Cour d'appel de Riom, 4 avril 2016, n° 15/00081

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Texte intégral

COUR D’APPEL

DE RIOM

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

Du 04 avril 2016

— DA/SP/MO- Arrêt n°

Dossier n° : 15/00081

H X / D A

Jugement Au fond, origine Tribunal de Grande Instance de CLERMONT-FERRAND, décision attaquée en date du 17 Décembre 2014, enregistrée sous le n° 12/03581

Arrêt rendu le LUNDI QUATRE AVRIL DEUX MILLE SEIZE

COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :

M. François BEYSSAC, Président

Mme Marie-Madeleine BOUSSAROQUE, Conseiller

M. Daniel ACQUARONE, Conseiller

En présence de :

Mme Sylviane PHILIPPE, Greffier lors de l’appel des causes et du prononcé

ENTRE :

M. H X

XXX

63000 CLERMONT-FERRAND

représenté et plaidant par Me François VIGNANCOUR de la SCP VIGNANCOUR ASSOCIES, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

Timbre fiscal acquitté

M. N B

XXX

XXX

représenté et plaidant par Me Daniel ELBAZ, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

(bénéficie d’une aide juridictionnelle totale numéro 2015/001806 du 06/03/2015 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de CLERMONT-FERRAND)

APPELANTS

ET :

M. D A

XXX

XXX

représenté et plaidant par Me Charlotte K de la SCP BLANC-J – K & ASSOCIÉS, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

Timbre fiscal acquitté

INTIME

DÉBATS : A l’audience publique du 03 mars 2016

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

N° 15/00081 – 2 -

Prononcé publiquement le 04 avril 2016 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

Signé par M. François BEYSSAC, Président, et par Mme Sylviane PHILIPPE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

I. Procédure

Au mois de janvier 1985 M. D A, brocanteur, a acquis auprès du curé de Vic-le-Comte, parmi d’autres objets, un tableau peint sur bois entouré de moulures dorées représentant une scène religieuse. Sur les conseils d’une de ses relations, M. H X antiquaire, il a fait procéder au nettoyage de la peinture par M. F B. Cette opération a révélé que sous la peinture apparente se trouvait un autre tableau. Après plusieurs années de recherches et de restaurations il s’est avéré que le tableau caché était une 'uvre majeure de la peinture française du début du XVe siècle, attribuée à D Q, nommée « le Christ de pitié ».

Au terme d’une transaction qui a duré plusieurs années le musée du Louvre a acheté le tableau à M. D A le 4 novembre 2011 pour 7,8 millions d’euros. Sur cette somme M. A a reversé 2,3 millions d’euros à la commune de Vic-le-Comte dans le cadre d’un protocole transactionnel en date du 4 novembre 2011.

Le 4 septembre 2012 M. H X, s’estimant inventeur du trésor en application de l’article 716 du code civil, a assigné M. D A devant le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand afin d’obtenir la moitié du produit net de la vente du tableau de D Q au musée du Louvre.

Le 3 décembre 2012 M. F B a également assigné M. D A devant la même juridiction et sur le même fondement juridique, afin d’obtenir sa condamnation à lui verser la somme de 250'000 EUR.

Par jugement du 17 décembre 2014 le tribunal a débouté l’un et l’autre en ces termes :

« Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire rendu en premier ressort ;

DÉCLARE recevables les actions introduites par Monsieur H X et Monsieur F B ;

Les DÉCLARE mal fondées sur le fond ;

Par conséquent,

Les en DÉBOUTE ;

DÉBOUTE Monsieur D A de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts

DIT n’y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

CONDAMNE in solidum Monsieur H X et Monsieur F B aux dépens, avec distraction au pro’t de la SCP BLANC-J K et Associés de ceux dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision ;

DIT que dans leurs rapports entre eux ils en supporteront chacun la moitié […] »

M. H X a fait appel de ce jugement le 13 janvier 2015 contre M. D A et M. F B. Ce dossier a été enrôlé à la cour sous le numéro 15/81. M. X a pris ensuite des conclusions de désistement d’appel contre M. B le 5 février 2015.

…/…

N° 15/00081 – 15/00357 – 3 -

Dans ses conclusions récapitulatives n° 3 en date du 30 décembre 2015 dirigées uniquement contre M. D A, M. H X demande à la cour de :

« Vu l’article 2262 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi 2008-561 du 17 juin 2008, ensemble cette même loi en son article 26 II

Confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a rejeté l’exception de prescription alléguée par M. A

Vu l’article 716 du code civil et en tant que de besoin l’article L.531-16 du code du Patrimoine et subsidiairement les articles 1372 à 1375 du Code civil ainsi que les usages de la profession d’antiquaire ;

Confirmer le jugement en ce qu’il a jugé que le tableau « Le Christ de Pitié » attribué à D Q vendu par M. A au Musée du Louvre le 4 janvier 2012 répond à la définition du trésor prévu par les dispositions de l’article 716 du code civil.

Dire mal jugé pour le surplus, bien appelé et émendant le jugement :

Dire et juger que Monsieur H X est l’inventeur de ce trésor.

Constater que les formalités prévues à l’article L.531-16 du code du patrimoine ont été accomplies lors des négociations de M. A avec le Musée du Louvre.

Condamner Monsieur D A à payer à Monsieur H X la moitié du produit net de la vente du trésor effectuée au mépris des droits de copropriété de l’inventeur, soit la somme de deux millions d’euros en principal, assortie des intérêts au taux légal à compter du jour de la vente.

Dire et juger la demande en dommages-intérêts de M. A au titre de son appel incident infondée, aucune faute en relation de cause à effet avec le préjudice dont il se plaint et dont il ne rapporte pas la preuve ne pouvant être reprochée à M. X.

Débouter Monsieur A de son appel incident.

Condamner Monsieur D A à payer à Monsieur H X la somme de 10 000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Subsidiairement et pour le cas où la Cour dénierait la qualité d’inventeur à Monsieur X :

Dire et juger que ce dernier est en droit de prétendre sur le fondement de la gestion d’affaires et des usages de la profession à une rémunération égale à 25% de la valeur de l''uvre de Q.

Condamner en conséquence M. A à verser à M. X la somme de 2.000.000 d’euros avec intérêts au taux légal à compter du jour de l’arrêt.

Condamner Monsieur D A aux entiers dépens exposés devant le Tribunal et devant la Cour.

Et dire que, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile, la SCP VIGNANCOUR Associés pourra recouvrer directement les frais dont elle a fait l’avance sans en avoir reçu provision. »

M. H X plaide que sa demande n’est pas prescrite et que les conditions d’application de l’article 716 du code civil sont ici pleinement réunies : l’existence d’un trésor caché constitué par la peinture de D Q, sur lequel personne ne peut justifier sa propriété, et trouvé par pur hasard « dans le fonds de brocante » de M. A. M. X affirme qu’il a joué dans la découverte du trésor « un rôle actif » en conseillant à M. A, après un examen attentif du tableau, de le faire nettoyer ce qui a permis de révéler sa valeur exceptionnelle. Il rappelle que son nom est mentionné dans le livre édité par le musée du Louvre à propos du tableau de D Q. À titre subsidiaire M. X allègue au soutien de ses demandes la gestion d’affaire et les usages de la profession.

…/…

N° 15/00081 – 15/00357 – 4 -

Dans ce premier dossier M. A a pris des écritures en défense le 14 janvier 2016, où il demande à la cour de :

« Vu le Jugement déféré ;

Vu l’appel relevé par Monsieur X ;

Vu l’appel incident relevé par Monsieur A ;

Vu l’article 716 du Code Civil ;

Vu les pièces versées aux débats et les justifications à l’appui.

1) Réformer le Jugement déféré en ce qu’il a qualifié l''uvre attribuée à D Q de trésor.

A cet effet, constater que les conditions cumulatives fixées par l’article 716 du Code Civil ne sont pas remplies.

Constater en effet que si l''uvre en elle-même était cachée, la dorure, laquelle permettait de supposer que l''uvre ne s’arrêtait pas à l’apparence du tableau de surface, était apparente.

Constater que Monsieur A est le propriétaire du tableau.

En conséquence, constater que les critères fixés par l’article 716 du Code Civil ne sont pas remplis.

2) Réformer le Jugement déféré en ce qu’il a déclaré l’action de Monsieur X recevable.

Constater à cet effet que la demande de Monsieur X est prescrite en application de l’article 2224 du Code Civil.

3) Sur le fond, confirmer le Jugement déféré en ce qu’il a débouté Monsieur X de sa demande fondée sur sa qualité d’inventeur.

A cet effet, constater que Monsieur X s’est contenté de conseiller à Monsieur A de faire nettoyer son tableau, élément insuffisant pour se faire reconnaître la qualité d’inventeur de trésor.

4) Débouter Monsieur X de sa demande fondée sur la notion de gestion d’affaires.

A cet effet, constater que Monsieur X ne justifie pas des actions qu’il aurait menées pour conduire à l’application de cette notion.

Constater en toute hypothèse que la notion de gestion d’affaires n’est pas applicable au cas d’espèce, le simple conseil donné à Monsieur A ne pouvant caractériser la gestion d’affaires.

Débouter en conséquence Monsieur X de ses demandes.

A titre subsidiaire, si la Cour entendait faire droit à la demande de Monsieur X, limiter le montant de la rémunération de ce dernier à hauteur de 3 % net du prix de vente.

5) Réformer le Jugement déféré en ce qu’il a débouté Monsieur A de sa demande de dommages et intérêts fondée sur l’article 1382 du Code Civil.

Constater que Monsieur A a toujours voulu conserver l’anonymat.

Constater que la présente procédure, laquelle est purement dilatoire, a conduit Monsieur A à rompre avec cet anonymat.

Constater en conséquence que la procédure initiée par Monsieur X cause un préjudice à Monsieur A.

En conséquence, accorder à Monsieur A une indemnité de 600 000 € à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 1382 du Code Civil.

Condamner Monsieur X, en tant que de besoin, au paiement de ladite somme.

Condamner Monsieur X à la somme de 3 500 € sur le fondement de l’article

700 du CPC, outre les entiers dépens, dont distraction au profit de la SCP BLANC-

J K et Associés, Avocat, sur son affirmation de droit. »

…/…

N° 15/00081 – 15/00357 – 5 -

M. A plaide pour sa part que l’action de M. X est prescrite en application de l’article 2224 du code civil et qu’en toute hypothèse les critères du trésor résultant de l’article 716 du code civil ne sont pas ici réunis, car même si la peinture de D Q était cachée derrière un médiocre tableau, des traces d’or étaient néanmoins visibles et notées déjà dans un inventaire de 1952. D’autres personnes, ajoute-t-il, à qui il avait montré le tableau, avaient également observé ces dorures. Il estime en toute hypothèse qu’il était le seul propriétaire de l''uvre depuis son acquisition auprès du curé de Vic-le-Comte en 1985, et que M. X, qui n’était nullement spécialisé en peinture ancienne, s’était contenté de lui conseiller de faire nettoyer le tableau « rien de plus » ce qui ne lui confère pas la qualité d’inventeur au sens de l’article 716 du code civil. Il objecte enfin que l’argumentation de l’appelant fondée sur la gestion d’affaires « est fantaisiste » et maintient sa demande en dommages et intérêts en raison de la révélation de son identité.

Cette première affaire portant le numéro 15/81 a été clôturée par ordonnance du 21 janvier 2016.

De son côté M. F B a fait appel du jugement ci-dessus le 12 février 2015 contre M. D A. Cette affaire a été enrôlée devant la cour sous le numéro 15/357.

Dans ses conclusions du 7 mai 2015 M. F B demande à la cour de :

« Principalement :

— Réformer la décision attaquée en ce qu’elle a refusé la qualité d’inventeur ou de découvreur de trésor à Monsieur N B.

— Vu l’article L 531-16 du Code du Patrimoine.

— Vu l’article 716 du Code Civil.

— Dire et juger que Monsieur N B a la qualité d’inventeur ou de tiers découvreur suite à la découverte de l’auteur du tableau litigieux comme étant D Q.

— Fixer à 250 000 € la réclamation à laquelle peut prétendre Monsieur N B du fait de cette qualité d’inventeur ou de tiers découvreur.

— En conséquence, condamner en tant que besoin Monsieur D A à payer et porter au concluant la somme de 250 000 €.

Subsidiairement :

— Prendre acte des propositions faites par Monsieur D A à Monsieur N B et en tirer toutes conséquences de droit, notamment sur le fondement de l’enrichissement sans cause.

— En conséquence, condamner Monsieur D A à payer et porter la somme de 30 000 € à Monsieur N B.

— Condamner Monsieur D A à payer et porter à Monsieur N B la somme de 5 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu’à tous les dépens. »

M. B plaide que son action fondée sur le droit de propriété n’est pas prescrite. Sur le fond, il observe que l''uvre de D Q n’était absolument pas visible, quelques traces de dorures n’étant pas suffisantes pour la révéler, avant qu’elle ne lui soit confiée par M. A, et que c’est grâce à son intervention, qui allait au-delà de la simple restauration, qu’elle a été découverte sous la médiocre peinture qui la cachait jusqu’alors. M. F B considère par conséquent qu’il est l’inventeur de ce trésor découvert par le seul effet du hasard car il ne s’attendait pas à trouver une telle 'uvre. Il conteste avoir lui-même photographié le tableau et ajoute que M. A lui avait offert à titre amiable 20'000 EUR puis 30'000 EUR.

…/…

N° 15/00081 – 15/00357 – 6 -

Pour sa défense dans ce dossier n° 15/357 M. D A a pris en dernier lieu des conclusions le 10 juillet 2015 où il demande à la cour de :

« Vu le Jugement déféré ;

Vu l’appel relevé par Monsieur B ;

Vu l’appel incident relevé par Monsieur A ;

Vu l’article 716 du Code Civil ;

Vu les pièces versées aux débats et les justifications à l’appui.

1) Réformer le Jugement déféré en ce qu’il a qualifié l''uvre attribuée à D Q de trésor.

A cet effet, constater que les conditions cumulatives fixées par l’article 716 du Code Civil ne sont pas remplies.

Constater en effet que si l''uvre en elle-même était cachée, la dorure, laquelle permettait de supposer que l''uvre ne s’arrêtait pas à l’apparence du tableau de surface, était apparente.

Constater que Monsieur A est le propriétaire du tableau.

En conséquence, constater que les critères fixés par l’article 716 du Code Civil ne sont pas remplis.

2) Réformer le Jugement déféré en ce qu’il a déclaré l’action de Monsieur B recevable.

Constater à cet effet que la demande de Monsieur B est prescrite en application de l’article 2224 du Code Civil.

3) Sur le fond, confirmer le Jugement déféré en ce qu’il a débouté Monsieur B de sa demande fondée sur sa qualité d’inventeur.

A cet effet, constater que Monsieur B s’est contenté de procéder à un premier décapage du tableau selon les instructions de Monsieur A et contre rémunération, élément insuffisant pour se faire reconnaître la qualité d’inventeur du trésor.

4) Débouter Monsieur B de sa demande fondée sur la notion d’enrichissement sans cause

A cet effet, constater que la notion d’enrichissement sans cause est inapplicable au cas d’espèce.

Débouter en conséquence Monsieur B de ses demandes.

5) Réformer le jugement déféré en ce qu’il a débouté Monsieur A de sa demande de dommages et intérêts fondée sur l’article 1382 du Code Civil.

Constater que Monsieur A a toujours voulu conserver l’anonymat.

Constater que la présente procédure, laquelle est purement dilatoire, a conduit Monsieur A à rompre avec cet anonymat.

Constater en conséquence que la procédure initiée par Monsieur B cause un préjudice à Monsieur A.

En conséquence, accorder à Monsieur A une indemnité de 600 000 € à titre de dommages et intérêts sur le fondement de 1'article 1382 du Code Civil.

Condamner Monsieur B, en tant que de besoin, au paiement de ladite somme.

Condamner Monsieur B à la somme de 3 500 € sur le fondement de l’article 700 du CPC, outre les entiers dépens, dont distraction au profit de la SCP BLANC-J K et Associés, Avocat, sur son affirmation de droit. »

M. A reprend ici pour l’essentiel les arguments qu’il avait développés dans le dossier n° 15/81 contre M. X. Il ajoute, plus spécifiquement à l’égard de M. B, que celui-ci « commet indéniablement une confusion entre inventeur

…/…

N° 15/00081 – 15/00357 – 7 -

et restaurateur » et « n’a fait que son travail ! Rien de plus ! » pour lequel il a été rémunéré. Il rappelle que lui-même avait fait des recherches qui l’avaient convaincu qu’il s’agissait d’une 'uvre de D Q. Il reproche à M. B d’avoir « violé le secret professionnel » en photographiant le tableau et en le montrant à d’autres personnes au cours de sa restauration. Concernant la promesse de récompense alléguée par M. B, l’intimé estime qu’elle est « purement et simplement fantaisiste ».

Cette seconde affaire portant le numéro 15/357 a été clôturée par ordonnance du 7 janvier 2016.

II. Motifs

Attendu que pour une bonne administration de la justice il y a lieu de joindre les deux dossiers ci-dessus n° 15/81 et 15/357 sous le numéro unique 15/81 ;

Attendu que les actions de Messieurs B et X tendent toutes deux à revendiquer un droit de copropriété sur l''uvre de D Q en application de l’article 716 du code civil ; qu’à juste titre par conséquent le premier juge a considéré qu’il y avait lieu de faire application de l’article 2227 du même code suivant lequel le droit de propriété est imprescriptible, et de juger recevables leurs actions ;

Attendu que selon l’article 716 du code civil :

« La propriété d’un trésor appartient à celui qui le trouve dans son propre fonds ; si le trésor est trouvé dans le fonds d’autrui, il appartient pour moitié à celui qui l’a découvert, et pour l’autre moitié au propriétaire du fonds.

Le trésor est toute chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété, et qui est découverte par le pur effet du hasard. »

Attendu que nonobstant les explications peu convaincantes de M. A sur ce point, il apparaît à la lecture du dossier que la qualité de « trésor » au sens du texte ci-dessus peut être reconnue à la peinture de D Q qui se trouvait incluse dans le tableau acquis auprès du curé de Vic-le-Comte en 1985 ;

Attendu en effet que le trésor au sens de l’article 716 est une chose « cachée ou enfouie » ; que nul ne saurait en l’espèce sérieusement prétendre que la simple vue de minuscules traces de dorure sur le tableau tel qu’il a été acheté par M. A en 1985, même si elles ont attiré l’attention de quelques personnes, qui pour autant n’ont pas jugé opportun d’acquérir l''uvre (cf. attestations de MM. Z et Y), pouvait d’emblée laisser penser que la peinture visible recouvrait un pur chef-d''uvre de l’art « gothique international » ;

Attendu que la cour observe à ce propos qu’en 1985 et jusqu’à ce que M. L M fasse des recherches approfondies pour le compte du musée du Louvre à partir d’août 2003, l’inventaire paroissial du mois de mai 1952 où l’hypothèse d’un repeint sur un tableau ancien du XVe siècle est clairement évoquée, n’était connu d’aucune des parties au présent procès (cf. T U, « Le Christ de pitié », Louvre éditions, 2012, p. 28) ;

…/…

N° 15/00081 – 15/00357 – 8 -

Attendu que le trésor, selon le même texte, est une chose « sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété » ; que tel est bien le cas en l’espèce puisque s’il est certain que M. A a acquis au mois de janvier 1985 auprès du curé de Vic-le-Comte, parmi d’autres objets, un tableau religieux sans caractéristiques particulières ni valeur éminente, ainsi qu’en atteste son livre de police versé au dossier, il est tout aussi certain qu’il n’a pas ce jour-là acquis l’oeuvre attribuée plusieurs années plus tard au peintre D Q, cachée sous la peinture visible ; que le propriétaire de l’oeuvre initiale jusqu’à son recouvrement demeure totalement inconnu ; qu’il est intéressant de noter à ce propos que même la propriété du cadre repeint était sujette à discussion puisque le musée du Louvre n’a pas voulu procéder à l’acquisition du tableau révélé sans que la question d’une éventuelle revendication de la commune de Vic-le-Comte ne soit tranchée définitivement au moyen d’un protocole transactionnel signé le 4 novembre 2011 entre Monsieur A, la commune de Vic-le-Comte, le ministère de la culture, et le musée du Louvre ; qu’a fortiori par conséquent personne ne sait qui était propriétaire du tableau de D Q avant sa dissimulation sous une peinture grossière ;

Attendu enfin que contrairement à ce que plaide M. A, la condition de découverte « par le pur effet du hasard » au sens de l’article 716 du code civil n’est pas un élément constitutif de la notion de trésor mais seulement une condition d’attribution du trésor à celui qui le découvre sur le fonds d’autrui, qui ne peut prétendre à en recueillir la moitié que s’il l’a découvert par hasard ; de telle sorte qu’une chose cachée ou enfouie que personne ne peut revendiquer est un trésor même si l’on en présume ou soupçonne l’existence et qu’on s’efforce par des recherches ou des fouilles délibérées de le découvrir ;

Attendu qu’en l’espèce il est exact que la découverte de la peinture de D Q fait suite à la commande de M. A auprès de M. B afin que celui-ci procède à un nettoyage de la peinture acquise en 1985 au vu des quelques traces de dorure observées sur celle-ci, ce qui exclut l’hypothèse d’un « pur effet du hasard » ; que néanmoins cette circonstance n’empêche pas que la peinture découverte puisse être considérée comme un trésor ;

Attendu que la question enfin de la découverte du trésor « dans le fonds d’autrui » ne pose ici aucune difficulté puisque le tableau se trouvait effectivement entreposé dans le commerce de M. A, si l’on doit considérer le « fonds » comme étant le lieu géographique de la découverte du trésor ; et en tout cas la peinture de D Q était dissimulée à l’intérieur du tableau acquis par M. A en 1985, si l’on veut considérer le « fonds » comme étant plus précisément l’objet au sein lequel le trésor était caché ;

Attendu par conséquent que toutes les conditions de l’article 716 du code civil sont ici réunies pour démontrer que la peinture de D Q répond à la qualification juridique de trésor au sens de ce texte ;

Attendu que M. H X et M. F B prétendent tous deux avoir découvert ce trésor : le premier en raison des conseils qu’il a prodigués à M. A, le second en raison du travail qu’il a accompli sur le tableau, ayant permis de révéler le chef-d''uvre dissimulé par la peinture superficielle ;

Or attendu que M. X ne prouve pas qu’il est l’inventeur du trésor trouvé sur le fonds de M. A ;

…/…

N° 15/00081 – 15/00357 – 9 -

Attendu qu’il résulte en effet du dossier, les conclusions de M. A et de M. X étant à peu près concordantes sur ce point, que le second a conseillé au premier, au vu de quelques minuscules traces dorées présentes sur le tableau repeint, de le faire nettoyer afin de vérifier ce qui pouvait se trouver éventuellement en dessous ; que pour autant M. X ne peut sérieusement prétendre avoir ainsi découvert le trésor, alors que ce n’est pas lui en toute hypothèse qui par sa seule intervention et l’effet du pur hasard a mis à jour la peinture magnifique de D Q ; que la cour observe à ce propos que les parcelles dorées sur la peinture superficielle étaient visibles de tous, et que si réellement M. X avait pu soupçonner la valeur exceptionnelle de la peinture d’origine il n’aurait sans doute pas manqué d’acquérir le tableau qui chez M. A à cette époque était toujours en vente ;

Attendu qu’à juste titre par conséquent le tribunal a refusé de reconnaître à M. X la qualité d’inventeur du trésor ;

Attendu que le simple conseil prodigué par M. X, comme en l’espèce, qui n’est pas suivi d’autres actes positifs plus déterminants de sa part, ne saurait constituer une gestion d’affaire au sens de l’article 1372 du code civil ;

Attendu que les usages de la profession, sur lesquels M. X fonde subsidiairement sa demande indemnitaire, n’apparaissent pas très clairement établis au vu des attestations qu’il verse au dossier, d’où il résulte que la rémunération de celui qui par ses conseils pertinents permet la découverte d’une oeuvre d’art pourrait être de 10 % au minimum (attestation DELMAS), de 10 à 20 % (attestation R S), entre 10 et 30 % (attestation SERRET) ou bien encore « autour de 10 % » (attestation C) ; que ces estimations fluctuantes autant qu’approximatives ne permettent pas d’établir l’existence d’usages de la profession affirmés et constants ayant valeur normative dans ce milieu ; qu’en toute hypothèse l’aide déterminante ou pertinente de M. H X n’est pas suffisamment établie dans le cas présent où le simple conseil qu’il a prodigué à M. A ne saurait revêtir une telle qualité ; qu’il apparaît en réalité que dans pareille situation l’éventuelle gratification de celui qui a aidé un tant soit peu à la mise à jour d’une oeuvre importante résulte seulement du bon vouloir de celui qui en profite, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce de la part de M. A à l’égard de M. X, sans que l’on puisse toutefois lui en faire juridiquement reproche ; que la demande de ce chef ne saurait donc prospérer ;

Attendu que de même M. F B, à qui M. A a confié la mission de nettoyer le tableau, et qui se déclare à son tour inventeur du trésor pour l’avoir mis au jour à l’issue de son travail, ne peut valablement revendiquer cette qualité ;

Attendu en effet que dans ce cas, alors que M. B est intervenu à la demande de M. A, dans le cadre strictement de ses compétences professionnelles, afin de nettoyer le tableau pour savoir ce que la peinture superficielle pouvait éventuellement recouvrir étant donné les parcelles dorées observées à sa surface, il est impossible de retenir la circonstance de découverte « par le pur effet du hasard » exigée par l’article 716 du code civil pour permettre la rémunération de l’inventeur ; qu’aucun élément n’autorise par ailleurs à conclure que M. B serait allé au-delà de la demande contractuelle faite par M. A et aurait ainsi découvert le trésor à l’issue de recherches et investigations menées de sa propre initiative ; que l’entier dossier permet au contraire de penser qu’il lui était simplement demandé de

…/…

N° 15/00081 – 15/00357 – 10 -

nettoyer ou restaurer le tableau de 1985 dans le but de connaître la nature exacte des parcelles d’or visibles à sa surface, et que c’est dans le cadre de cette commande professionnelle motivée par une intention précise de la part du propriétaire du tableau, et non par l’effet du hasard, qu’il a mis au jour le chef-d''uvre sous-jacent ;

Attendu qu’aucune obligation naturelle de la part de M. A en faveur de M. B ne ressort du dossier où les quelques courriers produits de part et d’autre déterminent au mieux l’ébauche de tractations, dans un contexte plutôt conflictuel, qui n’ont en réalité jamais abouti ni engagé personne ;

Attendu que le contrat passé entre M. A et M. B dans le cadre de l’activité professionnelle de celui-ci exclut nécessairement toute hypothèse d’enrichissement sans cause du premier aux dépens du second ;

Attendu enfin que l’article L. 531-16 du code du patrimoine, évoqué par M. F B dans ses écritures, est sans utilité ni effet au regard des demandes qu’il forme dans la présente procédure ;

Attendu que M. A ne démontre pas en quoi le fait que son identité a été connue à l’occasion de la présente procédure, ce qui de toute manière était inévitable compte tenu du caractère public des débats judiciaires, lui a causé le moindre dommage ; qu’il ne prouve pas mieux qu’avant même l’introduction de l’instance devant le tribunal de Clermont-Ferrand son identité a été volontairement révélée à l’initiative de l’une ou l’autre partie dans le but avéré de lui nuire ; qu’en toute hypothèse, même en faisant abstraction du contexte judiciaire et donc public de cette affaire, il ne suffit pas à M. A d’affirmer son désir d’anonymat pour tirer de la seule révélation de son identité l’existence d’un préjudice qui en l’état n’est nullement démontré ;

Attendu que le jugement doit donc être intégralement confirmé ;

Attendu qu’il n’est pas inéquitable que chaque partie supporte ses frais irrépétibles ;

Attendu que chaque partie gardera ses dépens d’appel ;

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

Ordonne la jonction des procédures n° 15/00081 et 15/00357 sous le numéro unique 15/00081 ;

Confirme le jugement ;

Déboute les parties de leurs autres demandes ;

Dit que chaque partie supportera ses frais irrépétibles ;

Dit que chaque partie gardera ses dépens d’appel.

le greffier le président

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Cour d'appel de Riom, 4 avril 2016, n° 15/00081