Cour d'appel de Reims, Chambre sociale, 24 mars 2021, n° 19/00381

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Reims, ch. soc., 24 mars 2021, n° 19/00381
Juridiction : Cour d'appel de Reims
Numéro(s) : 19/00381
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Troyes, 20 janvier 2019, N° F16/462
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

Arrêt n°

du 24/03/2021

RG 19/00381

N° Portalis DBVQ-V-B7D-EUBH

CRW/FC

Formule exécutoire le :

à :

— SCP HERMINE AVOCATS ASSOCIES

— SELARL RAFFIN ASSOCIES

— M. X

COUR D’APPEL DE REIMS

CHAMBRE SOCIALE

Arrêt du 24 mars 2021

APPELANTES :

d’un jugement rendu le 21 janvier 2019 par le conseil de prud’hommes de TROYES, section industrie (n° F 16/462)

SCP E F Y prise en la personne de Maître Z Y, ès qualités de mandataire liquidateur de la SAS SIRC

[…]

[…]

Représentée par la SCP HERMINE AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de l’AUBE, et la SCP KEROUAZ – NK, avocat au barreau de PARIS

Association L’UNEDIC DELEGATION AGS CGEA d’AMIENS

[…]

[…]

[…]

Représentée par la SELARL RAFFIN ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS

INTIMÉE :

Madame B C

[…]

[…]

Représentée par Monsieur Philippe X, défenseur syndical

DÉBATS :

En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 18 janvier 2021, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Christine ROBERT-WARNET, président de chambre, et Monsieur Olivier BECUWE, conseiller, chargés du rapport, qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 24 mars 2021.

COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :

Madame Christine ROBERT-WARNET, président

Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller

Monsieur Olivier BECUWE, conseiller

GREFFIER lors des débats :

Madame Françoise CAMUS, greffier

ARRÊT :

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Christine ROBERT-WARNET, président, et Madame Françoise CAMUS, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Société Industrielle de Reliure et de Cartonnage (SIRC), entreprise familiale créée en 1946 a fait successivement l’objet d’une procédure de redressement judiciaire, ouverte selon jugement du 27 octobre 2009, convertie en liquidation judiciaire par jugement du 26 avril 2011, avec poursuite d’activité provisoire, d’une durée de deux mois, pour permettre le dépôt d’offres de reprise.

Par jugement du 14 juin 2011, la société SIRC a fait l’objet d’un plan de cession totale en faveur de la société SIRC Industries (SIRC), qui a repris les 84 salariés de l’entreprise.

Par jugement du 6 octobre 2015, le tribunal de commerce de Troyes a ouvert à l’encontre de cette dernière une procédure de redressement judiciaire. Tandis que la période d’observation était fixée jusqu’au 6 avril 2016, dès le 10 novembre 2015, le tribunal de commerce de Troyes prononçait la liquidation judiciaire de la société SIRC, sans poursuite d’activité, et désignait la SCP E F Y, prise en la personne de Maître Y en qualité de mandataire liquidateur de la société, qu’il autorisait à licencier les 88 salariés présents dans l’entreprise.

Maître Y, ès qualités, a établi un document unilatéral, incluant un plan de sauvegarde de l’emploi après consultation des représentants du personnel, homologué par la DIRECCTE le 27 novembre 2015.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 novembre 2015, le mandataire liquidateur a notifié aux salariés leur licenciement économique, après leur avoir proposé d’adhérer au contrat de sécurisation professionnelle (CSP).

B C, salariée de la société SIRC depuis le 13 septembre 1988, occupant en dernier lieu la fonction de opérateur conducteur, a adhéré au CSP.

Faisant notamment grief au mandataire liquidateur de ne pas avoir satisfait à l’obligation de reclassement externe, mise conventionnellement à sa charge, elle a saisi, comme d’autres collègues, le conseil de prud’hommes de Troyes pour voir dire sans cause réelle et sérieuse le licenciement dont elle a fait l’objet.

Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne saisi d’une demande d’annulation de la décision de la DIRECCTE du 27 novembre 2015, pour excès de pouvoir, a, par jugement du 26 avril 2016, rejeté cette demande, dont il a été interjeté appel.

Par arrêt du 5 août 2016, la cour administrative d’appel de Nancy a confirmé ce jugement.

Sur pourvoi, le Conseil d’État, par arrêt du 13 avril 2018, a rejeté les recours en annulation à l’encontre de la décision du 27 novembre 2015.

Compte tenu de la procédure pendante devant la juridiction administrative, le conseil de prud’hommes de Troyes, par jugement du 18 mai 2017, a sursis à statuer, dans l’attente de la décision du Conseil d’État. L’affaire a été réinscrite le 1er octobre 2018.

Aux termes de ses dernières conclusions, B C, soutenant que le mandataire liquidateur a manqué à son obligation de reclassement externe, dans les termes prévus par l’accord de branche du 24 mars 1970, particulièrement en ses articles 19 et 20, dont elle déduisait que son licenciement était dénué de cause réelle et sérieuse, prétendait à la fixation de sa créance, sous exécution provisoire,

au passif de la liquidation judiciaire de la société SIRC, de la manière suivante :

—  47.986,02 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,

—  5.331,78 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

—  533,17 euros à titre de congés payés afférents,

—  1.777,26 euros à titre de dommages intérêts pour défaut de formation,

—  3.554,52 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral,

outre intérêts au taux légal à compter du jugement,

Elle entendait voir déclarer commun et opposable à l’AGS CGEA d’Amiens la décision à intervenir.

Par jugement du 21 janvier 2019, le conseil de prud’hommes de Troyes :

— s’est déclaré compétent pour trancher le litige, rejetant dans sa motivation l’exception d’incompétence soulevée tant par le mandataire liquidateur que par l’AGS CGEA, prétendant à la compétence du juge administratif,

— a dit sans cause réelle et sérieuse le licenciement de B C et fixé sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la manière suivante :

—  35.545,20 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,

—  5.331,78 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

—  533,17 euros à titre de congés payés afférents,

—  1.000 euros à titre d’indemnité pour défaut de formation,

— a dit opposable à l’AGS CGEA la présente décision, qui en devra garantie dans les limites, conditions et modalités prévues par les articles L. 3253-6 et suivants du code du travail,

— a débouté les parties en leurs autres demandes,

— a fait application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage.

La SCP E F Y, prise en la personne de Maître Y, ès qualités, et l’AGS CGEA d’Amiens ont interjeté appel de cette décision respectivement les 19 février 2019 et 20 février 2019.

Une ordonnance de jonction est intervenue le 18 novembre 2019.

Vu les conclusions transmises au greffe par RPVA le 16 mai 2019, auxquelles il est expressément renvoyé pour plus ample informé des moyens et prétentions du mandataire liquidateur par lesquelles celui-ci, soutenant qu’en présence d’un document unilatéral homologué par la DIRECCTE, le juge prud’homal est incompétent, en vertu du principe de la séparation des pouvoirs pour apprécier le respect, par l’employeur, de l’obligation de reclassement mise à sa charge, sa compétence résiduelle en vertu de ce principe se trouvant limitée à la seule vérification de ce que les salariés se sont vus proposer des postes de reclassement mentionnés dans le PSE et compatibles avec leurs fonctions.

Il conclut en conséquence à l’infirmation du jugement, retenant la compétence de la juridiction prud’homale.

À supposer que la cour confirme cette compétence, il soutient qu’au regard des délais impartis au mandataire liquidateur pour mettre en 'uvre les recherches de reclassement et, le cas échéant, procéder aux licenciements, aucun manquement ne lui est imputable, y compris s’agissant de l’obligation conventionnelle de reclassement puisqu’il a transmis à la Commission Nationale Paritaire de l’Emploi les informations individuelles propres aux 88 salariés dont le licenciement était envisagé.

Il en déduit l’infirmation du jugement et le débouté de B C en sa demande d’indemnisation, sollicitant à titre subsidiaire une réduction de cette indemnisation, au visa des dispositions du décret n° 2016-1581 du 23 novembre 2016.

Enfin, prétendant au débouté de la salariée en l’ensemble de ses demandes, en l’absence de justification des préjudices invoqués, il sollicite sa condamnation au paiement d’une indemnité de 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Vu les conclusions transmises au greffe par RPVA le 31 juillet 2019, auxquelles il est expressément renvoyé pour plus ample informé des moyens et prétentions de l’AGS-CGEA d’Amiens par lesquelles celui-ci sollicite l’infirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, renouvelant l’exception d’incompétence qu’il avait soulevée en première instance, en faisant valoir qu’en vertu du principe de la séparation des pouvoirs, le juge prud’homal n’est pas compétent pour trancher toute demande découlant de la contestation du contenu du plan de sauvegarde de l’emploi homologué par la DIRECCTE, pour en déduire qu’il y a lieu d’inviter la salariée à mieux se pourvoir.

En tout état de cause, il soulève l’irrecevabilité des demandes formées par la salariée tendant à critiquer le PSE au regard du principe de l’autorité de chose jugée attachée à la décision définitive d’homologation du document unilatéral.

Il soulève également l’incompétence partielle de la juridiction prud’homale au profit du tribunal de grande instance dès lors que B C impute au dirigeant de la société la déconfiture de celle-ci. L’AGS CGEA d’Amiens soutient que cette prétendue faute du dirigeant de l’entreprise, détachable des fonctions de direction relève de sa responsabilité civile délictuelle et personnelle, devant le tribunal de grande instance. Il prétend donc à l’incompétence de la cour au profit de celui-ci et à voir B C invitée à mieux se pourvoir, tandis qu’il rappelle que la faute détachable est inopposable à la procédure collective, de sorte qu’il ne saurait en garantir les conséquences financières.

Alors qu’aucune contestation ne peut être émise sur la réalité du motif économique, compte tenu de la liquidation judiciaire dont a fait l’objet la société SIRC, il s’en rapporte à l’appréciation de la cour

quant à la mise en 'uvre du PSE, à titre individuel, soulignant que si la cour retenait l’existence d’un quelconque manquement du mandataire liquidateur à son obligation de reclassement, il incombe à la salariée de rapporter la preuve du préjudice qu’elle a subi, se prévalant, à titre infiniment subsidiaire, du barème établi par les dispositions des articles L. 1235-1 et L. 1235-3 du code du travail.

Concluant principalement au débouté de B C en l’ensemble de ses demandes, y compris en celles fondées sur un manquement de l’employeur à l’obligation de formation et au préjudice moral en découlant, s’agissant en réalité de deux demandes fondées sur un même manquement, sans justification d’un préjudice subi, il rappelle que le licenciement sans cause réelle et sérieuse prive de cause le contrat de sécurisation professionnelle.

Enfin, l’AGS CGEA d’Amiens rappelle son champ d’application de garanties et ses limites.

Vu les conclusions parvenues au greffe le 22 juillet 2019, auxquelles il est expressément renvoyé pour plus ample informé des moyens et prétentions de B C par lesquelles celle-ci sollicite la confirmation du jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Troyes le 21 janvier 2019 en ce qu’il :

— s’est déclaré compétent pour se prononcer sur les conséquences du non-respect, par le mandataire liquidateur, des dispositions des articles 19 et 20 de l’accord du 24 mars 1970,

— a dit sans cause réelle et sérieuse le licenciement dont elle a fait l’objet,

— a fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société SIRC sa créance au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents.

En revanche, formant appel incident, elle renouvelle pour les sommes initialement sollicitées ses demandes en paiement de dommages-intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, pour défaut de formation continue et d’indemnisation du préjudice moral en découlant.

B C rappelle le contexte social dans lequel la société a été placée en redressement judiciaire, puis en liquidation judiciaire, dont elle impute la responsabilité à la dirigeante de l’entreprise, à l’encontre de laquelle elle ne forme aucune demande de condamnation dans le dispositif de ses écritures.

Elle fonde sa demande tendant à voir dire dénué de cause réelle et sérieuse le licenciement dont elle a fait l’objet sur le manquement du mandataire liquidateur à l’obligation conventionnelle de reclassement énoncée aux articles 19 et 22 l’accord du 24 mars 1970, mais aussi parce que celui-ci ne peut soutenir avoir tenté loyalement de reclasser les salariés dont le licenciement était envisagé en adressant, par courrier simple, des lettres circulaires à quelques entreprises du secteur, dans lesquelles les qualifications de chaque salarié n’étaient pas détaillées.

Elle soutient également qu’à défaut pour Maître Y, ès qualités, de justifier que les courriers, adressés en courrier simple, sont parvenus à leurs destinataires et de la saisine, par courrier, de la Commission Nationale Paritaire de l’Emploi, son licenciement se trouve privé de cause réelle et sérieuse.

Enfin, elle fait valoir que le manquement de l’employeur à l’obligation de formation des salariés à laquelle il est soumis en vertu des dispositions de l’article L. 6321-1 du code du travail l’a privée de la possibilité d’être reclassée plus facilement dans d’autres postes, générant pour elle un stress par peur de l’échec et d’un manque de confiance en elle, justifiant l’indemnisation du préjudice moral afférent qu’elle sollicite.

SUR CE

- Sur l’exception d’incompétence

Il résulte de l’application combinée des dispositions des articles L. 1233-24-4, L. 1233-57-3, L. 1233-58 et L. 1233-61 du code du travail, qu’en cas de liquidation judiciaire, lorsqu’est envisagé le licenciement d’au moins dix salariés dans une entreprise d’au moins cinquante salariés, le liquidateur,

après avoir élaboré un document unilatéral, tel que mentionné par les dispositions de l’article L. 1233-24-4, doit soumettre celui-ci à l’homologation de la DIRECCTE.

En préalable à l’homologation de ce document, il incombe à l’autorité administrative, en vertu des dispositions de l’article L. 1233-57-3 du code du travail, de vérifier la conformité de son contenu aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles relatives aux éléments mentionnés aux 1° à 5° de l’article L. 1233-24-2 (') et le respect, par le plan de sauvegarde de l’emploi, des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 en fonction des critères suivants :

1° les moyens dont dispose l’entreprise, l’unité économique et sociale et le groupe ;

2° la pondération et le périmètre d’application des critères d’ordre des licenciements mentionnés à l’article L. 1233-5 ;

3° le calendrier des licenciements ;

4° Le nombre de suppressions d’emplois et les catégories professionnelles concernées ;

5° les modalités de mise en 'uvre des mesures de formation, d’adaptation et de reclassement prévues aux articles L. 1233-4 et L. 1233-4-1.

En vertu du principe de la séparation des pouvoirs, le juge judiciaire demeure compétent pour apprécier le respect par l’employeur de l’obligation individuelle de reclassement.

Il ne résulte pas des dispositions de l’accord du 24 mars 1970, particulièrement en ses articles 19 et 20, dont l’appréciation incombe au juge administratif en application des dispositions de l’article L. 1235-7-1 du code du travail qu’elles mettent une quelconque obligation, à charge de l’employeur, au stade de l’élaboration d’un plan de sauvegarde de l’emploi, comme l’a jugé le Conseil d’État dans sa décision du 13 avril 2018.

Par déduction, cette obligation conventionnelle, mise à la charge de l’employeur, postérieure à l’homologation par l’autorité administrative du plan de sauvegarde de l’emploi relève, quant à son appréciation, de la compétence du juge prud’homal.

La décision déférée sera en conséquence confirmée en ce qu’elle s’est déclarée compétente pour trancher le litige et l’exception d’incompétence sera donc rejetée.

- Sur l’irrecevabilité des demandes

Se prévalant du principe de l’autorité de la chose jugée attachée à la décision rendue par le Conseil d’État le 13 avril 2018, confirmant la décision d’homologation du document unilatéral, l’AGS CGEA d’Amiens conclut à l’irrecevabilité des demandes formées par B C, dès lors que celles-ci visent à critiquer le contenu du PSE.

Il ressort toutefois clairement des conclusions de la salariée que celle-ci fonde exclusivement sa demande tendant à voir dire dénué de cause réelle et sérieuse le licenciement dont elle a fait l’objet sur le manquement du mandataire liquidateur à son obligation individuelle de reclassement, qui a saisi des entreprises extérieures, aux fins du reclassement, par lettre simple sans précision relative à la nature des postes occupés par chacun des salariés de la société et qui ne justifie pas de la saisine de la Commission Nationale Paritaire de l’Emploi.

S’agissant d’une obligation mise à la charge du mandataire liquidateur, postérieure à l’établissement du plan de sauvegarde de l’emploi, homologué par l’autorité administrative, les demandes ainsi formées ne se trouvent pas affectées par le principe de l’autorité de chose jugée et ne peuvent s’analyser, contrairement aux allégations de l’AGS CGEA d’Amiens, comme constituant en réalité une critique du plan de sauvegarde de l’emploi.

La fin de non-recevoir sera donc écartée.

- Sur l’incompétence de la juridiction prud’homale au profit du tribunal de grande instance (devenu tribunal judiciaire)

B C ne tire aucune conséquence juridique du comportement de la dirigeante de l’entreprise, qu’elle développe. Elle ne forme aucune demande de condamnation à son encontre, aux termes de son dispositif sur lequel, en application des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile, la cour doit exclusivement statuer.

Dès lors, il n’y a pas lieu d’examiner l’exception d’incompétence, soulevée par l’AGS CGEA d’Amiens, de la juridiction prud’homale au profit du tribunal de grande instance (devenu tribunal judiciaire) pour apprécier une éventuelle faute de la dirigeante de l’entreprise.

- Sur le bien-fondé du licenciement

La réalité du motif économique n’est pas contestée de sorte qu’il n’y a pas lieu de l’examiner dans le cadre de la présente décision.

Il n’est pas davantage contesté que l’entreprise cessant définitivement son activité, alors qu’elle n’appartenait pas à un groupe, aucun reclassement interne n’était envisageable. Ce pan de l’obligation individuelle de reclassement, mise à la charge du mandataire liquidateur, ne sera pas davantage examiné dans le cadre de la présente décision.

En revanche, la salariée fait grief au mandataire liquidateur d’avoir saisi des entreprises extérieures, par courrier simple, par lettre circulaire, quant à la situation des salariés dont le licenciement était envisagé, pour en déduire un manquement à l’obligation conventionnelle de reclassement telle qu’énoncée par les dispositions des articles 19 et 20 de l’accord du 24 mars 1970.

En l’absence de dispositions légales et réglementaires afférentes aux modalités de saisine, par le mandataire liquidateur tant des entreprises extérieures que de la commission paritaire régionale de l’emploi, voire la commission paritaire nationale de l’emploi, B C se prévaut, en vain, de la saisine des entreprises extérieures par un courrier simple, tandis que le mandataire liquidateur indique avoir saisi la commission paritaire nationale de l’emploi par courriel, pour conclure à l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement dont il a fait l’objet.

S’agissant des recherches de reclassement opérées auprès des entreprises extérieures, Maître Y, ès qualités, justifie avoir interrogé huit sociétés, auxquelles il a transmis la liste des postes des 88 salariés dont le licenciement était envisagé.

Outre la fonction occupée, cette liste mentionnait le salaire brut, l’âge de la salariée au 31 décembre 2015 et son ancienneté dans l’entreprise, ce qui apparaît satisfactoire, en dépit de la contestation de B C.

Ces courriers sont demeurés sans réponse.

Aucun grief ne peut donc être formulé à l’encontre du mandataire liquidateur quant au respect de son obligation de reclassement externe, s’agissant des entreprises extérieures.

L’article 19 de l’accord du 24 mars 1970 impose à l’employeur, à défaut de solution de reclassement sur le plan local, de saisir la commission paritaire régionale de l’emploi et si l’ampleur du problème dépasse le cadre régional, la commission paritaire nationale de l’emploi.

L’article 20 du même accord ajoute que si le reclassement ne peut être effectué à l’intérieur de la profession dans les conditions précisées à l’article 19, les possibilités en devront être recherchées hors de la profession.

Dans le cadre de ses conclusions, le mandataire liquidateur indique avoir transmis à la Commission Nationale Paritaire de l’Emploi les informations individuelles propres aux 88 salariés, portant sur l’emploi occupé, le salaire brut, l’âge du salarié et son ancienneté dans l’entreprise.

Il ne produit toutefois aucun élément afférent à cette transmission, et notamment pas le courriel dont il se prévaut, permettant à la cour de s’assurer de la saisine effective de la Commission Nationale Paritaire de l’Emploi.

La décision déférée mérite d’être confirmée sur ce point, qui a constaté que le mandataire liquidateur avait manqué à son obligation de reclassement conventionnel pour en déduire que le licenciement de B C se trouvait privé de cause réelle et sérieuse.

Au regard de l’ancienneté de la salariée dans l’entreprise, de l’effectif de cette dernière, les premiers juges ont, sur le fondement des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, exactement apprécié l’indemnisation du préjudice subi par B C du fait de son licenciement, sans que le mandataire liquidateur ne puisse utilement se prévaloir des barèmes d’indemnisation découlant du décret n° 2016-1581 du 23 novembre 2016 pour prétendre à une limitation de l’indemnisation de la salariée. La décision sera donc confirmée de ce chef.

En l’absence de motif économique de licenciement, le contrat de sécurisation professionnelle devient sans cause de sorte que B C est bien fondée en sa demande au titre d’une indemnité de préavis.

La décision déférée sera donc confirmée pour la somme qu’elle a retenue au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, à fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société.

Le jugement mérite également d’être confirmé en ce qu’il a fait une exacte application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail.

Toutefois, le contrat de sécurisation professionnelle se trouvant privé de cause, il y a lieu de déduire du remboursement ci-dessus énoncé la contribution versée par l’employeur, représenté par le mandataire judiciaire, au titre des dispositions de l’article L. 1233-69 du code du travail.

- Sur la demande en paiement de dommages-intérêts pour défaut de formation

Par application de l’article L. 6321-1 du code du travail, l’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail et veille à leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations.

Un manquement de l’employeur à cette obligation entraîne pour le salarié un préjudice, qu’il lui incombe de démontrer.

En l’espèce, aucun élément produit aux débats ne permet à la cour de s’assurer que l’employeur a respecté l’obligation de formation mise à sa charge, tout au long de la relation salariale, en dépit de sa durée.

Toutefois, pas plus qu’en première instance, B C ne rapporte la preuve du préjudice qu’elle prétend avoir subi.

Sur la base de ce constat, les premiers juges ne pouvaient fixer sa créance, en indemnisation d’un préjudice nécessairement subi, à la somme de 1.000 euros.

La décision déférée sera donc infirmée de ce chef et la salariée déboutée en cette prétention.

- Sur la demande en paiement de dommages-intérêts pour préjudice moral

Outre le fait que, comme relevé par l’AGS CGEA d’Amiens, cette demande vise à indemniser le même préjudice que celui indemnisé au titre du manquement de l’employeur à son obligation de formation, le débouté de B C s’impose dès lors que sa demande en paiement de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de formation a été rejetée.

- Sur les autres chefs de demande

Il y a lieu de dire opposable à l’AGS CGEA d’Amiens la présente décision, qui devra garantie des créances ainsi fixées dans les limites de son champ d’application de garanties, conformément aux textes législatifs et plafonds réglementaires applicables.

Il y a lieu de préciser que toute condamnation est prononcée sous déduction des éventuelles cotisations sociales salariales applicables.

Succombant en son appel, Maître Y, ès qualités, sera débouté en sa demande en paiement fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi :

Confirme le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Troyes le 21 janvier 2019 sauf en ce qu’il a accueilli la demande en paiement de dommages-intérêts, formée par B C, en indemnisation du manquement de l’employeur à son obligation de formation ;

Statuant à nouveau de ce chef ;

Déboute B C en cette prétention ;

Y ajoutant :

Dit n’y avoir lieu de statuer sur l’exception d’incompétence de la juridiction prud’homale au profit du tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, soulevée par l’AGS CGEA d’Amiens ;

Précise que toutes les condamnations sont prononcées sous réserve de déduire les cotisations salariales ou sociales éventuellement applicables ;

Dit que pour l’application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu de déduire la contribution versée par l’employeur, représenté par le liquidateur, au titre des dispositions de l’article L. 1233-69 du code du travail ;

Déboute la SCP E F Y, prise en la personne de Maître Y en qualité de mandataire liquidateur de la Société Industrielle de Reliure et de Cartonnage, en sa demande en paiement fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Dit que les dépens seront inscrits en frais privilégiés au passif de la liquidation judiciaire de la Société Industrielle de Reliure et de Cartonnage.

Le greffier, Le président,

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