;

– sont susceptibles d’affecter sensiblement le commerce entre les États membres (paragraphes 218 à 222).

64.En troisième lieu, il convient de rappeler que la durée des pratiques et la sensibilité de la demande au prix au regard de la nature des produits en cause constituent des critères, parmi d’autres, d’appréciation du dommage causé à l’économie par des pratiques d’entente verticale sur les prix.

65.Toutefois, s’agissant de la durée des pratiques, la société requérante part du postulat qu’elle est limitée à vingt mois, entre mai 2012 et 2013, alors que, comme l’a exactement retenu la décision attaquée, ainsi que cela sera expliqué en réponse au quatrième moyen du présent recours, l’entente avec les sociétés Hydro Factory et Hydro Logistiques a duré de mars 2010 à décembre 2013, soit pendant une période plus longue que celle invoquée qui a été retenue pour l’entente avec la société C.I.S.

66.En outre, s’il est exact que les produits en cause ne constituent pas des biens de première nécessité, cette circonstance n’est pas de nature à exclure ipso facto l’existence d’un dommage à l’économie, causé par des pratiques d’entente verticale sur les prix, pour les motifs déjà exposés.

67.Il s’ensuit que c’est à juste titre que l’Autorité s’est fondée sur le maintien d’une relative concurrence entre fabricants, comme entre revendeurs, pour retenir que le dommage à l’économie causépar les pratiques en cause est certain mais modéré (paragraphe 365).

68.Le moyen doit donc être rejeté.

4) Sur la durée des pratiques

69.La société requérante conteste la durée des pratiques retenue par la décision attaquée pour l’entente verticale avec les sociétés HydroFactory et Hydrologistique, à savoir :

– a minima de mars 2010, date du premier courriel faisant état de la participation de ces sociétés au système de surveillance des prix pratiqués par les détaillants ;

– à décembre 2013, date de l’opération de visite et saisies dans les locaux de ces sociétés.

70.Elle soutient qu’à supposer que cette pratique soit établie, son point de départ ne pourrait être fixé qu’à compter de mai 2012, la première occurrence des conditions générales de vente remontant au 15 mai 2012, date à laquelle elle les a transmises aux grossistes, et non à compter de mars 2010.

71.Elle fait valoir en ce sens :

– qu’aucune grille tarifaire n’a été saisie pour l’année 2010 ;

– qu’il n’est pas établi que les conditions générales de vente étaient applicables avant mai 2012 ;

– que les courriels retenus comme point de départ de l’entente ne suffisent pas à établir une entente, cet échange se limitant à illustrer son rôle passif.

72.Elle souligne que cette erreur d’appréciation de la durée des pratiques a eu une incidence sur l’évaluation de la gravité des faits et de l’importance du dommage à l’économie, s’agissant de critères de détermination du montant de la sanction pécuniaire.

73.L’Autorité, le ministre de l’économie et des finances et le ministère public invitent la cour à rejeter ce moyen.

Sur quoi, la cour :

74.Il résulte des éléments versés aux débats que, par un premier courriel, du 23 mars 2010, le gérant des sociétés Hydro Factory/Hydro Logistique signale au gérant de la société Canna France qu’un distributeur d’un réseau concurrent ne respecte pas les prix de revente communiqués par la société Canna France et l’invite à en tirer les conséquences.

75.Par deux courriels en réponse, du 1er avril 2010, le gérant de la société Canna France accuse réception de la «black list» et en remercie son interlocuteur.

76.Il ressort de cet échange de courriels que :

– d’une part, le gérant d’Hydro Factory/Hydro Logistique a participé activement au système de surveillance des prix pratiqués par les détaillants, en dénonçant un détaillant d’un réseau concurrent et ;

– d’autre part, le gérant de Canna France, en employant le terme de «blacklist», s’est exprimé dans des termes qui établissent leur volonté commune de se comporter sur le marché d’une manière déterminée par une politique des prix, ce qui implique que ces prix étaient déjà fixés par la société Canna France pour l’année 2010.

77.C’est donc à juste titre que la décision attaquée a retenu que l’entente entre les sociétés Canna France et Hydro Factory/Hydro Logistique a débuté a minima en mars 2010.

78.Il convient de rejeter le moyen.

5) Sur le prétendu caractère mono-produit de l’entreprise en cause

79.La société requérante revendique le bénéfice de la réduction du montant de la sanction prévue, par le communiqué de l’Autorité du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (dit «communiqué sanctions»), lorsque l’entreprise concernée mène l’essentiel de son activité sur le secteur ou marché en relation avec l’infraction (paragraphe 48 du communiqué). Elle estime se trouver dans cette situation d’entreprise « mono-produit » car la vente des fertilisants et additifs liquides pour la production hors sol représente plus de 80% de son chiffre d’affaires en France. Elle reproche à l’Autorité de ne pas en avoir tiré les conséquences.

80.L’Autorité estime que les conditions d’application de la réduction du montant de la sanction prévue par le communiqué sanctions, en cas d’entreprise «mono-produit», ne sont pas remplies en l’espèce.

81.Elle fait valoir que le caractère «mono-produit» de l’entreprise en cause, au sens du communiqué sanctions, doit être apprécié au regard de l’entité économique prise dans son ensemble, la filiale et sa société mère, de sorte que, pour déterminer si une entreprise peut bénéficier d’une réduction du montant de la sanction à ce titre, il convient de rapporter la valeur des ventes en relation avec l’infraction au chiffre d’affaires global de l’entreprise sanctionnée.

82.Elle se prévaut, en ce sens, de sa pratique décisionnelle (décision no 16-D-11 du 6 juin 2016 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la diffusion de la télévision par voie hertzienne terrestre), ainsi que de la jurisprudence (arrêts de la cour d’appel de Paris dans l’affaire précitée, du 21 décembre 2017, RG no 16/15499, et, dans d’autres affaires, du 27 octobre 2016, RG no 2015/01673, du 23 mai 2017, RG no 15/08224 et du 20 décembre 2018, RG no 17/21459, et arrêts de la Cour de cassation, Com. 20 décembre 2018, pourvoi no 16-17.226 et Com. 27 mars 2019, pourvoi no 16-26.472).

83.En l’espèce, l’Autorité rappelle :

– que la société Canna France est une filiale à 100% de la société néerlandaise Canna Worldwide B.V. , dénommée JMB Holding B.V. depuis octobre 2015 ;

– qu’en l’absence de renversement de la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante de la société-mère sur sa filiale, les pratiques commises par la société Canna France ont été imputées à la société JMB Holding B.V. et la sanction pécuniaire prononcée de ce chef a été infligée à ces deux sociétés de manière solidaire.

84.Elle précise que le chiffre d’affaires consolidé de la société JMB Holding B.V. s’élevait en 2017 à 32 millions d’euros tandis que la valeur des ventes des produits en relation avec l’infraction est de 1,035 million d’euros, de sorte que celles-ci ne représentent que 3, 2% du chiffre d’affaires de l’entreprise sanctionnée.

85.Elle en déduit que l’entreprise formée par les sociétés Canna France et JMB Holding B.V. ne revêt pas de caractère mono-produit.

86.Le ministre de l’économie et des finances présente un argumentaire dans le même sens. Il fait valoir :

– qu’il ne suffit pas qu’une entreprise avance qu’elle exerce majoritairement ses activités dans un secteur particulier, sans avancer d’autres éléments, pour bénéficier automatiquement d’une réduction du montant de la sanction au titre du caractère mono-produit de l’entreprise ;

– que, lorsque l’imputation des pratiques de la filiale est imputée à la société mère, ce qui a pour conséquence de condamner solidairement les deux sociétés, l’examen porte nécessairement sur la proportion entre la part de l’activité concernée par la pratique sanctionnée et l’activité globale du groupe ;

– qu’il n’existe pas en l’espèce d’élément concernant le caractère mono-produit de l’activité de la société mère.

87.Le ministère public approuve cette analyse.

Sur ce, la cour :

88.L’article L 464-2, I, alinéas 3 et 4 du code de commerce, concernant les modalités de détermination des sanctions pécuniaires prononcées par l’Autorité, dispose :

« Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l’importance du dommage causé à l’économie, à la situation de l’organisme ou de l’entreprise sanctionné ou du groupe auquel l’entreprise appartient et à l’éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. (
)

(
) Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d’un des exercices clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en oeuvre. Si les comptes de l’entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d’affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l’entreprise consolidante ou combinante».
89.Le communiqué de l’Autorité du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires, en son paragraphe 21, prévoit :

«L’Autorité détermine d’abord le montant de base de la sanction pécuniaire pour chaque entreprise ou organisme en cause, en considération de la gravité des faits et de l’importance du dommage causé à l’économie, critères qui concernent tous deux l’infraction ou les infractions en cause (A). Ce montant de base est ensuite adapté pour prendre en considération les éléments propres au comportement et à la situation individuelle de chaque entreprise ou organisme en cause, à l’exception de la réitération dont la loi a fait un critère autonome (B). Il est augmenté par la suite, pour chaque entreprise ou organisme concerné, en cas de réitération (C). Le montant ainsi obtenu est comparé au maximum légal, avant d’être réduit pour tenir compte, le cas échéant, de la clémence, puis ajusté, lorsqu’il y a lieu, au vu de la capacité contributive de l’entreprise ou de l’organisme qui en a fait la demande (D)».

90.Le paragraphe 23 du communiqué précise que, «pour donner une traduction chiffrée à son appréciation de la gravité des faits et de l’importance du dommage causé à l’économie, l’Autorité retient, comme base de la sanction pécuniaire, une proportion de la valeur des ventes, réalisées par chaque entreprise ou organisme en cause, de produits ou de services en relation avec l’infraction ou, s’il y a lieu, les infractions en cause».

91.Les paragraphes 47 et 48 du communiqué ajoutent qu’ «afin d’assurer le caractère (
) proportionné de la sanction pécuniaire, l’Autorité peut (
) adapter l’amende à la baisse pour tenir compte du fait que l’entreprise concernée mène l’essentiel de son activité sur le secteur ou le marché en relation avec l’infraction (entreprise «mono-produit) ».

92.En l’espèce, la décision attaquée a retenu la responsabilité de la société Canna France en tant qu’auteur des pratiques et la société JMB Holding B.V., anciennement dénommée Canna Wordwilde B.V., en sa qualité de société mère ayant exercé une influence déterminante sur le comportement de sa filiale pendant la période de commission de ces pratiques et, en conséquence, leur a infligé solidairement une sanction pécuniaire.

93.Il s’ensuit que les sociétés Canna France et JMB Holding B.V. forment, ensemble, l'«entreprise» au sens tant de l’article L 464-2 du code de commerce que du communiqué sanctions, notamment en son paragraphe 48. C’est donc au chiffre d’affaires global de l’entité économique formée par ces deux sociétés qu’il convient de confronter la valeur des ventes en relation avec l’infraction, afin d’apprécier si l’entreprise en cause présente un caractère «mono-produit» au sens de l’article 48 du communiqué sanctions.

94.C’est donc à tort que la société requérante fait valoir que l’Autorité n’a pas tiré les conséquences du fait qu’elle réalise en France une part prépondérante de son chiffre d’affaires dans la vente des fertilisants et additifs liquides pour la production hors-sol (80 %) et que cette circonstance justifierait l’application de la réduction de sanction prévue au bénéfice d’une entreprise «mono-produit».

95.En outre, la société requérante, qui ne produit aucun élément relatif au chiffre d’affaires consolidé de la société JMB Holding B.V., n’établit pas que la valeur des ventes des produits en relation avec les pratiques en cause représente l’essentiel du chiffre d’affaires consolidé de référence. Ne démontrant pas que l’entité sanctionnée constitue une entreprise «mono-produit», la société requérante ne peut utilement invoquer le bénéfice d’une réduction du montant de la sanction en application du paragraphe 48 du communiqué sanctions.

96.Il convient de rejeter ce moyen.

97.Au vu des éléments qui précédent et des motifs que la cour fait siens sur la valeur des ventes servant d’assiette à la sanction, sur la proportion de l’assiette au regard de la gravité des faits et de l’importance du dommage à l’économie et sur la prise en compte de la durée de participation de la société Canna France aux pratiques en cause, ainsi que sur l’individualisation de la sanction et sur les respect du plafond légal de celle-ci, l’Autorité a justement déterminé le montant de la sanction infligée solidairement aux sociétés Canna France et JMB Holding B.V. à la somme de 152 000 euros.

***

98.La société Canna France succombant en son recours, il y a lieu de la condamner aux entiers dépens.

*
* *

PAR CES MOTIFS

REJETTE le recours de la société Canna France contre la décision de l’Autorité de la concurrence no 18-D-026 du 20 décembre 2018 ;

CONDAMNE la société Canna France aux dépens.

LE GREFFIER,

Véronique COUVETLA PRÉSIDENTE,

Frédérique SCHMIDT

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Textes cités dans la décision

  1. Code de commerce
  2. Code de procédure civile
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Cour d'appel de Paris, 16 janvier 2020, 19/034107