Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 7, 31 mars 2021, n° 19/19081

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Chronologie de l’affaire

Commentaires4

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www.mars-ip.eu · 13 mai 2022

Le mouvement #meetoo a généré une vague de dénonciations sur les réseaux sociaux. Certaines personnes visées ont contre-attaqué en assignant les femmes concernées en diffamation et atteinte au droit à l'image. En France, la bonne foi a été reconnue en appel et confirmé par la décision de la Cour de cassation du mercredi 11 mai. Alors même que l'avocate générale avait soutenu que l'équilibre entre la liberté d'expression et la diffamation n'était pas respecté et avait demandé à casser la décision de la cour d'appel, les juges de la Cour de cassation ont bien confirmé la décision qui estime …

 

www.actu-juridique.fr · 27 avril 2021
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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 2 - ch. 7, 31 mars 2021, n° 19/19081
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 19/19081
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Paris, 24 septembre 2019, N° 18/00402
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 2 – Chambre 7

ARRET DU 31 MARS 2021

(n° 6/2021, 12 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/19081 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CAZSL

Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Septembre 2019 -Tribunal de Grande Instance de PARIS (17e chambre) – RG n° 18/00402

APPELANTES

Madame Y Z

[…]

[…]

Représentée par Maître Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K111, avocat postulant

Assistée de Maître SZPINER Francis, avocat au barreau de PARIS, toque : R049 et de Maître DOUSSELIN Jade de la SCP WW Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : E1154, avocats plaidants

SARL AUDIOVISUEL BUSINESS SYSTEM MEDIA agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant domicilié en cette qualité audit siège

[…]

[…]

Représentée par Maître Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K111, avocat postulant

Assistée de Maître SZPINER Francis, avocat au barreau de PARIS, toque : R049 et de Maître DOUSSELIN Jade de la SCP WW Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : E1154, avocats plaidants

INTIME

Monsieur A B

[…]

[…]

né le […] à MANTES-LA-JOLIE

Représenté et assisté par Maître Nicolas BÉNOIT de la SCP LUSSAN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0077 et par Maître Marie BURGUBURU de la SELARL BURGUBURU BLAMOUTIER CHARVET et associés, avocat au barreau de PARIS, toque : C276, avocats postulants et plaidants

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 27 janvier 2021, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Jean-Michel AUBAC, Président

Mme Anne CHAPLY, Assesseur

Mme Anne-Marie SAUTERAUD, Assesseur

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Mme X dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Margaux MORA

ARRET :

— CONTRADICTOIRE

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Jean-Michel AUBAC, Président et par Margaux MORA, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

Vu l’assignation délivrée le 10 janvier 2018 à Y Z et à la SARL AUDIOVISUEL BUSINESS SYSTEM MEDIA (ci-après ABSM), à la requête d’A B qui demandait au tribunal, au visa des articles 29 alinéa 1 et 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881, de :

— dire que Y Z a commis le délit de diffamation publique envers particulier, en l’espèce E r i c B R I O N , e n m e t t a n t e n l i g n e l e 1 3 o c t o b r e 2 0 1 7 s u r l e c o m p t e T w i t t e r https://twitter.com/LettreAudio, à l’adresse https://twitter.com/LettreAudio/status/9188723 53 727184898 les propos suivants :

' 'Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit.' A B ex patron de Equidia #balancetonporc',

— condamner solidairement Y Z et la société ABSM, éditrice du compte Twitter, à lui verser la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts,

— ordonner la suppression des propos contenus dans le tweet litigieux du 13 octobre 2017 sur 1e compte Twitter https://twitter.com/LettreAudio sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard, dans les cinq jours qui suivront le jugement à intervenir,

— ordonner la publication d’un communiqué judiciaire sur le compte Twitter https//twitter.com/LettreAudio dans les cinq jours de la décision à intervenir sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard,

— ordonner la publication du même communiqué judiciaire dans quatre périodiques de son choix aux frais des défenderesses et sans que le coût de chaque publication ne puisse excéder la somme de 20.000 euros HT,

— ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir,

— condamner solidairement les défenderesses à verser au demandeur la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens, y compris les frais liés au constat d’huissier réalisé dans la procédure, avec distraction au profit de la SCP LUSSAN, en application de l’article 699 du code de procédure civile,

Vu l’offre de preuve de la vérité des faits réputés diffamatoires, notifiée par Y Z et la société ABSM le 19 janvier 2018 en vertu des dispositions de l’article 55 de la loi du 29 juillet 1881, dénonçant 21 documents et le nom de 4 témoins,

Vu l’offre de preuve contraire notifiée par A B le 24 janvier 2018 en application des dispositions de l’article 56 de la même loi, comportant la dénonciation de 21 documents,

Vu le jugement rendu contradictoirement le 25 septembre 2019 par la 17e chambre civile du tribunal de grande instance de Paris, qui a :

— dit que constituent une diffamation publique à l’égard d’A B les propos suivants :

' 'Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit.' A B ex patron de Equidia #balancetonporc',

publiés sur le compte Twitter https://twitter.com/LettreAudio, le 13 octobre 2017 par Y Z,

— condamné in solidum Y Z et la société ABSM à verser la somme de 15.000 euros à A B en réparation de son préjudice moral,

— ordonné le retrait des propos diffamatoires du compte Twitter https://twitter.com/LettreAudio, dans le délai de quinze jours à partir de la date à laquelle le jugement sera devenu définitif, sous astreinte de 500 euros par jour de retard,

— ordonné la publication sur le compte Twitter https://twitter.com/LettreAudio du communiqué suivant :

Par jugement du 25 septembre 2019, le tribunal de grande instance de PARIS (chambre civile de la presse) a condamné Y Z pour avoir diffamé publiquement A B en diffusant sur ce site le 13 octobre 2017 un tweet sous le #balancetonporc, le mettant en cause.

— dit que ce communiqué, placé sous le titre 'PUBLICATION JUDICIAIRE', devra figurer en dehors de toute publicité, être rédigé en caractères gras de taille 12, en police 'Times New Roman', être accessible dans le délai de quinze jours à partir de la date à laquelle le jugement sera devenu définitif, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, et de manière continue pendant une durée de deux semaines, soit directement en intégralité sur le premier écran de la page d’accueil du compte Twitter https://twitter.com/LettreAudio, soit par l’intermédiaire, depuis ce premier écran, d’un lien hypertexte portant la mention 'PUBLICATION JUDICIAIRE’ en caractères gras, noirs et d’un centimètre, sur fond blanc,

— ordonné la publication dans deux organes de presse au choix du demandeur, aux frais des défenderesses dans la limite de 4.000 € HT par publication, dans le délai d’un mois à compter de la

date à laquelle le jugement sera devenu définitif sous le titre 'PUBLICATION JUDICIAIRE’ du communiqué suivant :

Par jugement du 25 septembre 2019, le tribunal de grande instance de PARIS (chambre civile de la presse) a condamné Y Z pour avoir diffamé publiquement A B, en diffusant sur ce site le 13 octobre 2017 un tweet sous le #balancetonporc, le mettant en cause.

— dit que cette publication, qui devra paraître en dehors de toute publicité, sera effectuée en caractères gras, noirs sur fond blanc, de 0,5 cm de hauteur, dans un encadré et sous le titre 'PUBLICATION JUDICIAIRE', lui-même en caractères de 1 cm,

— condamné in solidum Y Z et la société ABSM à verser à A B la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, en ce compris les frais de constat d’huissier,

— débouté les parties du surplus de leurs demandes,

— condamné in solidum Y Z et la société ABSM aux dépens dont distraction au profit de la SCP LUSSAN, dans les conditions fixées à l’article 699 du code de procédure civile,

Vu l’appel interjeté par les deux défenderesses le 11 octobre 2019,

Vu les dernières conclusions n°4 signifiées par voie électronique le 20 janvier 2021 par Y Z et la société ABSM, qui demandent à la cour d’infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de :

— à titre principal, juger que Y Z ne saurait être reconnue coupable de diffamation en raison de l’exercice strict de son droit au respect de sa liberté d’expression, et recevoir leur exception de vérité,

— subsidiairement, leur accorder le bénéfice de la bonne foi,

— en toutes hypothèses, débouter A B de l’ensemble de ses demandes et le condamner à verser à Y Z et à la société ABSM la somme de 10 000 euros chacune au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SCP D E en application de l’article 699 du code de procédure civile,

Vu les dernières conclusions n°7 signifiées par RPVA le 22 janvier 2021 par A B, qui demande à la cour d’infirmer le jugement sur le montant des dommages-intérêts et des frais irrépétibles alloués, de condamner in solidum Y Z et la société ABSM à lui payer les sommes de :

—  50.000 € en réparation de son préjudice moral,

—  147.879 € en réparation de son préjudice patrimonial,

—  20.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile à raison des frais engagés pour la première instance,

—  20.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile à raison des frais engagés pour la procédure d’appel,

de les condamner in solidum aux entiers dépens afférents à la procédure d’appel et de confirmer le jugement attaqué pour le surplus,

Vu l’ordonnance de clôture en date du 27 janvier 2021,

Vu l’article 455 du code de procédure civile,

Rappel des faits et des motifs du jugement

Les principaux faits, notamment relevés par les premiers juges et complétés par la cour au vu des éléments du dossier fournis par les parties, peuvent être rappelés comme suit :

— A B, consultant et aujourd’hui gérant d’une société de conseil en médias, était auparavant directeur général de la chaîne de télévision EQUIDIA ;

— Y Z est journaliste indépendante, gérante de la société AUDIOVISUEL BUSINESS SYSTEM MEDIA (ABSM), spécialisée dans les médias et les nouvelles technologies, qui édite La Lettre de l’audiovisuel ;

— cette société dispose d’un compte Twitter, administré et alimenté par Y Z, à l’adresse https://twitter.com/LettreAudio ;

— le 5 octobre 2017, un article intitulé F G Paid Off Sexual Harassment Accusers for Decades était publié dans le New York Times -suivi le 10 octobre d’un article du New Yorker- ce qui marquait le début de l’affaire dite G, décrivant le silence entretenu ou obtenu grâce à des transactions pendant des décennies autour des nombreux faits de harcèlement sexuel qui auraient été commis par le producteur de cinéma américain à l’égard d’actrices venues le voir dans l’espoir de jouer dans un film mais aussi d’employées de son entreprise ;

— par la suite, de nombreuses femmes, principalement des actrices, dénonçaient des faits de viol, d’agression sexuelle ou de harcèlement sexuel qui auraient été commis à leur encontre par F G ;

— des enquêtes étaient ouvertes aux Etats-Unis et à Londres, et de très nombreux articles de la presse internationale étaient consacrés à l’affaire G ;

— le 12 octobre 2017, Le Parisien publiait un article intitulé 'A Cannes, on l’appelait The pig, le Porc', relatif à F G ;

— le 13 octobre 2017, à 5h06, depuis Manhattan, sur le compte Twitter @LettreAudio, Y Z écrivait : '#balancetonporc !! toi aussi raconte en donnant le nom et les détails un harcèlent (sic) sexuel que tu as connu dans ton boulot. Je vous attends' ;

— le même jour, à 9h13, elle postait sur ce compte le message suivant : ' 'Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit’ A B ex patron de Equidia #balancetonporc' ;

— puis à 10h06, elle envoyait ce tweet : '95% des femmes qui dénoncent des violences perdent leur emploi. La peur doit changer de camp. #balancetonporc Pas de délation juste la vérité', en reprenant le tweet d’un autre internaute : 'Affaire G : effet boule de neige, les abus sexuels du quotidien dénoncés avec les hashtags #myharveyWeinstein #BeBrave #Balancetonporc' ;

— le 15 octobre 2017, l’actrice Alyssa MILANO lançait à son tour le mouvement #Me Too, invitant les femmes harcelées ou agressées sexuellement à répondre 'moi aussi' ;

— en un an, 931.240 tweets étaient publiés sur #balancetonporc et 18 millions sur #Me Too ;

— Y Z et A B s’exprimaient largement sur les réseaux sociaux ou dans la presse sur le présent sujet litigieux, et chacun d’eux publiait un livre, celui de Y Z intitulé '#balancetonporc' paru en octobre 2018 et celui d’A B intitulé 'Balance ton père – Lettre à mes filles – Du premier accusé de #Balancetonporc' paru le 13 octobre 2020.

Dans sa décision du 25 septembre 2019 frappée d’appel, le tribunal jugeait que le tweet poursuivi (ci-dessus repris en caractères gras) était diffamatoire pour ces motifs :

'Au vu de ces éléments et dans ce contexte très particulier, le premier tweet de Y Z fait référence à F G et à l’affaire en cours en employant le mot 'porc’ et en commençant par 'toi aussi'. Il invite d’autres femmes que celles qui ont déjà témoigné à ce sujet à dénoncer des faits de harcèlement sexuel au travail. Le second tweet, en reprenant le #balancetonporc, renvoie nécessairement au premier, publié de surcroît quelques heures auparavant.

Dans le contexte spécifique de l’affaire G, et compte tenu de l’emploi des mots 'toi aussi’ et des termes très forts de 'porc’ et de 'balance', qui appellent à une dénonciation, ainsi que des faits criminels et délictuels reprochés au magnat du cinéma, le tweet de Y Z ne peut être compris, contrairement à ce que soutient la défense, comme évoquant un harcèlement au sens commun et non juridique.

Dans la mesure où Y Z n’écrit pas qu’A B était son supérieur hiérarchique, que le terme 'au boulot', dans une société où le travail indépendant est devenu très développé, n’implique pas nécessairement d’être salarié et où il est notoire que Y Z est une journaliste indépendante, l’imputation pour ce tweet n’est pas celle d’un harcèlement sexuel au travail au sens de l’article L.1153-1 du code du travail.

Le tweet litigieux impute à A B d’avoir harcelé sexuellement Y Z. Il s’agit d’un fait précis, susceptible d’un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité, et réprimé par l’article 222-33 du code pénal, qui, dans sa version en vigueur au moment du tweet, réprime :

- le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante,

- le fait, même non répété, assimilé au harcèlement sexuel, d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers.'

Le tribunal n’admettait ni l’exception de vérité, en l’absence de jugement pénal définitif condamnant A B pour harcèlement sexuel envers Y Z, ni l’excuse de bonne foi en retenant notamment que :

'Alors même que l’emploi du terme harcèlement évoque une répétition ou une pression grave, les pièces produites en défense n’établissent aucune répétition des propos qu’A B lui aurait tenus – ni même d’ailleurs qu’il lui ait précisément tenus les propos allégués – ou d’une quelconque attitude susceptible d’être qualifiée de harcèlement envers Y Z, au sens de l’article 222-33 du Code pénal.

Aussi, quel qu’ait pu être le ressenti subjectif de Y Z à la suite de paroles d’A B, qui ont pu entrer en résonance avec une agression subie par la journaliste, la base factuelle dont elle disposait était insuffisante pour tenir les propos litigieux accusant publiquement le demandeur d’un fait aussi grave que celui du délit de harcèlement sexuel et elle a manqué de prudence dans son tweet, notamment en employant des termes virulents tels que 'porc’ pour qualifier le demandeur, l’assimilant dans ce contexte à F G, et 'balance', indiquant qu’il doit être dénoncé et en le nommant, précisant même ses anciennes fonctions, l’exposant ainsi à la réprobation sociale ; elle a dépassé les limites admissibles de la liberté d’expression, ses propos dégénérant en attaque personnelle.'

SUR CE

Sur le caractère diffamatoire des propos

Il sera rappelé à cet égard que :

— l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme 'toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé' ;

— il doit s’agir d’un fait précis, susceptible de faire l’objet d’un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité, ce qui distingue ainsi la diffamation, d’une part, de l’injure -caractérisée, selon le deuxième alinéa de l’article 29, par 'toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait'- et, d’autre part, de l’expression subjective d’une opinion ou d’un jugement de valeur, dont la pertinence peut être librement discutée dans le cadre d’un débat d’idées mais dont la vérité ne saurait être prouvée ;

— l’honneur et la considération de la personne ne doivent pas s’apprécier selon les conceptions personnelles et subjectives de celle-ci, mais en fonction de critères objectifs et de la réprobation générale provoquée par l’allégation litigieuse, que le fait imputé soit pénalement répréhensible ou manifestement contraire aux règles morales communément admises ;

— la diffamation, qui peut se présenter sous forme d’allusion ou d’insinuation, doit être appréciée en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques au support en cause, à savoir tant du contenu même des propos que du contexte dans lequel ils s’inscrivent.

Par ailleurs, ni les parties, ni les juges ne sont tenus par l’interprétation de la signification diffamatoire des propos incriminés proposée par l’acte initial de poursuite et il appartient aux juges de rechercher si ceux-ci contiennent l’imputation formulée par le demandeur ou celle d’un autre fait contenu dans les propos en question.

A B fait en particulier valoir que sa vie a été détruite pour quelques mots grossiers, prononcés cinq ans avant le tweet vengeur, lesquels ne sont même pas ceux dénoncés faussement par Y Z, et pour lesquels il s’était excusé dès le lendemain matin par SMS, que si dénoncer des comportements sexistes sur les réseaux sociaux peut être utile pour bousculer les consciences, comme le mouvement Me Too, appeler à la délation nominative sur Twitter, c’est gravement critiquable et le faire de mauvaise foi, comme en l’espèce, c’est attenter à la cause de toutes les femmes. Il prétend que dans le contexte des tweets appelant au témoignage des personnes ayant subi un harcèlement sexuel au travail, Y Z l’accuse d’avoir eu un tel comportement à son égard, et lui impute la commission d’une grave infraction pénale ou, à tout le moins, d’un comportement moralement répréhensible.

Les appelantes principales soutiennent notamment à cet égard que Y Z n’a en aucun cas imputé à A B le délit de harcèlement sexuel, mais qu’elle s’est bornée à dénoncer aux mots près des propos déplacés, à connotation sexuelle, tenus à son égard et que l’emploi du mot 'harcèlement’ ne l’était qu’au sens commun du terme, en montrant le caractère systématique de ce genre de comportement envers les femmes dans le cadre d’un débat public et général, et en agissant également comme lanceuse d’alerte.

En l’occurrence, il appartient à la cour de tenir compte du contexte d’actualité relaté dans la presse et

également de la chronologie des nombreux tweets postés par Y Z sur le compte @LettreAudio -d’autant que chacun des messages publiés sur ce support ne peut comporter qu’un nombre de caractères limités-, afin de déterminer comment l’internaute moyen est amené à comprendre le sens du tweet incriminé et quelle imputation diffamatoire peut être contenue dans les propos poursuivis.

A cet égard, il y a lieu de constater que :

— Y Z fait manifestement allusion à l’affaire G qu’elle évoque elle-même dans d’autres tweets ;

— les conseils de la société ABSM et de Y Z font à juste titre valoir qu’avant de faire état de 'harcèlement sexuel', cette dernière avait tweeté 1 h 30 plus tôt : 'Et si nous Aussi on donnait les noms des prédateurs sexuels qui nous ont 1 : manqué de respect verbalement 2/ tenté des tripotages. Qui '' (certes sans ajouter le mot dièse #balancetonporc) ;

— elle crée ensuite le #balancetonporc en demandant de raconter un harcèlement sexuel connu 'dans ton boulot', puis environ 4 heures plus tard elle donne un exemple personnel en citant A B et la phrase qui lui est prêtée entre guillemets ;

— moins d’une heure après, elle écrit '95% des femmes qui dénoncent des violences perdent leur emploi. La peur doit changer de camp. #balancetonporc Pas de délation juste la vérité', en reprenant le tweet d’un autre internaute : 'Affaire G : effet boule de neige, les abus sexuels du quotidien dénoncés avec les hashtags #myharveyWeinstein #BeBrave #Balancetonporc'.

De ces éléments et du contexte litigieux, il résulte clairement qu’avec son hashtag #balancetonporc, Y Z, qui n’est pas juriste de profession, ne demande pas aux femmes de dénoncer seulement des faits de la gravité de ceux reprochés à F G par de nombreuses femmes, ni uniquement ceux qui seraient précisément constitutifs d’un harcèlement sexuel au travail au sens de l’article L.1153-1 du code du travail ou du délit de harcèlement sexuel, prévu et réprimé par l’article 222-33 du code pénal (d’autant que la définition de ce délit a évolué, l’ancien texte ayant été abrogé à la suite d’une décision du Conseil constitutionnel du 4 mai 2012, pour être remplacé par une nouvelle définition plus précise et restrictive avec la loi du 6 août 2012), et ce, même si elle reproduit ces textes dans son livre publié ultérieurement.

En effet, elle mentionne également le manque de respect verbal et la tentative de 'tripotage’ parmi les faits à dénoncer, et confirme la portée de son hashtag en utilisant aussi le terme de 'violences' en lien avec 'les abus sexuels du quotidien', de sorte que les internautes sont à même de comprendre que le #balancetonporc vise à dénoncer le harcèlement sexuel au sens général et commun, dans un cadre professionnel mais sans nécessité d’un lien de subordination, à savoir tous les comportements à connotation sexuelle, par paroles ou actes, non consentis et de nature à porter atteinte à la dignité des femmes.

C’est donc ce fait que Y Z impute à A B, désigné par ses prénom et nom, ainsi que par son ancienne fonction dans le tweet poursuivi ' 'Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit’ A B ex patron de Equidia #balancetonporc'. Il s’agit d’un fait précis pouvant faire l’objet d’un débat sur la preuve de sa vérité, d’autant plus que la phrase prêtée à A B est reproduite dans le message. Dans le contexte en cause, le lecteur des tweets comprend que Y Z 'balance' A B comme 'porc' pour lui avoir tenu ces seuls propos reproduits dans le tweet incriminé et que celui-ci, seul poursuivi, ne lui impute aucun autre fait qui aurait pu être commis par ailleurs sur Y Z ou sur d’autres femmes. Ce fait de harcèlement sexuel au sens commun est attentatoire à l’honneur ou à la considération, même s’il n’est pas forcément pénalement répréhensible (le propos prêté à A B n’étant pas pénalement réprimé à la date du tweet), mais dans la mesure où il est contraire aux règles morales communément admises dans la société française actuelle.

Sur l’offre de preuve et l’offre de preuve contraire

Pour produire l’effet absolutoire prévu par l’article 35 de la loi du 29 juillet 1881, la preuve de la vérité des faits diffamatoires doit être parfaite, complète et corrélative aux imputations dans toute leur portée et leur signification diffamatoire.

Dans leur offre de preuve notifiée le 19 janvier 2018, Y Z et la société ABSM ont dénoncé le nom de quatre témoins, qui ne se sont présentés ni devant le tribunal ni devant la cour, ainsi que 21 pièces.

Parmi celles-ci, la plupart ne sont pas de nature à pouvoir démontrer la réalité des propos prêtés à A B : articles publiés dans La Lettre de l’audiovisuel, tweets ou attestations relatifs à d’autres comportements d’A B pouvant être considérés comme déplacés…

Seules les pièces 17 et 18 sont en lien avec la teneur du tweet poursuivi :

— pièce 17 : message de Y Z du 12 juillet 2016 dans lequel elle écrit notamment : ' 'J’adore les femmes a gros seins viens Avec moi Je Vais Te Faire jouir toute la nuit’ […] Et si je l ecrivais moi Aussi ce que j’ai entendu dans Le cadre de mes fonctions. […] Qui est allé Trop Loin en me harcelant tellement en me manquant tellement de respect que j’ai du appeler le dir com de Orange pour Faire Bouclier '',

auquel A B répond 'C’est marrant. Tu ne changes pas. Toujours aussi énervée et rancunière. Au fond, tu ne m’as jamais pardonné de ne pas m’être abonné et tu es prête à écrire n’importe quoi ! […]'

D’une part, le propos rapporté par Y Z n’est pas exactement le même que celui figurant dans le tweet diffamatoire ; d’autre part et surtout, A B conteste l’avoir tenu en le qualifiant de 'n’importe quoi'.

- pièce 18 : tweet diffamatoire de Y Z du 13 octobre 2017 et réaction d’Elie Chancrogne : 'Je ne suis évidemment pas surpris pour l’avoir côtoyé professionnellement assez longtemps. Pour aller plus loin, je dois dire que j’ai vu des réactions très diverses à ses réflexions déplacées dans le cadre pro […]'

Ces documents sont donc insuffisants pour rapporter la preuve parfaite du fait imputé à A B et ceux qui ont été produits ultérieurement ne peuvent pas être examinés au titre de la vérité des faits.

La preuve de la vérité des faits diffamatoires n’étant pas rapportée par la défense dans les conditions prévues par la loi du 29 juillet 1881, il n’y a pas lieu d’examiner à cet égard les pièces de la contre-preuve.

Sur la bonne foi

Les imputations diffamatoires sont réputées, de droit, faites avec intention de nuire, mais elles peuvent être justifiées lorsque leur auteur établit sa bonne foi, en prouvant qu’il a poursuivi un but légitime, étranger à toute animosité personnelle, et qu’il s’est conformé à un certain nombre d’exigences, en particulier de sérieux de l’enquête, ainsi que de prudence dans l’expression, étant précisé que la bonne foi ne peut être déduite de faits postérieurs à la diffusion des propos.

Ces critères s’apprécient différemment selon le genre de l’écrit en cause et la qualité de la personne qui s’y exprime et, notamment, avec une moindre rigueur lorsque l’auteur des propos diffamatoires

n’est pas un journaliste qui fait profession d’informer, mais une personne elle-même impliquée dans les faits dont elle témoigne.

La liberté d’expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où elles constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.

En matière de diffamation, lorsque l’auteur des propos soutient qu’il était de bonne foi, il appartient aux juges, qui examinent à cette fin si celui-ci s’exprimait dans un but légitime, était dénué d’animosité personnelle, s’est appuyé sur une enquête sérieuse et a conservé prudence et mesure dans l’expression, de rechercher d’abord en application de ce même texte, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme, si lesdits propos s’inscrivent dans un débat d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante, afin, s’ils constatent que ces deux conditions sont réunies, d’apprécier moins strictement ces quatre critères, notamment s’agissant de l’absence d’animosité personnelle et de la prudence dans l’expression.

Il appartient en outre aux juges de contrôler le caractère proportionné de l’atteinte portée au principe de la liberté d’expression défini par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, tel qu’interprété par la Cour européenne, et de vérifier que le prononcé d’une condamnation, pénale comme civile, ne porterait pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression ou serait de nature à emporter un effet dissuasif pour l’exercice de cette liberté.

Au cas présent, Y Z invoque subsidiairement le bénéfice de la bonne foi, ce que conteste A B aux motifs qu’elle n’aurait agi que dans le but illégitime de l’humilier et de l’exposer à la vindicte publique, ainsi qu’avec animosité personnelle, en soutenant notamment que lui-même n’est pas un prédateur sexuel, que l’attestation de P-J. GOETZ est mensongère et que 18 de ses anciennes collaboratrices témoignent de son comportement sans reproche.

En l’espèce, la cour retient que Y Z relate certes une expérience personnelle, mais que dans le lancement du #balancetonporc, elle s’exprime aussi comme journaliste professionnelle sur le compte @LettreAudio, ce qu’elle admet d’ailleurs dans un échange du 15 octobre 2017 figurant sur le constat d’huissier versé aux débats :

Folken911 : 'Votre manière de faire n’est clairement pas respectable, incitation à la diffamation, ce n’est pas responsable, encore + d'1 journaliste'

Y Z @LettreAudio : 'Une idée brillante peut être ' Un journaliste qui dénonce est rarement UN mytho ;)il engage sa réputation.'

Comme le soutient A B, Y Z ne peut bénéficier du statut de donneur ou de lanceur d’alerte invoqué dans ses dernières conclusions devant la cour.

Toutefois, les propos poursuivis s’inscrivent bien dans le cadre d’un débat d’intérêt général, dès lors qu’ils visent à dénoncer les comportements à connotation sexuelle et non consentis de certains hommes vis à vis des femmes, afin que ces agressions physiques ou verbales très longtemps tolérées ou passées sous silence soient largement connues et ne puissent ainsi se perpétuer. Il ressort du dossier que les mouvements #balancetonporc et #Me Too ont été très suivis, ont été salués par diverses autorités ou personnalités et ont contribué à libérer la parole des femmes de façon positive, leur limite étant évidemment que celles-ci ne dénoncent pas des hommes inconsidérément sur les réseaux sociaux en proférant des accusations mensongères à leur égard.

Sous cette réserve, l’appel à la dénonciation de ces agressions sexuelles ou sexistes -qui ne se confond pas avec la délation, inspirée par des motifs méprisables- demeure légitime même si les faits dénoncés ne sont pas de la gravité de ceux reprochés à F G et même s’ils ne sont

pas pénalement répréhensibles, étant observé que les propos prêtés à A B ne tombaient pas sous le coup de la loi pénale lorsqu’ils auraient été tenus à Cannes en 2012, ni lors du tweet diffamatoire du 13 octobre 2017, mais que la loi du 3 août 2018 a ensuite instauré la contravention d’outrage sexiste.

Pour justifier d’une base factuelle suffisante, Y Z verse en particulier aux débats les éléments suivants sur le comportement d’A B :

— le message du 12 juillet 2016 (pièce 17 de l’offre de preuves), dans lequel Y Z indique sur Facebook les propos que lui aurait tenus A B 'J’adore les femmes a gros seins viens Avec moi Je Vais Te Faire jouir toute la nuit', ne comprend certes pas exactement les mêmes mots que ceux qu’elle lui prête dans le tweet litigieux, mais il montre qu’elle avait déjà fait état du fait diffamatoire avant la création du hashtag en des termes voisins comprenant les expressions principales de 'gros seins' et de 'Je vais te faire jouir toute la nuit' ;

— dans une tribune publiée le 30 décembre 2017 sur le site www.lemonde.fr (pièce 24), A B écrit : 'J’ai effectivement tenu des propos déplacés envers Y Z, lors d’un cocktail arrosé très tard dans une soirée, mais à une seule reprise. Elle me plaisait. Je le lui ai dit, lourdement. Et une seule fois, je tiens à le préciser. Je ne veux certainement pas me disculper de ma goujaterie d’alors. Je lui réitère ici mes excuses.', tout en ajoutant notamment que pour lui, 'les conséquences personnelles et professionnelles de cet amalgame entre drague lourde et harcèlement sexuel 'au boulot’ ont été extrêmement importantes et pénalisantes.' ;

— lors d’une interview sur Europe 1 du 12 octobre 2018 (pièce 25 en défense), il indique :

'Je suis le premier balancé. […] J’aurais pu nier les faits, comme beaucoup de gens ont pu le faire avant, parole contre parole. Mais j’ai choisi de reconnaître que j’avais tenu certains des propos qu’elle met dans ma bouche. […]Notamment le début, et je n’en suis pas très fier : 't’as de gros seins, tu es mon type de femme', j’ai dit ça à une soirée arrosée. Et cette phrase s’est transformée dans son tweet en harcèlement sexuel à caractère professionnel. Or, contrairement à tout ce qui a été dit et répété, je n’ai jamais été son patron, son collaborateur, je n’ai jamais travaillé avec elle.

Je ne considère pas l’avoir harcelée. Harceler, c’est la répétition. J’ai été lourd, couillon, j’ai mal agi, je me suis excusé le lendemain, je me suis de nouveau excusé publiquement. Ce n’est pas du harcèlement, j’ai été lourdingue. […]

Petite précision, il n’y a jamais eu de SMS. Ça fait partie du mythe, il y a juste eu des paroles déplacées lors d’une soirée arrosée. […] Je lui ai dit sur un ton ironique, après qu’elle m’a dit 'stop', j’ai ajouté : 'Dommage je t’aurais fait jouir toute la nuit’ […]' ;

— puis dans Le Parisien le 29 mai 2019 (pièce 43) :

'Elle m’attire. Je lui dis 'Tu m’impressionnes, tu es mon type de femme, tu es brune, tu as de gros seins.' A sa réaction, je comprends que l’attirance n’est pas réciproque mais, blessé dans mon orgueil, je fanfaronne et lui lance 'Dommage, je t’aurais fait jouir toute la nuit’ […]' ;

— dans son livre (pièce 75), A B écrit à ce sujet :

'Voilà ce que je lui dis :

'Tu m’impressionnes. Tu es mon type de femme. Tu es brune. Tu as de gros seins…

Visiblement l’attirance n’est pas réciproque, elle me le fait comprendre clairement. Alors, je pars me coucher et je lui lance, fanfaron, maladroit, vulgaire, mais pas harceleur :

'Dommage, je t’aurais fait jouir toute la nuit !' […]'.

Si la règle générale est que lorsqu’une personne s’exprime, elle doit disposer dès ce moment-là des éléments suffisants lui permettant de le faire, il en va différemment au cas présent où les propos allégués n’ont pas été tenus en présence de tiers et où les explications ultérieurement données par A B confirment au moins pour partie les déclarations de Y Z.

A cet égard, la cour constate qu’il importe peu que cette dernière n’ait pas toujours reproduit les propos prêtés à A B exactement dans les mêmes termes, ni qu’elle ait pu avoir un souvenir approximatif de la date et du lieu précis où ils auraient été tenus à Cannes en 2012, dès lors que les propos qu’elle lui impute, comme ceux qu’il reconnaît avoir tenus, mentionnent toujours les expressions 'gros seins' et 'jouir toute la nuit'. Certes, le mode conditionnel qu’ajoute A B à la fin des propos comporte une nuance certaine, qui ne saurait cependant faire obstacle à la reconnaissance d’une base factuelle suffisante sur le comportement qui lui est imputé dans le tweet incriminé et qui s’est manifesté dans le cadre d’une soirée de nature professionnelle.

Il ne saurait davantage être reproché par A B à Y Z de ne pas avoir songé à porter plainte pour des propos déplacés tenus en 2012 alors qu’ils n’étaient pas pénalement répréhensibles, ni de ne pas avoir dénoncé un acteur qui l’aurait frappée à Cannes puisque son mot dièse ne vise à 'balancer’ que des agressions de nature sexuelle.

Les propos poursuivis s’inscrivant ainsi dans un débat d’intérêt général et reposant sur une base factuelle suffisante, il convient, conformément à la jurisprudence actuelle, d’apprécier moins strictement les critères d’absence d’animosité personnelle et de prudence dans l’expression.

S’agissant du critère de l’animosité personnelle, il y a lieu d’adopter les motifs du jugement selon lesquels si A B verse des éléments ayant trait à la déception voire à la colère de Y Z en raison de son refus de s’abonner à la Lettre de l’audiovisuel entre 2004 et 2008, puis en 2012, ces pièces ne démontrent pas une animosité personnelle au sens du droit de la presse, qui s’entend d’un mobile dissimulé ou de considérations extérieures au sujet traité, ces attestations évoquant des faits anciens et sans commune mesure avec l’imputation diffamatoire.

Enfin, si les termes 'balance' et 'porc' peuvent apparaître assez violents, notamment par rapport à ceux de 'Me Too', ils demeurent cependant suffisamment prudents puisque la chronologie des tweets montre que sous une variété de dénominations, Y Z invite les femmes à dénoncer tous les comportements sexuels attentatoires à leur dignité, même s’ils ne constituent pas des infractions pénales, et que surtout elle accompagne son mot dièse de la phrase qu’elle attribue à A B, ce qui permet aux internautes de se faire leur idée personnelle sur le comportement de celui-ci et de débattre du sujet en toute connaissance de cause s’ils le souhaitent. Il sera d’ailleurs observé que les pièces produites montrent que certaines personnes ont approuvé la démarche de Y Z, tandis que d’autres l’ont vivement critiquée.

Il faut souligner qu’A B a déclaré devant la cour que sa vie avait été brisée par la publication de deux tweets déformant ses propos et qu’il invoque de graves préjudices moral et matériel qui en découleraient, mais qu’il n’a pas poursuivi des propos ultérieurs qui lui auraient imputé d’autres faits que ceux dont la cour se trouve saisie au cas présent.

Si les juridictions ne doivent pas cautionner les débordements qui peuvent survenir sur les réseaux sociaux, elles ne peuvent statuer que sur les faits qui leur sont soumis. Même si A B a pu souffrir d’être le premier homme dénoncé sous le #balancetonporc, le bénéfice de la bonne foi doit être reconnu à Y Z, dès lors que son tweet ' 'Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit.' A B ex patron de Equidia #balancetonporc' ne contenait pas l’imputation d’avoir commis un délit pénal et qu’il a été publié dans le cadre d’un débat d’intérêt général sur la libération de la parole des femmes, avec une base factuelle suffisante quant à la teneur des propos attribués à A B.

Dans de telles conditions, le prononcé d’une condamnation, même seulement civile, porterait une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et serait de nature à emporter un effet dissuasif pour l’exercice de cette liberté.

Sur les demandes

La diffamation publique envers un particulier n’étant pas caractérisée, A B sera débouté de toutes ses demandes et condamné aux dépens de l’entière procédure.

Compte tenu de l’ensemble des circonstances de la cause et pour des raisons tirées de considérations d’équité, il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de Y Z et de la société ABSM.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement rendu le 25 septembre 2019 par le tribunal de grande instance de Paris en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Déboute A B de l’ensemble de ses demandes,

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de Y Z et de la société ABSM,

Condamne A B aux entiers dépens, qui pourront être recouvrés par la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats, dans les conditions de l’article 699 du même code.

LE PRESIDENT LE GREFFIER

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Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 7, 31 mars 2021, n° 19/19081