Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, Chambre sociale, 17 décembre 2021, n° 18/01540
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Sur la décision
Référence : | CA Saint-Denis de la Réunion, ch. soc., 17 déc. 2021, n° 18/01540 |
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Juridiction : | Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion |
Numéro(s) : | 18/01540 |
Dispositif : | Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée |
Sur les parties
- Président : Alain LACOUR, président
- Avocat(s) :
- Cabinet(s) :
- Parties : S.A.R.L. SOCIETE AGRICOLE QUINCAILLERIE TSANG EXERCANT A L' ENSEIGNE WELDOM
Texte intégral
AFFAIRE : N° RG N° RG 18/01540 – N° Portalis DBWB-V-B7C-FCB2 ARRÊT N° SG
Code Aff. :
ORIGINE :JUGEMENT du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Saint-Pierre en date du 11Septembre 2018, rg n° 17/00208
COUR D’APPEL DE SAINT-DENIS DE LA RÉUNION CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 17 DECEMBRE 2021
APPELANTE :
S.A.R.L. SOCIETE AGRICOLE QUINCAILLERIE TSANG EXERCANT A
L’ ENSEIGNE WELDOM
[…]
[…]
Représentant : Me Normane OMARJEE de la SELARL KER AVOCATS, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION et Me Rodolphe MENEUX, cabinet FIDAL, barreau des HAUTS-de-SEINE
INTIMÉE :
Madame D X
[…]
[…]
Représentant : Me Mickaël C de la SELAS SOCIETE D’AVOCATS MICKAEL C, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
(bénéficie d’une aide juridictionnelle totale numéro 2018/007747 du 19/12/2018 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Saint-Denis)
Clôture : 06 juin 2019
DÉBATS : En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 18 mai 2021 en audience publique, devant Suzanne GAUDY, conseillère chargée d’instruire l’affaire, assistée de Delphine GRONDIN, greffier, les parties ne s’y étant pas opposées.
Ce magistrat a indiqué à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé, par sa mise à disposition au greffe le 28 septembre 2021, mise à disposition prorogée au 23 novembre 2021 puis au 17 décembre 2021 ;
Il a été rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Alain LACOUR
Conseiller : Suzanne GAUDY
Conseiller : Laurent CALBO
Qui en ont délibéré
Greffier du prononcé par mise à disposition au greffe : Nadia HANAFI
ARRÊT : mis à disposition des parties le 17 DECEMBRE 2021
* *
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LA COUR :
Exposé du litige :
Mme X a été engagée le 2 janvier 2004, en qualité de caissière par la société Soremat selon contrat à durée déterminée d’une durée initiale de six mois qui a été renouvelé par un avenant pour une période de douze mois à compter du 1er juillet 2004.
Elle a ensuite été embauchée en qualité de caissière par la société Castor, selon contrat à durée déterminée conclu le 1er juillet 2005 qui est devenu un contrat à durée indéterminée en raison de la poursuite de la relation contractuelle au delà du terme fixé au 1er janvier 2007.
Le contrat de travail liant Mme X à la société Castor a été transféré le 1er avril 2017 à la société agricole quincaillerie Tsang (la société) exerçant à l’enseigne Weldom, par une convention conclue le 27 avril 2017 entre les trois parties qui prévoyait que Mme X serait employée en qualité de caissière.
Mme X a été licenciée pour faute grave par lettre du 21 août 2017 après avoir été convoquée le 18 juillet 2017 à un entretien préalable fixé au 25 juillet 2017.
Saisi par Mme X qui contestait son licenciement et sollicitait paiement de diverses sommes à titre d’indemnités, le conseil de prud’hommes de Saint-Pierre-de-la-Réunion par jugement rendu le 11 septembre 2018, a dit que le licenciement de Mme X était dépourvu de cause réelle et sérieuse, a condamné la société à lui payer 23 672,41 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 5 000 euros à titre d’indemnité pour préjudice moral, 6 628,27 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement, 4 116,94 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, 411,69 euros au titre de l’indemnité de congés payés afférents, 1000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile. Le jugement a en outre condamné la société à rembourser les indemnités de chômage versées à Mme X dans la limite de six mois, fixé la moyenne des salaires des trois derniers mois à la somme de 2169,05 euros, ordonné l’exécution provisoire dans la limite de neuf mois de salaires, rejeté le surplus des demandes et condamné la société aux dépens.
La société a interjeté appel du jugement par déclaration du 1er octobre 2018.
Vu les dernières conclusions transmises le 27 décembre 2018 par la société ;
Vu les dernières conclusions transmises le 19 avril 2019 par Mme X ;
Pour plus ample exposé des moyens des parties, il est expressément renvoyé, par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, aux conclusions susvisées ainsi qu’aux développements infra.
Sur ce :
Sur le licenciement :
Vu l’article L.1232-1 du code du travail ;
La lettre de licenciement en date du 27 août 2017 qui fixe les limites du litige est ainsi rédigée : « [. .
.] Nous vous informons que nous avons pris la décision de vous licencier pour faute grave en raison des motifs suivants :
- Non respect des procédures, perte financières et abus de confiance :
Nous avons constaté de nombreux retours de marchandises clients sur la caisse que vous occupiez :
' Mois de juin 2017
Retour de marchandises s’élevant à 1 416,80 euros.
' Mois de juillet 2017
Retour de marchandises de 628,11 euros.
Nous vous rappelons que selon la procédure interne, seul le Responsable de Magasin est en mesure de valider les retours de marchandises contre le retour espèces des clients.
Or, sur les deux mois cités ci-dessus, vous aviez effectué des retours de marchandises sans en avoir sollicité votre supérieur, ni même obtenu son autorisation.
Nos multiples contrôles ont permis de mettre en lumière que vous avez accordé des retours de marchandises sans aucun motif.
De plus, en contrôlant les stocks de l’inventaire général, nous avons remarqué des retours clients pour des marchandises qui n’avaient pas été vendues et qui se trouvaient dans les stocks, et également des retours de marchandises absents physiquement en stock.
Ainsi, nous sommes contraints de constater le caractère fictif de ces retours de marchandises auxquelles vous avez procédés et à ce jour nous n’avons aucune visibilité sur ces sommes disparues.
Pour les mois de juin et juillet 2017, le préjudice subi par vos actes s’élève à une perte de 2044,91 euros pour l’entreprise.
Vos manquements à vos obligations professionnelles et votre comportement contraire aux valeurs de l’entreprise, sont préjudiciables à la bonne marche du magasin et vous ne nous avez fourni aucune explication permettant de modifier notre appréciation sur le sujet.
Compte-tenu de la gravité de votre conduite et de ses conséquences votre maintien dans l’entreprise s’avère impossible et nous avons décidé de vous licencier pour faute grave. Le licenciement pour faute grave prend donc effet dès l’envoi du présent courrier ( soit le 21 août 2017) et votre solde de tout compte sera arrêté à cette date, sans indemnité de préavis, ni indemnité de licenciement. Vous voudrez bien vous présenter à la Direction afin de procéder à la restitution de l’ensemble des documents, matériels et équipements appartenant à la société qui sont en votre possession.[. . .]».
Il résulte de ces énonciations que la société reproche à Mme X d’avoir procédé à des opérations de retour de marchandises en méconnaissance des procédures applicables dans l’entreprise.
Ces faits ne relevant pas de l’erreur de caisse qui ne revêt aucun caractère intentionnel,
c’est donc par un moyen inopérant que l’employeur invoque dans ses conclusions la répétition d’erreurs de caisse qui ne sont pas visées dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige.
A l’effet d’établir les griefs articulés à l’encontre de Mme X, la société produit un document intitulé « Procédure générale de caisse, contrôle interne des flux » daté de février 2011 constitué de 16 pages qui porte la mention « Groupe B ».
Ce document prévoit en pages 11 et 12 les dispositions applicables en cas de reprise de marchandises et énonce notamment ce qui suit :
« 3. Traitement en caisse-validation :
La reprise de marchandise, les échanges ou la marchandise payée et oubliée en caisse font l’objet d’une reprise avec bon d’achat ou bon d’avoir (numéroté et portant un code barre) non remboursable au dos duquel sont mentionnés les noms et coordonnées du client.
Au préalable la reprise doit être validée par le chef de rayon ou le chef de secteur correspondant en fonction de critères de contrôle propres à chaque magasin.
Il est recommandé que toute reprise d’un montant supérieur ou égal à 100€ fasse l’objet d’une validation par un chef de rayon ou un chef de secteur qui s’assurera du bon état de la marchandise (complète, non abîmée, correspondance exacte avce le ticket de caisse. . .).
Les reprises de marchandises font l’objet d’un reporting quotidien qui est édité par le chef de caisse ou le superviseur permanent et remis au responsable de magasin pour analyse.».
Ces énonciations, reprises par la société dans ses conclusions, ne font pas la preuve des critères de contrôle en vigueur dans l’établissement dans lequel Mme X était employée, aucun document spécifique définissant les critères propres à celui-ci n’étant communiqué par la société qui se borne à soutenir que la procédure générale était applicable, dès lors qu’elle constituait une filiale du groupe B, ce qui est inopérant, la procédure générale prévoyant la validation préalable de la reprise par un chef de rayon ou chef de secteur, en fonction de critères de contrôle propre à chaque magasin, dont la société ne fait pas la preuve.
Les attestations de MM Y et Z, respectivement responsable de la cour matériaux et employé de magasin (pièces 9, 10) qui font référence à la procédure de contrôle applicable dont ni l’existence ni la teneur ne sont justifiées par la société sont inopérantes à pallier sa carence probatoire.
La société qui échoue à démontrer qu’elle avait défini des critères de contrôle et que ces derniers avaient été portés à la connaissance de Mme X qui conteste en avoir été informée, ne peut donc faire grief à cette dernière de n’avoir pas systématiquement sollicité l’autorisation préalable du responsable magasin lors des retours de marchandises.
Concernant la matérialité des opérations de retour, force est de constater que la société ne fait pas non plus la preuve des faits imputés à Mme X en juillet 2017 en l’état des pièces produites (11 et 12) constituées d’un courriel de M. A dont la fonction n’est pas explicitée à M. B gérant de la société, qui fait mention d’une comptabilisation de « tickets retour » pour un montant de – 1416,80 euros en juin 2017 et – 628,11 euros en juillet 2017, sans le moindre justificatif, la liste des retours annexée à ce courriel ne visant que des retours de décembre 2016 et janvier 2017.
La pièce 12, constituée d’une liste d’opérations de vente du 27 juin 2016, éditée par la société sans aucune certification, comporte diverses rubriques « tickets retour» « retour dans tickets » « autorisation superviseur » dont aucune ne fait référence aux opérations de juillet 2017. Le montant des opérations enregistrées sous l’intitulé « tickets retour » est de -149,80 euros, celui des opérations enregistrées sous l’intitulé « retours dans tickets » est de -155,55 euros soit un total de 305,35 euros.
Partant, il sera retenu que la société ne fait pas la preuve que Mme X aurait procédé à des opérations de retour à hauteur de 1416,80 euros en juin 2017, et de 628,11 euros en juillet 2017.
Concernant les contrôles opérés dans les stocks, la société invoque les attestations précitées de MM Y et Z (pièces 9 et 10).
M. Y, responsable de la cour matériaux atteste ce qui suit : « Je m’occupe de toutes les entrées et sorties de marchandises en stock (Réserve) du site SAQ. Après l’inventaire de juin 2017, le responsable du magasin me donne une liste théorique de produits à vérifier en stock physique suite à des écarts d’inventaire. Après contrôle physique en réserve, je constate que ces marchandises ne sont pas présentes. Je tiens à rappeler la procédure de retour d’une marchandise : le client revient avec sa facture et son ticket de caisse. Je contrôle l’état de la marchandise et valide de non retour. Puis je demande l’accord du responsable du magasin qui valide un remboursement en espèce ou en avoir ( la majeure partie des retours concerne des avoirs). Je pars en caisse pour que la caissière fasse l’avoir ou le retour en espèce. Et le retour en espèce est vraiment exceptionnel. De plus je n’ai jamais validé de retour de marchandise pour Mme X. Je tiens à préciser qu’en ce qui concerne la liste de marchandise que m’a remis mon responsable pour contrôle, je n’ai reçu aucun client pour ces retours»
Cette attestation imprécise ne fait la preuve que l’écart constaté en juin 2017, à partir d’une liste théorique fournie par le responsable du magasin, serait imputable à Mme X, aucun élément ne permettant de faire un lien entre les marchandises absentes dont la nature et les références ne sont pas précisées, et les opérations réalisées par Mme X qui n’était d’ailleurs pas la seule caissière ainsi qu’elle le fait valoir.
M. Z, employé de magasin atteste ce qui suit : « Au début du mois de juillet 2017, lors d’un contrôle des résultats d’inventaire (inventaire réalisé les 14 et 15 juin 2017) le responsable du magasin avec le contrôleur de gestion constate des écarts importants au niveau du stock et remet à l’équipe de réception un listing de marchandises pour vérifier la présence physique en stock. Je contrôle en réserve les produits à vérifier et constate que les marchandises ne sont pas en stock physique et ne peuvent pas correspondre à des retours de marchandises. De plus dans la procédure nous ne pouvons reprendre le produit d’un client sans facture ou sans ticket de caisse et un retour en espèce ou en avoir peut se faire qu’avec l’accord du responsable du magasin. Et cela reste exceptionnel sur notre site ( retour en réception tous les 6 mois au plus) . Par conséquent je n’ai donc reçu aucun client pour les retours de marchandises réalisés par Mme X».
Cette attestation dont il ressort que des marchandises ne figuraient pas dans le stock ne fait pas non plus la preuve d’un manquement directement imputable à Mme X lors du traitement des opérations de retour d’article.
Enfin, la société ne produit pas la moindre pièce propre à démontrer l’abus de confiance qu’elle vise dans la lettre de licenciement, la preuve d’un détournement de fonds commis par Mme X au détriment de son employeur n’étant nullement caractérisée.
Partant le jugement sera confirmé en ce qu’il a dit le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, la société ne faisant pas la preuve des griefs articulés à l’encontre de Mme X qui n’avait jamais fait l’objet d’aucun reproche alors qu’elle était employée en qualité de caissière depuis plus de treize ans.
Sur les dommages -intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
Vu l’article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 ;
Mme X qui a été abusivement licenciée par une entreprise qui employait plus de onze salariés, alors qu’elle comptait 13 ans et huit mois d’ancienneté, en l’état d’un certificat de travail mentionnant une embauche le 2 janvier 2004, percevait un salaire de 2058,47 euros. Elle pouvait prétendre à une indemnité au moins égale aux salaires des six derniers mois. Il sera fait une exacte réparation du préjudice par elle subi, en raison de la perte injustifiée de son emploi, par l’allocation de la somme de 23 672,41 euros, Mme X qui n’avait fait l’objet d’aucun reproche en treize ans d’exercice de ses fonctions de caissière se voyant injustement reprocher un abus de confiance mettant en cause sa probité. Le jugement sera donc confirmé de ce chef.
Sur le préjudice moral :
Vu les articles 9 et 954 du code de procédure civile ;
Mme X qui indique avoir été brutalement licenciée, ne produisant aucun élément propre à justifier des circonstances qu’elle allègue alors qu’elle n’a pas été mise à pied, sa demande ne peut qu’être rejetée, en l’absence de démonstration d’un préjudice distinct de celui occasionné par la perte injustifié de son emploi qui a été indemnisé.
Le jugement sera donc infirmé de ce chef.
En l’absence de moyen de critique, le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné la société au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis, de l’indemnité de congés payés afférents et d’une indemnité conventionnelle de licenciement dont les montants ne sont pas discutés par la société.
La société qui succombe sera condamnée aux dépens et à payer la somme de 1 500 euros à Maître C, conseil de Mme X, bénéficiaire de l’aide juridictionnelle totale, en application de l’article 700 2° du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort ;
Confirme le jugement excepté en ce qu’il a condamné la société agricole quincaillerie Tsang à payer à Mme X la somme de 5000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral,
Statuant à nouveau de ces chefs,
Déboute Mme X de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral,
Y ajoutant,
Condamne la société agricole quincaillerie Tsang à payer à Maître C, conseil de Mme X, bénéficiaire de l’aide juridictionnelle totale, la somme de 1500 euros en application de l’article 700 2° du code de procédure civile.
Condamne la société agricole quincaillerie Tsang aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par M. Lacour, président, et Mme Hanafi, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Textes cités dans la décision