Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 10, 17 février 2022, n° 21/07058

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 1 - ch. 10, 17 févr. 2022, n° 21/07058
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 21/07058
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 10

ARRÊT DU 17 FÉVRIER 2022

(n° , pages)


Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/07058 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDPMN


Décision déférée à la cour : jugement du 29 mars 2021-juge de l’exécution de PARIS- RG n° 20/81741

APPELANTE

CAISSE DE RETRAITE ET DE PRÉVOYANCE DES CLERCS ET EMPLOYÉS DE NOTAIRES

[…]

[…]


Représentée par Me Véronique BOLLANI de la SCP FORESTIER & HINFRAY, avocat au barreau de PARIS, toque : P0255

INTIMÉE

Madame Y X

[…]

[…]


Représentée par Me Emmanuel WEILL, avocat au barreau de PARIS, toque : D1294

COMPOSITION DE LA COUR :


L’affaire a été débattue le 19 janvier 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Bénédicte PRUVOST, présidente de chambre

Madame Catherine LEFORT, conseillère

Monsieur A B, conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur A B, conseiller, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

GREFFIER lors des débats : M. Grégoire GROSPELLIER ARRÊT :


- contradictoire


- par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.


- signé par Bénédicte PRUVOST, présidente de chambre et par Grégoire GROSPELLIER, greffier présent lors de la mise à disposition.


Par acte d’huissier du 16 octobre 2020, la Caisse de retraite et de prévoyance des clercs et employés de notaires (ci après dénommée la C.R.P.C.E.N.), se prévalant d’un contrat de bail sous seing privé en date du 22 juin 1998, a fait pratiquer une saisie conservatoire entre les mains de la banque HSBC pour un montant de 25 074,01 euros au préjudice de Mme X ; cette somme représente des loyers dus sur la période allant du mois de mars au 1er octobre 2020. Cette mesure d’exécution sera dénoncée à la débitrice le 22 octobre 2020. Par acte du 16 novembre 2020, Mme X a donné assignation à la C.R.P.C.E.N. à comparaître devant le juge de l’exécution du Tribunal judiciaire de Paris, afin de voir ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire diligentée le 16 octobre 2020 sur son compte professionnel HSBC entreprise, dire et juger que la somme de 88 228,35 euros est insaisissable, et condamner la C.R.P.C.E.N. à lui régler la somme de 100 euros en remboursement de la commission prélevée par la banque HSBC pour frais de traitement de la saisie. Elle a sollicité également la condamnation de la C.R.P.C.E.N. à lui payer 2 000 euros de dommages et intérêts pour saisie abusive, et la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.


Suivant jugement en date du 29 mars 2021, le juge de l’exécution de Paris a :


- rejeté la demande d’annulation de l’assignation du 13 novembre 2020,


- dit que la saisie conservatoire diligentée le 16 octobre 2020 entre les mains de la banque HSBC pour un montant de 25 074,01 euros au préjudice de Mme X est caduque,


- donné en conséquence mainlevée de la saisie conservatoire diligentée le 16 octobre 2020 entre les mains de la banque HSBC pour un montant de 25 074,01 euros au préjudice de Mme X,


- condamné la C.R.P.C.E.N. à payer à Mme Y X 1 500 euros de dommages et intérêts,outre une indemnité de 2 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.


Par déclaration en date du 12 avril 2021 la C.R.P.C.E.N. a relevé appel de ce jugement.


En ses conclusions notifiées le 30 décembre 2021, la C.R.P.C.E.N. a demandé à la Cour d’ordonner le rabat de l’ordonnance de clôture ou subsidiairement de déclarer irrecevables les dernières conclusions de Mme X datant du 8 décembre 2021 soit de la veille de la clôture de la procédure. Elle a exposé que des impayés de loyers s’étaient produits à plusieurs reprises, à un point tel qu’elle avait dû délivrer à Mme X de nombreux commandements de payer, le dernier en date le 20 février 2018, et que deux saisies conservatoires avaient été diligentées, seule la première étant en litige dans le cadre de cette procédure puisque la Cour n’était pas présentement saisie de l’appel du second jugement rendu par le juge de l’exécution de Paris le 12 juillet 2021 statuant sur la régularité de la seconde saisie conservatoire du 30 mars 2021. La C.R.P.C.E.N. a soutenu que contrairement à ce qu’avait estimé le premier juge, les dispositions de l’article R 511-8 du code des procédures civiles d’exécution avaient bien été respectées, puisque l’assignation à comparaître devant le juge des contentieux de la protection qu’elle avait délivrée à la débitrice le 13 novembre 2020 avait bien été dénoncée au tiers saisi, la société HSBC, le 19 novembre suivant. S’agissant des loyers dus sur la période allant du 12 mars 2020 au 10 septembre 2020 (soit deux mois après la cessation de l’état d’urgence sanitaire), la C.R.P.C.E.N. a prétendu que l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 ne suspendait pas le paiement des loyers ni n’interdisait la prise de mesures conservatoires, alors que l’article 1er de ladite ordonnance n’était pas applicable, s’agissant d’un bail mixte. La C.R.P.C.E.N. a ajouté que l’article 3 de l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 n’était pas davantage applicable, non plus que le décret du 30 mars 2020 puisque Mme X ne justifiait pas avoir bénéficié du fonds de solidarité.


S’agissant des loyers dus sur la période allant du 10 septembre 2020 au 17 octobre 2020 (date à laquelle le décret du 14 octobre 2020 avait fixé le début de la nouvelle période d’urgence sanitaire), l’appelante a prétendu que ce texte ne pouvait pas être invoqué, car la saisie conservatoire querellée datait du 16 octobre 2020, et que de plus, l’activité de Mme X n’avait pas été impactée par l’épidémie de Covid et les mesures de police prises en conséquence.


S’agissant du procès verbal de saisie conservatoire, la C.R.P.C.E.N. a fait plaider que la demande d’annulation de celui-ci était irrecevable faute d’avoir été soulevée in limine litis, que cet acte était régulier comme comportant le montant du principal de la dette (49 186 euros arrêtée au mois de décembre 2021), et que des menaces pesaient sur son recouvrement dans la mesure où Mme X demeurait taisante, et était restée inactive suite à la délivrance des divers commandements de payer. Elle a ajouté que les sommes saisies étaient bien saisissables. La C.R.P.C.E.N. a demandé à la Cour d’infirmer le jugement, de rejeter les prétentions de Mme X, et de la condamner au paiement de la somme de 6 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.


Selon conclusions notifiées le 17 janvier 2022, Mme X a invoqué l’article 11.1 1° g) de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 en vertu duquel un locataire pouvait solliciter un report ou un étalement du loyer, et l’article 4 de l’ordonnance du 25 mars 2020 selon lequel les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie au I de l’article 1er. Elle a invoqué également l’article 14 I et IV de la loi du 14 novembre 2020 et le décret du 30 décembre 2020 qui prévoyaient qu’un professionnel ne pouvait pas faire l’objet d’une saisie conservatoire ni encourir la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers. Mme X a également mis en exergue la mauvaise foi de la partie adverse, qui l’avait placée en grande difficulté en régularisant la saisie conservatoire querellée, ce qui l’avait mise dans l’impossibilité de régler ses dettes courantes, et qui bien qu’ayant donné mainlevée de cette mesure au titre de l’exécution provisoire du jugement dont appel, avait cru devoir dresser un second procès verbal de saisie conservatoire à son encontre le 30 mars 2021, manifestant ainsi la volonté de ne pas respecter les décisions de justice rendues. Elle a précisé que ce second procès-verbal de saisie conservatoire avait été contesté également devant le juge de l’exécution de Paris qui avait rendu une décision le 12 juillet 2021, actuellement frappée d’appel. Mme X a soulevé la nullité absolue du premier procès-verbal de saisie conservatoire qui ne comportait pas de décompte de créance, et a fait valoir en outre que les sommes saisies ne pouvaient l’être s’agissant du fonds de solidarité dont elle avait bénéficié à hauteur de 9 x 1 500 euros (en vertu de l’article 3-1 de l’ordonnance du 25 mars 2020), de la somme de 1 000 euros versée par le service social de l’ordre des avocats, de la somme de 1 500 euros versée par l’URSSAF, et de celle de 1 500 euros versée par le CNBF, lesdites sommes n’étant pas non plus saisissables conformément à l’article L 112-2 du code des procédures civiles d’exécution.

Mme X a fait valoir également qu’il existait une disproportion entre la saisie conservatoire et la dette qu’elle devait régler, et qu’il n’y avait ni de principe de créance apparemment fondé ni de péril sur le recouvrement de celle-ci, dans la mesure où elle ne se trouvait pas en état de cessation des paiements et encore moins en liquidation judiciaire, et ce d’autant plus que la créancière se trouvait, quant à elle, dans une situation financière particulièrement florissante. Enfin elle a reproché à la C.R.P.C.E.N. de s’être livrée à un véritable harcèlement. Mme X a demandé à la Cour d’infirmer le jugement du 29 mars 2021, de déclarer la C.R.P.C.E.N. irrecevable en son appel faute d’intérêt à agir et également au motif que la valeur du litige étant inférieure à 5 000 euros le jugement avait été rendu en dernier ressort, et subsidiairement de confirmer ledit jugement. Elle a réclamé 5 000 euros de dommages et intérêts pour appel abusif, 2 000 euros pour abus d’ester en justice, et 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile. Subsidiairement, Mme X a réclamé l’annulation de la saisie conservatoire, qui ne comportait pas de décompte, de constater qu’il en avait été donné mainlevée, de constater qu’elle avait payé la somme de 24 816,09 euros, et de confirmer le jugement. En outre Mme X a demandé qu’il soit jugé que les sommes de 6 000 euros et 4 000 euros n’étaient pas saisissables, et de condamner la partie adverse au paiement de 15 000 euros de dommages et intérêts pour abus de saisie et 6 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile .


L’ordonnance de clôture a été rendue le 9 décembre 2021.

MOTIFS


L’ordonnance de clôture ne peut être révoquée,qu’en cas de cause grave. Il s’avère que Mme X a conclu le 8 décembre 2021 soit la veille de la clôture de la procédure, et que la partie adverse n’a pas pu y répondre utilement si ce n’est le 30 décembre 2021, et que Mme X a reconclu le 17 janvier 2022. Il convient en conséquence, afin de rendre l’ensemble des écritures recevables, d’ordonner le rabat de l’ordonnance de clôture et de clôturer à nouveau la procédure.


Le jugement dont appel a été rendu dans le cadre d’une instance où Mme X contestait une saisie conservatoire opérée pour une somme de 25 074,01 euros ; contrairement à ce qu’avance l’intimée le montant du litige était donc supérieur à 5 000 euros si bien que ledit jugement a été à juste titre rendu en premier ressort, étant rappelé de surcroît que selon les dispositions de l’article R 121-19 du code des procédures civiles d’exécution, les décisions du juge de l’exécution peuvent être frappées d’appel à moins qu’il ne s’agisse d’une mesure d’administration judiciaire. L’appel est dès lors recevable.

Mme X soutient que la C.R.P.C.E.N. n’a pas d’intérêt à agir, motif pris de ce que la première saisie conservatoire, celle du 16 octobre 2020, porte sur des loyers qui sont à ce jour payés ; or si elle produit des avis d’échéances relatifs aux loyers en cause, elle n’en démontre aucunement leur paiement ; le fait qu’une seconde saisie conservatoire ait été régularisée peu de temps après la mainlevée de la première opérée au titre de l’exécution provisoire du jugement ne fait que conforter l’idée que ces loyers ne sont toujours pas payés à ce jour. La C.R.P.C.E.N. a donc bien intérêt à agir au titre de l’appel à l’encontre du jugement en date du 29 mars 2021.


En premier lieu la Cour n’a pas à statuer sur les demandes de Mme X à fin de constater qu’il a été donné mainlevée de la saisie conservatoire, ou que les loyers sont réglés, de telles demandes ne constituant pas à proprement parler des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile.


Selon les dispositions de l’article R 511-8 du code des procédures civiles d’exécution, lorsque la mesure conservatoire est pratiquée entre les mains d’un tiers, le créancier signifie à ce dernier une copie des actes attestant les diligences requises par l’article R 511-7, dans un délai de huit jours à compter de leur date. A défaut, la mesure conservatoire est caduque. L’article R 511-7 du même code dispose que le créancier doit, dans le mois qui suit l’exécution de la mesure, à peine de caducité, introduit une procédure ou accomplir les formalités nécessaires à l’obtention d’un titre exécutoire. C’est le 16 octobre 2020 que la saisie conservatoire a été régularisée ; par acte en date du 13 novembre 2020, soit moins d’un mois plus tard, la C.R.P.C.E.N. a délivré à Mme X une assignation à comparaître devant le juge des contentieux de la protection de Paris ; ladite assignation a bien été dénoncée au tiers saisi, la société HSBC, le 19 novembre suivant.


Contrairement à ce qu’a décidé le juge de l’exécution, la saisie conservatoire n’est pas caduque.

Mme X soulève la nullité du procès-verbal de saisie conservatoire daté du 16 octobre 2020.
Un tel moyen ne constitue pas une exception de procédure qui devrait nécessairement, comme il est dit à l’article 74 du code de procédure civile, être soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. En outre, c’est dans ses premières conclusions notifiées le 28 juin 2021 que Mme X a soulevé ce moyen ; celui- ci est donc recevable. En revanche la distinction entre nullité relative et nullité absolue est étrangère au droit de la procédure civile et une demande d’annulation d’un acte d’huissier ne peut être accueillie que dans les cas prévus par le code de procédure civile, soit dans le cas d’une nullité de forme, soit dans celui d’une nullité de fond.


L’article R 523-1 du code des procédures civiles d’exécution dispose que le créancier procède à la saisie conservatoire par acte d’huissier de justice signifié au tiers, et que cet acte contient à peine de nullité :

1° L’énonciation des nom et domicile du débiteur ou, s’il s’agit d’une personne morale, de sa dénomination et de son siège social ;

2° L’indication de l’autorisation ou du titre en vertu duquel la saisie est pratiquée ;

3° Le décompte des sommes pour lesquelles la saisie est pratiquée ;

4° La défense faite au tiers de disposer des sommes réclamées dans la limite de ce qu’il doit au débiteur ;

5° La reproduction du troisième alinéa de l’article L. 141-2 et de l’article L. 211-3.


Si le débiteur reste libre de contester la créance paraissant apparemment fondée en son principe, seule une absence de décompte peut avoir pour conséquence l’annulation de l’acte. Tel n’est pas le cas en l’espèce puisque le procès-verbal de saisie conservatoire querellé mentionnait 'loyers et accessoires dus au 1er octobre 2020 : 24 816,09 euros'.


L’article R 512-1 du Code des procédures civiles d’exécution énonce que si les conditions prévues pour pratiquer une saisie conservatoire, à savoir l’existence d’une créance paraissant fondée en son principe et des circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement, ne sont pas réunies, la mainlevée de la mesure conservatoire peut être ordonnée à tout moment. Il appartient au créancier de prouver que ces conditions sont remplies.


S’agissant du principe de créance, il résulte des pièces produites que l’intimée n’a pas réglé le loyer depuis le mois de mars 2020.


Si la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 habilite le gouvernement à prendre par ordonnance diverses mesures permettant de reporter ou d’étaler le paiement des loyers de locaux à usage professionnel, elle ne contient aucune disposition contraignant les bailleurs à accéder à de telles demandes. Et la bailleresse n’a jamais accepté de report ou d’étalement des loyers.


En application de l’article 4 de l’ordonnance 2020-316 du 25 mars 2020, les personnes mentionnées à l’article 1er (c’est à dire les personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique qui sont susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020, à savoir celles exerçant une activité économique particulièrement touchée par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du covid-19 et des mesures prises pour en limiter la propagation.) ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L 622-14 et L 641-12 du code de commerce.
Les dispositions ci-dessus s’appliquent aux loyers et charges locatives dont l’échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 précitée, c’est à dire jusqu’au 10 septembre 2020 car la cessation de l’état d’urgence sanitaire est intervenue le 10 juillet 2020.


Il n’est pas contesté que dans les locaux loués, Mme X exerce son activité d’avocate.


Ce texte, s’il prohibe le constat du jeu de la clause résolutoire insérée au bail pour cause de défaut de paiement du loyer, ne dispense aucunement le locataire de payer le loyer ni n’interdit au bailleur de diligenter des mesures d’exécution pour en obtenir le recouvrement ou de régulariser une mesure conservatoire. En outre, la saisie conservatoire querellée a été régularisée le 16 octobre 2020 soit après l’expiration du délai susvisé. L’ordonnance du 25 mars 2020 n’est donc pas applicable.


Selon l’article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020,


I.-Le présent article est applicable aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique affectée par une mesure de police administrative prise en application des 2° ou 3° du I de l’article 1er de la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire, du 2° du I de l’article 1er de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire ou du 5° du I de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, y compris lorsqu’elle est prise par le représentant de l’Etat dans le département en application des deux premiers alinéas du III de l’article 1er de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 précitée ou du second alinéa du I de l’article L. 3131-17 du code de la santé publique. Les critères d’éligibilité sont précisés par décret, lequel détermine les seuils d’effectifs et de chiffre d’affaires des personnes concernées ainsi que le seuil de perte de chiffre d’affaires constatée du fait de la mesure de police administrative.


II.-Jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle leur activité cesse d’être affectée par une mesure de police mentionnée au I, les personnes mentionnées au même I ne peuvent encourir d’intérêts, de pénalités ou toute mesure financière ou encourir toute action, sanction ou voie d’exécution forcée à leur encontre pour retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives afférents aux locaux professionnels ou commerciaux où leur activité est ou était ainsi affectée.


Pendant cette même période, les sûretés réelles et personnelles garantissant le paiement des loyers et charges locatives concernés ne peuvent être mises en 'uvre et le bailleur ne peut pratiquer de mesures conservatoires qu’avec l’autorisation du juge, par dérogation à l’article L. 511-2 du code des procédures civiles d’exécution.


Toute stipulation contraire, notamment toute clause résolutoire ou prévoyant une déchéance en raison du non-paiement ou retard de paiement de loyers ou charges, est réputée non écrite.


III.-Le II ne fait pas obstacle à la compensation au sens de l’article 1347 du code civil.


IV.-Le II s’applique aux loyers et charges locatives dus pour la période au cours de laquelle l’activité de l’entreprise est affectée par une mesure de police mentionnée au I.


Les intérêts ou pénalités financières ne peuvent être dus et calculés qu’à compter de l’expiration du délai mentionné au premier alinéa du II.


En outre, les procédures d’exécution qui auraient été engagées par le bailleur à l’encontre du locataire pour non-paiement de loyers ou de charges locatives exigibles sont suspendues jusqu’à la date mentionnée au même premier alinéa.


V.-Jusqu’à l’expiration du délai mentionné au premier alinéa du II, ne peuvent procéder à la suspension, à l’interruption ou à la réduction, y compris par résiliation de contrat, de la fourniture d’électricité, de gaz ou d’eau aux personnes mentionnées au I pour non-paiement par ces dernières de leurs factures :

1° Les fournisseurs d’électricité titulaires de l’autorisation mentionnée à l’article L. 333-1 du code de l’énergie ;

2° Les fournisseurs de gaz titulaires de l’autorisation mentionnée à l’article L. 443-1 du même code ;

3° Les fournisseurs et services distribuant l’eau potable pour le compte des communes compétentes au titre de l’article L. 2224-7-1 du code général des collectivités territoriales.


En outre, les fournisseurs d’électricité ne peuvent procéder au cours de la même période à une réduction de la puissance distribuée aux personnes concernées.


Le présent V s’applique aux contrats afférents aux locaux professionnels ou commerciaux où l’activité des personnes concernées est affectée par une mesure de police administrative mentionnée au I.


Les personnes mentionnées au même I attestent qu’elles remplissent les conditions pour bénéficier du présent V, selon des modalités précisées par décret.


VI.-Les fournisseurs d’électricité titulaires de l’autorisation mentionnée à l’article L. 333-1 du code de l’énergie et les fournisseurs de gaz titulaires de l’autorisation mentionnée à l’article L. 443-1 du même code alimentant plus de 100 000 clients, les fournisseurs d’électricité qui interviennent dans les zones non interconnectées au réseau métropolitain continental, les entreprises locales de distribution définies à l’article L. 111-54 dudit code ainsi que les fournisseurs et services distribuant l’eau potable pour le compte des communes compétentes au titre de l’article L. 2224-7-1 du code général des collectivités territoriales sont tenus, à la demande des personnes mentionnées au I du présent article, de leur accorder le report des échéances de paiement des factures exigibles entre le 17 octobre 2020 et l’expiration du délai mentionné au premier alinéa du II et non encore acquittées. Ce report ne peut donner lieu à des pénalités financières, frais ou indemnités à la charge des personnes précitées.


Le paiement des échéances ainsi reportées est réparti de manière égale sur les échéances de paiement des factures postérieures, sur une durée ne pouvant être inférieure à six mois.


Le présent VI s’applique aux contrats afférents aux locaux professionnels ou commerciaux où l’activité des personnes concernées est affectée par une mesure de police administrative mentionnée au I.


Lorsqu’elles demandent à leur fournisseur le rééchelonnement du paiement des factures, les personnes mentionnées au même I attestent qu’elles remplissent les conditions pour bénéficier du présent VI, selon des modalités précisées par décret.


VII.-Le présent article s’applique à compter du 17 octobre 2020.


VIII.-Le présent article est applicable à Wallis-et-Futuna, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire.


Cette loi est entrée en vigueur postérieurement à la saisie conservatoire litigieuse, de sorte que même si elle peut être applicable à des loyers échus antérieurement, elle ne saurait concerner ladite saisie conservatoire. L’appelante n’était donc nullement tenue de se pourvoir d’une autorisation du juge de l’exécution pour mettre en place la mesure conservatoire en cause.
La C.R.P.C.E.N. peut dès lors invoquer un principe de créance apparemment fondé.


S’agissant du péril sur le recouvrement de la créance, il convient de déterminer si les craintes que l’appelante entretient à ce sujet sont légitimes, sans qu’il soit besoin de démontrer que Mme X se trouve nécessairement en cessation des paiements ou dans une situation financière irrémédiablement compromise.


Il résulte des pièces produites que le contrat de bail a été conclu le 22 juin 1998 ; indépendammment des litiges qui ont pu voir le jour à propos de la destination des locaux, cette Cour ayant rendu un arrêt le 16 octobre 2003 à ce sujet, il appert que l’exécution du bail a été émaillée d’incidents. En effet des commandements de payer visant la clause résolutoire ont dû être délivrés à Mme X les 13 décembre 2006, 12 juin 2007, 3 juin 2008, 25 août 2008, 21 décembre 2008, 6 mai 2009, 28 octobre 2009, 2 juin 2010 ; une instance a été introduite par la C.R.P.C.E.N. devant le Tribunal d’instance de Paris, lequel par jugement en date du 7 juin 2011 a finalement rejeté la demande de résiliation du bail ; un autre commandement de payer sera délivré le 24 octobre 2012 à la locataire, puis le 20 janvier 2014, et le 25 août 2014. Le 16 mai 2018 la C.R.P.C.E.N. adressait à Mme X une lettre dans laquelle elle la mettait en demeure de payer après avoir constaté que sa dette locatives ne cessait d’augmenter 'vertigineusement'. Les impayés ont donc été chroniques et il sera observé que dans ses écritures déposées devant la Cour, Mme X n’a eu de cesse d’invoquer ses difficultés financières et sa situation désastreuse. Par ailleurs, il importe peu que la créancière soit elle même dans une situation financière florissante, les difficultés du créancier ne constituant pas une des conditions de mise en place d’une saisie conservatoire.


Il existe donc un péril sur le recouvrement de la créance invoquée par la C.R.P.C.E.N., et au vu de son montant ( 25 074,01 euros), il appert que la saisie conservatoire en cause se justifie pleinement.

Mme X soulève l’irrégularité de cette mesure motif pris de ce que partie des fonds saisis (6 000 euros versés par le fonds de solidarité et 4 000 euros versés par l’URSSAF et la CNBF) sont insaisissables. Il est justifié du versement de ces sommes à Mme X. L’article 3-1 I alinéa 2 de l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 prévoit que les aides versées au titre du fonds de solidarité ne sont pas saisissables. Sur la période antérieure à la saisie conservatoire (16 octobre 2020) l’intimée a perçu à quatre reprises la somme de 1 500 euros, les 7 avril, 5 mai, 9 juin et 28 juillet 2020, Il s’est écoulé plus de six mois entre le premier versement et la saisie conservatoire, et deux mois et demi entre celle-ci et le dernier versement. La débitrice, qui n’a pas produit devant la Cour ses relevés bancaires sur l’ensemble de la période considérée, ne démontre pas que ce sont bien ces sommes qui ont été saisies puisque ses comptes bancaires continuaient d’être abondés par d’autres sources. Et s’agissant des aides et secours qui ont été versés par l’URSSAF et la CNBF (soit 4 000 euros), ils ne sont pas insaisissables. La saisie conservatoire est donc en tous points régulière.


Par suite, le jugement en date du 29 mars 2021 sera infirmé en ce qu’il a déclaré caduque la saisie conservatoire, a ordonné sa mainlevée pour 25 074,01 euros, et a condamné la C.R.P.C.E.N. à payer à Mme X 1 500 euros de dommages et intérêts, 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, et a condamné la C.R.P.C.E.N. aux dépens.


Le bien fondé des prétentions de la C.R.P.C.E.N. implique le débouté de Mme X de sa demande à fin de condamnation de la partie adverse au paiement de dommages et intérêts pour appel abusif, et de sa demande basée sur l’article 32-1 du code de procédure civile.


L’équité ne commande pas de faire droit à la demande de l’appelante en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Mme X, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel ainsi qu’au paiement des frais de saisie conservatoire, lesquels doivent en tout état de cause rester à la charge du débiteur conformément aux dispositions de l’article L 512-2 alinéa 1er du code des procédures civiles d’exécution.

PAR CES MOTIFS


Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,


Statuant dans les limites de l’appel,


- REVOQUE l’ordonnance de clôture en date du 9 décembre 2021 ;


- CLOTURE à nouveau la procédure ;


- DÉCLARE l’appel recevable ;


- INFIRME le jugement en date du 29 mars 2021 en toutes ses dispositions ;

et statuant à nouveau :


- DEBOUTE Mme X de l’ensemble de ses prétentions ;


- DEBOUTE Mme X de sa demande à fin de condamnation de la C.R.P.C.E.N. au paiement de dommages et intérêts pour appel abusif et de sa demande fondée sur l’article 32-1 du code de procédure civile ;


- REJETTE la demande de la C.R.P.C.E.N. en application de l’article 700 du code de procédure civile ;


- CONDAMNE Mme X aux dépens de première instance et d’appel, ainsi qu’au paiement des frais de saisie conservatoire.


Le greffier, Le président,
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Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 10, 17 février 2022, n° 21/07058