Cour d'appel de Reims, 25 septembre 2019, n° 19/00003

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Chronologie de l’affaire

Commentaires51

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www.seban-associes.avocat.fr · 19 mai 2022

Par deux arrêts en date du 11 mai 2022[1], la chambre sociale de la Cour de cassation, statuant en formation plénière, a : Précisé la conformité, in abstracto, du barème Macron à l'article 10 de la convention n° 158 de l' « Organisation internationale du Travail » (OIT) ; Neutralisé la possibilité d'un contrôle de conventionnalité in concreto au regard de l'article 10 de la convention n° 158 de l'OIT ; Précisé l'absence d'effet direct horizontal de l'article 24 de la Charte Sociale Européenne. Annonçant, ainsi, la fin d'un débat juridique qui aura duré plus de 4 ans, la Haute Cour …

 

www.acg-avocat.com · 18 mai 2022

Soc. 11 mai 2022, FP-B+R, n° 21-15.247 et n°21-14.490 C'est la fin d'un feuilleton ! Ils étaient attendus ces arrêts de la Cour de cassation : cela fait un quinquennat que l'on discute de la validité de cette mesure phare de la précédente élection présidentielle qui consistait à encadrer les indemnités allouées en Justice aux salariés licenciés « sans cause réelle et sérieuse ». Les français sont rebelles et les Conseils de Prud'hommes et Cours d'appel aussi : il y avait les « pour » qui s'en tenaient au barème (Le Mans, Caen, Le Havre, Saint Nazaire) et les « contre » qui l'écartaient, …

 
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Sur la décision

Référence :
CA Reims, 25 sept. 2019, n° 19/00003
Juridiction : Cour d'appel de Reims
Numéro(s) : 19/00003
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Troyes, 12 décembre 2018, N° F18/00035

Sur les parties

Texte intégral

Arrêt n° du 25/09/2019

N° RG 19/00003

OB/FJ

Formule exécutoire le :

à:

COUR D’APPEL DE REIMS

CHAMBRE SOCIALE

Arrêt du 25 septembre 2019

APPELANTE:

d’un jugement rendu le 13 décembre 2018 par le Conseil de Prud’hommes de TROYES, section Activités Diverses (n° F 18/00035)

SCP BTSG agissant en qualité de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la SARL FRANCE EVENT prise en la personne de son associé, M. X

représentée par la SELARL GP AVOCATS ASSOCIES, avocats au barreau de REIMS et par l’AARPI GKA AVOCATS, avocats au barreau de PARIS

INTIMÉES :

Madame Y

représentée par Me Hélène MELMI, avocat au barreau de l’AUBE

AGS CGEA D’ILE DE FRANCE OUEST

[…]

[…]

représentée par la SELARL RAFFIN ASSOCIES, avocats au barreau de REIMS

PARTIES INTERVENANTES :

LE SYNDICAT DES AVOCATS DE FRANCE

[…]

[…]

représentée par Me Hélène MELMI, avocat au barreau de l’AUBE

LA CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL FORCE OUVRIERE

CGT FO

[…]

[…]

représentée par la SCP DELVINCOURT-CAULIER RICHARD, avocats au barreau de REIMS et par Maître Zoran ILIC, avocat au barreau de PARIS

LA CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL (CGT) […]

[…]

représentée par Me Rachel SPIRE, avocat au barreau de PARIS


2

LA CONFÉDÉRATION FRANÇAISE DÉMOCRATIQUE DU TRAVAIL CFDT

[…]

[…]

représentée par la SCP DELVINCOURT-CAULIER RICHARD, avocats au barreau de REIMS et par la SCP LEGENDRE PICARD SAADAT, avocats au barreau de PARIS

L’UNION SYNDICALE SOLIDAIRES

[…]

[…]

représentée par M. Philippe PAIR, défenseur syndical

COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :

Madame Christine ROBERT-WARNET, président Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller
Monsieur Olivier BECUWE, conseiller

GREFFIER lors des débats :

Monsieur Z JOLLY, greffier

LE MINISTÈRE PUBLIC qui a fait connaître son avis par écrit

DÉBATS:

A l’audience publique du 17 juin 2019, où l’affaire a été mise en délibéré au

25 septembre 2019

ARRÊT:

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Madame Christine ROBERT-WARNET, président, et par Monsieur Z

JOLLY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * *

EXPOSE DU LITIGE :

Mme a été engagée à durée indéterminée et à temps plein à compter du 1er mai 2017 en qualité de secrétaire polyvalente, niveau II, coefficient 150, par la société FSE Event aux droits de laquelle se trouve la société France

Event (la société) rachetée au début de l’année 2017.


3

L’activité de la société consistait en l’organisation d’événements commerciaux, culturels et sportifs.

La convention collective était celle, nationale, du personnel des prestataires de service dans le domaine du secteur tertiaire du 13 août 1999 étendue.

Elle détenait avec son époux une entreprise spécialisée dans les feux

d’artifice.

En juin 2017, elle et son époux l’ont cédée au nouveau président de la société qui avait acquis cette dernière au début de l’année 2017.

Son époux était déjà salarié de la société depuis 2015.

Mme a été convoquée le 1¹ février 2018 à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique qui s’est tenu le 12 février 2018 au cours duquel elle a accepté le contrat de sécurisation professionnelle qui lui était proposé.

Invoquant des manquements de l’employeur, elle a saisi, également le 12 février 2018, le conseil de prud’hommes de Troyes pour faire juger, à titre principal, que la résiliation judiciaire du contrat de travail devait être prononcée aux torts de l’employeur, à titre subsidiaire, que le licenciement économique était dépourvu de cause réelle et sérieuse et, à titre infiniment subsidiaire, que les critères d’ordre du licenciement avaient été violés.

Elle a été licenciée pour motif économique par lettre du 28 février 2018.

La société a été placée en liquidation judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Paris du 14 juin 2018 arrêtant au 30 avril 2018 la date de cessation de paiements.

La société de mandataires judiciaires BTSG a été nommée liquidateur en la personne de M. A spécialement désigné (le liquidateur).

La salariée a sollicité la fixation au passif de la société de diverses créances à caractère indemnitaire et salarial en demandant plus particulièrement d’écarter pour inconventionnalité l’article L. 1235-3 du code du travail en sa rédaction issue de l’article 2 de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 ultérieurement modifié par l’article 11 de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 (l’article L. 1235-3 du code du travail).

Par un jugement du 13 décembre 2018, la juridiction prud’homale, retenant que le licenciement n’était pas fondé sur une cause réelle et sérieuse, a accueilli l’essentiel de ses prétentions en jugeant notamment "que les barèmes prévues à l’article L. 1235-3 du code du travail [étaient] en contrariété avec la Charte Sociale Européenne et la Convention n° 158 de l’OIT".

Par déclaration du 10 janvier 2019, le liquidateur a fait appel du jugement.


4

Par déclaration du 17 janvier 2019, l’association Unedic, centre de gestion et d’étude pour la garantie des salaires, délégation d’Ile-de-France Ouest (le

CGEA) a également fait appel.

Les deux appels ont été joints et l’affaire, fixée à bref délai, s’est poursuivie sous le présent numéro de rôle.

Plusieurs syndicats sont intervenus volontairement à l’instance, soit le syndicat des avocats de France (le SAF), la confédération générale du travail Force Ouvrière (la CGT-FO), la confédération générale du travail (la CGT), la confédération française démocratique du travail (la CFDT) et l’Union syndicale SUD-solidaires de Meurthe-et-Moselle, par le biais d’un défenseur syndical inscrit, qui ont conclu.

La cour a informé les parties qu’elle envisageait, par une question qui leur a été transmise, de solliciter l’avis de la Cour de cassation sur le point en litige tiré de l’éventuelle inconventionnalité de l’article L. 1235-3 du code du travail.

Dans ses conclusions, le liquidateur sollicite, à titre principal, l’infirmation du jugement, à titre subsidiaire, la limitation des conséquences financières du licenciement à une indemnité n’excédant pas celle légalement prévue et, en toute hypothèse, le rejet du surplus des prétentions, outre une indemnité de frais irrépétibles.

Insistant sur le contexte de l’affaire, il expose que, cherchant à préparer leur retraite, Mme 1, née en 1959, et son époux, né en 1955, auraient cédé leur entreprise contre une prétendue garantie d’emploi mais à un prix qui s’est, en tout état de cause, révélé surévalué, ce qui a créé des difficultés entre les parties.

Sur la demande en résiliation, il conteste l’existence et la gravité des manquements rappelant les difficultés économiques de la société qui a été confrontée au départ d’un important client de l’entreprise cédée par Mme et son époux.

Sur la cause réelle et sérieuse, il estime que la lettre de licenciement était suffisamment précise et que la réalité et le sérieux du motif économique, tiré essentiellement de la fin du contrat commercial avec le client principal qui était un club de football professionnel de la région, ne fait aucun doute.

Il estime qu’il importe peu que Mme n’ait pas connu de façon complète le motif économique de la rupture avant l’adhésion au contrat de sécurisation professionnelle dès lors que le nouvel article L. 1235-2 du code du travail donne la possibilité à l’employeur de préciser les motifs de rupture, ce qu’il a fait par la lettre de licenciement.

Sur l’indemnisation du licenciement, il se prévaut de l’ordonnance du Conseil d’Etat du 7 décembre 2017 qui juge l’article L. 1235-3 du code du travail conforme à l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) et à l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée.

Il dénie tout effet direct entre particuliers à ce dernier article.


5

Invoquant également la décision n° 2018-761 DC du 21 mars 2018 du

Conseil constitutionnel qui a jugé l’article L. 1235-3 du code du travail conforme

à la Constitution, il insiste sur le fait que la notion de « réparation adéquate » ou de « réparation appropriée » visée par les textes conventionnels ne recouvre pas la notion de réparation intégrale.

Il invite la cour à cantonner la décision rendue le 8 septembre 2016 par le Comité européen de droits sociaux qui s’est prononcé sur le dispositif finlandais d’indemnités prud’homales.

Il souligne que ce comité n’est pas un organe juridictionnel.

Il insiste sur le pouvoir souverain d’appréciation qui reste dévolu au juge à l’intérieur de la fourchette d’indemnisation, sur la possibilité de prendre alors en compte d’autres critères que celui de l’ancienneté et sur l’existence de voies de droits alternatives tant pour réparer un licenciement atteint de nullité que pour indemniser des préjudices parallèles à l’occasion de la rupture.

Il estime également que le nouveau dispositif reste dissuasif pour l’employeur en ce que l’employeur est exposé, sous certaines conditions, au remboursement des indemnités de chômage.

Il soutient qu’aucun préjudice de perte d’emploi effectivement subi et supérieur au plafond d’indemnisation prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail n’est établi de sorte que la preuve d’une réparation inadéquate ou inappropriée n’apparaît pas démontrée.

Le CGEA développe en substance les mêmes moyens et rappelle les conditions de sa garantie.

En réponse, Mme sollicite essentiellement, à titre principal, la confirmation du jugement sur le licenciement, sauf à majorer les condamnations conformément à ses prétentions indemnitaires et salariales qu’elle réitère.

Sur la résiliation, elle se plaint de la dégradation de ses conditions de travail, de la mise en oeuvre de la procédure de licenciement pour se séparer à dessein d’elle et du non-paiement de salaires.

Sur la cause réelle et sérieuse, elle conteste l’existence d’une prétendue nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise en insistant sur le fait que les difficultés économiques étaient, en toute hypothèse, imputables à l’employeur.

Elle se plaint d’avoir dû adhérer au contrat de sécurisation professionnelle en méconnaissance du motif économique de la rupture

Sur l’indemnisation du licenciement, elle s’oppose aux moyens du liquidateur et du CGEA.

Selon elle, l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée est d’effet direct et doit être interprété comme le Comité européen de droits sociaux l’a dit.


6

Elle explique que l’ordonnance du Conseil d’Etat, rendue en référé, ne

s’impose pas au juge judiciaire et que la décision du Conseil constitutionnel n’a porté que sur un contrôle de constitutionnalité.

Elle soutient qu’en enserrant l’indemnisation du licenciement injustifié entre des planchers et plafonds, l’article L. 1235-3 du code du travail empêche une réparation qui doit, en réalité, être intégrale compte tenu de la portée de la décision du Comité européen du 8 septembre 2016.

Elle dénonce un plafonnement basé sur la seule ancienneté, qui n’évolue plus au-delà de la 29ème année d’ancienneté, faible pour les salariés de peu d’ancienneté et qui oblige à un cumul d’indemnités prévu au dernier alinéa du texte susceptible de minorer encore davantage la réparation du préjudice de perte

d’emploi.

Elle en déduit que le dispositif légal est susceptible de porter atteinte à l’interdiction de licencier sans motif valable protégé par l’article 4 de la Convention n° 158 de l’OIT et au droit d’accès au juge et à un procès équitable garanti par l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Les syndicats, qui demandent que leur intervention soit déclarée recevable, développent en substance les mêmes moyens que Mme et y ajoutent, sauf la CGT-FO.

La CGT dénonce une atteinte au principe d’égalité énoncé aux articles 1er et 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 ainsi qu’une violation des articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union compte tenu des discriminations à raison de l’âge et de l’ancienneté que créerait l’article L. 1235-3 du code du travail.

L’Union syndicale SUD-solidaires de Meurthe-et-Moselle invoque une violation de l’article 16 de la Déclaration en ce que la mise en place d’une indemnisation plafonnée violerait le principe de la séparation des pouvoirs.

La CFDT invoque une contrariété aux articles 6 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en ce que la mise en place d’une indemnisation plafonnée, en portant ainsi atteinte à la séparation des pouvoirs, entraverait l’office du juge ce qui priverait le salarié d’un droit à un procès équitable et à un recours effectif.

La CFDT allègue également d’une violation des articles 4 et 9 de la

Convention n° 158 de l’OIT en ce que les tribunaux ne seraient plus en mesure d’apprécier et de sanctionner l’absence de cause réelle et sérieuse.

Le SAF complète l’argumentaire en excipant du non-respect de l’article 30 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union en ce qu’un salarié ne serait plus protégé contre un licenciement injustifié.

Le ministère public a, sur le grief d’inconventionnalité, requis « y avoir lieu à faire application de la jurisprudence de la Cour de cassation ».

L’affaire a été clôturée le 17 juin 2019 pour être plaidée le même jour.


7

Par deux avis rendus le 17 juillet 2019 (n° 19-70.010 et 19-70.011), la Cour de cassation a notamment dit que les dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail n’entraient pas dans le champ d’application de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et étaient compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT, estimant, par ailleurs, que les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée n’étaient, quant à elles, pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

MOTIVATION :

I / Sur l’intervention des syndicats :

La recevabilité des interventions volontaires et accessoires des syndicats, formées pour la première fois devant la cour d’appel, n’est pas discutée.

Aucun défaut d’intérêt à agir, au sens notamment de l’article 554 du code de procédure civile, n’est soulevé par les parties, et plus particulièrement à l’égard du SAF.

Le juge n’est pas tenu de s’emparer d’office de cette question.

Les interventions seront déclarées recevables.

II / Sur l’imputabilité de la rupture :

Le contexte de l’affaire présente une particularité : selon l’attestation d’un ancien dirigeant de la société, l’achat en juin 2017 de l’entreprise de Mme et de son époux s’est accompagné d’une « garantie d’emploi » consentie à leur profit.

Mme prétend que cette « garantie » explique la minoration du prix de vente.

Le liquidateur s’oppose à cette thèse en expliquant notamment que l’entreprise cédée connaissait déjà des difficultés économiques qui ont ensuite lourdement pesé sur la société qui les a employés et qu’aucune « garantie »n’avait été consentie.

La thèse du liquidateur s’accorde avec le silence de l’acte de cession qui ne fait aucunement mention de cette « garantie ».

La simple attestation de l’ancien dirigeant ne peut prouver contre l’acte écrit.

Le contexte a généré des tensions entre les parties lorsqu’il est apparu que la « garantie d’emploi » ainsi comprise par Mme ne pourrait pas être assurée.

1 – Sur la demande en résiliation judiciaire :

Son examen prime celui, subsidiaire, du licenciement.


8
Mme 1 invoque plusieurs griefs tirés d’un retard et d’un non paiement de salaires et d’une déloyauté contractuelle.

Lorsqu’elle a saisi, le 12 février 2018, le conseil de prud’hommes en résiliation judiciaire, l’employeur lui devait le salaire de janvier 2018.

La société a toutefois rapidement mis en oeuvre la procédure de licenciement.

Ayant convoqué Mme le 1er février 2018 à un entretien préalable

à un éventuel licenciement pour motif économique, elle l’a licenciée par lettre du 28 février 2018.

Le non-paiement de salaire ayant justifié la demande en résiliation a d’ailleurs été régularisé à la fin du mois de février 2018.

Les allégations relatives à la déloyauté contractuelle doivent être replacées dans le contexte ci-dessus rappelé.

L’employeur et la salariée s’adressent des reproches mutuels sur une désorganisation supposée de l’entreprise, l’employeur faisant grief à la salariée de travailler à son domicile compte tenu de ses fonctions et celle-ci invoquant, sans l’établir, un accord de ce dernier.

Les échanges traduisent des malentendus qui ne peuvent être assimilés à de la déloyauté contractuelle.

Les autres manquements invoqués sont relatifs à l’époux de Mme B.

En conséquence, si des manquements de la société sont établis, et spécialement le non-paiement du salaire de janvier 2018, ils n’ont pas été de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail, l’employeur ayant précisément pris ses dispositions pour y mettre un terme et contenir ainsi la gêne occasionnée à la salariée qui a perçu cet arriéré salarial en février 2018.

Il reste dû le salaire de février 2018 exigible à la date du licenciement.

La demande en résiliation judiciaire sera rejetée.

Le jugement sera confirmé.

2- Sur le licenciement:

La rupture du contrat de travail par une adhésion à un contrat de sécurisation professionnelle constitue une modalité de licenciement économique.

En l’espèce, Mme a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle le 12 février 2018, jour de l’entretien préalable, sans attendre l’écoulement du délai de réflexion de 21 jours.

L’employeur lui a notifié la lettre de licenciement du 28 février 2018 qui énonce notamment :


9

"Une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité nous contraint à la suppression de votre emploi. En effet, nous sommes dans l’obligation de restructurer la société afin de réduire les coûts de personnel trop important pour celle-ci. A la clôture du dernier exercice, la société compte 57 % du chiffre d’affaires dédiées aux charges de personnel, pourcentage trop important pour permettre à la société d’effectuer des bénéfices et qui se solde par une perte de 220 050,12 euros.

Par conséquent, nous avons dû procéder à la délocalisation des tâches administratives vers un prestataire extérieur, la société Phenix, qui nous permettra de réduire le coût salarial de manière conséquente mais se solde par la suppression de votre emploi. 39

n’a reçu aucune information sur le motif économique avantMme son adhésion.

Seule lui avait été envoyée la lettre de convocation faisant état de

l’éventualité « d’un licenciement pour motif économique ».

Durant l’entretien préalable, ont été évoqués « les problèmes que rencontre actuellement la société France Event », sans plus de précision.

Si Mme reconnaît avoir reçu le document écrit d’information au moment de son adhésion, il n’en résulte pas que l’employeur y ait énoncé le motif économique.

Par application combinée des articles L. 1233-65, L. 1233-66 et L.1233-67 du code du travail, l’employeur aurait dû, par un document écrit, porter à sa connaissance, au plus tard au moment de son acceptation du contrat de sécurisation professionnelle, le motif économique.

Il ne l’a pas fait.

Le liquidateur conteste cette obligation en soutenant qu’il pouvait l’exécuter avant la fin du délai de réflexion qui marque le terme du contrat de travail.

Mais l’obligation légale ayant pour objet d’éclairer le salarié pour qu’il adhère en connaissance en cause au contrat de sécurisation professionnelle, l’énonciation postérieure du motif économique ne peut réparer l’omission.

Quant au nouvel article L. 1235-2 du code du travail qui ouvre la possibilité pour l’employeur de « préciser » le motif énoncé dans la lettre de licenciement, et dont les parties n’écartent d’ailleurs pas l’application en matière d’adhésion à un contrat de sécurisation professionnelle, sa mise en oeuvre suppose une notification préalable du motif économique de sorte que ce texte ne saurait dispenser l’employeur d’indiquer celui-ci au salarié avant son adhésion au contrat de sécurisation professionnelle.

Il en résulte que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera confirmé de ce chef.


10

Les prétentions relatives aux critères d’ordre deviennent ainsi sans objet de sorte que le jugement du conseil de prud’hommes sera infirmé sur ce point.

III / Sur les conséquences indemnitaires :

1°/ Sur l’exception d’inconventionnalité :

A – Sur les textes invoqués:

Il résulte de la synthèse des moyens soulevés en défense ainsi que par les syndicats que sont invoqués, expressément ou en substance, les textes suivants.

- Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789

Article 1¹: « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. »;

Article 6: "La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents."

Article 16: « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. »

- Convention n° 158 de l’OIT.

Article 4: « Un travailleur ne devra pas être licencié sans qu’il existe un motif valable de licenciement lié à l’aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service. » ;

Article 9 (en ses dispositions intéressant le litige): "1. Les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention [un tribunal] devront être habilités à examiner les motifs invoqués pour justifier le licenciement ainsi que les autres circonstances du cas et à décider si le licenciement était justifié".

Article 10: "Si les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention

[un tribunal] arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée."

Charte sociale européenne révisée.

Article 24: "En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître :


11

a. le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de

l’entreprise, de l’établissement ou du service; b. le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.

A cette fin les Parties s’engagent à assurer qu’un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial."

- Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Article 6 (en ses dispositions intéressant le litige c’est-à-dire en son paragraphe

1):

"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (…)”;

Article 13: « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

- Charte des droits fondamentaux de l’Union.

Article 20: « Toutes les personnes sont égales en droit. »"

Article 21:

"1. Est interdite, toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle.

2. Dans le domaine d’application du traité instituant la Communauté européenne et du traité sur l’Union européenne, et sans préjudice des dispositions particulières desdits traités, toute discrimination fondée sur la nationalité est interdite."

Article 30: « Tout travailleur a droit à une protection contre tout licenciement injustifié, conformément au droit communautaire et aux législations et pratiques nationales. »

B- Sur l’invocabilité des textes :

Il n’appartient pas au juge judiciaire, en dehors de l’hypothèse, le cas échéant, de la question prioritaire de constitutionnalité, de contrôler la conformité à la Constitution d’un texte législatif.


12

Or, les articles 1er, 6 et 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du

Citoyen de 1789 appartiennent au bloc de constitutionnalité.

Il s’agit de textes non pas conventionnels mais constitutionnels.

Et, dans sa décision n° 2018-761 DC du 21 mars 2018, le Conseil constitutionnel a déclaré le mécanisme instauré par l’ordonnance n° 2017-1387 du 21 septembre 2017 qui a été ratifiée conforme à la Constitution.

Les articles 1er, 6 et 16 de la Déclaration ne peuvent venir au soutien d’une exception d’inconventionnalité.

L’exception d’inconventionnalité suppose par ailleurs, pour être mobilisée, que les textes conventionnels soient d’effet direct.

L’effet direct dit horizontal traduit l’applicabilité directe entre les particuliers de normes invocables, en tant que telles, par eux devant le juge national.

De telles normes ne doivent pas avoir pour objet exclusif de régir les relations entre Etats.

L’absence d’un tel effet direct ne se déduit pas de la seule circonstance que la stipulation désigne les Etats parties comme sujets de l’obligation qu’elle impose.

L’effet direct dit horizontal d’un texte international résu lte de son contenu.

Et, plus précisément, le caractère suffisamment précis de l’engagement conventionnel défini par le texte, l’objet de cet engagement qui doit consister en la création d’un droit au profit d’un particulier et le fait que ce droit puisse être assuré sans nécessité de l’intervention d’une législation nationale d’application confèrent au texte un tel effet.

Il résulte de la lecture de l’ensemble des textes conventionnels invoqués, et spécialement des articles 10 de la Convention n° 158 de l’OIT et 24 de la

Charte sociale européenne révisée qui sont tous deux rédigés de façon très proche, qu’ils bénéficient d’un tel effet direct permettant à Mme I de s’en prévaloir dans le litige prud’homal qui l’oppose au liquidateur de la société qui l’employait.

C-Sur le contrôle de conventionnalité :

Il existe deux types de contrôle de conventionnalité d’une règle de droit interne au regard des normes européennes et internationales.

Le contrôle de conventionnalité de la règle de droit elle-même et celui de son application dans les circonstances de l’espèce.

Ces deux contrôles peuvent se juxtaposer.


13

Le contrôle de l’application peut impliquer d’écarter une règle interne si celle-ci affecte de manière disproportionnée, dans un litige, un droit conventionnel relatif même si cette règle ne porte pas, en elle-même, une atteinte disproportionnée à un droit fondamental garanti.

Ces deux contrôles impliquent des étapes qui sont d’ailleurs les mêmes tant au regard de la nature du contrôle, abstrait ou concret, qu’au regard des textes conventionnels invoqués par Mme

Ces contrôles ne requièrent pas du salarié qu’il justifie au préalable d’un préjudice de perte d’emploi supérieur au plafond d’indemnisation correspondant à son ancienneté ou qu’il démontre avoir subi un tel préjudice qui ne serait pas réparé de façon « adéquate » ou « appropriée ».

Ces circonstances sont indifférentes à la mobilisation de l’exception de conventionnalité et peuvent, le cas échéant, s’intégrer à celle-ci en sa dernière étape mais sous l’angle du contrôle de proportionnalité.

a) Sur l’applicabilité au litige des textes conventionnels :

En l’espèce, les faits allégués par Mme entrent dans le champ d’application de l’ensemble des textes conventionnels précités dès lors qu’elle se prévaut principalement du droit pour tout salarié d’être protégé contre le licenciement, d’obtenir réparation de son licenciement injustifié en fonction de sa situation ainsi que de celui de pouvoir soumettre effectivement sa cause à un juge indépendant pour obtenir la condamnation de l’employeur, et cela sans que son droit à indemnisation ne soit alors atteint dans sa substance même.

b) – Sur l’ingérence :

La question est de déterminer si l’article L. 1235-3 du code du travail est de nature à affecter les conditions d’exercice des droits reconnus par les textes conventionnels.

L’article L. 1235-3 du code du travail prévoit que, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse et en l’absence de réintégration du salarié dans

l’entreprise, le juge octroie à ce dernier une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des minima et des maxima fixés par ce même article.

Ces minima et maxima varient en fonction de l’ancienneté du salarié.

Les minima diffèrent selon que l’entreprise emploie onze salariés ou plus ou moins de onze salariés.

Dans une entreprise employant au moins onze salariés, l’indemnité minimale va d’un plancher indéterminé (« sans objet ») à trois mois de salaire brut et dans une entreprise de moins de onze salariés, elle est comprise entre ce plancher indéterminé (« sans objet ») et deux mois et demi de salaire brut.

L’indemnité maximale est comprise entre un et vingt mois de salaire brut.


14

Ces indemnités sont cumulables avec les indemnités prévues en cas d’irrégularité de procédure dans la conduite du licenciement ou en cas de non-respect de la priorité de réembauche, dans la limite des maxima précités.

Pour déterminer le montant de l’indemnité, le juge peut tenir compte, le cas échéant, des indemnités de licenciement versées à l’occasion de la rupture, "à

l’exception de l’indemnité de licenciement mentionnée à l’article L. 1234-9".

- sur le grief tiré des articles 6, § 1, et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :

Si l’article L. 1235-3 du code du travail a pour effet de réduire le recours au juge et éventuellement pour objet d’en décourager la saisine, il n’empêche pas un salarié d’agir en justice pour faire reconnaître le caractère injustifié du licenciement et condamner l’employeur.

Loin d’interdire ou de compromettre le recours au juge, l’article L. 1235-3 du code du travail en fait un préalable nécessaire.

Le salarié conserve ainsi la faculté de saisir effectivement un juge impartial pour défendre ses droits selon des modalités qui, tout en réduisant

l’office de ce dernier, laisse intact la nature de son pouvoir.

Ce pouvoir reste souverain et s’exerce entre les plancher et plafond variables et afférents à l’ancienneté du salarié, ce qui ôte au procès tout caractère inéquitable, peu important l’impact de l’article L. 1235-3 du code du travail sur le montant de l’indemnisation.

Le grief n’est pas fondé.

sur le grief tiré des articles 4 et 10 de la Convention n° 158 de l’OIT, 24 de la

Charte sociale européenne révisée et 20,21 et 30 de la charte des droits fondamentaux de l’Union :

Le Comité européen des droits sociaux a, dans sa décision du 8 septembre 2016, condamné, au regard de l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée, un plafond d’indemnisation des licenciements injustifiés de vingt-quatre mois de salaire, supérieur en l’occurrence à celui de l’article L. 1235-3 du code du travail, mis en place par la Finlande.

Pour le Comité, la réparation appropriée doit tenir compte du manque à gagner subi par le salarié entre son licenciement et la décision octroyant l’indemnité et surtout garantir une indemnité « d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime ».

Si l’autorité interprétative des décisions du Comité est incontestable, la cour ne saurait transposer au présent litige, et tenir pour acquise et certaine, l’interprétation qu’il apparaît avoir donné de l’article 24 dans une affaire qui ne concerne pas la France, et alors même qu’il pourra prochainement se prononcer sur la compatibilité du système français avec l’article 24.


15

Une indemnité dite adéquate ou une réparation appropriée n’implique donc pas, en soi, une réparation intégrale du préjudice de perte d’emploi injustifiée et peut s’accorder avec l’instauration d’un plafond.

Le préjudice de perte d’emploi englobe des aspects personnels et économiques de la perte d’emploi, il ne comprend pas la perte de tous les salaires espérés mais ne se juxtapose pas nécessairement avec la période sans activité.

Il dépend de l’impact de la perte d’emploi sur un salarié compte tenu certes de son ancienneté mais aussi de son âge, de sa qualification professionnelle ou encore de sa situation personnelle.

Et il se distingue d’autres préjudices liés à la rupture, comme le préjudice moral subi à la suite de circonstances vexatoires.

Hors réintégration, l’indemnité dite adéquate ou la réparation appropriée du préjudice de perte d’emploi s’entend ainsi d’une indemnisation d’un montant raisonnable, et non purement symbolique, en lien avec le préjudice effectivement subi et adapté à son but qui est d’assurer l’effectivité du droit à la protection du salarié.

Elle doit être suffisante pour rester dissuasive et ne pas vider d’effectivité l’exigence d’une cause réelle et sérieuse.

Or, ainsi qu’il l’a été exposé, l’article L. 1235-3 du code du travail prévoit des plafonds d’indemnisation faibles pour les salariés de peu d’ancienneté.

Il impose des minima et des maxima uniquement fondés sur l’ancienneté pour réparer un préjudice qui s’apprécie en prenant en compte aussi d’autres facteurs.

Les plafonds cessent toutefois d’évoluer à compter d’une certaine ancienneté, et plus précisément à compter de la 29ème année.

En outre, la progression des plafonds n’est pas linéaire.

Il en résulte une potentielle inadéquation de l’indemnité plafonnée, voire une possible forme de différence de traitement en raison de l’ancienneté.

Enserré entre un plancher et un plafond, le juge prud’homal ne dispose pas de toute la latitude pour individualiser le préjudice de perte d’emploi et sanctionner l’employeur.

Et l’article L. 1235-3 du code du travail impose, en son dernier alinéa, un cumul d’indemnités susceptible en certaines circonstances de compromettre l’indemnisation requise par les textes conventionnels de ce préjudice.

Il s’en déduit que le dispositif est de nature à affecter les conditions

d’exercice des droits consacrés par ces textes.


16

c) – Sur la source et la justification de l’ingérence :

Il est fondamental de souligner que l’ingérence dans un droit conventionnel relatif ne signe pas, en elle-même, son inconventionnalité.

En l’espèce, l’ingérence repose sur une ordonnance qui a été ratifiée par le Parlement.

Elle a donc une base légale et démocratique, étant rappelé que tout Etat contractant bénéficie d’une marge nationale d’appréciation.

Le gouvernement habilité par le Parlement a, dans l’exercice de ses prérogatives, organisé, par un texte de valeur législative accessible, clair et prévisible, l’indemnisation du licenciement injustifié.

Il a entendu renforcer la prévisibilité des conséquences qui s’attachent à la rupture du contrat de travail.

Il a ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général qu’il n’appartient pas au juge judiciaire de discuter mais de concilier avec d’autres intérêts.

Les montants reposent, ainsi qu’il résulte des travaux préparatoires, sur

« des moyennes constatées » des indemnisations accordées par les juridictions.

La méthode de travail est appropriée à l’objectif poursuivi et participe à asseoir la légitimité de celui-ci.

d) – Sur la proportionnalité de l’ingérence :

L’article L. 1235-3 du code du travail établit moins un barème attachant telle indemnisation à telle ancienneté qu’une fourchette d’appréciation, ce qui est différent.

Cette fourchette reste soumise au pouvoir souverain du juge dans les limites légales qui sont issues « des moyennes constatées » qu’il n’appartient pas au juge judiciaire de remettre en cause.

L’amplitude entre les minima et les maxima ne saurait, en raison de sa progression réelle, être considérée comme incitant, en elle-même, au licenciement.

Le caractère dissuasif d’une indemnité dépend aussi de la taille de l’entreprise, ce qui introduit dans le débat une forme de relativité et même de subjectivité dans la mesure où la fourchette d’indemnisation reste soumise à

l’appréciation du juge.

La condamnation de l’employeur peut s’accompagner de la sanction prévue à l’article L. 1235-4 du code du travail lorsque les conditions en sont réunies.


17

L’article L. 1235-3 du code du travail permet au juge de moduler l’indemnisation en fonction de l’ancienneté, critère objectif en lien avec le préjudice subi, et de l’adapter, dans les limites légales, à la situation de chaque salarié selon des critères qui lui sont propres, ce qui est également de nature à contenir toute forme de discrimination ou d’atteinte au principe d’égalité en raison de l’ancienneté.

Ce texte aligne d’ailleurs la situation des salariés de faible ancienneté, ce qui n’était pas le cas auparavant pour ceux dont l’ancienneté était inférieure à deux années.

En outre, une possibilité de voies de droit alternatives non soumises à un plafond est ouverte pour demander la réparation de licenciements nuls et de préjudices distincts de celui tiré de la perte d’emploi.

Le champ de ces voies de droit alternatives est étendu.

Le plafonnement instauré par l’article L. 1235-3 du code du travail présente des garanties qui permettent d’en déduire qu’au regard de l’objectif poursuivi, l’atteinte nécessaire aux droits fondamentaux n’apparaît pas, en elle même, disproportionnée.

En d’autres termes. le contrôle de conventionnalité exercé de façon objective et abstraite sur l’ensemble du dispositif, pris dans sa globalité, et non tranche par tranche, conduit à conclure, peu important la situation de Mme à la conventionnalité de celui-ci. 3

Toutefois, l’intéressée a été licenciée de façon injustifiée.

Le contrôle de conventionnalité ne dispen pas, en présence d’un dispositif jugé conventionnel, d’apprécier s’il ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits du salarié concerné c’est-à-dire en lui imposant des charges démesurées par rapport au résultat recherché.

La recherche de proportionnalité, entendue cette fois « in concreto » et non « in abstracto », doit toutefois avoir été demandée par le salarié.

Elle ne saurait être exercée d’office par le juge du fond qui ne peut, de sa seule initiative, procéder à une recherche visant à écarter, le cas échéant, un dispositif dont il reconnaît le caractère conventionnel.

Or, Mme !, qui ne fait qu’exposer sa situation et son préjudice de perte d’emploi qu’elle qualifie d’important, n’a sollicité qu’un contrôle de conventionnalité « in abstracto » et non « in concreto ».

Il ne pourra, en conséquence, qu’être fait application de l’article L. 1235-3 du code du travail.

2°/ Sur les créances :

Mme bénéficiait d’une reprise d’ancienneté, selon bulletins de salaire, au 13 janvier 2017.


18

Au jour du licenciement, elle avait donc entre un et deux ans d’ancienneté.

est devenue salariée à l’âge de 58 ans par le biais d’une Mme prétendue « garantie d’emploi » dans le contexte ci-dessus rappelé.

Sa rémunération mensuelle brute, sur laquelle s’opposent les parties, s’élevait à la somme de 2 590 euros selon bulletins de salaire, outre notamment diverses primes (primes d’accueil ou exceptionnelle), soit une moyenne exactement retenue par le conseil de prud’hommes à la somme de 2 771,74 euros.

Le montant de l’indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est compris entre 0,5 mois, s’agissant d’une entreprise employant habituellement moins de onze salariés, et 2 mois de salaires.

Le préjudice de la salariée est évalué à un mois de salaire de sorte que la somme de 2 771,74 euros lui sera accordée.

Le jugement qui lui octroie une indemnisation de six mois de salaires sera infirmé.

Mme a également droit aux sommes suivantes :

indemnité de licenciement (ou de fin de contrat) : elle est soumise, selon la convention collective, à une ancienneté de deux années.

Mme n’est donc éligible qu’à l’indemnité légale des articles R.1234-1 et R.1234-2 du code du travail.

Ils prévoient 1/4 de mois par année d’ancienneté, soit 2 771,74 x 1/4 + (1/4 de 2 771,74 x 2,5/12ème, nombre de mois d’ancienneté au-delà de la première année jusqu’à la fin du préavis au 30 mars 2018), soit 837,29 euros.

- 2771,74 euros à titre d’indemnité conventionnelle de préavis (article 19.1 de la convention collective), l’imputabilité à l’employeur de la rupture remettant en cause l’adhésion au contrat de sécurisation professionnelle qui n’ouvre pas droit en principe à une telle indemnité, sauf à tenir compte des sommes déjà versées à ce titre en vertu de ce contrat ;

- 277,17 euros au titre des congés payés afférents ;

-2013,21 euros à titre de rappel de salaire pour le mois de février 2018, montant réclamé, le paiement n’en étant pas démontré, outre les congés payés afférents pour 201,32 euros.

La salariée demande la fixation de cette dernière somme en net.

Mais un salaire est dû en brut.

Il s’évince de ce qui précède qu’aucun préjudice moral n’a été subi par la salariée, aucune des pièces versées aux débats n’établissant que les circonstances de la rupture aient présenté un quelconque caractère vexatoire.


19

Aucune indemnité pour préjudice distinct ne sera, par ailleurs, accordée pour les retards de paiement, ceux-ci étant réparés par l’intérêt de retard à compter du 19 avril 2018, date à laquelle la société était présente à l’audience du bureau de conciliation et d’orientation qui la condamne sous astreinte.

Il n’y a aucune preuve d’une connaissance antérieure par celle-ci du litige prud’homal de sorte que ces intérêts ne peuvent courir, contrairement à ce que demande la salariée, à compter de la saisine du conseil de prud’hommes.

L’intérêt de retard demandé assortira les sommes précitées, à l’exclusion de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de la liquidation de l’astreinte, jusqu’au jugement d’ouverture de la procédure collective du 14 juin 2018 en application de l’article L.622-28 du code de commerce.

La délivrance des documents de fin de contrat sera confirmée, mais sans astreinte, le litige ne commandant pas une telle mesure.

Quant à l’astreinte provisoire dont la décision du 19 avril 2018 réserve la liquidation au bureau de conciliation et d’orientation, elle peut être liquidée par la cour d’appel en raison de l’effet dévolutif de l’appel, ce qui n’apparaît

d’ailleurs pas contesté.

Il faut tenir compte des difficultés rencontrées par la société et de son comportement étant souligné qu’elle n’avait pas à payer le salaire de mars 2018 en raison du licenciement antérieur.

Il reste dû la partie impayée de février 2018 en raison des difficultés économiques de la société qui ne constituent pas un fait justificatif mais une explication.

L’astreinte provisoire de 20 euros par jour de retard sera liquidée à la somme définitive de 500 euros.

Il en résulte que le jugement sera partiellement infirmé.

La garantie du CGEA est acquise sur le fondement des articles L.3253-8,

L.3253-9 et L.3253-13 du code du travail compte tenu de la nature des sommes et de la date de leur fait générateur.

4°/ Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Il est équitable d’accorder à Mme la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles.

Les frais irrépétibles ne seront pas pris en charge par le CGEA, n’ayant pas de rapport avec l’exécution du contrat de travail.

La demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile formée par la société appelante, représentée par son liquidateur, sera par ailleurs rejetée puisque celle-ci a succombé.


20

La créance des dépens et des frais irrépétibles d’appel, mise à la charge de la société débitrice, trouve son origine dans la présente décision qui, statuant sur ces dépens et frais, est postérieure au jugement d’ouverture de la procédure collective.

Son emploi devra donc être ordonné en frais privilégiés de procédure collective.

PAR CES MOTIFS :

La cour d’appel statuant publiquement, contradictoirement, et après en avoir délibéré conformément à la loi :

- déclare recevables les interventions volontaires et accessoires des syndicats;

-confirme le jugement rendu le 13 décembre 2018, entre les parties, par le conseil de prud’hommes de Troyes mais seulement :

* en ce qu’il donne acte au CGEA d’Ile-de-France Ouest de son intervention,

*en ce qu’il dit n’y avoir lieu à prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme 1₂

*en ce qu’il dit que le licenciement de Mme l est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

en ce qu’il fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société France Event,

*

représentée par la société de mandataires judiciaires BTSG, prise en la personne de M. A en sa qualité de liquidateur, les créances de Mme aux sommes respectives de 2 771,74 euros à titre d’indemnité de préavis, de 277,14 euros à titre de congés payés, de 2 013,21 euros à titre de rappel de salaire pour le mois de février 2018, de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

*en ce qu’il ordonne à M. A ès qualités de liquidateur de la société France

Event de remettre à Mme les bulletins de paie de novembre, décembre 2017, mars et avril 2018,

*en ce qu’il ordonne l’exécution provisoire,

en ce qu’il dit que les dépens seront prélevés sur la liquidation judiciaire de la société France Event;

- l’infirme pour le surplus et statuant à nouveau ou y ajoutant :

* dit que le grief tiré d’une violation des articles 1er, 6 et 16 de la Déclaration des

Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 est irrecevable,

* dit que l’article L. 1235-3 du code du travail, en sa version applicable au litige, n’est pas contraire, en lui-même, aux articles 4, 9 et 10 de la Convention n° 158 de l’OIT, 24 de la Charte sociale européenne révisée, 6, § 1, et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 20, 21 et 30 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union,


t

21

*liquide l’astreinte provisoire prononcée par le bureau de conciliation et d’orientation du 19 avril 2018 à la somme de 500 euros,

* fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société France Event, représentée par la société de mandataires judiciaires BTSG, prise en la personne de M. A en sa qualité de liquidateur, les créances de Mme respectives suivantes de 2 771,74 euros à titre de dommages-intérêts pour aux sommes licenciement sans cause réelle et sérieuse, de 837,29 euros à titre d’indemnité de licenciement, de 201,32 euros à titre de congés payés afférents sur le rappel de salaire pour le mois de février 2018, de 500 euros à titre de liquidation de l’astreinte, de 1 500 euros à titre de frais irrépétibles d’appel,

* précise que ces créances sont fixées sous déduction des éventuelles cotisations sociales et salariales applicables,

* assortit des intérêts légaux à compter du 19 avril 2018 les sommes salariales précitées d’un montant de 2 771,74 euros s’agissant seulement du préavis, de 277,17 euros, de 2 013,21 euros, de 201,32 euros et de 837,29 euros, jusqu’au jugement d’ouverture de la procédure collective du 14 juin 2018,

rappelle que le paiement de l’ensemble des sommes précitées, à l’exception des

*

créances de frais irrépétibles, est garanti par le CGEA d’Ile-de-France Ouest dans la limite des textes légaux et plafonds réglementaires qui s’en acquittera entre les mains de la société de mandataires judiciaires BTSG, prise en la personne de M. A en sa qualité de liquidateur,

rappelle que relèvent des frais privilégiés de procédure collective la somme de

*

1 500 euros accordée à Mme au titre des frais irrépétibles d’appel ainsi que les dépens de première instance et d’appel qui sont fixés au passif de la société France Event représentée par la société de mandataires judiciaires BTSG, prise en la personne de M. A en sa qualité de liquidateur,

rejette le surplus des prétentions.

*

LE GREFFIER

LE PRÉSIDENT



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Cour d'appel de Reims, 25 septembre 2019, n° 19/00003