Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 5, 1er avril 2021, n° 18/22373

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Chronologie de l’affaire

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Haas avocats · 12 avril 2021

Par Gérard Haas et Marie Torelli Qu'il s'agisse des méthodes, des techniques, des procédés ou des algorithmes, de nombreux éléments composant le savoir-faire des entreprises ne sont pas susceptibles d'être protégés par le droit d'auteur. Pourtant, ils constituent des actifs immatériels présentant des enjeux cruciaux pour les entreprises. En mettant en place une stratégie de protection du savoir-faire, les entreprises peuvent facilement obtenir réparation en cas de détournement des éléments qui le composent par des concurrents. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, cette …

 
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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 - ch. 5, 1er avr. 2021, n° 18/22373
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 18/22373
Décision précédente : Tribunal de commerce de Paris, 23 septembre 2018, N° 2016026817
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 5

ARRÊT DU 01 AVRIL 2021

(n° , 13 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/22373 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B6RLO

Décision déférée à la cour : jugement du 24 septembre 2018 -tribunal de commerce de Paris – RG n° 2016026817

APPELANTE

SA SOCIETE D’ETUDES ET DE CONSTRUCTIONS DE MATERIELS INDUSTRIELS

Ayant son siège […]

[…]

N° SIRET : 313 195 521

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Jean-Philippe CARPENTIER de la SELEURL CARPENTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0233

INTIMEE

SAS NTA

Ayant son siège social […]

[…]

N° SIRET : 433 788 916

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

Ayant pour avocat plaidant Me François CONUS, avocat au barreau de PARIS’ Toque : D0938

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 07 janvier 2021, en audience publique, devant la cour composée de :

Mme H-I J, présidente de chambre

Mme Christine SOUDRY, conseillère

Mme Camille X, conseillère, chargée du rapport

qui en ont délibéré,

un rapport a été présenté à l’audience par Mme X dans les conditions prévues par l’article 785 du code de procédure civile.

Greffière, lors des débats : Mme Hortense VITELA-GASPAR

ARRÊT :

— contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Mme H-I J, présidente de chambre et par Mme E F-G, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE :

La société d’Études et de Constructions de Matériels Industriels (dite A) a une activité de fabrication de structures métalliques pour les fours industriels et assure aussi le service après vente des matériels de chauffage industriel.

La société Nouvelle Thermique et Applications (dite NTA) est un bureau d’études de conception de matériels de chauffage industriel. Elle a été constituée à la fin de l’année 2000 par cinq associés, dont certains étaient d’anciens associés de la société Thermique et Automation Groupe Junker (dite Thermique) laquelle a fait l’objet d’une liquidation avant la création de la A.

En novembre 2000, M. D Y a été embauché par contrat à durée indéterminée en tant que directeur technique de la société NTA, il en est ensuite devenu associé en 2005, puis président et administrateur.

A l’issue d’un arrêt maladie pris à compter du 31 aout 2010, M. Y a quitté ses fonctions au sein de la société NTA par une démission dont le nouveau président de NTA a pris acte en date du 22 septembre 2014.

Le 21 septembre 2010, M. Y a été embauché par la société A par contrat à durée indéterminée en qualité de chargé d’affaires.

La société NTA considère que la société A a commis des actes de concurrence déloyale à son encontre en effectuant cette embauche et en détournant des documents et données qui lui appartenait, tel que constaté dans un procès-verbal d’huissier de justice établi en date du 16 mai 2011 à l’issue d’un constat au siège de la A autorisé par ordonnance présidentielle du tribunal de grande instance d’Evry en date du 18 mars 2011.

Par acte d’huissier de justice du 22 septembre 2011, la société NTA a assigné M. Y et la société A devant le tribunal de grande instance d’Évry afin d’obtenir réparation de son préjudice et la restitution de documents.

Un débat a alors eu lieu dans le cadre d’un incident relatif à la compétence du tribunal de grande instance d’Évry.

Par ordonnance du 21 novembre 2013, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance d’Évry a reconnu la compétence du tribunal saisi.

Le 31 mars 2014, M. Y a interjeté appel de cette ordonnance.

Par arrêt du 9 septembre 2015, la cour d’appel de Paris a infirmé l’ordonnance, a dissocié l’affaire et a déclaré compétents :

- le conseil des prud’hommes d’Évry pour la partie du litige opposant la société NTA à M. D Y,

— le tribunal de commerce de Paris pour la partie du litige opposant la société NTA à la société A.

La société NTA a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt puis s’est finalement désistée.

Le tribunal de commerce de Paris a alors été saisi de l’affaire opposant les sociétés NTA et A.

Par jugement du 24 septembre 2018, le tribunal de commerce de Paris a :

— dit que la société d’Études et de Constructions de Matériels Industriels (A), s’est rendue coupable d’actes de parasitisme ;

— condamné la société d’Études et de Constructions de Matériels Industriels (A) à verser à la société NTA (Nouvelle Thermique et Applications) la somme de 400.000 euros à titre de dommages-intérêts ;

— condamné la société d’Études et de Constructions de Matériels Industriels (A) à verser à la société NTA (Nouvelle Thermique et Applications) la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— ordonné la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil ;

— débouté la société NTA (Nouvelle Thermique et Applications) de ses demandes de publication ;

— déboute des demandes plus amples, autres et contraires ;

— ordonné l’exécution provisoire, avec constitution par la société NTA (Nouvelle Thermique et Applications), à hauteur de 200.000 euros, d’une garantie partielle chez une banque établie en France, en vue de couvrir partiellement l’exigibilité et le remboursement éventuel des condamnations se rapportant aux dommages et intérêts, outre les intérêts pouvant avoir couru sur ces sommes ;

— condamné la société d’Études et de Constructions de Matériels Industriels (A) aux dépens de l’instance dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 121,44 euros dont 20,02 euros de TVA.

Par déclaration du 16 octobre 2018, la société A a interjeté appel du jugement du tribunal de commerce.

Par ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 15 décembre 2020, la société A demande à la cour de :

Vu les articles 12, 1240 (1382 ancien) et 1353 (1315 ancien) du code civil,

Vu les articles 9 et 455 du code de procédure civile,

A titre principal :

— débouter la société NTA de l’intégralité de ses demandes ;

— annuler le jugement du tribunal de commerce de Paris du 24 septembre 2018 ;

A titre subsidiaire :

— débouter la société NTA de l’intégralité de ses demandes ;

— réformer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 24 septembre 2018 quant au montant du préjudice indemnisable de la société NTA et cantonner ce préjudice à la somme de 15.983,91 euros ;

A titre infiniment subsidiaire :

— annuler le jugement du tribunal de commerce de Paris du 24 septembre 2018 pour défaut de réponse aux conclusions ;

En tout état de cause :

— donner acte à la société NTA de l’abandon de sa demande d’indemnisation au bénéfice de Monsieur Z ;

— condamner la société NTA à verser à la société d’Études et de Constructions de Matériels Industriels une somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner la société NTA aux dépens.

Par ses dernières conclusions n°5 notifiées par le RPVA le 16 décembre 2020, la société NTA demande à la cour de :

Vu l’article 1382 ancien du code civil,

— dire que A s’est livrée à des actes de concurrence déloyale,

En conséquence, condamner A des chefs suivants,

Sur les restitutions,

— restitution de l’intégralité des documents appartenant à la société NTA et restauration des

données et effacées et endommagées sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard,

Sur les préjudices,

A titre principal,

— dommages et intérêts au titre du détournement de clientèle (calculés sur la marge issue

des contrats détournés) : 798.618 euros,

— dommages et intérêts au titre du préjudice lié à la destruction volontaires des données,

relevant du secret des affaires, techniques et commerciales : 652.000 euros,

— dommages et intérêts réparant la perte de valeur de la société NTA : 500.000 euros,

— dommages et intérêts au titre du préjudice moral et de réputation : 250.000 euros,

— capitalisation des intérêts légaux selon les dispositions des articles L.313-2 et L.313-3 du

code monétaire et financier,

— publication de la décision à intervenir dans deux périodiques, au choix de la demanderesse,

A titre subsidiaire,

— confirmer la décision du premier juge,

Sur l’article 700, les dépens,

— condamner A à verser 20.000 euros à la société NTA sur le fondement de l’article

700 du code de procédure civile au titre de la procédure d’appel,

— condamner A aux entiers dépens,

Dans tous les cas,

— débouter A de toute demande en ce compris sa demande d’annulation du jugement

déféré.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 17 décembre 2020.

MOTIFS

Sur la demande en irrecevabilité de conclusions tardives

Par conclusions signifiées par RPVA en date du 18 décembre 2020, le conseil de la A a demandé le rejet des conclusions n°5 signifiées le 16 décembre 2020, la veille du prononcé de la clôture, comme tardives. Cependant, concernant les modifications dans les motifs desdites conclusions, il s’agit d’ajouts mineurs dans l’argumentation de l’appelante sans moyen nouveau et qui ont été clairement visualisés par un surligné des passages ajoutés. Concernant les deux nouvelles pièces n° 102 et 103 ajoutées au bordereau dans les conclusions n°5 de NTA, lors de l’audience de plaidoirie du 7 janvier 2021, le conseil de la A renonce expressément à sa demande tendant à les voir écarter des débats, comme cela résulte de la note d’audience. Par conséquent, il n’est pas démontré une atteinte au principe de la contradiction posé par l’article 16 du code de procédure civile qui justifierait le rejet des conclusions n°5 de l’appelante pour tardiveté, cette requête sera rejetée.

Sur la demande tendant à l’annulation du jugement

Aux termes de l’article 542 du code de procédure civile dans sa version en vigueur depuis le 1

septembre 2017:

« L’appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d’appel. »

En l’espèce, la société A demande l’annulation du jugement du tribunal de commerce, mais elle ne démontre nullement que cette demande est fondée sur le non respect des irrégularités limitativement citées par l’article 458 du code de procédure civile ou bien qu’il y ait une violation par les premiers juges du principe du contradictoire ou du droit à un procès équitable.

Par conséquent, la société A sera déboutée de sa demande en annulation du jugement attaqué.

Sur la demande tendant à l’infirmation du jugement

-les conditions d’une situation de concurrence entre les parties:

Contrairement à ce que soutient l’appelante alléguant du fait que les deux parties ne sont pas des entreprises en concurrence directe, les conditions d’une possible concurrence déloyale entre les deux parties sont remplies en l’espèce car il s’agit de deux entreprises qui sont des acteurs intervenant sur le même marché européen très spécifique des fours industriels, peu importe que l’une intervienne en sa qualité de bureau d’études pour la conception des fours industriels et l’autre en sa qualité de fabricant de pièces métalliques de ces mêmes fours et de service après vente pour les matériels de chauffage industriel.

De surplus, il apparaît des courriers adressés par M. B au nom de la société A à un client de NTA qu’il a proposé des services de conception identiques à ceux offerts par la NTA. Ainsi il a été produit en pièce 16 de NTA un échange de courrier interne d’une société cliente de NTA émanant de M. C, chef de projets dans la société Hydro Aluminium Extrusion France du 4-10-2010, soit quelques jours après embauche de M. B par la société A, indiquant : « nous avons des soucis avec la société NTA, il n’y a plus personne qui travaille dans cette société (aucune réponse téléphonique, ni mail: le seul employé D B a quitté NTA (…) pour information, D B a repris contact avec nous au travers une autre société qui pourrait reprendre les services que nous avions avec NTA ». La société A ne peut donc légitimement soutenir qu’elle ne propose pas à partir de fin septembre 2010 des services identiques à ceux de la société NTA.

Le moyen de défense de l’appelante tendant à soutenir qu’il n’ y a pas de situation de concurrence entre les parties sera donc écarté.

-le parasitisme par la copie frauduleuse des plans et autres documents techniques de NTA :

La société A reproche au jugement d’avoir retenu contre elle des actes de parasitisme. A cet effet, elle prétend que le fait de s’être insérée sur le marché jusqu’alors monopolistique pour la société NTA ne constitue pas des actes de parasitisme puisque la société NTA n’est pas titulaire de droit de propriété intellectuelle sur le plan des machines dont elle assure le SAV, elle reconnaît d’ailleurs n’avoir aucun brevet et aucun droit sur les dessins et modèles, ce qui s’explique par le fait qu’elle a repris ces documents chez la société liquidée Thermique, documents qui sont tombés dans le domaine public ; qu’en outre, la fabrication de certaines pièces a été confiée dans le passé par NTA à A.

La société NTA demande la confirmation du jugement qui a retenu des actes de parasitisme à l’encontre de la société A.

Sur ce,

Vu l’article 1382 ancien du code civil dans sa version applicable aux faits de l’espèce,

Le parasitisme est caractérisé dès lors qu’une personne physique ou morale, à titre lucratif et de façon injustifiée, s’inspire ou copie une valeur économique d’autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements.

En l’espèce, il ressort de la lecture du procès-verbal établi par huissier de justice en date du 11 mai 2011 (pièce 28 de NTA) à la demande de la société NTA dans les locaux de la société A qu’ont été retrouvés dans l’ordinateur utilisé par M. B plusieurs dizaines de plans sur lequel le nom de « NTA » ou celui de « Thermique » étaient apposés ainsi que des plans identiques à ceux de la société NTA sur lesquels le nom de « SEC » pour la société A ont été mentionnés (PV en pièce 28 de NTA) ainsi que divers autres documents techniques (nomenclatures) au nom de NTA.

S’il est vrai que les plans litigieux qui ont été retrouvés sur l’ordinateur de M. B ne sont pas protégés par des titres de propriété intellectuelle, il sont néanmoins constitutifs du savoir faire propre à la société NTA et ils font partie de son actif puisque les anciens associés de la société Thermique (notamment M. Alain Z) après sa liquidation ont légitimement récupéré les actifs de cette dernière en leur qualité d’associés et les ont apportés au patrimoine de la société NTA lors de sa création.

En outre, contrairement à ce qu’allègue l’appelante, il n’est nullement démontré que la société NTA ait volontairement donné ces plans à la société A avant l’arrivée de M. B au sein de l’entreprise.

Enfin, le moyen de défense tendant à dire que seul M. B est responsable de ce détournement de documents n’est pas pertinent, d’abord parce que l’ordinateur de M. B sur lequel étaient stockés ces documents a été trouvé dans les bureaux de la société A et était donc son outil de travail au sein de la société A, et surtout parce qu’il ressort du procès-verbal de constat que des plans de la société NTA (« NTA » mentionné sur la cartouche) ont été servilement copiés au profit de la A (plans identiques mentionnant « SEC » pour identifier A sur la cartouche) (pièces 56 et 57 de NTA).

Quant au moyen de défense tendant à dire que ces plans n’ont plus aucune valeur du fait de leur date de création, si certains plans sont anciens (les plus anciens datant de 1987), ils font néanmoins partie des archives de la société NTA et constituent à l’évidence le principal actif de ce cabinet d’études qui élabore des plans pour les sous-traiter à des fabricants tels que la société A, et qui peut s’inspirer de ses plans précédents dans la conception de nouveaux plans pour s’adapter aux demandes de ses clients.

Il est donc démontré que la société A en ayant détourné ces plans à son profit via son directeur commercial, M. B, s’est appropriée de façon injustifiée, sans bourse délier, le fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements qui lui a procuré un avantage concurrentiel de façon injustifiée.

Elle a pu ainsi répondre à des commandes incluant un travail de conception et développer rapidement une nouvelle activité comme cela est démontré par les commandes confiées à la société A et factures correspondantes établies dès fin 2010 et début 2011 par des clients habituels qui s’adressaient auparavant à la société NTA pour ce type de prestations (pièces 35 de NTA).

Le parasitisme reproché par la société NTA à la société A est donc caractérisé.

-les actes de concurrence déloyale par débauchage fautif, détournement de clientèle et suppression de données informatiques au préjudice de NTA

La société A prétend que la société NTA a en outre commis des actes de concurrence déloyale par le débauchage fautif de M. B et le détournement de la plupart de sa clientèle. Elle fait valoir que l’embauche de M. Y, président, associé fondateur et directeur technique de la société NTA, par la société A s’est faite dans l’objectif d’accaparer sa clientèle ainsi que de données confidentielles provenant de la société NTA. Cette dernière ajoute que le pillage de son fond documentaire, par le fait que M. Y ait supprimé de nombreux éléments dans les bases de données de NTA lors de son départ de son poste de président, a entravé son activité sur le marché des fours industriels et a désorganisé l’entreprise.

La société A nie les actes de concurrence déloyale qui lui sont reprochés en faisant valoir qu’elle était en droit d’embaucher M. B qui n’avait plus d’engagement envers la société NTA et que les deux sociétés qui interviennent sur le même marché étaient en contact avec les mêmes clients potentiels, qu’il ne peut donc pas lui être légitimement reproché un détournement de la clientèle de la société NTA. Elle ajoute que l’activité de la société A pour la fabrication de pièces et la vente de prestations sur les fours thermiques préexistait à l’embauche de M. Y.

Sur ce,

L’action en concurrence déloyale trouve son fondement dans les dispositions des articles 1382 et 1383 anciens du code civil applicable en l’espèce, lesquels impliquent l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre les deux.

La concurrence déloyale se définit comme la commission d’actes déloyaux, constitutifs de fautes dans l’exercice de l’activité commerciale, à l’origine pour le concurrent d’un préjudice.

Il est fautif de capter la clientèle d’un concurrent au moyen de procédés déloyaux. Ce n’est pas l’appropriation de la clientèle qui est déloyale en elle-même, mais les moyens utilisés à cette fin.

La liberté du commerce étant le principe, et alors que M. B était dégagé des liens du contrat de travail avec la société NTA et notamment de la clause de non concurrence prévue au contrat comme l’a constaté le conseil des prud’hommes du fait qu’aucune indemnisation financière ne lui a été versée en contrepartie par l’employeur, il ne peut légitimement être reproché à la société A de l’avoir embauché.

Il est nécessaire de démontrer l’existence de manoeuvres déloyales dans cette embauche. Or, le simple fait que le contrat d’embauche de M. B au sein de la société A prévoyait dans sa rémunération une large part aux commissionnements alors que ce dernier a été embauché pour assurer des fonctions commerciales, ne peut suffire à démontrer l’existence de man’uvres de la part de la société A pour détourner l’ancien salarié de NTA vers elle.

En outre, il ne peut être légitimement reproché à la société A le simple fait que son salarié, M. B, démarche, après sa démission de la société NTA, les clients qu’il connaissait déjà.

En revanche, il est démontré que la société A a usé, aux fins de capter la clientèle de la société NTA, de procédés non conformes aux usages loyaux du commerce par l’utilisation à son profit de la documentation commerciale appartenant à la société NTA tels que les « fichiers clients » et les « commandes fournisseurs » copiés frauduleusement juste avant son départ de la société NTA par M. B ou tels que les classeurs des dossiers clients NTA qui ont été retrouvés dans les locaux de la société A, comme cela ressort du procès-verbal de constat du 11 mai 2016. (pièce 28 de NTA)

Cette documentation commerciale de la société NTA a été retrouvée sur l’ordinateur de M. B à usage professionnel puisqu’installé dans les locaux de la société A ainsi que dans des classeurs papiers présents dans les locaux de la société A. Cette dernière ne pouvait donc pas ignorer la provenance de cette documentation commerciale dont il n’est pas contesté qu’elle a été utilisée par M.

B dans le cadre de sa nouvelle fonction de directeur commercial au sein de la société A.

Quant à la suppression d’éléments dans les bases de données de la société NTA par M. B lors de son départ, ces actes qui ont été retenus par le conseil des prud’hommes d’Evry à l’encontre de M. B ne peuvent en revanche pas être retenus à l’encontre de la société A, cette dernière n’ayant profité sciemment que des plans et autres documentations techniques, des listes des clients NTA et autres documentations commerciales qui se sont retrouvés dans ses locaux, tel que cela a été constaté par l’huissier de justice par procès-verbal établi le 16 mai 2011.

Il est démontré la désorganisation de l’entreprise causée par ces actes parasitaires et de concurrence déloyale du fait de la concomitance entre le départ de M. B et la baisse drastique du chiffre d’affaires de la société NTA dont la réalité n’est pas contestée, avec un résultat en perte sur les exercices de 2010 et surtout de 2011.

La société NTA justifie ainsi du lien de causalité entre ses graves difficultés financières et les actes parasitaires et de concurrence déloyale dont elle a été victime et qui ont désorganisé son entreprise.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il a retenu des actes de parasitisme par copie servile de la documentation technique de NTA, auquel il sera ajouté des actes qui doivent recevoir la juste qualification de concurrence déloyale concernant le détournement de clientèle dû à la captation frauduleuse des listes clients et de la documentation commerciale de la société NTA.

Sur le préjudice subi par la société NTA

La société A critique le calcul du préjudice tel que fixé par le jugement entrepris.

Elle soutient que la société NTA a déjà été indemnisée du préjudice qu’elle allègue par M. Y qui a été condamné par jugement du conseil des prud’hommes d’Évry du 4 juillet 2017 pour destruction de documents, dont il est l’unique responsable, et de détournement de clientèle.

L’appelante fait en outre valoir que le mode de détermination du préjudice est erroné puisque seule la marge, et non le chiffre d’affaires, peut constituer un préjudice ; la société NTA ne justifiant pas subir de préjudice puisqu’elle ne verse notamment pas d’extraits de compte ni de documents probants établis par un commissaire aux comptes et n’établit pas qu’elle aurait exploité la clientèle détournée.

Elle sollicite le débouté des demandes en indemnisation de la société NTA et à titre infiniment subsidiaire, en tenant compte de l’entrée en possession des documents allégués comme nécessaires à l’activité de NTA au bout d’une période inférieure à un an, demande le cantonnement du préjudice à la perte de marge de cette année spécifique fixée par le tribunal de commerce à 27.420,00 euros.

La société NTA répond que le chiffre d’affaires réalisé par la société A, à son détriment suite au détournement de la clientèle, jusqu’en mai 2011 s’élève à 206.095 euros. Elle ajoute qu’elle a perdu ses contrats en raison des agissements de la société A et que pour déterminer le préjudice qui en est issu il convient de se baser sur le premier chiffre d’affaires de A, rapporté aux 103 mois écoulés depuis mai 2011 jusqu’à aujourd’hui, soit la somme de 2.653.473,10 euros. Elle applique une marge brute de 50% sur cette somme et estime ainsi que ses pertes s’élèvent à hauteur de 1.326.736,50 euros.

L’intimée considère également qu’elle subit un préjudice en raison de la nécessité de reconstituer une banque de données complète suite au pillage de la sienne par l’appelante, qui engendrerait un coût à hauteur de 749.000 euros. En outre, elle réclame la somme de 250.000 euros au titre de la perte de valeur de sa société.

La société NTA soutient enfin avoir subi un préjudice moral en raison des agissements déloyaux de

l’appelante et réclame à ce titre la somme de 250.000 euros.

Sur ce,

A titre liminaire, il convient de préciser qu’il sera pris en compte dans l’évaluation du préjudice dû à la société NTA par la société A, les seuls actes déloyaux et parasitaires imputables à cette dernière et non ceux imputables aux fautes commises par M. B, en sa qualité de salarié et personne physique, à l’égard de son ancien employeur, lesquelles ont fait l’objet de condamnations par décision prudhommale.

— sur le préjudice financier

La cour relève qu’il n’est pas légitime, en l’espèce, de demander un préjudice correspondant à la valeur du fonds de commerce. En effet, la société NTA n’a pas tout perdu du fait des agissements déloyaux litigieux de la société A, elle a conservé ses locaux, le reste de son équipe, sa réputation ancienne auprès de sa clientèle habituelle. Même si le pillage a été massif, la société NTA aurait pu en demandant par une procédure d’urgence la restitution de sa documentation technique et commerciale dont la présence dans les bureaux de la société A a été constatée lors des mesures probatoires opérées dans le cadre de l’article 145 du code de procédure civile dès mai 2011 et dont une copie intégrale sur DVD a été faite par l’huissier de justice lors de son constat, et ainsi procéder à la réorganisation de son entreprise avec de nouvelles démarches commerciales pour reconquérir sa clientèle habituelle. D’ailleurs, il ressort des éléments comptables versés aux débats que la société NTA a continué une activité commerciale produisant un chiffre d’affaires, après septembre 2010 et au moins jusqu’à fin 2019.

— dû aux actes de concurrence déloyale par utilisation frauduleuse des documents commerciaux et listes des clients de NTA :

Les actes de concurrence déloyale sont dus à l’utilisation à son profit par la société A des documents commerciaux et des listes des clients de la société NTA captés frauduleusement par M. B mi septembre 2010. Le préjudice en lien direct avec ces actes déloyaux consiste donc dans la perte causée par le détournement de clientèle sur les trois exercices de 2010 à 2013. En effet, à partir de 2013/2014, la société NTA a eu le temps de se réorganiser et d’ailleurs son chiffre d’affaires de 2013/2014 s’est sensiblement redressé à un total de 138.043 euros.

Il convient par conséquent d’examiner les résultats comptables de la société NTA concernant les exercices de 2008 à 2012 pour évaluer l’impact direct des détournements de clientèle ayant désorganisé l’entreprise.

Au vu des bilans et comptes de résultat de la société NTA versés au dossier et du tableau récapitulatif dans les dernières conclusions de NTA (page 34) reprenant les données comptables, il apparaît que:

— le chiffre d’affaires moyen sur les exercices 2007/2008, 2008/2009 et 2009/2010 était en moyenne de 267.304 euros,

— le chiffre d’affaires moyen sur les exercices 2010/2011, 2011/2012 et 2012/2013 était en moyenne de 74.691 euros.

L’écart entre les chiffres d’affaires comparés est donc de 192.613 euros (267.304 -74.691) sur une moyenne annuelle. Cela correspondant à une perte de bénéfices en appliquant une marge brute de 50%, taux non contesté en défense, sur une période de 12 mois de 96.306,50 euros.

Au vu de ces éléments, le préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale commis par la

société A sera donc fixé à hauteur de la perte de bénéfices subie par la société NTA sur la période du dernier trimestre de 2010 et des deux années de 2011 et 2012, soit sur 27 mois:

-8.025,50 euros (96.306,5/12 mois) x 27 mois= 216.689 euros, dommages et intérêts auxquels sera tenue la société A en réparation de ces actes déloyaux à l’égard de la société NTA.

— dû aux actes parasitaires par copie frauduleuse des documents techniques, notamment les plans:

En outre, il convient de prendre en compte le préjudice distinct subi du fait des actes parasitaires qui ont permis sans bourse délier à la société A de développer très rapidement un nouveau volet d’activités grâce aux plans et à la documentation technique copiés frauduleusement au préjudice de la société NTA.

Pour fixer ce préjudice distinct, il convient de prendre en compte la liste des commandes correspondant à cette nouvelle activité versée au dossier et de retenir la marge brute dont a profité indûment la société A dans les mois ayant suivi le départ de M. B de la société NTA.

Ainsi, à partir des factures établies par la société A de novembre 2010 à mars 2011 à l’adresse de clients habituels de la société NTA produites en pièces 34 et 35, il apparaît un montant total de facturation au profit de la société A de 178.783 euros, sur lequel il convient d’appliquer un taux de marge brute de 50% , taux non contesté en défense :

-178.783 euros /2 = 89.391 euros.

La société A sera condamnée à payer à la société NTA la somme de 89.391 euros en indemnisation des actes parasitaires commis par elle, la décision de première instance sera donc infirmée sur le quantum retenu.

S’agissant de sommes indemnitaires, elles porteront intérêts à compter de la présente décision.

— sur le préjudice moral : l’atteinte à la réputation de l’entreprise

Le fait que la société NTA n’a pu pendant les mois où elle a été privée de sa documentation technique et commerciale, assurer des prestations dans des conditions normales et a engendré une atteinte à sa réputation auprès de ses clients habituels qui ont pu perdre confiance en leur prestataire. Cette perte de confiance est due à l’attitude personnelle de M. B alors qu’il était directeur commercial de la société NTA et le préjudice à ce titre a déjà été évalué à hauteur de 20.000 euros et indemnisé par la condamnation de M. B à cette hauteur par décision prudhommale.

La décision de première instance ayant rejeté ce chef de demande sera donc confirmée.

-sur le préjudice au titre de la destruction des données de la société NTA

Quant à la destruction des données de la société NTA, il a été démontré que ce fait délictueux n’est imputable qu’à M. B, lequel a été condamné à ce titre par le jugement du conseil des prud’hommes d’Evry.

Sur les injonctions de faire demandées par la société NTA tendant à la restitution de sa documentation et la restauration des données effacées

Il n’a pas été répondu expressément aux demandes en première instance de la société NTA tendant à la restitution de sa documentation technique et commerciale frauduleusement captée par la société A, il sera donc ordonné à cette dernière de restituer à la société NTA tous les documents techniques et commerciaux qui sont la propriété de la société NTA ayant fait l’objet du constat

d’huissier de justice du 16 mai 2011, et ce dans les modalités fixées dans le dispositif de la présente décision.

Quant à la restauration des éléments effacés dans la base de données informatiques de la société NTA, ces faits n’étant imputables qu’à M. B, la demande de la société NTA d’injonction envers la société A tendant à la restauration des données effacées par ce dernier ne sera pas accueillie.

Sur les autres demandes : la publication judiciaire et les frais

L’espèce ne justifie pas la publication judiciaire de la présente décision.

La décision de 1re instance sera confirmée quant aux frais et dépens.

La société A et la société NTA succombant successivement dans leurs prétentions respectives en appel seront déboutés de leur demande respective au titre des frais irrépétibles engagés en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

DÉCLARE recevables les conclusions n°5 de la société d’Études et de Constructions de Matériels Industriels (A),

DÉBOUTE la société d’Études et de Constructions de Matériels Industriels (A) de sa demande en annulation du jugement,

CONFIRME le jugement en ce qu’il a dit que la société d’Études et de Constructions de Matériels Industriels (A) avait commis des actes de parasitisme à l’égard de la société Nouvelle Thermique et Applications (NTA), sur les frais irrépétibles et les dépens,

Y ajoutant,

DIT que la société Nouvelle Thermique et Applications (NTA) a commis des actes de concurrence déloyale à l’encontre de la société d’Études et de Constructions de Matériels Industriels (A),

INFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société d’Études et de Constructions de Matériels Industriels (A) au titre du parasitisme à payer à la société Nouvelle Thermique et Applications (NTA) la somme de 400.000 euros avec intérêts capitalisés,

Statuant à nouveau de ce chef infirmé,

CONDAMNE la société d’Études et de Constructions de Matériels Industriels (A) à payer à la société Nouvelle Thermique et Applications (NTA) au titre du préjudice financier subi :

— la somme de 216.689 euros au titre des actes de concurrence déloyale,

et la somme de 89.391 euros au titre des actes parasitaires,

DIT que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

REJETTE les autres demandes en indemnisation de la société Nouvelle Thermique et Applications (NTA) à l’encontre de la société d’Études et de Constructions de Matériels Industriels (A) au

titre de la destruction des données et au titre du préjudice moral,

Y ajoutant,

ENJOINT à la SA Société d’Études et de Constructions de Matériels Industriels (A) de restituer à la société Nouvelle Thermique et Applications (NTA) tous les documents techniques et commerciaux qui sont la propriété de cette dernière ayant fait l’objet du constat d’huissier de justice du 16 mai 2011, et ce, dans le délai de 30 jours à compter de la signification de la présente décision, et ce sous astreinte de 1000 euros par jour de retard, astreinte limitée à un délai de 3 mois,

DÉBOUTE la société Nouvelle Thermique et Applications (NTA) de sa demande envers la société d’Études et de Constructions de Matériels Industriels (A) tendant à la restauration de données effacées par M. B sur sa base de données,

REJETTE la demande de publication judiciaire de la décision,

REJETTE les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE chacune des parties à supporter la moitié des dépens de l’appel.

E F-G H-I J

Greffière Présidente



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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
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Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 5, 1er avril 2021, n° 18/22373