Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 3, 5 janvier 2022, n° 21/06826

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 1 - ch. 3, 5 janv. 2022, n° 21/06826
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 21/06826
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Texte intégral

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 3

ARRET DU 05 JANVIER 2022

(n° , 12 CW)


Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/06826 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDO5H


Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Mars 2021 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS – RG n° 20/53871

APPELANTS

M. X Y

[…]

[…]

Mme CA CB-CC


Chalet 8 la Socalina. Sa Calma

[…]

Mme Z A

[…]

[…]

Mme BW-BX CD

[…],

[…]

M. B C

[…],

1390 GREZ-DOICEAU (BELGIQUE)

M. D E


Voie de l’air pur […]

M. BM BN

[…],

[…]

M. F G

[…]

[…]

Mme H I

[…],

[…]

Mme J K

14 Avenue Emile CM Becelaere,

[…]

Mme L M

[…],

[…]

M. N O

[…],

[…]

Mme P Q

[…]

[…]

Mme R S

[…]

[…]

Mme T U

[…], […]

M. V U

[…]

[…]

Mme W U

[…],

[…]

M. BO BP BQ


Avenue Huart-Hamoir 47 Box A

[…]

Mme BW-CE CF


Av. Émile CM Becelaere, […]

1170 WATERMAEL-BOITSFORT (BELGIQUE)

M. AA AB

[…]

[…]

Mme BW-CG CH

[…],

[…]

Mme BR BS BT

[…]

[…]

[…]

Mme AC AD

[…]

1150 WOLLUWE-ST-AT (BELGIQUE)

Mme L AE […]

[…]

Mme CI CJ CK


Sternwarteatrasse 52

[…]

Mme CL CM CN CO

[…]

[…]

M. AF AG

[…]

[…]

Mme AH AI

[…]

[…]

Mme AJ AK

[…],

[…]

M. BU BV

[…]

[…]

M. AL AM

[…]

[…]

Mme AN AO


Nieuwstraat 30

[…]

M. AP AQ […]

[…]

Mme AR AS

[…]

[…]

M. CP CQ-CR

[…]

[…]

M. AT AU

[…]

[…]

M. AV AW


Kreupelstraat 51

[…]

M. AX AY

[…]

[…]

M. AZ BA

[…]

[…]

Mme BB BC

[…]

[…]

[…]

Mme BD BE

[…]
Représentés par Me Jean-Marc DESCOUBES de la SELEURL DESCOUBES AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D0969

INTIMEES

Société FREE MOBILE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[…]

[…]


R e p r é s e n t é e p a r M e M a t t h i e u B O C C O N G I B O D d e l a S E L A R L L E X A V O U E PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477


Assistée par Me Pascal MARTIN, avocat au Barreau de PARIS, toque : D1836

S.A. BOUYGUES TELECOM prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[…]

[…]


R e p r é s e n t é e p a r M e M a t t h i e u B O C C O N G I B O D d e l a S E L A R L L E X A V O U E PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477


Assistée par Me Louis DES CARS, avocat au Barreau de PARIS, toque : R021

S.A. SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE (SFR) prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[…]

[…]


R e p r é s e n t é e p a r M e M a t t h i e u B O C C O N G I B O D d e l a S E L A R L L E X A V O U E PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477


Assistée par Me Xavier CLEDAT, avocat au Barreau de PARIS, toque : P238

S.A. ORANGE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[…]

[…]


R e p r é s e n t é e p a r M e M a t t h i e u B O C C O N G I B O D d e l a S E L A R L L E X A V O U E PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477


Assistée par Me Alexandre LIMBOUR, avocat au Barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 08 Novembre 2021, en audience publique, devant Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre et Edmée BONGRAND, Conseillère,

rapport ayant été fait par M. Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre conformément aux articles 804, 805 et 905 du CPC, les avocats ne s’y étant pas opposés.


Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :


Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre


Carole CHEGARAY, Conseillère


Edmée BONGRAND, Conseillère

Greffier, lors des débats : Olivier POIX

ARRÊT :


- CONTRADICTOIRE


- par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.


- signé par Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre et par BW GOIN, Greffier, présent lors de la mise à disposition.


Par acte extra judiciaire du 26 mai 2020, 500 particuliers ont saisi le tribunal judiciaire de Paris aux fins de voir ordonner une expertise probatoire visant à vérifier si, dans le cadre du déploiement de la cinquième génération des standards pour la téléphonie mobile (5G), les opérateurs ont mis en 'uvre les mesures nécessaires pour empêcher les atteintes à la santé humaine et à l’environnement et pour garantir la sécurisation des données personnelles.


Par jugement contradictoire rendu en état de référé le 16 mars 2021, le tribunal judiciaire de Paris a :


- prononcé la nullité de l’assignation introductive d’instance à l’égard des demandeurs tels que nommément désignés dans les dernières observations écrites de la société Orange visées le 16 décembre 2020 auxquelles il est expressément référé ;


- s’est déclaré incompétent et renvoyé les parties à mieux se pourvoir ;


- rejeté les demandes du chef de l’article 700 du code de procédure civile ;


- condamné les demandeurs aux dépens.


Par déclaration d’appel du 8 avril 2021, 39 des demandeurs de première instance ont interjeté appel de ce jugement, l’appel étant limité à la question de la compétence.


Par dernières conclusions remises le 28 octobre 2021, les appelants demandent à la cour, au visa de l’article 145 du code de procédure civile, de :


- infirmer le jugement rendu en état de référé le 16 mars 2021 en ce que le tribunal s’est déclaré incompétent et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir ;


- débouter les sociétés Free Mobile, SFR, Orange et Bouygues Telecom de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;


- ordonner une expertise ;


- commettre tel expert qu’il lui plaira, avec faculté de s’adjoindre un ou plusieurs sapiteurs, ayant pour mission de :


- vérifier si les sociétés Bouygues Télécom, Free Mobile, Orange et SFR ont mis en 'uvre des procédés techniques pour prévenir tout risque d’atteinte au caractère privé des données personnelles et/ou tout risque de cyber-attaques dans le cadre du déploiement de la technologie 5G ;


- donner son avis sur l’efficacité de ces garanties et procédés techniques ;


- fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre, le cas échéant, à la juridiction compétente de déterminer les responsabilités éventuellement encourues ;


- dire que pour l’exécution de sa mission l’expert recueillera tous renseignements utiles, à charge d’en indiquer l’origine, recueillera toutes informations orales ou écrites de toutes personnes, à charge de préciser dans son rapport les noms et prénoms, la demeure et la profession, ses liens de parenté, de subordination, de collaboration ou de communauté d’intérêts, d’alliance ou de tous autres ordres avec les parties ;


- dire que l’expert devra tenir le juge informé de l’état d’avancement de sa mission ;


- fixer le montant de la provision sur les honoraires d’expertise à tel montant qu’il lui plaira ;


- dire que les demandeurs devront consigner ladite provision sur les honoraires d’expertise dans un délai de trois mois à compter du prononcé de la décision à intervenir ;


- réserver les dépens.


Ils invoquent, en premier lieu, la compétence du juge judiciaire pour statuer sur la demande d’expertise en ce que :


- on ne peut leur opposer le principe à valeur constitutionnelle de séparation des pouvoirs puisque l’objet de la demande n’est pas de remettre en cause les décisions prises par l’autorité administrative dans le cadre du déploiement de la 5G ;


- leur demande ne vise pas à remettre en cause l’action d’autorités administratives indépendantes (ANSES, ARCEP et ANFR) ; ils estiment que l’arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 10 janvier 1990 produit par l’intimée n’est pas applicable au cas d’espèce puisque les opérateurs de téléphonie sont des sociétés commerciales de droit privé qui n’exploitent pas un service public et qui n’ont reçu aucune délégation de service public ;


- le renvoi à la jurisprudence du tribunal des conflits n’est pas davantage fondé puisqu’elle est sans rapport avec l’objet de la présente instance ; ils demandent à l’expert de vérifier si les sociétés intimées ont mis en 'uvre des procédés techniques pour prévenir tout risque d’atteinte au caractère privé des données personnelles et/ou tout risque de cyber-attaques dans le cadre du déploiement de la technologie 5 G (et non d’apprécier les conditions d’utilisation des fréquences radioélectriques, les modalités d’implantation des antennes relais et les mesures de protection du public contre les effets des ondes émises et les brouillages) ;


- il ressort au contraire d’un arrêt du tribunal des conflits en date du 19 février 1996 'qu’en l’état où la demande ne tend qu’à voir ordonner une mesure d’instruction avant tout procès et où le fond du litige est de nature à relever, fût-ce pour partie, de la compétence des juridictions de l’ordre auquel il appartient, le juge des référés ne peut refuser de se saisir'.


- le premier juge a statué ultra petita en ne respectant pas l’objet de leur demande. En effet, contrairement à ce qui a été jugé, les appelants affirment que leur référé probatoire ne s’inscrit pas dans « la nécessité de protéger la santé publique », mais de protéger leurs intérêts privés ;- Enfin, les appelants soutiennent que la compétence du juge judiciaire pour ordonner une expertise est d’autant plus justifiée que les tribunaux de l’ordre judiciaire sont régulièrement amenés à statuer dans des litiges à la requête de particuliers subissant des préjudices résultant des conséquences de la mise en 'uvre de pouvoirs de police administrative.


Ils soutiennent, en second lieu, que les conditions pour ordonner une expertise in futurum sont réunies.


Ainsi, leur demande repose sur un motif légitime dès lors qu’il s’agit de vérifier que les opérateurs ont mis en 'uvre les mesures nécessaires au respect de l’article D 98-5 du code des postes et des communications électroniques, et que leur demande d’expertise n’a pas vocation à remettre en cause les prérogatives et décisions des autorités administratives.


Sur les potentiels futurs procès, les appelants font valoir que la mise en place de la 5G ouvre possiblement la voie à de futures mises en cause pénale des opérateurs, en qualité de co-auteurs ou complices, notamment sur les fondements juridiques de l’atteinte à la vie privée, atteinte au secret professionnel et au secret des correspondances, atteintes aux droits de la personne résultant des fichiers ou des traitements informatiques. Sur le plan civil, ils mettent en évidence de futurs procès notamment sur le fondement du droit au respect de la vie privée s’agissant des risques générés par le déploiement de la 5G s’agissant de l’atteinte aux données, aux correspondances et à la vie privée.


Ils indiquent, enfin, que la mission préconisée de l’expert est précise, détaillée et utile ; l’expert devra pouvoir vérifier si les sociétés intimées ont mis en 'uvre des procédés techniques pour prévenir ou amoindrir tout risque d’atteinte au caractère privé des données personnelles et/ou tout risque de cyber-attaques dans le cadre du déploiement de la technologie 5 G ; il est encore demandé à l’expert de donner son avis sur l’efficacité de ces garanties et procédés techniques.


La société SFR, par dernières conclusions remises le 4 novembre 2021, demande à la cour, au visa des articles L. 32-1 et suivants, L. 33-1 et suivants, L. 36-7, L. 43 et R. 20-44-10 du code des postes et des communications électroniques, des articles L. 1313-1 et suivants du code de la santé publique, L. 311-1 et R. 311-1 du code de la justice administrative, des articles 31, 56, 83, 85, 154, 409, 528, 648, 645 et 700 du code de procédure civile, 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et 5 de la Charte de l’environnement de 2004, de :

à titre principal,


- confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a jugé que les juridictions judiciaires sont incompétentes au profit des juridictions de l’ordre administratif et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir ;


- débouter en conséquence les appelants de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions;

à titre subsidiaire :


- déclarer les appelants irrecevables en leur demande d’expertise faute pour eux de justifier d’un intérêt personnel et direct, juridique et légitime, né et actuel ;


- débouter de plus fort les appelants de leur demande d’expertise dans la mesure où les conditions cumulatives de l’article 145 du code de procédure civil ne sont pas réunies ;


- débouter les appelants de toutes autres demandes, fins ou prétentions ;

en tout état de cause,


- condamner les appelants solidairement à verser à SFR la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de la présente instance dont distraction au profit de la SELARL Lexavoué Paris-Versailles, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.


Elle soutient que le juge des référés des juridictions de l’ordre judiciaire est incompétent au profit du juge des référés du Conseil d’État :


- la demande des appelants relève de la compétence des juridictions administratives dès lors qu’elle n’a pour objet que de remettre en cause l’action que conduit l’État, par l’intermédiaire d’autorités administratives, pour encadrer et contrôler le développement de la 5G, en ce compris les interventions des opérateurs de téléphonie. Plus précisément, elle estime que les questions dont les appelants souhaitent qu’un expert soit saisi relèvent d’ores et déjà de la compétence de l’ANSES, de l’ARCEP, de l’ANFR et de la CNIL, désignées à cet effet par le législateur et à qui il appartient de contrôler l’action des opérateurs choisis pour conduire le déploiement de la 5G.


- Par ailleurs, elle expose que dans une décision du 26 octobre 2021 relative aux antennes relais de téléphonie mobile, le Conseil d’État a jugé qu’il appartient aux autorités administratives nationales, qui peuvent s’appuyer sur une expertise non disponible au plan local, de veiller, dans le cadre de l e u r s c o m p é t e n c e s r e s p e c t i v e s , à l a l i m i t a t i o n d e l ' e x p o s i t i o n d u p u b l i c a u x c h a m p s électromagnétiques et à la protection de la santé publique.


- En outre, elle fait valoir que la désignation d’un expert impliquerait de surcroît la remise en cause de l’arrêté adopté par le Gouvernement le 30 décembre 2019, fixant les modalités d’attribution de la bande de fréquences 3,4 – 3,8 GHz. A cet égard, elle souligne que le Conseil d’État, dans un arrêt du 31 décembre 2020, a débouté les associations Priartem et Agir d’une demande similaire.


Subsidiairement, l’intimée affirme que la demande d’expertise des appelants est irrecevable pour défaut de qualité et d’intérêt à agir :


- elle fait remarquer que parmi les appelants, 25 résident à l’étranger.


- elle soutient que les appelants visent des risques généraux et non un risque individuel (à savoir si l’exploitation de la bande 3,4 ' 3,8 GHz par les opérateurs présenteraient un risque pour les données personnelles) ; elle considère que les appelants ne démontrent pas avoir un intérêt personnel et direct à voir nommer un expert judiciaire ;


- elle observe enfin que les appelants évoquent dans leurs conclusions des « procès futurs » qui seraient « envisageables », sans pour autant en justifier par des éléments pertinents.


A titre très subsidiaire, elle soutient que les conditions de l’article 145 du code de procédure civile ne sont pas réunies :


- la demande n’intervient pas avant tout procès ;


- l’expertise sollicitée est une mesure générale d’investigation, la mission de l’expert visant à évaluer le 'risque’ prétendument inhérent à la 'technologie 5G’ prise dans toute sa complexité et sans délimitation aucune, sur les domaines aussi larges que mal définis des 'données personnelles’ et des 'cyber-attaques', de son expérimentation à sa commercialisation ;


- la mesure d’instruction demandée n’est pas légalement admissible puisqu’il appartient aux autorités administratives compétentes de mener cette instruction ;


- l’expertise sollicitée ne répond à aucune problématique probatoire : rien ne permet en effet de suspecter l’existence d’une fuite de données, a fortiori personnelles aux appelants, dont les opérateurs seraient à l’origine et qui justifierait que soit ordonnée l’expertise sollicitée.


La société Orange, par dernières conclusions remises le 4 novembre 2021, demande à la cour, au visa des articles 31, 32, 56, 114, 145, 648 et 855 du code de procédure civile, de :


- confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a déclaré les juridictions de l’ordre judiciaire incompétentes au profit des juridictions de l’ordre administratif ;


- débouter les appelants de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;

à défaut, statuant à nouveau,

à titre principal,


- dire que les appelants ne justifient pas d’un intérêt à agir et les déclarer irrecevables ;

à titre subsidiaire,


- dire les appelants mal-fondés en leurs demandes et les en débouter intégralement ;

en tout état de cause,


- condamner solidairement les appelants à verser à la société Orange la somme de 30.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.


Elle conclut à la confirmation de l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a déclaré les juridictions de l’ordre judiciaire incompétentes ; elle expose que le Tribunal des Conflits, par six décisions du 14 mai 2012, a jugé que 'le principe de la séparation des pouvoirs s’oppose à ce que le juge judiciaire, auquel il serait ainsi demandé de contrôler les conditions d’utilisation des fréquences radioélectriques au regard des nécessités d’éviter les brouillages préjudiciables et de protéger la santé publique et, partant, de substituer, à cet égard, sa propre appréciation à celle que l’autorité administrative a portée sur les mêmes risques ainsi que, le cas échéant, de priver d’effet les autorisations que celle-ci a délivrées, soit compétent pour connaître d’une telle action’ ; elle estime que les mesures d’instruction sollicitées par les appelants ont pour finalité de contrôler et/ou de remettre en cause les décisions du Gouvernement et des autorités administratives compétentes ; certains des demandeurs ont formé un recours en annulation devant le Conseil d’État contre la décision n°2020-1256 de l’ARCEP en date du 12 novembre 2020 autorisant la société Orange à utiliser des fréquences dans la bande 3,4 ' 3,8 GHz en France métropolitaine, recours rejeté par arrêt du 6 octobre 2021.


Si la cour se déclarait compétente, elle soutient, à titre principal, que les appelants ne disposent pas d’un intérêt à agir et, par conséquent, que leur action est irrecevable, en ce que :


- un certain nombre d’appelants résident à l’étranger et ne démontrent pas qu’ils disposeraient d’un quelconque intérêt à agir personnel.


- les appelants ne démontrent pas qu’ils résidaient, à la date du 27 mai 2020, date de l’acte introductif d’instance, à proximité d’une antenne 5G, ou encore qu’ils étaient à cette date personnellement exposée à un risque d’atteinte en matière de données personnelles ou de cyberattaques.


A titre subsidiaire, elle soutient que les conditions de l’article 145 du code de procédure civile ne sont pas réunies :


- les appelants échouent à démontrer l’existence d’un risque précis d’atteinte à la sécurité des réseaux 5G. C’est dans ces conditions que l’intimée considère que le motif légitime des appelants fait défaut ;


- par ailleurs, elle soutient que la mesure d’expertise sollicitée est inutile ; l’Etat a, en effet, confié à plusieurs autorités publiques le soin le contrôler les opérateurs sur le niveau de sécurité des données mis en 'uvre dans le cadre du déploiement de la 5G (l’ARCEP, l’ANSSI, la CNIL).


- les futurs procès évoqués par les appelants ne sont que purement hypothétiques ;


- la mesure d’expertise sollicitée est manifestement disproportionnée et il n’est pas démontré que les expertises conduites par les autorités publiques seraient insuffisantes.


La société Bouygues Télécom, par dernières conclusions remises le 4 novembre 2021, demande à la cour, au visa de l’article 145 du code de procédure civile, de :


- confirmer le jugement rendu en état de référé le 16 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Paris en qu’il a retenu l’incompétence des juridictions judiciaires et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir ;

à titre subsidiaire,


- constater l’absence d’intérêt à agir des appelants ;


- en conséquence, déclarer les appelants irrecevables en leurs demandes ;

à titre plus subsidiaire,


- constater que la demande de désignation d’un expert ne remplit pas les conditions de l’article 145 du code de procédure civile ;


- en conséquence, rejeter la demande de désignation d’un expert judiciaire formulée par les appelants ;

en tout état de cause,


- condamner solidairement les appelants à verser à Bouygues Telecom la somme totale de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de la présente instance dont distraction au profit de la SELARL Lexavoué Paris-Versailles, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.


Elle soutient que le juge des référés des juridictions judiciaires est incompétent au profit du juge des référés du Conseil d’État, en se réfèrant aux décisions du tribunal des conflits en date du 14 mai 2012 et en soulignant que la demande d’expertise formée par les appelants s’immisce dans l’exercice de la police spéciale dévolue aux autorités administratives et constitue, par conséquent, une atteinte à la séparation des pouvoirs.


Elle invoque le défaut d’intérêt à agir des appelants :


- Elle expose tout d’abord que parmi les 39 appelants, 25 résident à l’étranger et ne peuvent avoir un intérêt à agir contre une technologie en cours de déploiement sur le territoire français.


- S’agissant des appelants résidant en France, l’intimée conteste la liste versée au débat par les appelants pour la première foi en appel. Cette liste énonce les noms des personnes habitant à proximité des antennes. Pour autant, l’intimée fait remarquer que, parmi les personnes mentionnées, nombreux sont ceux n’étant pas appelants à la présente procédure.


- S’agissant de l’appelant M. X Y, l’intimée expose qu’il ne remplit pas les conditions requises par l’article 2020 du CPC pour valoir attestation.


- Enfin, concernant les autres appelants, l’intimée fait remarquer que ceux-ci ne justifient pas de leur intérêt à agir (A Z ; CD BW-BX ; O N ; U T ; U V ; U Malisse ; CH BW-CG ; BY BT BR ;AG AF ; AI AH ; AM AL ; BA AZ).


A titre subsidiaire, elle soutient qu’en tout état de cause, les conditions de l’article 145 du code de procédure civile ne sont pas réunies en ce que :


- aucune faute des opérateurs liée au déploiement de la 5G n’est démontrée, ni même alléguée par les appelants ;


- les risques invoqués par les appelants font déjà l’objet d’une évaluation rigoureuse par les autorités compétentes spécialement désignées à cette fin ;


- les appelants n’invoquent aucun préjudice ;


- l’action au fond invoquée par les appelants est hypothétique;


- la mission demandée à l’expert est disproportionnée et présente un caractère trop général.


La société Free Mobile, par dernières conclusions remises le 4 novembre 2021, demande à la cour, au visa des articles 83, 85, 145 et 409 du code de procédure civile, L. 21, L. 32-1 et L. 34-9-1 du code des postes et communications électroniques, de :


- confirmer purement et simplement l’ordonnance du 16 mars 2021 ;


- débouter les appelants de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;


- condamner les appelants à payer à la société Free Mobile la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.


Elle soutient que le juge des référés du tribunal judiciaire est incompétent, en rappelant que les règles de fonctionnement des stations relais relèvent, de manière exclusive, du pouvoir de police spéciale des communications électroniques de l’Etat et des autorités publiques désignées par la loi (ARCEP, ANFR, ANSES, ANSSI).


Elle soutient, par ailleurs, que les conditions de l’article 145 du code de procédure civile ne sont pas réunies :


- la prévention des risques d’atteinte au caractère privé des données personnelles et/ou tout risque de cyber-attaques dans le cadre du déploiement de la technologie 5G relève du seul champ de compétence des pouvoirs publics ; les appelants ne justifient pas d’un motif légitime ;


- les appelants ne justifient pas en quoi une mesure d’expertise serait nécessaire compte-tenu de l’encadrement législatif et réglementaire d’ores et déjà mis en 'uvre, les publications versées au débat par les appelants ne présentant pas de caractère sérieux ou n’étayant pas leurs dires ;


- les appelants n’établissent l’existence d’aucun préjudice et que les procès potentiels évoqués ne sont qu’hypothétiques.
- la mesure d’instruction sollicitée présente un caractère général : l’objet de la mesure est particulièrement large puisqu’il porte sur une technologie en elle-même (la 5G) et non sur les conséquences de la présence d’une station-relais en particulier et en un lieu donné ; par ailleurs, la mission de l’expert, consistant à donner son avis sur l’efficacité des garanties et des procédés techniques pour prévenir tout risque d’atteinte au caractère privé des données personnelles et/ou tout risque de cyber-attaque, excède, par son ampleur et sa technique, la compétence d’un expert judiciaire.


En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.

MOTIFS


Sur la compétence


Les demandeurs sollicitent la désignation d’un expert avec pour mission de vérifier si les sociétés Bouygues Télécom, Free Mobile, Orange et SFR ont mis en 'uvre des procédés techniques pour prévenir ou amoindrir tout risque d’atteinte au caractère privé des données personnelles et/ou tout risque de cyber-attaques dans le cadre du déploiement de la technologie 5 G, et de donner son avis sur l’efficacité de ces garanties et procédés techniques.


La décision n° 2019-1386 de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes du 21 novembre 2019 précise, en son article 6.3. 'Cadre légal applicable aux opérateurs mobiles’ : 'Les lauréats seront notamment tenus au respect des obligations légales suivantes :

- conformément à l’article L. 32 du CPCE, les lauréats seront tenus de respecter la réglementation en vigueur relative aux exigences essentielles nécessaires pour garantir la protection de la santé des personnes. S’agissant des valeurs limites d’exposition du public aux champs électromagnétiques émis par les équipements utilisés dans les réseaux de télécommunication ou par les installations radioélectriques, elles sont actuellement définies par le décret n° 2002-775 du 3 mai 2002. Les lauréats devront se conformer à toute éventuelle évolution de la réglementation en vigueur.'


Par arrêté du 30 décembre 2019, la secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’économie et des finances a défini les modalités et les conditions d’attribution d’autorisations d’utilisation de la bande de fréquences 3,4 – 3,8 GHz, dite 'bande 3,5 Ghz’ permettant l’utilisation des technologies mobiles '5G’ et dit qu’elles sont fixées conformément à l’annexe à la décision n° 2019-1386 de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes en date du 21 novembre 2019.


Par une décision du 31 mars 2020, l’ARCEP retenu les candidatures des sociétés Bouygues Telecom, Free Mobile, Orange et SFR pour participer à la procédure d’attribution d’autorisations d’utilisation de fréquences dans la bande 3,5 GHz en France métropolitaine et a autorisé les opérateurs sélectionnés à participer à la phase d’enchères de la procédure d’appel à candidatures.


Par une décision du 20 octobre 2020, l’ARCEP a retenu les candidatures des sociétés Bouygues Telecom, Free Mobile, Orange et SFR pour établir et exploiter un réseau radioélectrique mobile, a attribué à chaque opérateur sélectionné une sous-bande au sein de la bande 3,5 GHz, et a validé le montant des engagements financiers souscrits par chaque opérateur.


Par quatre décisions du 12 novembre 2020, l’ARCEP a respectivement autorisé les sociétés Bouygues Telecom, Free Mobile, Orange et SFR à utiliser les fréquences qui leur ont été préalablement attribuées dans la bande 3,5 GHz en France métropolitaine.


L’article L. 32-1 du code des postes et communications électroniques, visé par la décision de l’ARCEP du 21 novembre 2019, prévoit, en son article 12° 'Exigences essentielles', ' (…) Les exigences essentielles comportent également, pour les classes et les catégories d’équipements prévues par décret en Conseil d’Etat, les exigences nécessaires à :

- la protection des réseaux, notamment des échanges d’informations de commande et de gestion qui y sont associés ; - l’interopérabilité des services et celle des équipements radioélectriques ;

- la protection des données à caractère personnel et de la vie privée des utilisateurs et des abonnés.'


Il s’en infère que les questions relatives à la protection de la vie privée des utilisateurs et des abonnés relèvent de la police spéciale des communications électroniques instituée par le code des postes et des communications électroniques et confiée à l’Etat par le législateur. Ces questions ont, en outre, d’ores et déjà fait l’objet d’un examen par l’autorité administrative compétente lors du choix des opérateurs.


Les investigations demandées en l’espèce au juge de l’ordre judiciaire tendent à évaluer l’appréciation portée par l’autorité administrative, dans le cadre de l’examen des offres, sur les mesures de protection du public contre les effets des ondes émises par les stations radioélectriques ; ces questions relèvent de la police spéciale des communications électroniques confiée à l’Etat. L’expertise sollicitée serait, par ailleurs, susceptible de priver d’effet les autorisations que cette même autorité administrative a délivrées, et constitueraient, dès lors, une immixtion dans l’exercice de la police spéciale dévolue aux autorités publiques.


C’est, dans ces circonstances, à raison que le tribunal judiciaire s’est déclaré incompétent et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir. Le jugement entrepris sera, en conséquence, confirmé en toutes ses dispositions.

PAR CES MOTIFS


Confirme l’ordonnance entreprise ;


Condamne in solidum les appelants aux dépens d’appel qui seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile ;


Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.


LE GREFFIER LE PRÉSIDENT 1. CT CU CV CW

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Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 3, 5 janvier 2022, n° 21/06826