Cour d'appel de Paris, Pôle 4 chambre 13, 10 mai 2022, n° 21/07264

  • Loyer·
  • Sociétés·
  • Locataire·
  • Rapport·
  • In solidum·
  • Appel·
  • Expertise·
  • Renouvellement·
  • Titre·
  • Délai

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 4 ch. 13, 10 mai 2022, n° 21/07264
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 21/07264
Importance : Inédit
Sur renvoi de : Cour de cassation, 9 mars 2021, N° X18-23.943
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Date de dernière mise à jour : 15 septembre 2022
Lire la décision sur le site de la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 13

ARRÊT DU 10 MAI 2022

Sur renvoi après cassation

(n° , 12 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/07264 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDP5Y

Décision déférée à la Cour : Arrêt du 10 Mars 2021 – Cour de Cassation – pourvoi n° X18-23.943

DEMANDEURS A LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION

Monsieur [C] [T] [N]

Né le [Date naissance 6] 1962 à [Localité 10] (USA)

[Adresse 4]

[Localité 13]

et

S.A. ALLIANZ IARD

[Adresse 2]

[Localité 9]

Représentés par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Ayant pour avocat plaidant Me Estelle FABART du Cabinet H & A, avocat au barreau de PARIS, toque : P0577

DÉFENDEUR A LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION

Monsieur [F] [P] [J] [R]

Né le [Date naissance 1] 1946 à [Localité 12]

[Adresse 8]

[Localité 3]

Représenté par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

Ayant pour avocat plaidant Me Marie-Claude ALEXIS, de la SELAS ALEXIS & SAINT-ADAM, avocat au barreau de PARIS, toque : B1138

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 08 Mars 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Estelle MOREAU, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Nicole COCHET, Première présidente de chambre

Mme Marie-Françoise D’ARDAILHON MIRAMON, Présidente

Mme Estelle MOREAU, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Séphora LOUIS-FERDINAND

ARRÊT :

— Contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Nicole COCHET, Première présidente de chambre, et par Sarah-Lisa GILBERT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

* * * * *

Par deux baux distincts du 5 mars 1990, Mme [Y] [I] a donné en location à la Sas Giausserand & Cie, à compter du 1er mars 1989 et pour une durée de neuf ans, deux locaux commerciaux situés au rez-de-chaussée et à l’étage de l’immeuble situé[Adresse 7] moyennant les loyers annuels de 62 307 francs et 70 000 francs, lesquels locaux ont été exploités par un locataire-gérant, la société Marionnaud Beautérama exerçant une activité de parfumerie.

Le 28 mars 2002, Mme [I], assistée par M. [C] [N], avocat au barreau de Grasse (ci-après, l’avocat), assuré auprès de la société anonyme Allianz Iard (ci-après, l’assureur), a délivré à la société Giausserand & Cie un congé avec offre de renouvellement à compter du 29 septembre 2002 moyennant des loyers annuels de 100 000 euros et 37 000 euros. À défaut d’accord sur le montant du loyer, elle lui a fait notifier, le 20 septembre 2004, un mémoire tendant à la fixation d’un loyer annuel de 310 800 euros pour les deux baux.

En novembre 2005, la société Giausserand & Cie a décidé de sa dissolution par la réunion de toutes les parts sociales entre les mains de son unique associée, la Sarl Marionnaud Beautérama, laquelle a été dissoute par la transmission universelle de son patrimoine au profit de sa seule associée, la Sarl Marionnaud Lafayette.

Par actes des 5 avril et 4 octobre 2006, M. [N] représentant Mme [I] a fait assigner la société Marionnaud Beautérama qu’il croyait venir aux droits de la locataire, puis la société Marionnaud Lafayette devant le juge des loyers commerciaux, en fixation du prix du loyer du bail renouvelé. Par jugement du 14 mai 2007, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Grasse a mis hors de cause la société Marionnaud Beautérama et a dit irrecevable, car prescrite, la demande formée contre la société Marionnaud Lafayette, aux motifs que le mémoire préalable ayant été signifié le 20 septembre 2004, le locataire devait être assigné dans le délai de deux ans soit jusqu’au 20 septembre 2006. Cette décision a été confirmée par un arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 4 juin 2009 qui, y ajoutant, a constaté le renouvellement des deux baux commerciaux, aux mêmes conditions et pour une durée de neuf ans à compter du 30 septembre 2002, au profit de la société Sarl Mariaunnaud Lafayette venant aux droits de la société Giausserand & Cie. Le pourvoi en cassation formé a été rejeté par arrêt du 24 novembre 2010.

C’est dans ces circonstances que le 3 juin 2014, M. [R], venant aux droits d'[Y] [I], décédée le [Date décès 5] 2012, a assigné la société Allianz Iard en responsabilité civile professionnelle. M. [N] est intervenu volontairement à l’instance.

Par jugement du 3 septembre 2015 assorti de l’exécution provisoire, le tribunal de grande instance de Paris, rejetant les autres demandes de M. [R], a :

— dit que l’avocat avait commis une faute en assignant tardivement la société Marionnaud Lafayette,

— dit que la garantie de la société Allianz Iard était due dans les limites de la police souscrite,

— condamné in solidum M. [N] et la société Allianz Iard à payer à M. [R] la somme de 3 000 000 euros à titre de dommages-intérêts,

— condamné M. [N] et la société Allianz Iard à payer à M. [R] la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre aux dépens.

Par arrêt du 23 octobre 2018, la cour d’appel de Paris, infirmant ce jugement, a déclaré irrecevable comme prescrite l’action de M. [R] contre la société Allianz Iard et l’avocat en retenant comme point de départ du délai de prescription la date du 14 mai 2007.

Par arrêt du 10 mars 2021, la première chambre civile de la Cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt aux motifs que :

'Vu l’article 2225 du code civil :

4. L’action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant assisté ou représenté les parties en justice se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission.

5. Pour déclarer irrecevable l’action intentée par M. [R], l’arrêt retient qu’il disposait

avec sa mère dès le jugement du 14 mai 2007 des éléments leur permettant d’exercer une action

contre l’avocat, qu’il n’existait pas d’empêchement d’agir ensuite même si celui-ci avait encore unmandat d’assistance devant la cour d’appel et qu’en raison de l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 ayant réduit à cinq ans le délai de prescription, l’action est prescrite depuis le 19 juin 2013.

6. En statuant ainsi, sans tirer les conséquences légales de ses constatations desquelles il résultait que la mission de l’avocat s’était poursuivie au cours de l’instance d’appel ayant pris fin le 4 juin 2009, la cour d’appel a violé le texte susvisé'.

La société Allianz Iard et M. [N] ont saisi la cour, cour d’appel de renvoi, le 8 avril 2021.

Dans leurs dernières conclusions notifiées et déposées le 28 février 2022, la Sa Allianz Iard et M. [C] [N] demandent à la cour de :

— infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 3 septembre 2015 en ce qu’il:

— dit que M. [N] a commis une faute,

— dit que la garantie de la société Allianz Iard est due dans les limites de la police souscrite,

— les condamne in solidum à payer à M. [R] la somme de 3 000 000 euros à titre de dommages et intérêts,

— les condamne aux dépens et à payer la somme de 5 000 euros à M. [R] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— ordonne l’exécution provisoire,

et statuant à nouveau,

à titre principal,

— fixer l’assiette du préjudice indemnisable de M. [R] à une somme maximale de 434960 euros avant application du pourcentage de perte de chance,

— limiter en conséquence leur condamnation après application du coefficient de perte de chance ne pouvant en tout état de cause excéder 50%,

— débouter M. [R] de toute demande de leur condamnation solidaire excédant la somme maximale de 217 480 euros après application du coefficient de perte de chance,

— condamner M. [R] à restituer à la société Allianz Iard la différence entre la somme de 3 143 686,58 euros qui lui a été versée le 29 avril 2021 et la somme au paiement de laquelle les appelants seront condamnés par l’arrêt à intervenir, avec intérêts au taux légal et capitalisés dans les conditions de l’article 1154 du code civil à compter dudit versement,

— condamner M. [R] à payer à la société Allianz la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice financier et moral subi du fait des conditions dans lesquelles l’exécution forcée du jugement a été poursuivie,

— condamner M. [R] à rembourser à la société Allianz la somme de 23 408 euros qu’elle a exposée au titre des frais d’hypothèque judiciaire,

à titre subsidiaire,

— désigner tel expert qu’il plaira à la cour de céans avec mission habituelle en pareille matière, aux frais avancés de M. [R] sur lequel pèse la charge de la preuve :

— visiter et décrire les locaux litigieux à [Localité 13],

— rechercher si les facteurs locaux de commercialité ont évolué de façon notable depuis le 5 mars 1990 jusqu’au 30 septembre 2002 et s’il en est résulté une incidence favorable sur l’activité exercée par le preneur,

— donner tous éléments pour déterminer la valeur locative des lieux loués estimés au 30 septembre 2002,

en tout état de cause,

— débouter M. [R] de l’ensemble de ses demandes fins et prétentions,

— condamner M. [R] à payer à la société Allianz la somme de 35 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner M. [R] aux entiers dépens dont distraction au profit de M. [M] [E].

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 4 mars 2022, M. [F] [R], venant aux droits de sa mère [Y] [I], décédée, demande à la cour de :

— déclarer la société Allianz Iard et M. [N] irrecevables ou subsidiairement mal fondés en leur appel du jugement du 3 septembre 2015 et, en tout état de cause, en l’ensemble de leurs demandes, y compris celles formées tardivement dans leurs conclusions du 28 février 2022, en violation du principe de concentration des prétentions, les en débouter en quelques fins que celles-ci comportent,

— le déclarer recevable et bien fondé en ses demandes

y faisant droit,

— confirmer le jugement du septembre 2015 en ce qu’il a considéré que l’avocat avait commis des fautes générant des préjudices en relation directe, condamnant in solidum M. [N] et la société Allianz Iard aux entiers dépens ainsi qu’au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— l’infirmer en ce qu’il n’a pas retenu l’ensemble des fautes commises par l’avocat et qu’il n’a fixé le préjudice qu’à la somme de 3 000 000 d’euros,

statuant à nouveau,

— écarter les indices de références fournis par M. [N] et la société Allianz Iard en violation de l’article R.145-7 du code de commerce,

— écarter pour les mêmes raisons les rapports de Mme [L] des 28 avril et 18 mai 2015, les méthodes de fixation du prix des loyers par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ayant de surcroit été modifiés après 2010, sauf à violer l’exigence de reconstitution des débats tels qu’ils se seraient passés si l’avocat n’avait pas commis les fautes qui lui sont reprochées,

en conséquence,

— condamner in solidum M. [N] et la société Allianz Iard à lui payer la somme de 4 141 693,27 euros à titre de dommages et intérêts, compte tenu des fautes commises en relation directe avec les préjudices supportés, avec intérêts légaux courant à compter de l’acte introductif d’instance, avec capitalisation des intérêts conformément aux dispositions légales applicables,

subsidiairement :

— condamner in solidum M. [N] et la société Allianz Iard à lui payer la somme de 3 454 170 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts légaux courant à compter de l’acte introductif d’instance, avec capitalisation des intérêts conformément aux dispositions légales applicables,

très subsidiairement,

— dire que l’expertise judiciaire, si elle était ordonnée, restera à la charge de la société Allianz Iard et de M. [N],

— condamner in solidum la société Allianz Iard et M. [N] à payer la somme de 50 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner in solidum la société Allianz Iard et M. [N] aux entiers dépens de première instance, d’appel dans la procédure ayant donné lieu à l’arrêt cassé du 23 octobre 2018 et d’appel,

qui seront recouvrés par M. Lallement, avocat au barreau de Paris.

SUR CE

Sur l’irrecevabilité de l’appel et des demandes formées par les appelants :

M. [R] soulève l’irrecevabilité de l’appel et des demandes formées par les demandeurs à la saisine dans leurs écritures du 28 février 2022 sur le fondement des dispositions de l’article 910-4 du code de procédure civile, en ce que les demandes de limitation de la garantie et d’application d’une franchise sont tardives et formées en violation du principe de la concentration des prétentions.

M. [N] et la société Allianz Iard ne répliquent pas sur ce point.

Selon l’article 910-4 du code de procédure civile, 'A peine d’irrecevabilité, relevée d’office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond. L’irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.

Néanmoins, et sans préjudice de l’alinéa 2 de l’article 802 , demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées postérieuremet aux premières conclusions, de l’intervention d’un tiers ou de la survantce ou de la révélation d’un fait'.

Le rappel par M. [N] et la société Allianz Iard que les limites de la garantie de la police d’assurance sont applicables et opposables au tiers lésé et qu’aucune condamnation excédant ce plafond ne saurait être prononcée à l’encontre de l’assureur, constitue une prétention destinée à répliquer aux conclusions de M. [R], et n’affecte en conséquence ni la recevabilité de l’appel, ni celle de cette prétention.

L’appel et les conclusions des demandeurs à la saisine sont donc recevables.

Sur la responsabilité de l’avocat :

Sur la faute :

Le tribunal a jugé que M. [N] avait commis un seul manquement à son obligation de diligence, en n’assignant pas la société Marionnaud Lafayette dans les délais de la prescription biennale de l’article L.145-60 du code de commerce, étant précisé que :

— s’il ne peut lui être reproché d’avoir attendu l’établissement du rapport de M. [A] pour assigner, il lui appartenait de veiller à ce que ce rapport soit rendu dans un délai raisonnable, même s’il n’a remis les plans qu’en juin 2013, et d’assigner dans le délai de deux ans après la signification du mémoire,

— le jugement et l’arrêt confirmatif de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 4 juin 2009 relèvent que M. [N] avait été informé que le nouveau locataire était la société Marionnaud Lafayette par lettre du 21 juin 2006.

La société Allianz Iard et M. [N] font valoir que :

— il ne peut être fait grief à M. [N] d’avoir attendu le 20 septembre 2004 pour notifier son mémoire en déplafonnement de loyer après les congés délivrés le 28 mars 2002 dès lors que la notification d’un tel mémoire doit être accompagnée de pièces justificatives, dont le rapport de M. [A] datant du 13 septembre 2004,

— avant l’introduction tardive de l’instance à l’encontre du véritable locataire, M. [N] a fait toute diligence dans les meilleurs délais pour notifier les congés avec offre de renouvellement ainsi que les mémoires préalables tendant au déplafonnement du loyer, a relancé l’expert à plusieurs reprises, lequel attendait des pièces remises tardivement par M.[R], l’éventuel retard de l’expert ne lui étant pas imputable,

— le mémoire a été notifié le 20 septembre 2004, soit six jours seulement après la réception du rapport et dans le délai de la prescription biennale expirant au 29 septembre 2004,

— il ne peut être reproché a posteriori à M. [N] de ne pas avoir déposé son mémoire plus tôt ni engagé l’action à une date telle que les juges d’appel saisis auraient dû statuer avant le revirement de jurisprudence, opéré par la cour d’appel d’Aix-en-Provence entre le 23 octobre 2008 et le 4 février 2010, en renonçant à appliquer la méthode de décapitalisation, favorable à M. [R], alors que l’avocat ne commet pas de faute en n’anticipant pas un revirement de jurisprudence,

— la seule faute imputable à M. [N] est de n’avoir assigné le locataire que le 4 octobre 2006, au delà du délai de deux ans suivant la notification du mémoire expirant le 29 septembre 2006, la première assignation du 5 avril 2006 n’ayant pas été dirigée contre la bonne entité juridique.

M. [R] répond que M. [N] a commis trois séries de manquements à son obligation de diligence à savoir :

— en attendant le 20 septembre 2004 pour déposer son mémoire, soit deux ans et demi après avoir fait délivrer le congé au preneur le 28 mars 2002, lequel délai est excessif, alors qu’il lui appartenait de veiller à ce que l’expert dépose son rapport amiable dans des délais raisonnables, soit sous trois mois, en lui faisant notamment parvenir les pièces nécessaires, et qu’il pouvait introduire l’action sur le fondement de l’estimation provisoire établie par son expert et fournie dans le congé délivré le 28 mars 2002,

— en n’assignant pas le locataire dans les deux mois de la signification du mémoire délivré le 20 septembre 2004, soit dès le mois de novembre 2004, en application de l’article R.145-27 du code de commerce, le respect de la prescription biennale ne suffisant pas à caractériser la diligence de l’avocat qui doit agir dans un délai raisonnable afin d’éviter à son client des années de procédure inutiles, couteuses et dommageables, ce qui le cas en l’espèce puisque [Y] [I] a continué à percevoir un loyer dérisoire durant les 8 années de la procédure inutile tout en étant privée du bénéfice du déplafonnement automatique de l’article L.145-34 du code de commerce par la faute de son avocat, et M. [N] devant faire preuve de la même diligence dans ce dossier que dans celui dont [Y] [I] l’a également saisi avec pour mission d’obtenir la fixation du prix des baux situés à la même adresse et exploités par la société MM2 sous l’enseigne Kookaï,

— en ne régularisant l’assignation à l’encontre de la société Marionnaud Lafayette que le 4 octobre 2006, alors même qu’il avait été informé personnellement de son existence et de son statut de locataire depuis le 21 juin 2006, et qu’il lui appartenait d’assigner le véritable locataire dans le délai de prescription de l’article L.145-60 du code de commerce, soit au plus tard au 19 septembre 2006.

L’avocat engage sa responsabilité contractuelle, sur le fondement de l’article 1147 du code civil dans sa version applicable aux faits, à charge pour celui qui l’invoque de rapporter la preuve d’une faute, d’un lien de causalité et d’un préjudice.

Il est tenu envers son client à un devoir de conseil et à une obligation de diligence et doit à ce titre effectuer tous les actes utiles à la défense des intérêts de son client.

L’arrêt de la cour d’appel de 4 juin 2009, passé en force de chose jugée, a jugé irrecevable, sur le fondement de l’article L.145-60 du code de commerce, l’action en fixation du loyer renouvelé engagée en application de l’article L.145-33 du même code le 4 octobre 2006 par [Y] [I] représentée par M. [N] à l’égard de la société Mariaunaud Lafayette venant aux droits de la société Giausserand et Cie, locataire, soit au delà du délai de deux ans de la notification du mémoire du 20 septembre 2004 ayant interrompu le délai de prescription biennale qui avait commencé à courir à compter de la date d’effet du congé soit le 29 septembre 2002, en rejetant le moyen tiré de la suspension dudit délai soulevé par [Y] [I] aux motifs que son mandataire, la société Cannes soleil, avait reçu le 18 mai 2006 l’information de l’identité du nouveau locataire et en avait pris acte le 6 juillet 2006.

M. [N] ayant été informé de l’identité de ce nouveau locataire venant aux droits de la société Giausserand et Cie par courrier de la société Cannes soleil du 21 juin 2006, a commis un manquement à son devoir de diligence en n’ assignant pas ce nouveau locataire dans le délai de prescription biennale de l’article L.145-60 du code de commerce expirant au 20 septembre 2006.

Le mémoire en déplafonnement de loyer doit être régularisé dans le délai de deux ans suivant la date de délivrance du congé, soit en l’espèce avant le 29 novembre 2004, ce qui a été fait le 20 septembre 2004 à réception du rapport d’expertise amiable sollicité par M. [R] et rendu le 16 septembre 2004.

En application de l’article R.145-23 du code de commerce, les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées devant le président du tribunal de grande instance ou le juge qui le remplace qui statue sur mémoire, l’article R.145-27 du même code précisant que 'Le juge ne peut, à peine d’irrecevabilité, être saisi avant l’expiration d’un délai d’un mois suivant la réception par son destinataire du premier mémoire établi. La partie la plus diligente remet au greffe son mémoire aux fins de fixation de la date de l’audience. Elle y annexe les pièces sur lesquelles elle fonde sa demande et un plan des locaux (…)'.

Le mémoire signifié le 20 septembre 2004 par [Y] [I] représentée par M. [N] à la société Giausserand & Cie au soutien de l’action en fixation du prix du loyer du bail renouvélé fonde ses prétentions sur les conclusions du rapport d’évaluation en valeur locative de marché demandé à M. [A], expert près la cour d’appel d’Aix-en-Provence, daté du 13 septembre 2004 et concluant à une valeur locative annuelle de 162 000 euros (rez-de-chaussée) et 148 800 euros (1er étage).

Il ne saurait être fait grief à l’avocat d’avoir attendu le dépôt de ce rapport pour signifier son mémoire aux motifs qu’il pouvait se fonder sur l’estimation provisoire établie par son expert et fournie dans le congé délivré le 28 mars 2002. En effet, outre le fait qu’il n’est produit aucun rapport d’évaluation provisoire et que celui-ci n’est pas mentionné dans ledit congé ni dans le rapport de l’expert, les prétentions de la bailleresse relatives à la fixation du loyer de bail renouvelé étaient bien moindres dans le congé délivré le 28 mars 2002, soit 100 000 euros et 37000 euros, en sorte qu’à la supposer existante, il n’était pas dans l’intérêt de la bailleresse de fonder son mémoire sur une telle estimation provisoire.

De même, il est justifié que par lettre du 26 avril 2003, M. [N] a relancé M. [A] aux fins d’établissement de son rapport, ce afin de lui permettre de notifier au locataire son mémoire, en lui rappelant que M. [R] l’avait saisi et que les plans établis par l’architecte lui avaient été remis, et en l’invitant à lui faire part de toute difficulté. Il ressort de la lettre de M. [N] du 31 mai 2003 que l’expert lui a répondu être en attente des plans de M. [R] et que contacté par son avocat, ce dernier s’est engagé à remettre les plans à l’expert au début du mois de juin, à l’occasion d’un déplacement à [Localité 14]. M. [R] résidant en Suisse et détenant ces plans en France, l’avocat n’était pas à même de fournir lui-même à l’expert les documents nécessaires, en sorte que la durée d’expertise et le délai prétendument déraisonnable à signifier le mémoire se fondant sur le rapport d’expertise ne sont pas imputables à un manquement de diligence de sa part.

La circonstance que la procédure diligentée à l’égard d’un autre locataire d'[Y] [I] -la société MM2 exploitant les locaux sous l’enseigne Kookaï-, ayant également missionné M. [N], ait été plus rapide est inopérante à établir son manque de diligence dans la procédure litigieuse, étant relevé que dans la procédure invoquée, c’est le locataire et non pas le bailleur qui a pris l’initiative de notifier son mémoire le 5 août 2002.

Les premiers juges ont donc à juste titre retenu une seule faute de M. [N], tenant au défaut d’assignation du nouveau locataire dans le délai de la prescription biennale.

Sur le préjudice et le lien de causalité :

Le tribunal a jugé que par la faute commise par M. [N], M. [R] avait perdu une chance sérieuse d’obtenir le déplafonnement du loyer des locaux loués, compte tenu de ce que le bail était d’une durée effective supérieure à 12 ans, et qu’il a évaluée, sans qu’il soit besoin de recourir à une expertise judiciaire compte tenu des rapports amiables soumis au débat contradictoire, à la somme de 3 millions d’euros, motifs pris que :

— si la cour d’appel d’Aix-en-Provence a fixé, dans un arrêt du 7 mai 2008, la valeur locative des locaux situés dans le même immeuble, exploités par la société Kookaï, en adoptant la méthode dite de 'décapitalisation', il n’apparaît pas que cette méthode soit retenue par le droit positif de sorte qu’i1 existait peu de chances qu’elle soit adoptée par le tribunal ou même la cour d’appel d’Aix-en-Provence,

— le prix du loyer au m² est évalué à la somme de 1 600 euros à l’époque dans le rapport d’expertise amiable de M. [K], qui ne retient pas cette thèse, à la somme de 2 000 euros par M. [A] et à la somme de 1470 euros par Mme [L].

La société Allianz Iard et M. [N] font valoir que :

— le tribunal ne précise pas les détails de son calcul alors que la reconstitution fictive des débats devant le juge des loyers lui imposait de répondre à l’ensemble des arguments soulevés par eux et de déterminer, dans sa décision, la surface pondérée des locaux, les éléments de référence pour le calcul du loyer et la valeur locative retenue au m², le coefficient de pondération et les abattements retenus, ainsi que la véritable valeur locative retenue des locaux litigieux en 2002,

— les valeurs locatives de 122 900 euros HT/ an en 2011 et ou de 80 410,89 euros HT/an fondées sur les différents rapports d’expertise judiciaire dont elles se prévalent sont sans commune mesure avec la valeur locative démesurée revendiquée par M. [R] à hauteur de 432 696,24 euros HT/ an sur la base de ses rapports amiables privés et vraisemblablement retenue par le tribunal,

— seul est pertinent l’avis de Mme [L], qui aux termes d’une expertise judiciaire contradictoire, s’est prononcée sur le loyer de renouvellement pour les mêmes locaux et entre les mêmes bailleur et preneur, à la date du 29 septembre 2011,

— la perte de chance alléguée de voir la méthode de décapitalisation retenue est totalement nulle puisque cette méthode, retenue dans l’arrêt isolé du 7 mai 2008, a été définitivement abandonnée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 4 février 2010, laquelle n’aurait pu statuer avant, et que l’expert judiciaire n’a pas retenu une telle méthode,

— la surface pondérée de la boutique Marionnaud Lafayette peut être valorisée à 113,28 m², tel que retenu par Mme [L], au lieu des 219, 42 m² invoqués par M. [R] et l’assiette maximale du préjudice indemnisable doit être fixée à une somme comprise entre 434 960 euros et 558 749 euros, déduction faite des économies réalisées par le bailleur, et ce avant application du pourcentage de perte de chance,

— la perte de chance d’obtenir la fixation d’un loyer au 29 septembre 2002 correspondant à l’article L.145-33 du code de commerce ne peut excéder 50% compte tenu des difficultés financières de la locataire, faisant l’objet d’une mesure de sauvegarde en 2010 puis liquidée pour insuffisance d’actif le 17 septembre 2013, en sorte que M. [R] n’aurait pas été en mesure de recouvrer les loyers postérieurs à 2010,

— subsidiairement, il y a lieu d’ordonner une expertise judiciaire.

M. [R] réplique que :

— il a obtenu dans une procédure introduite parallèlement et concomitamment relative aux locaux mitoyens, situés dans le même immeuble, exploités par la société MM2 sous l’enseigne Kookaï, un arrêt définitif de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 7 mai 2008 fixant le loyer à la somme de 1 972 euros le m² en retenant la méthode de décapitalisation, de sorte que la cour aurait apprécié de façon identique le prix au m² si son avocat n’avait pas laissé l’action se prescrire par manque de diligences, et que son manque à gagner s’élève à la somme de 4 141 693,27 euros,

— l’arrêt du 7 mai 2008 n’est pas une décision isolée, d’autres décisions, rendues à l’époque par différentes juridictions – y compris à trois reprises par la cour d’appel d’Aix en Provence – retenant la méthode dite de la décapitalisation définitivement abandonnée par ladite cour en 2010, et les juges sont souverains pour fixer la valeur locative en adoptant le mode de calcul qui leur parait être le meilleur,

— les références proposées par les appelants ne sont pas pertinentes, soit parce qu’elles n’ont pas été retenues par l’arrêt du 7 mai 2008, soit parce qu’elles sont trop récentes et concernent des emplacements non comparables aux locaux loués,

— les rapports ultérieurs de Mme [L] doivent être écartés des débats, compte tenu de l’application d’usages et de méthodes n’existant pas au moment où les juges du fond auraient dû trancher et du principe de reconstitution des débats qui n’ont pu avoir lieu devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence,

— le rapport d’évaluation financière de M. [B] [S] ultérieur à l’arrêt de la cour d’appel d’Aix en Provence est inopérant,

— son préjudice doit être intégralement indemnisé compte tenu de son caractère certain et de l’absence d’aléa sur le principe de la revalorisation des loyers avec déplafonnement au prix du marché année 2002, et en ce qui concerne le quantum de cette revalorisation, il existait plus de 99 % de chance que la cour compétente rende une décision similaire à celle du 7 mai 2008, fixant ainsi à la somme de1.972 euros le m² le prix du loyer renouvelé de la société Marionnaud Lafayette à compter du 30 septembre 2002.

Le manquement de diligence de l’avocat a fait perdre au bailleur une chance de voir juger recevable son action en fixation du loyer renouvelé et d’obtenir la fixation judiciaire de celui-ci. Cette perte de chance doit être évaluée en reconstituant les débats au fond qui n’ont pu avoir lieu, ce à l’aune des motivations de la décision qui a été rendue, des dispositions légales qui avaient vocation à s’appliquer au regard des prétentions et demandes respectives des parties ainsi que des pièces en débat.

Les parties ne versant pas aux débats les écritures échangées devant le tribunal de grande instance de Grasse puis la cour d’appel d’Aix-en-Provence, la cour s’en tiendra au résumé de leurs prétentions telles que retranscrites dans le jugement du 14 mai 2007 et l’arrêt du 4 juin 2009, dont il ressort qu’au fond, [Y] [I] sollicitait, à titre principal, la fixation du montant des nouveaux loyers annuels à 162 000 euros HT et hors charges pour les locaux situés au rez-de-chaussée et de 148 800 euros HT et hors charges pour les locaux au 1er étage, subsidiairement une mesure d’expertise et encore plus subsidiairement la résiliation des baux, la société Mariaunaud Lafayette demandant quant à elle le renouvellement des baux au 29 septembre 2002 aux mêmes clauses, charges et conditions, en ce compris le loyer, pour une nouvelle durée de neuf ans, et subsidiairement la désignation d’un expert.

M. [R] fonde pour l’essentiel ses prétentions sur l’arrêt rendu par la cour d’Aix-en-Provence du 7 mai 2008 ayant appliqué la méthode de décapitalisation pour évaluer la valeur locative de locaux situés dans le même immeuble, exploités sous l’enseigne Kookaï.

Cependant, outre le fait qu’il n’établit pas que le choix de cette méthode était courant en droit positif, celle-ci a été définitivement abandonnée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence par un arrêt du 4 février 2010. A considérer que le nouveau locataire ait effectivement été assigné devant le tribunal de grande instance de Grasse dans les délais de prescription, soit entre le 21 juin 2006, date à laquelle l’avocat a eu connaissance de l’identité du nouveau locataire, et le 20 septembre 2006, plutôt que le 4 octobre 2006, le respect de son obligation de diligence par l’avocat aurait été sans effet quant aux délais des procédures de première instance et d’appel, et la cour d’appel d’Aix-en-Provence n’aurait pas pu statuer avant le 4 juin 2009.

En outre, ladite cour n’aurait pas pu fixer le montant du nouveau loyer au delà des demandes formulées par la bailleresse à hauteur de 162 000 euros pour les locaux situés au rez-de-chaussée et 148 800 euros pour ceux du 1er étage, conformément au rapport d’expertise amiable de M. [A], expert judiciaire inscrit sur la liste des experts de ladite cour d’appel, et soumis au débat contradictoire, lequel ne fonde pas ses conclusions sur la méthode de décapitalisation. A supposer même, pour les besoins de la cause, que la cour, dans son arrêt du 4 juin 2009, ait pu accueillir la demande d’expertise judiciaire formée subsidiairement par le bailleur et le locataire, la cour n’aurait en aucun cas pu statuer en ouverture du rapport d’expertise judiciaire antérieurement à l’abandon définitif du choix de la méthode de décapitalisation consacré par son arrêt du 4 février 2010.

Au vu de ces éléments, il n’est caractérisé aucune perte de chance, même minime, d’obtenir la fixation du loyer sur le fondement de la méthode de décapitalisation, en lien causal avec la faute de l’avocat.

Dès lors qu’il n’est pas justifié du contenu de la discussion au fond soutenue subsidiairement par les parties devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, et en particulier des critiques éventuellement émises s’agissant du rapport de M. [A], expert judiciaire, et des pièces produites à l’appui de celles-ci, il n’est aucunement démontré que ladite cour aurait estimé ce rapport insuffisant pour éclairer les débats et qu’elle aurait désigné un autre expert judiciaire.

Elle aurait donc nécessairement statué au vu de ce seul rapport. Les divers rapports d’expertise amiables ou judiciaires et éléments de référence ultérieurs à son arrêt, dont les parties sollicitent chacune le bénéfice, sont par conséquent inopérants pour évaluer la perte de chance de fixation du loyer du bail renouvelé, étant au surplus rappelé que le juge des loyers ne doit tenir compte que des éléments de référence existant à la date du renouvellement pour fixer le prix du loyer renouvelé.

Selon le rapport d’expertise de M. [A],

— le loyer de renouvellement des deux locaux doit être fixé à la valeur locative de marché du fait de la durée du bail perdurant au delà de deux années,

— compte tenu, d’une part, de la situation des locaux dans la [Adresse 15], second axe de prestige après le [Adresse 11] et comparable à un centre commercial du fait de la présence de dizaines d’enseignes nationales et internationales surtout dans le prêt-à-porter et les activités connexes de luxe et, d’autre part, du positionnement des locaux dans la partie Ouest de cette rue, très nettement favorable par rapport à la partie Est, doit être retenu un ratio de 2 000 euros HT/m²/pondéré/annuel,

— les locaux étant communicants, reliés entre eux par escalier et ascenseur, doivent être pondérés à 81 m², tandis que les locaux de l’étage, dont la destination effective (bureaux ou cabines) pour le preneur importe peu, doivent être pondérés à 74 m²,

— le loyer des baux commerciaux au 29 septembre 2002 doit donc être estimé à 162 000 euros HT/an s’agissant des locaux du rez-de-chaussée et de la mezzanine (81 m² x 2000 euros/m²/pondéré/HT/an), et à 148 800 euros HT/an pour les locaux à l’étage, soit un montant total annuel de 310 800 euros HT.

Les critiques émises par les demandeurs à la saisine à l’égard de ce rapport ne sont pas fondées, aucun élément ne justifiant que le rapport de M. [A], expert judiciaire, soit partial, subjectif et insuffisant au seul motif que cet expert a été sollicité par M. [R], étant relevé que l’expert précise s’être rendu sur les lieux le 9 mars 2004 et avoir pris connaissance des baux, des congés et des plans des locaux dressés par l’architecte et que M. [N] et la société Allianz Iard ne font aucunement la démonstration de l’incompatibilité des conclusions de l’expert avec lesdits éléments. Les conclusions de Mme [L], expert judiciaire, ayant estimé la valeur du loyer renouvellé à compter du 29 septembre 2011, dont la cour d’appel d’Aix-en-Provence n’aurait pas eu à connaître, ne peuvent servir de fondement à ces critiques.

[Y] [I] sollicitant devant la cour le bénéfice des conclusions de M. [A], n’aurait pu obtenir la fixation d’un loyer supérieur à celui évalué par l’expert.

Le préjudice subi par un justiciable, privé, par la faute de son avocat, d’une chance de voir ses prétentions accueillies par une juridiction, doit s’apprécier exclusivement au regard de la probabilité de succès de l’action envisagée.

Les perspectives de recouvrement de la créance de loyers du bail renouvelé dont le bailleur n’a pu obtenir la fixation judiciaire du fait de la faute de son avocat, étant étrangères aux chances de succès de l’action, sont inopérantes à minorer la perte de chance subie.

Au vu de ces éléments, le manque de diligence de M. [N] a fait perdre à M. [R] une chance réelle et sérieuse, quasi certaine devant être évaluée à 98%, de voir prononcer le renouvellement du bail pour une durée de neuf ans et fixer le montant des nouveaux loyers annuels à 162 000 euros HT et hors charges pour les locaux situés au rez-de-chaussée et de 148800 euros HT et hors charges pour les locaux au 1er étage, en lieu et place du renouvellement du loyer aux conditions initiales au titre duquel M. [R] a perçu la somme de 207 858,60 entre le 22 septembre 2002 et le 29 septembre 2011, et ce sans qu’il y ait lieu de déduire les économies prétendument réalisées par le bailleur au vu du rapport d’analyse financière de M. [B] [S] rendu en 2021, bien ultérieurement à l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence.

Le préjudice de perte de chance de M. [R] est donc de 2 533 397 euros ((310 800 x 9) x98% – 207 858,60 (loyers perçus)).

Il convient, en conséquence, de condamner in solidum les demandeurs à la saisine à payer à M. [R] la somme de 2 533 397 euros avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement, s’agissant d’une créance indemnitaire, et d’ordonner la capitalisation des intérêts, les premiers juges ayant à juste titre retenu que la garantie de la société Allianz Iard est due dans les limites de la police souscrite.

L’infirmation du jugement quant au quantum de la réparation allouée implique la restitution du trop perçu au titre de l’exécution de ce jugement, sans qu’il y ait lieu de l’ordonner.

Sur les demandes indemnitaires de la société Allianz Iard :

Les demandeurs à la saisine, se prévalant de la conduite abusive de la procédure de saisie-attribution en exécution forcée du jugement critiqué par M. [R] mise en oeuvre cinq jours seulement après la signification du titre exécutoire, conduisant au blocage du compte bancaire de la société Allianz Iard ouvert auprès de la Société générale durant une période d’un mois, font valoir que la société Allianz Iard a subi un préjudice moral et financier de 100 000 euros, outre un préjudice de 23 408 euros au titre des frais d’hypothèque judiciaire exposés en suite de cette procédure.

Le défendeur à la saisine répond que :

— l’appelante ne justifie d’aucune faute ni d’aucun préjudice causé par la saisie de son compte bancaire entre les mains de la Société générale, puisque seul le solde était bloqué et non le compte,

— un créancier poursuit à ses risques le recouvrement d’une créance qui n’est pas définitive de sorte que les frais exposés par la société Allianz Iard au titre de l’inscription imprudente d’hypothèques judiciaires doivent rester à sa charge.

Il n’est démontré aucun abus dans l’exécution forcée du titre exécutoire de M. [R] en diligentant une procédure de saisie-attribution après avoir fait signifier le jugement dont appel, ni aucun préjudice afférent. La société Allianz Iard n’est pas davantage fondée en sa demande de remboursement des frais d’hypothèques judiciaires qu’elle a fait inscrire au titre d’une potentielle créance de restitution à la suite de la saisie-attribution pratiquée, alors que le créancier poursuit à ses risques et périls le recouvrement de créances non définitives.

Les demandes indemnitaires de la société Allianz Iard sont donc mal fondées et doivent être rejetées, en confirmation du jugement.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile sont confirmées. Les demandeurs à la saisine échouant en leur prétentions seront condamnés aux dépens d’appel avec les modalités de recouvrement de l’article 699 du code de procédure civile et à payer à M. [R] une indemnité de 8 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du même code.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Dit recevables l’appel et la prétention de la société Allianz Iard relative à la limite de son plafond de garantie,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a condamné in solidum M. [C] [N] et la société Allianz Iard à payer à M. [F] [R] la somme de 3 000 000 euros à titre de dommages-intérêts,

Statuant de nouveau,

Condamne in solidum M. [C] [N] et la société Allianz Iard à payer à M. [F] [R] la somme de 2 533 397 euros à titre de dommages-intérêts,

Y ajoutant,

Dit que cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 3 septembre 2015,

Ordonne la capitalisation des intérêts,

Déboute la société Allianz Iard de ses demandes en réparation de son préjudice moral et financier et en remboursement des frais d’hypothèques judiciaires,

Rappelle que par l’effet de l’infirmation, le trop perçu en exécution du jugement du 3 septembre 2015 doit être restitué,

Condamne in solidum M. [C] [N] et la société Allianz Iard à payer à M. [F] [R] la somme de 8 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum M. [C] [N] et la société Allianz Iard aux dépens d’appel avec les modalités de recouvrement de l’article 699 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE



Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Paris, Pôle 4 chambre 13, 10 mai 2022, n° 21/07264