Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 5 janvier 2012, n° 10/04688

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 64B

1ère chambre 1ère section

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 05 JANVIER 2012

R.G. N° 10/04688

AFFAIRE :

[K] [Z]

C/

[P] [M]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 Juin 2010 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

N° Chambre : 1

N° Section :

N° RG : 08/9664

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

SCP BOMMART MINAULT,

Maitre BINOCHE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE CINQ JANVIER DEUX MILLE DOUZE,

La cour d’appel de VERSAILLES, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [K] [Z]

demeurant [Adresse 5]

[Localité 4]

représenté par la SCP BOMMART MINAULT N° du dossier 00038576)

Plaidant par Me William BOURDON (avocat au barreau de PARIS)

Société d’Edition de CANAL PLUS (anciennement dénommée CANAL +

inscrite au RCS de Nanterre sous le numéro 329 211 734

ayant son siège social [Adresse 1]

[Localité 7] prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

représentée par la SCP BOMMART MINAULT N° du dossier 00038576)

Plaidant par Me William BOURDON (avocat au barreau de PARIS)

SARL TAC PRESSE

inscrite au RCS de Nanterre sous le numéro 450 752 159

ayant son siège social [Adresse 3]

[Localité 6] prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.

Représentée par la SCP BOMMART MINAULT – N° du dossier 00038576)

Plaidant par Me Basile ADER (avocat au barreau de PARIS)

APPELANTS

****************

Monsieur [P] [M]

demeurant [Adresse 2]

[Localité 8]

Rep/assistant : Me Jean-pierre BINOCHE (avocat au barreau de VERSAILLES – N° du dossier 416/10 )

Plaidant par Maitre Isabelle WEKSTEIN (avocat au barreau de PARIS)

INTIME

La présente cause a été communiquée au Ministère Public et visée le 29 août 2011

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 786 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 17 Novembre 2011 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Evelyne LOUYS, conseiller faisant fonction de président chargé du rapport, en présence de Madame Dominique LONNE, conseiller.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Evelyne LOUYS, conseiller, faisant fonction de président,

Madame Dominique LONNE, conseiller,

Monsieur Philippe DAVID, conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie RENOULT,

Le 24 avril 2008, la chaîne de télévision Canal Plus a diffusé une émission intitulée 'Jeudi investigation- rumeurs, intox : les nouvelles de guerre de l’info', réalisée par [PI] [D], comportant deux reportages, l’ un portant sur les attentats du 11 septembre 2001 à New-York, l’autre sur la controverse suscitée par le reportage diffusé sur la chaîne de télévision France 2, le 30 septembre 2000, réalisé par le journaliste M. [G] [U], et un cameraman palestinien, [PF], montrant un enfant palestinien, [E] [T], mourant dans les bras de son père, au cours d’échanges de tirs entre palestiniens et israéliens, dans la bande de Gaza, ces images étaient ainsi commentées : ' 15 heures. Tout vient de basculer près de l’implantation de Netzarim, dans la bande de Gaza. Les palestiniens ont tiré à balles réelles. Les israéliens ripostent. Ambulanciers, journalistes, simples passants sont pris entre deux feux. Ici [R] et son fils [E] sont la cible de tirs venus de la position israélienne. [E] a 12 ans, son père tente de le protéger. Il fait des signes… mais une nouvelle rafale. [E] est mort et son père est gravement blessé. Un policier palestinien et un ambulancier ont également perdu la vie au cours de cette bataille.'

Estimant que cette émission comporte des propos diffamatoires à son encontre, M. [P] [M] a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Nanterre M. [V] [Z], pris en sa qualité de directeur de la publication de Canal Plus, la société Canal Plus et la SARL TAC Presse, en qualité de productrice de ladite émission, par actes d’huissier en date du 24 juillet 2008, au visa des articles 29 alinéa 1 et 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881, 93-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982, afin de voir condamner solidairement les défendeurs à lui verser la somme de 50.000€ à titre de dommages-intérêts, ordonner la publication du jugement à intervenir, in extenso ou par extraits, dans cinq journaux français, quotidiens ou périodiques, de son choix aux frais des défendeurs, ordonner la diffusion par Canal Plus d’un communiqué faisant état du jugement à intervenir, de ses motifs et des condamnations prononcées contre les défendeurs, condamner solidairement les défendeurs à lui verser la somme de 10.000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ordonner l’exécution provisoire de la décision.

Par jugement du 10 juin 2010, le tribunal de grande instance de Nanterre a :

— dit M. [P] [M] recevable et bien fondé en son action en sa qualité de victime du délit de diffamation publique envers un particulier, prévu et réprimé par les articles 29 alinéa 1 et 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, dans le cadre de la diffusion sur la chaîne de télévision Canal Plus, le 24 avril 2008, d’une émission intitulée : 'Jeudi investigation- rumeurs, intox : les nouvelles guerres de l’info',

— condamné in solidum M. [V] [Z], la SA Canal Plus et la société TAC Presse à verser à M. [P] [M] la somme d’un euro à titre de dommages-intérêts,

— ordonné la publication du dispositif du jugement, in extenso ou par extraits, dans trois journaux français, quotidiens ou périodiques, au choix de M. [P] [M] et aux frais des défendeurs, dans le limite de 4.000€ HT par insertion,

— débouté M. [P] [M] du surplus de ses demandes d’indemnisation,

— condamné M. [V] [Z], la SA Canal Plus et la société TAC Presse au paiement de la somme de 3.000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— ordonné l’exécution provisoire de la décision, en toutes ses dispositions, y compris les dépens auxquels les défendeurs sont condamnés in solidum.

Par déclaration du 18 juin 2010, M.[V] [Z], la société anonyme Canal + et la société à responsabilité limitée TAC Presse ont interjeté appel de ce jugement.

Vu les dernières conclusions de M. [V] [Z] et de la société anonyme Société d’édition de Canal Plus, anciennement dénommée Canal +, en date du 28 juillet 2011 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de leurs moyens et le détail de leur argumentation et par lesquelles ils demandent à la cour de :

* les dire recevables en leur appel,

* infirmer le jugement entrepris,

* mettre hors de cause M. [V] [Z],

*dire qu’aucun des passages poursuivis ne comportent une quelconque imputation diffamatoire à l’égard de M. [P] [M],

*subsidiairement, leur accorder le bénéfice de la bonne foi,

* débouter M. [P] [M] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

* le condamner à leur payer à chacun une somme de 5.000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’ aux entiers dépens, avec application de l’article 699 du code de procédure civile au profit de la SCP Bommart-Minault..

Vu les dernières conclusions de la SARL TAC PRESSE en date du 18 octobre 2010 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens et le détail de son argumentation et par lesquelles elle demande à la cour de :

vu l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982,

* constater l’irrecevabilité de l’action engagée à son encontre,

subsidiairement,

* dire l’action de M. [P] [M] mal fondée,

*en conséquence, infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et débouter M. [P] [M] de l’intégralité de ses demandes,

*le condamner à lui verser une somme de 5.000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile et le condamner aux entiers dépens de l’instance, avec application de l’article 699 du code de procédure civile au profit de la SCP Bommart Minault.

Vu les dernières conclusions de M.[P] [M] en date du 27 octobre 2011 auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens et le détail de son argumentation, et par lesquelles reprenant l’intégralité des 6 passages poursuivis, il demande à la cour de:

— confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé diffamatoires les passages poursuivis n°1,2,3,5 et 6,

— l’infirmer en ce qu’il a jugé non diffamatoire le passage poursuivi n°4,

— dire que les propos tenus au cours de l’émission et le visant (qui sont intégralement repris en gras, italiques et soulignés) sont constitutifs à son égard du délit de diffamation publique envers un particulier,

vu les articles 29 alinéa 1 et 32 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 93-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle,

vu l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse,

— constater que la signification de présentes a interrompu la prescription,

— réformer le jugement et condamner solidairement M. [V] [Z], en sa qualité de directeur de la publication, la société d’édition de Canal Plus et la SARL TAC Presse à lui verser la somme de 50.000€ à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice que la diffamation lui a fait subir,

— ordonner la publication de la décision à intervenir, in extenso ou par extraits, dans cinq journaux français, quotidiens ou périodiques, à son choix et aux frais des intimés, dans la limite de 20. 000€ hors taxes par insertion,

— ordonner la diffusion par la société d’Edition de Canal Plus anciennement dénommée la société d’édition de Canal + d’un communiqué faisant état de la décision à intervenir, de ses motifs et des condamnations prononcées contre les défendeurs,

— condamner solidairement M. [V] [Z], la société d’édition de Canal Plus anciennement dénommée société Canal + et la société TAC Presse à lui payer la somme de 10.000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, avec application de l’article 699 du code de procédure civile au profit de Me Binoche..

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 3 novembre 2011.

Le 10 novembre 2011, M.[V] [Z], la société d’Edition de Canal Plus et la société Tac Presse ont fait déposer des conclusions tendant à voir prononcer la révocation de l’ordonnance de clôture du 3 novembre 2011 et admettre aux débats les pièces 9 et 10 communiquées par la société Tac Presse consistant en deux articles publiés par [P] [M] les 11 octobre 2011 et 06 octobre 2011.

Subsidiairement et pour le cas où la cour rejetterait cette demande, ils demandaient à la cour , au visa des articles 15 et 16 du code de procédure civile, de rejeter comme tardives les conclusions récapitulatives signifiées et déposées le 27 octobre 2011 par M. [P] [M].

Par conclusions du 15 novembre 2011, en réplique sur cet incident de procédure, [P] [M] demande à la cour de rejeter la demande de révocation de l’ordonnance de clôture en l’absence de cause grave postérieure au prononcé de l’ordonnance, de rejeter comme tardives les pièces n°9 et 10.

Il s’oppose au rejet des débats de ses conclusions du 27 octobre 2011 en faisant valoir qu’elle ne comprennent qu’un argument en réponse à l’une des pièces produites par la société d’Edition Canal Plus dans un paragraphe de quelques lignes, sans ajouter de prétention nouvelle et que ce paragraphe n’appelait en conséquence aucune réponse de la part de la société Tac Presse.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la procédure

En vertu de l’article 783 du code de procédure civile, après l’ordonnance de clôture aucune pièce ne peut être produite aux débats à peine d’irrecevabilité prononcée d’office et en vertu de l’article 784 du code de procédure civile, l’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue.

Or, les deux pièces 9 et 10 communiquées par la société Tac Presse l’ont été le 10 novembre 2011, soit sept jours après l’ordonnance de clôture, et concernent deux articles en date des 06 et 11 octobre 2011, sans que cette partie ne justifie de 'l’impossibilité’ qu’elle invoque et qui l’aurait empêchée de communiquer ces deux pièces en temps utile, alors qu’il résulte du dossier de la cour que par un calendrier de procédure du 08 septembre 2011 elle était informée de ce que l’ordonnance de clôture interviendrait le 03 novembre 2011.

Par ailleurs, les dernières conclusions de [P] [M] en date du 27 octobre 2011 ne contiennent qu’un argument en réponse à une pièce communiquée par la société d’édition Canal Plus (et non par la société Tac Presse), précisément un jugement du 18 février 2011 du tribunal de grande instance de Paris (pièce 18), pour laquelle la cour relève que [P] [M] avait dû faire une sommation de communiquer le 08 septembre 2011.

Il résulte de ces conclusions du 27 octobre 2011 qu’elles ne contiennent aucun moyen nouveau ou demande nouvelle et ne nécessitent aucune réponse.

En conséquence, il y a lieu de rejeter les demandes formées par les appelants principaux tendant à la révocation de l’ordonnance de clôture du 03 novembre 2011 et au rejet des débats des conclusions du 27 octobre 2011 de [P] [M].

Les pièces 9 et 10 communiquées par la société TAC Presse le 10 novembre 2011, postérieurement à l’ordonnance de clôture, sont irrecevables.

Sur la demande de mise hors de cause de M.[K] [Z] et sur le moyen d’irrecevabilité soulevé par la société TAC Presse

M.[K] [Z] soutient qu’il n’est pas le directeur de la publication de la chaîne Canal + et qu’il ne peut donc pas être poursuivi en tant que tel ; que la personne physique qui devait être attraite en qualité de directeur de la publication était à la date de la diffusion du reportage M.[PC] [Y]..

Mais il résulte des termes de l’article 93-2 de la loi du 29 juillet 1982'sur la communication audiovisuelle que le directeur de la publication d’un service de communication au public par voie électronique organisé sous forme de société anonyme est le président du conseil d’administration.

En l’espèce, [K] [Z] figure comme le président du conseil d’administration de la société anonyme Société d’Edition de Canal Plus sur l’extrait K bis versé aux débats.

Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la demande de mise hors de cause de M. [K] [Z].

La société TAC PRESSE soutient, quant à elle, qu’elle ne peut pas être poursuivie aux côtés de la société Canal Plus et de son directeur de publication ; qu’elle n’est pas productrice de l’émission mais simplement du reportage réalisé par [PI] [D] 'Rumeurs, intox : les nouvelles guerres de l’info’ et que la société Canal Plus est la seule productrice de son émission ; que dès lors que les poursuites ont été engagées contre le directeur de la publication en tant qu’auteur principal des infractions, la poursuite du producteur n’est pas recevable, l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 posant un principe de responsabilité par subsidiarité ; que [PI] [D], journaliste auteur du reportage, n’ayant pas été attrait en la cause, elle ne saurait voir sa responsabilité engagée comme civilement responsable.

L 'article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982'sur la communication audiovisuelle prévoit :

'Au cas où l’une des infractions prévues par le chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est commise par un moyen de communication au public par voie électronique, le directeur de la publication ou, dans le cas prévu au deuxième alinéa de l’article 93-2 de la présente loi, le codirecteur de la publication sera poursuivi comme auteur principal, lorsque le message incriminé a fait l’objet d’une fixation préalable à sa communication au public.

A défaut, l’auteur, et à défaut de l’auteur, le producteur sera poursuivi comme auteur principal.

Lorsque le directeur ou le codirecteur de la publication sera mis en cause, l’auteur sera poursuivi comme complice.

Pourra également être poursuivi comme complice toute personne à laquelle l’article 121-7 du code pénal sera applicable.'»

Le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu’il a rejeté le moyen d’irrecevabilité soulevée par la société Tac Presse, en retenant par des justes motifs que dès lors que la société Tac Presse, en sa qualité de productrice du reportage en cause, a procuré celui-ci à la société CANAL + afin qu’il soit diffusé dans le cadre de l’émission litigieuse, elle a incontestablement participé au dommage allégué par [P] [M] dans le cadre de son action et est susceptible de voir sa responsabilité civile engagée.

Sur le fond

L’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme 'toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé'.

Il doit s’agir d’un fait précis, susceptible de faire l’objet d’un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité, et qui se distingue de l’expression d’une opinion ou d’un jugement de valeur, autorisée par le libre droit de critique.

La diffamation peut se présenter sous forme d’allusion ou d’insinuation et doit être appréciée en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques au support en cause, à savoir en l’espèce tant du contenu même des propos que du contexte dans lequel ils s’inscrivent.

En l’espèce, six passages de l’émission 'Jeudi investigation-rumeurs intox : les nouvelles guerres de l’info’ sont argués de diffamation (ils seront toujours mentionnés ci-après dans le présent arrêt en gras et en italiques).

Il convient de préciser en premier lieu que l’introduction générale de l’émission telle qu’elle est faite par les journalistes animant cette émission est formulée dans les termes suivants ':

«' Ce que vous allez voir, ça ressemble à de l’info, ça a la couleur de l’info, mais c’est de la pure intox.'»

La séquence qui suit montre les deux tours jumelles du World Trade Center à New York, dans lesquelles auraient été placées à plusieurs étages des charges explosives responsables de l’effondrement des tours.

Suivent les commentaires suivants des deux journalistes présentateurs ':

[I] [EJ] : «'On insiste, c’est de l’intox pure, il n’y a évidemment jamais eu de bombe à l’intérieur des tours jumelles de New York. C’est une information absolument bidon que nous avons trouvée dans un film particulièrement bien réalisé, un film diffusé sur Internet, bourré de contrevérités sur les attentats du 11'septembre.

[PI] [O]': Oui, ce film présente une version complètement abracadabrante et pourtant il a été visionné cent millions de fois à travers le monde. Au hit parade des connexions c’est un énorme succès traduit en dix langues.'

''[I] [EJ] : Alors, vous vous en doutez, c’est bien évidemment pas le seul cas sur Internet. Nous avons décidé de nous arrêter sur deux histoires que nous avons décryptées point par point. Deux histoires qui, à chaque fois, servent les intérêts politiques de groupes extrêmes, particulièrement radicaux.

[PI] [O]': Vous et moi quand nous allons sur Internet c’est en espérant y trouver une information libre et non censurée. Mais malheureusement prospèrent aussi dans ce grand bazar toutes sortes de manipulations, toutes sortes de rumeurs, toutes sortes de théories du complot.

[I] [EJ] : Ouais la théorie du complot surtout. Alors regardez l’excellente enquête de [PI] [D] produite par TAC PRESSE. Rumeurs, intox les nouvelles guerres de l’info.'»

(1er passage poursuivi)

Cette introduction générale, qui vise clairement la manipulation de l’information, s’applique donc, sur le même plan et au même degré, aux deux 'histoires’ qui vont constituer la suite de l’émission, à savoir :

— la première histoire est consacrée au film montage mis sur le web par de jeunes américains (Loose Change) qui, sous couvert de réaliser des documentaires d’investigations, propagent l’idée selon laquelle les attentats du 11 septembre seraient une manipulation orchestrée par le gouvernement américain pour justifier l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis, et aux relations établies par ceux-ci avec l’extrême droite américaine qui s’exprime au travers d’un hebdomadaire American Free Press, et met en avant un complot sioniste mondial.

— la seconde histoire est ainsi introduite :'«'Sous couvert d’informer, la liberté de tout dire sur Internet fait le jeu des propagandes de tout bord. Désormais la toile permet de monter de véritables campagnes de déstabilisation très ciblée. Un journaliste de renom en fait aujourd’hui les frais': Il s’appelle [G] [U]. (3ème passage poursuivi) '

Il est alors rappelé le reportage diffusé par France 2 le 30 septembre 2000 et présenté par [G] [U], le commentaire expliquant qu’une rumeur s’est répandue sur le net selon laquelle la scène présentée par [G] [U] comme la mort de [E] [T] dans les bras de son père sous des tirs israéliens serait une mise en scène.

Dans le cadre de cette seconde histoire, qui, au regard des termes ci-dessus rappelés de l’introduction générale de l’émission, illustre la manipulation de l’information, et ce au même titre que la première histoire portant sur les manipulations sur le net quant aux circonstances de la destruction des tours du World Trade Center par des bombes placées dans les tours, [P] [M] est nommément présenté comme faisant partie du réseau de blogueurs à l’origine de cette 'rumeur’ et comme étant 'l’un des chefs de file de la croisade menée contre [G] [U]' (6ème passage).

Il en résulte que les propos incriminés et ci-dessus reproduits visent directement [P] [M] en lui imputant une manipulation de l’information par internet ('Derrière les supposés ennemis de l’intérieur [P] [M] vise clairement [G] [U] et ses soutiens. [M] orchestre ses attaques depuis Media Ratings, un site internet qu’il a créé et avec lequel il prétend analyser et noter en toute impartialité le travail des médias. Au nom de la soi-disant supercherie d'[T], [M] va jusqu’à réclamer la tête d'[U] et celle de la directrice de l’information de France 2.Face aux rumeurs du net [G] [U] n’a trouvé qu’une seule défense : les tribunaux- 6ème passage) et ce, si l’on se réfère au thème général des reportages tel qu’il est présenté , ' afin de servir 'les intérêts politiques de groupes extrêmes particulièrement radicaux'.

Le deuxième passage poursuivi par [P] [M] comme diffamatoire à son égard, à savoir 'Aujourd’hui source d’information incontournable, Internet peut aussi faire office d’arme de désinformation massive’ ( commentaire qui se situe après un court extrait relatif à la diffusion sur internet d’une fausse exécution diffusée en août 2004 sur la chaîne Al Jazira, qualifiée de ''mascarade funèbre, bidon et sordide’ ) s’inscrit également dans le cadre du sujet général de l’émission, ainsi que l’ont pertinemment relevé les premiers juges, et assimile ainsi [P] [M] à ceux qui utilisent internet pour répandre de fausses informations, de la même manière que précédemment et en lui attribuant la même motivation d’opinions radicales que celle visée par l’introduction de l’émission, à savoir :'Deux histoires qui, à chaque fois, servent les intérêts politiques de groupes extrêmes, particulièrement radicaux'.

En effet, le commentaire de l’émission précise :

— d’une part :' le petit [E] [T] devient un symbole utilisé par la propagande palestinienne. Un symbole insupportable aux yeux de certains radicaux pro-israéliens .Grâce au Web ils vont réussir à mettre en doute l’authenticité du reportage du journaliste de France 2. [E] [T] ne serait pas mort, son père n’aurait pas été blessé, tout serait bidon.A leurs yeux [G] [U] serait un falsificateur de l’actualité. Direction Jérusalem, en poste dans la ville sainte depuis 30ans, [G] [U]. La levée de bouclier contre son reportage a bouleversé sa vie et celle de ses proches. (5ème passage incriminé)'.

— d’autre part 'L’américain [OZ] [J] est à ses côtés ainsi qu’un troisième homme un certain [PI] [C]. Son agence de presse en ligne, la Mena, alimente les blogueurs en infos, documents, vidéos qui répandent la rumeur du bidonnage.

Pour mettre hors jeu le journaliste de France 2 tous les coups semblent permis. A défaut de fournir les preuves tangibles de ses accusations, [M] déplace le débat sur le terrain politique.' (6ème passage ) .

— enfin, [G] [U] 'n’est pas le seul à être la cible de ces militants radicaux .Tous les journalistes qui ne couvrent pas le conflit palestino-israélien comme l’entendent ces activistes sont attaqués sur le web'(commentaire suivi d’un interview de [A] [B]).

Il y a lieu de relever que la conclusion générale de l’ensemble de l’émission, comme sa présentation, ne fait que confirmer qu’elle vise bien ceux qui 'désinforment’ par le biais d’internet et que [P] [M] est bien expressément et directement présenté dans l’émission dont s’agit comme en faisant partie : :'Information contre désinformation c’est une véritable guerre qui se joue aujourd’hui. Sur internet rumeur et intox prospèrent de façon incontrôlable.En 2007 il y avait 1 milliard et demi d’internautes connectés à travers le monde, autant de cibles potentielles.'

C’est à juste titre que les premiers juges ont considéré que le fait imputé à [P] [M] de falsifier l’information afin de dénigrer [G] [U] et de nuire à ce dernier par tous moyens, dans le cadre d’un mouvement activiste radical organisé, de répandre une rumeur ne reposant sur aucun élément tangible par le biais du site de sa société Media Ratings, et ce à l’instar des réalisateurs du film censé démontrer que des bombes placées à l’intérieur des tours jumelles du World Trade Center sont à l’origine de leur effondrement, porte atteinte à l’honneur et à la réputation de [P] [M].

Faisant l’exacte analyse du quatrième passage reproché par [P] [M], à savoir ' [G] [U] une des vedettes du journalisme au Proche Orient, correspondant de France 2 à Jérusalem,, auteur de documentaires, de livres, il est considéré comme l’un des meilleurs spécialistes du conflit palestino-israélien. Mais tout bascule à la fin de l’année 2000 sur le web il va se faire traiter de tous les noms. Menteur. Nazi. La campagne menée contre le journaliste est d’une rare virulence. Ce qui a mis le feu aux poudres c’est un de ces scoops diffusés le 30 septembre 2000', les premiers juges ont à juste titre retenu que ces termes ne visent pas directement [P] [M], ces propos accompagnant des images montrant des liens internet et des extraits de sites étrangers à ce dernier.

N’offrant pas de rapporter la preuve des faits diffamatoires, les appelants sollicitent subsidiairement le bénéfice de la bonne foi. Ils font valoir que l’enquête à laquelle a procédé [PI] [D] a été particulièrement sérieuse et que’ s’il a fait le choix de ne pas s’appesantir sur le sujet objet de la présente affaire, cela n’est que le reflet, là encore d’un choix éditorial, exempt de toute critique', que l’enquête s’est déroulée du 15 août 2007 au 15 février 2008 et a consisté à passer plusieurs mois à l’étranger , à rencontrer et à prendre contact avec plus d’une cinquantaine de personnes dans le cadre de la mission confiée au journaliste, consistant à expertiser 'l’information alternative’ proposée sur internet, que pour la seconde partie de l’émission dédiée à l’avanlache médiatique qui a suivi la diffusion de l’émission montrant la mort de [E] [T], le journaliste a rencontré plusieurs personnes en France, aux Etats-Unis et en Israël et dans la bande de Gaza, qu’il a recueilli tout un ensemble de documents (photos de l’enfant à la morgue, certificat de décès, certificats médicaux concernant son père, radiographies montrant les blessures) et interrogé plusieurs témoins directs , victimes, spécialistes du conflit israelo-palestinien, scientifiques, membres de la sûreté israélienne, représentants d’organisations humanitaires, et de l’Etat hébreu, journalistes, internautes ; que ces éléments ont permis à [PI] [D] de s’assurer que la thèse soutenue par [P] [M] consistant à dire que le reportage sur la mort de [E] [T] n’était qu’une mise en scène destinée à servir des intérêts politiques pouvait à tout le moins être valablement contestée.

Les imputations diffamatoires sont réputées de droit faites avec intention de nuire. Il appartient à leur auteur de combattre cette présomption en rapportant la preuve de sa bonne foi.

Le fait justificatif de bonne foi se caractérise par la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l’expression ainsi que par le sérieux de l’enquête, éléments qui doivent être réunis.

Or, il n’est fait état à aucun moment dans l’émission critiquée des éléments qui ont fait naître la thèse de la mise en scène ne serait-ce que pour les discuter afin de mettre en lumière, le cas échéant, leur caractère fantaisiste, ainsi que les premiers juges l’ ont pertinemment relevé.

Ainsi, au moment où l’émission a été diffusée, le 24 avril 2008, dans l’affaire opposant France 2 et [G] [U] à [P] [M] ( ce dernier ayant été poursuivi devant le tribunal correctionnel pour diffamation publique envers un particulier en raison notamment de la diffusion le 22 novembre 2004 sur le site internet de la société Media-Ratings d’un article Intitulé France 2 [H] [X] et [G] [U] doivent être démis de leurs fonctions immédiatement) , la cour d’appel de Paris avait par un arrêt du 3 octobre 2007 ordonné la transmission par France 2 des rushes pris le 30 septembre 2000 par son cameramam [PF] puis avait, à son audience du 14 novembre 2007, visionné les rushes transmis et avait eu connaissance d’un rapport balistique de M.[CG], expert près la cour d’appel de Paris et agréé par la cour de cassation, établi le 19 février 2008, à la demande de [P] [M], concluant que les tirs ne pouvaient pas provenir du poste israélien mais seulement du poste palestinien ou de tireurs placés dans le même axe, qu’aucun élément objectif ne lui permettait de conclure que l’enfant avait été tué dans les conditions qui ressortaient du reportage de France 2 et qu’il était donc sérieusement possible qu’il s’agisse d’une mise en scène.

Alors que le délibéré était prévu le 21 mai 2008, il n’est fait état , lors de l’émission diffusée le 28 avril 2008, d’aucun des éléments qui constituent à tout le moins les termes de la discussion ayant eu lieu lors de débats publics et existant sur l’hypothèse d’une mise en scène de la mort de l’enfant.

Il est justifié par les pièces versées aux débats qu’au moment de la réalisation de l’émission et avant la diffusion du reportage, les appelants disposaient compte tenu non seulement des débats en audience publique ayant eu lieu devant la cour d’appel de Paris mais aussi d’ articles de presses déjà parus, de pièces et documents qui leur auraient permis de fournir au téléspectateur la teneur des éléments sur lesquels se fondait [P] [M].

Il résulte des pièces versées aux débats qu’au moins depuis 2004 des doutes avaient été exprimés sur la réalité de la scène de la mort de [E] [T] par des journalistes : [L] [BA], alors chroniqueur au Monde, [S] [W] (Arte)et [N] [F] (L’Express), ces derniers lors d’un interview le 1er février 2005 sur l’antenne de RCJ, étant précisé qu’il résulte de l’attestation de [L] [BA] (pièce 6) qu’il a assisté le 22 octobre 2005 à la projection dans les locaux de France 2 des rushes tournés le 30 septembre 2000 au carrefour de Netzarim et énumère les différents

éléments de ce visionnage le conduisant à conclure que l’hypothèse d’une mise en scène est la plus vraisemblable.

Les appelants ne peuvent utilement soutenir que s’agissant d’un sujet d’intérêt général, le sérieux de l’enquête autorisait les propos et les imputations litigieuses, alors que dans le même temps ils font valoir que le reportage n’avait pas pour objet de se concentrer sur la question de la véracité ou non des conditions de la mort de [E] [T] ni de trancher cette polémique mais de démontrer l’existence sur internet de 'campagnes d’information totalement subjectives'.

Eu égard à la vive controverse née du reportage diffusé par France 2 le 30 septembre 2000 et consacré à la mort d’un jeune enfant palestinien [E] [T] dans la bande de Gaza et imputant cette mort à un tir israélien et d’un sujet particulièrement sensible et polémique, il leur appartenait d’analyser objectivement les éléments ayant suscité le doute sur l’authenticité de la scène et les contradictions pouvant en résulter selon eux.

A cet égard, la seconde 'histoire’ (portant sur les critiques faites au reportage diffusé le 30 septembre 2000 par France 2 sur la mort de [E] [T]) contraste avec le contenu de la première relative aux fausses rumeurs sur les attentats du 11 septembre 2001 dans laquelle il est fait largement écho au contenu des déclarations de ceux soutenant la thèse du complot en les opposant en parallèle à des éléments objectifs la combattant.

A défaut d’enquête sérieuse, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a écarté l’excuse de bonne foi.

Par de justes motifs que la cour adopte, les premiers juges ont exactement apprécié le préjudice subi par [P] [M] en le limitant à l’euro symbolique et ordonné des mesures de publication excluant la diffusion forcée d’un communiqué.

Le jugement entrepris doit dès lors être confirmé en toutes ses dispositions.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

Dit n’y avoir lieu à révocation de l’ordonnance de clôture du 03 novembre 2011,

Dit irrecevables les pièces 9 et 10 communiquées par la société TAC PRESSE le 10 novembre 2011,

Déclare recevables les conclusions signifiées et déposées le 27 octobre 2011 par [P] [M],

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne in solidum M. [K] [Z], la société d’Edition de Canal Plus, anciennement dénommée Canal +, et la société Tac Presse à payer à [P] [M] la somme de 5.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum M. [K] [Z], la société d’Edition de Canal Plus, anciennement dénommée Canal +, et la société Tac Presse aux dépens d’appel, qui pourront être recouvrés directement par Maître Binoche, avoué, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

— Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— Signé par Madame Evelyne LOUYS, conseiller faisant fonction de président et par Madame RENOULT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GREFFIER, Le PRESIDENT,



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Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 5 janvier 2012, n° 10/04688