Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, Chambre sociale, 11 mai 2021, n° 19/03266

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Référence :
CA Saint-Denis de la Réunion, ch. soc., 11 mai 2021, n° 19/03266
Juridiction : Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion
Numéro(s) : 19/03266
Décision précédente : Conseil de prud'hommes, 1er septembre 2019, N° 18/00544
Dispositif : Annule la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

AFFAIRE : N° RG N° RG 19/03266 – N° Portalis DBWB-V-B7D-FKNR

Code Aff. :

ARRÊT N° SG

ORIGINE :JUGEMENT du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de SAINT-DENIS DE LA REUNION en date du 02 Septembre 2019, rg n° 18/00544

COUR D’APPEL DE SAINT-DENIS

DE LA RÉUNION

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 11 MAI 2021

APPELANT :

Monsieur Y Z X

[…]

[…]

97470 SAINT-BENOIT

Représentant : M. Y Denis PARINET, défenseur syndical

INTIMÉE :

S.A.R.L. CITEVA en son représentant légal

[…]

[…]

[…]

Représentant : Me François AVRIL, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

Clôture : 06 juillet 2020

DÉBATS : En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 novembre 2020 en audience publique, devant Suzanne GAUDY, conseillère chargée d’instruire l’affaire, assistée de Nadia HANAFI, greffier, les parties ne s’y étant pas opposées.

Ce magistrat a indiqué à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé, par sa mise à disposition au greffe le 09 février 2021, mise à disposition prorogée au 12 avril puis au 11 mai 2021 ;

Il a été rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Alain LACOUR

Conseiller : Suzanne GAUDY

Conseiller : Laurent CALBO

Qui en ont délibéré

ARRÊT : mis à disposition des parties le 11 MAI 2021

* *

*

LA COUR :

M. X a été engagé à compter du 3 novembre 2011 par la société Inovest en qualité de conducteur de matériel de collecte d’enlèvement et de nettoiement par un contrat à durée à déterminée, devenu à durée indéterminée. A la suite de la reprise du marché de collecte des déchets, M. X et la société Citeva (la société) ont conclu le 1er décembre 2016 un contrat à durée indéterminée prévoyant une reprise d’ancienneté à compter du 3 novembre 2011. M. X a été licencié pour faute grave par lettre du 2 janvier 2018.

Par requête en date du 17 février 2018, M. X qui contestait son licenciement a saisi le conseil de prud’hommes de Saint-Denis-de-la-Réunion de demandes en paiement de diverses sommes à titre d’indemnités de rupture et de dommages-intérêts.

Par décision du 26 novembre 2018, le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes, constatant l’absence de M. X à l’audience de conciliation, a déclaré la citation caduque en application de l’article 468 du code de procédure civile.

M. X ayant sollicité la remise au rôle par courrier réceptionné le 6 décembre 2018 au greffe, les parties ont été convoquées à nouveau à la séance du 29 avril 2019 du bureau de conciliation et d’orientation à laquelle elles ont comparu.

Un procès verbal de non conciliation a été établi et les parties ont été renvoyées pour mise en état de l’affaire à la séance du 2 septembre 2019 du bureau de conciliation et d’orientation à laquelle elles ont comparu représentées.

Par décision du 2 septembre 2019, le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes a déclaré « la demande de remise au rôle après caducité » de M. X irrecevable et mis les dépens à sa charge.

M. X a interjeté appel de cette décision par déclaration du 24 octobre 2019.

Vu les dernières conclusions transmises le 12 juin 2020 par M. X ;

Vu les dernières conclusions transmises le 19 février 2020 par la société ;

Pour plus ample exposé des moyens des parties, il est expressément renvoyé, par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, aux conclusions susvisées ainsi qu’aux développements infra.

Sur ce :

Sur l’annulation de la décision :

Vu les articles 468 du code de procédure civile, L.1454-1-3, R.1453-3, R.1454-12, R.1454-13,

R.1454-14 du code du travail dans leur rédaction applicable ;

Il est établi que M. X a formé recours à l’encontre de la décision du 26 novembre 2018 ayant prononcé la caducité de la citation et sollicité la remise au rôle de l’affaire par une lettre du 3 décembre 2018 adressée dans le délai de quinze jours imparti par l’article 468 du code de procédure civile, en exposant les motifs qui l’avaient empêché de comparaître à l’audience au jour fixé (pièces,16, 17) ; qu’il a été convoqué à nouveau devant le bureau de conciliation et d’orientation en vue d’une tentative de conciliation et a comparu le 29 avril 2019 au jour fixé ; qu’un procès verbal constatant l’échec de la conciliation a été établi conformément à l’article R.1454-10 du code du travail, les parties auxquelles des délais pour la communication de leurs pièces et écritures ont été fixés, étant renvoyées à la séance du 2 septembre 2019 prévue pour la mise en état à laquelle elles se sont présentées.

Il en résulte que le bureau de conciliation et d’orientation, après avoir fait droit au recours en rétractation et ordonné une nouvelle convocation des parties à l’audience de conciliation à laquelle il a vainement été procédé le 29 avril 2019, s’est prononcé à nouveau sur la caducité pour déclarer la demande de remise au rôle irrecevable, commettant ainsi un excès de pouvoir.

La décision du 2 septembre 2019 sera en conséquence annulée et il sera statué au fond en application de l’article 562 du code de procédure civile, l’appelant ayant conclu à cet effet.

Sur le licenciement :

Vu les articles L.1232-1 du code du travail ; 9 et 954 du code de procédure civile ;

La lettre de licenciement datée du 2 janvier 2018 qui fixe les limites du litige est rédigée en ces termes : « Nous avons eu à déplorer de votre part plusieurs agissements fautifs que nous qualifions de grave. Vous avez été convoqué le jeudi 28 décembre 2017 à 12 h au niveau du siège social de la société. Vous étiez accompagné par un conseiller du personnel lors de cette entretient. Les faits qui vous sont reprochés vous ont été exposés durant de longues minutes et dans un second temps nous vous avons laissé le droit de vous défendre point par point.

Voici les faits que nous vous reprochions :

Lors de vos temps de service la direction reçoit souvent des rapports des agents d’exploitation qui constatent que vous êtes injoignable. Il est à noter que vous êtes équipé d’un téléphone de service, et que vous pouvez rappeler les agents d’exploitation à chaque fois que vous vous retrouvez soit en déchetterie, soit dans un exutoire.

Voici quelques dates qui feront référence dans le dossier( liste non exhaustives)

- le 24/12/17 vous êtes resté injoignable de 14h55 à 17h08.

- le 04/12/17 vous êtes resté injoignable de 12h10 à 15h34 et vous avez effectué que deux rotations de caissons.

—  le 21/12/17 vous étiez de service de 12h à 18h et j’ai moi même assuré la permanence sur ces créneaux horaires et vous étiez de nouveau injoignable de 13h15 à 17h05.

Le fait de ne pas pouvoir vous joindre et que vous ne rappeliez pas en éteignant volontairement votre téléphone de service pose de graves problèmes dans l’exécution des missions qui sont confiées à Citeva par le Cirest au titre de l’exécution d’un marché public mal exécuté.

Vous avez avancé de manière mensongère le fait que votre téléphone de service s’éteindrait tout seul, et après contrôle il s’est avéré que cela est faux.

Nous avons échangé votre tétéphone de service pour vérification et un nouveau vous a été remis. Celui que vous avez désigné comme défectueux est resté en test durant plusieurs jours et le résultat est sans appel, il fonctionne à merveille.

Votre mensonge sur ce point qui vous décrédibilise, accentue la faute qui vous est reproché qui elle-même est déjà constitutive d’une faute grave car de nature à entrainer les conséquences financières pour notre société vis à vie du pouvoir adjudicateur.

Nous notons de plus que votre téléphone qui se rallumait comme par magie à chaque fois lors de votre dernière pause soit avant juste comme par hasard la fin de votre temps de service. Il va de soi qu’à ce moment-là l’exploitation n’est plus en mesure de vous affecter d’autres caissons.

Cette conduite met en cause la bonne marche du service.

Les explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet ; nous vous informons que nous avons, en conséquence décidé de vous licencier pour faute grave.

Je vous prie de croire que cette décision difficile à prendre va dans l’intérêt de l’entreprise car vous mettez en péril son activité avec vos agissements qui pour nous relève d’une mauvaise volonté de votre part et de nous tromper.

Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien, même temporaire dans l’entreprise s’avère impossible ; le licenciement prend donc effet immédiatement à la date du 24 janvier 2018 sans indemnité de préavis ni de licenciement. Les sommes vous restant dues vous seront adressées par courrier ainsi que votre certificat de travail, votre solde de tout compte et votre attestation Pôle emploi….»

La société ne produisant pas la moindre pièce probante à l’appui des griefs articulés à l’encontre de M. X dans la lettre de licenciement, alors qu’il incombe à l’employeur qui invoque la faute grave pour licencier de rapporter la preuve des faits invoqués, le licenciement sera déclaré dénué de cause réelle et sérieuse.

Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

Vu l’article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction issue de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 ;

Selon ce texte, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien des avantages acquis. Si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau annexé.

M. X demande à la cour de dire que « les barèmes prévus à l’article L.1235-3 du code du travail sont contrariés avec la Charte sociale européenne et la Convention n°158 de l’OIT» en ce qu’ils prévoient un plafond de 20 mois et ne permettent pas pour les anciennetés les plus faibles de tenir compte de l’ensemble des « éléments de situation du salarié qui alimentent ses préjudices financiers professionnels et moraux » et de lui allouer la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice occasionné par le licenciement sans cause réelle et sérieuse, sans égard pour le barème fixant à 6 mois de salaire l’indemnité maximale en considération d’une ancienneté de 6 ans.

L’article 24 de la Charte sociale européenne révisée relatif au droit à la protection en cas de licenciement, prévoit « En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître..(….)

b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée. A cette fin les Parties s’engagent à assurer qu’un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial.»

Eu égard à la marge d’appréciation laissées aux parties contractantes, les dispositions de l’article 24 précité qui font référence à une indemnité adéquate, ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

Selon l’article 10 de la Convention n°158 sur le licenciement de l’Organisation internationale du travail (OIT) qui est d’application directe en droit interne « Si les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».

Le barème prévu par l’article L.1235-3 du code du travail est écarté en cas de nullité du licenciement par application des dispositions de l’article L.1235-3-1 du même code ; au surplus si le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise. Lorsque la réintégration est refusée par l’une ou l’autre des parties, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur dans la limite de montants minimaux et maximaux.

Il en résulte que les dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail, qui fixent un barème applicable à la détermination par le juge du montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en l’absence de réintégration sont compatibles avec l’article 10 de la Convention n° 58 de l’OIT.

M. X ayant été abusivement licencié par une entreprise qui employait habituellement plus de onze salariés, alors qu’il avait une ancienneté de 6 ans et deux mois à la date du licenciement, et percevait un salaire brut mensuel de 1 796,75 euros, il sera fait une juste réparation du préjudice subi par lui par la condamnation de la société à lui payer la somme de 10 780,50 euros correspondant à 6 mois de salaire en application de l’article L.1235-3 du code du travail.

Sur l’indemnité compensatrice de préavis :

Vu l’article L.1234-1 du code du travail ;

M. X qui avait plus de deux ans d’ancienneté et dont le licenciement pour faute grave est dénué de cause réelle et sérieuse, a droit à une indemnité compensatrice de préavis de deux mois.

En conséquence, la société sera condamnée à lui payer la somme de 3 593,50 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 359,35 euros au titre de l’indemnité de congés payés afférents.

Sur l’indemnité légale de licenciement :

Vu les articles L.1234-9, R.1234-1, R.1234-2 du code du travail dans la version issue du décret n°2017-1398 du 25 septembre 2017 ;

M. X qui a été abusivement licencié alors qu’il comptait 6 ans et deux mois d’ancienneté et percevait un salaire de 1796,75 euros a droit en application des dispositions précitées à une indemnité de 2 769,98 euros soit [ (1796,75/4 x6)+ (1796,75/4 x 2/12)].

Or, il produit un bulletin de paye de janvier 2018 (pièce 15), faisant mention du paiement d’une indemnité légale de 3 295,83 euros ainsi que le fait valoir la société qui conclut au rejet de la demande en faisant valoir sans être contredite que cette somme a été réglée.

En conséquence la demande de M. X, sera rejetée.

Sur le remboursement des indemnités de chômage

Vu l’article L.1235-4 du code du travail ;

En application de ce texte, il y a lieu d’ordonner d’office le remboursement par la société Citeva à Pôle emploi des indemnités de chômage versées à M. X à la suite du licenciement, dans la limite de six mois d’indemnités.

La société qui succombe sera condamnée aux dépens et au paiement de la somme de 1500 euros à M. X en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort ;

Annule la décision rendue le 2 septembre 2019 par le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes de Saint-Denis-de-la Réunion,

Statuant au fond,

Dit que le licenciement de M. X est sans cause réelle et sérieuse ,

Condamne la société Citeva à payer à M. X les sommes suivantes :

—  10 780,50 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

—  3 593,50 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

—  359,35 euros au titre de l’indemnité de congés payés afférents,

Déboute M. X de sa demande tendant à voir juger que les barèmes prévus à l’article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 sont contraires à l’article 24 de la Charte sociale européenne et à la Convention n°158 de l’Organisation internationale du travail ;

Déboute M. X de sa demande en paiement de la somme de 2 769,98 euros à titre d’indemnité légale de licenciement ;

Condamne la société Citeva à payer à M. X la somme de 1500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Ordonne le remboursement par la société Citeva à Pôle emploi des indemnités de chômage versées à M. X à la suite du licenciement, dans la limite de six mois d’indemnités ;

Condamne la société Citeva aux dépens.

Le présent arrêt a été signé par M. Lacour, président, et Mme Hanafi, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

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