Cour d'appel de Versailles, 21e chambre, 11 avril 2019, n° 16/04438

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 21e ch., 11 avr. 2019, n° 16/04438
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 16/04438
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Montmorency, 21 septembre 2016, N° 15/01241
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

21e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 11 AVRIL 2019

N° RG 16/04438

AFFAIRE :

F X

C/

SAS DUSHOW

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 22 septembre 2016 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Montmorency

N° Section : AD

N° RG : 15/01241

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Agnès BENICHOU BOURGEON

la […]

le :

12 avril 2019

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE ONZE AVRIL DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur F X

né le […]

à GONESSES (95)

[…]

[…]

Représentant : Me Agnès BENICHOU BOURGEON, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0971 -

APPELANT SUR LE PRINCIPAL

INTIME SUR L’APPEL INCIDENT

****************

SAS DUSHOW prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité en son siège

[…]

[…]

[…]

Représentant : Me Stéphane CHOUTEAU de l'[…], Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES,

vestiaire : 620 – N° du dossier 003028 -

Représentant : Me H PAULET, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0358

INTIMÉE SUR LE PRINCIPAL

APPELANTE SUR L’APPEL INCIDENT

****************

composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 786 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 11 février 2019 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Florence MICHON, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Philippe FLORES, Président,

Madame Bérénice HUMBOURG, Conseiller,

Madame Florence MICHON, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Christine LECLERC

M. F X a été engagé le 15 septembre 2012 par la société Dushow en qualité de technicien de parc, catégorie 2, selon contrat de travail à durée déterminée. Le 17 décembre 2012, il a été engagé à durée indéterminée, avec conservation de l’ancienneté acquise.

L’entreprise, qui a pour activité la fourniture et l’installation de matériels audio et vidéo pour des

spectacles, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective des entreprises techniques au service de la création et de l’événement.

Le 15 avril 2015, M. X a été convoqué à un entretien préalable à une sanction disciplinaire, pour le 24 avril suivant.

Par courrier daté du 6 mai 2015, la société Dushow lui a notifié un avertissement.

Le 6 mai 2015, un incident a opposé M. X et sa supérieure hiérarchique, Mme Y.

Le 7 mai 2015, M. X a été convoqué à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement, fixé au 18 mai 2015, et mis à pied à titre conservatoire.

Le même jour, l’employeur a établi une déclaration d’accident du travail, à l’appui d’un certificat médical du même 7 mai 2015 produit par M. X, et prescrivant un arrêt de travail jusqu’au 17 mai 2015 puis jusqu’au 31 mai 2015.

Le 21 mai 2015, il a été licencié pour faute grave.

Le 2 juillet 2015, M. X a saisi le conseil de prud’hommes de Montmorency, auquel il a demandé de :

— annuler l’avertissement du 7 mai 2015,

— dire et juger le licenciement nul,

— condamner la société Dushow au paiement des sommes suivantes : 27 756 euros au titre des salaires de mai 2015 à juin 2016, 2 755,60 euros au titre des congés payés afférents, 10 000 euros à titre de dommages et intérêts,

— prononcer sa réintégration à son poste sous astreinte de 100 euros par jour de retard,

— ordonner la délivrance de bulletins de salaire conformes sous astreinte de 10 euros par jour et par document,

à titre subsidiaire,

— dire et juger le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,

— condamner la société Dushow au paiement des sommes suivantes : 4 424 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, 442,40 euros au titre des congés payés afférents, 1 880,20 euros à titre d’indemnité de licenciement, 40 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

— ordonner l’exécution provisoire,

— lui allouer 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La société Dushow a conclu au rejet de l’intégralité des demandes de M. X, et réclamé une somme de 2 000 euros de dommages et intérêts pour mauvaise foi et procédure abusive, et une somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que la condamnation du demandeur aux dépens.

Par jugement rendu le 22 septembre 2016, le conseil (section activités diverses) a :

— dit que le licenciement de M. X est fondé sur une cause réelle et sérieuse.

— dit que la société Dushow, prise en la personne de ses représentants légaux, devra verser les sommes suivantes à M. X :

3 546 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

354,60 euros au titre des congés payés afférents,

1 507,05 euros à titre d’indemnité de licenciement,

1 000 euros à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— dit que la moyenne des trois derniers mois de salaire est 1 773 euros brut, aux fins de l’exécution provisoire du jugement prévue à l’article R. 1454-28 du code du travail,

— débouté M. X du surplus de ses demandes,

— débouté la société Dushow de ses demandes reconventionnelles,

— mis les éventuels dépens à la charge de la société Dushow.

Le 6 octobre 2016, M. X a relevé appel total de cette décision par voie électronique.

Par ordonnance rendue le 16 novembre 2016, un calendrier de procédure a été établi en application des dispositions de l’article 905 du code de procédure civile dans leur rédaction applicable à la cause.

Par ordonnance rendue le 8 février 2018, le président de la chambre a ordonné la clôture de la procédure et a fixé la date des plaidoiries au 11 février 2019.

Par dernières conclusions écrites du 13 février 2017, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile, M. X demande à la cour de :

— infirmant le jugement déféré,

— annuler l’avertissement du 7 mai 2015,

— dire et juger le licenciement nul,

en conséquence :

— condamner la société Dushow au paiement des sommes suivantes :

79 632 euros au titre des salaires du 6 mai 2015 à avril 2018,

7 963,20 euros au titre des congés payés afférents,

— ordonner sa réintégration à son poste sous astreinte de 100 euros par jour de retard,

— ordonner la délivrance de bulletins de salaire conformes sous astreinte de 10 euros par jour et par document,

—  10 000 euros à titre de dommages et intérêts,

Subsidiairement,

— dire et juger le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,

— condamner la société Dushow au paiement des sommes suivantes :

4 424 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

442,40 euros au titre des congés payés afférents,

1 880,20 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

40 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

—  2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions écrites du 30 novembre 2017, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la société Dushow demande à la cour de :

Sur l’appel principal,

— déclarer irrecevable et en tous cas mal fondé, l’appel principal diligenté par M. X,

— rejeter en conséquence l’ensemble des demandes et prétentions de M. X aux fins d’infirmation du jugement,

— confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré fondé l’avertissement notifié à M. X, le 6 mai 2015,

Sur l’appel incident,

— déclarer recevable et fondé son appel incident,

— en conséquence, réformer le jugement en ce qu’il a déclaré le licenciement de M. X justifié seulement pour cause réelle et sérieuse et non pour faute grave et l’a condamnée au versement d’une indemnité de préavis avec congés payés y afférents et d’une indemnité de licenciement,

— dire, en conséquence et juger valable et fondé le licenciement de M. X pour faute grave,

— débouter en conséquence M. X de ses demandes indemnitaires,

— en toute hypothèse, condamner M. X à lui verser la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,

— condamner M. X à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner M. X aux entiers dépens.

Motifs de la décision

Sur l’avertissement :

Le courrier d’avertissement du 6 mai 2015 énonce :

'Vous avez à plusieurs reprises fait preuve d’insubordination à l’égard de vos responsables hiérarchiques.

En effet, le mardi 14 avril 2015 vous avez pris une pause déjeuner de 12 h 20 à 14 h 40. Le lendemain, soit le mercredi 15 avril 2015, vous avez de nouveau pris une pause déjeuner de 12 h 30 à 15 h, et ce sans jamais avertir vos supérieurs hiérarchiques ni même justifier vos retards.

A chaque fois, votre Responsable Parc, Monsieur H I, vous a rappelé verbalement que la pause déjeuner était d’une durée d’une heure et demie, pour l’ensemble des Techniciens du Parc.

Vous n’avez donc visiblement pas tenu compte de ce rappel à l’ordre.

De plus, toujours le mercredi 15 avril 2015, vous n’avez pas porté vos chaussures de sécurité de la journée, alors que Monsieur J Z, votre Gestionnaire de Parc, vous a demandé par deux fois de les mettre. Ce même jour, Monsieur H I vous a également rappelé à l’ordre à ce sujet.

Une fois de plus, vous n’avez pas tenu compte des instructions de votre hiérarchie, ce que nous ne pouvons pas tolérer.

Nous vous rappelons qu’aux termes de l’article 6 du Règlement Intérieur de notre Société, vous êtres tenu dans l’exécution de votre travail, de respecter les instructions de vos supérieurs hiérarchiques et que vous devez faire preuve de correction dans votre comportement vis à vis de vos collègues et de votre hiérarchie.

En outre, nous vous rappelons que le fait de ne pas porter vos chaussures de sécurité est de nature à mettre en danger votre propre sécurité et ne nous permet pas de remplir correctement l’obligation de sécurité que nous avons à l’égard de nos salariés. Il constitue un manquement grave à vos obligations professionnelles telles que prévues à l’article 10 du Règlement Intérieur et à l’article 11 de votre contrat de travail conclu le 17 décembre 2012.

Lors de l’entretien, vous ne nous avez fourni aucun élément nous permettant de modifier notre appréciation des faits qui vous sont reprochés.

Votre attitude est inacceptable et constitue une faute. Elle fait apparaître un manque caractérisé de professionnalisme et de respect envers votre hiérarchie, ce qui est préjudiciable pour vos relations de travail au sein de notre entreprise.

En conséquence, nous vous notifions par la présente un avertissement (…).'

Le salarié conteste la réalité du premier retard qui lui est reproché, et, concernant le second, qu’il ne conteste pas, considère qu’il ne pouvait justifier une sanction aussi importante. Il fait valoir que le retard des autres salariés ne donne pas lieu à sanction, et que l’avertissement délivré témoigne d’un traitement discriminatoire, et doit donc être considéré comme nul.

L’employeur considère que la commission de manquements par d’autres salariés ne légitime pas le manquement de M. X. S’agissant du premier motif de sanction, il souligne que c’est le refus du salarié d’obéir à l’ordre d’un supérieur hiérarchique qui s’est trouvé sanctionné, et non pas le retard lui-même, ce qui rend inopérante la discussion sur l’existence ou non d’une tolérance de tels retards

dans l’entreprise. En toute hypothèse, l’avertissement est justifié par un second motif lié au non respect de l’obligation de porter les chaussures de sécurité, et au refus d’obéir au supérieur hiérarchique lui ayant rappelé expressément cette obligation de sécurité auquel est tenu tout employeur.

En application de l’article L.1333-1 du code du travail, en cas de litige, le juge apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L’employeur fournit au juge les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

En l’espèce, l’employeur ne produit aucun élément établissant la réalité des manquements qu’il reproche au salarié pour les journées des 14 et 15 avril 2015. Si le salarié admet avoir été en retard le 15 avril 2015, l’employeur ne rapporte pas la preuve des rappels à l’ordre effectués à ce sujet, qu’il reproche au salarié d’avoir négligés. Il ne prouve pas non plus que le 15 avril 2015, M. Z lui aurait demandé par deux fois, sans succès, de mettre ses chaussures de sécurité, et qu’un rappel à l’ordre aurait également été fait sur ce point. Dans ces conditions, et alors que le salarié produit pour sa part plusieurs attestations dont il résulte que les retards ne sont habituellement pas sanctionnés, de même que l’abstention des salariés de porter leurs chaussures de sécurité, la réalité des fautes reprochées au salarié n’est pas démontrée, et l’avertissement notifié par l’employeur apparaît dès lors injustifié et doit en conséquence être annulé. Le jugement déféré, qui a débouté le salarié de cette demande, est en conséquence infirmé sur ce point.

Sur la rupture du contrat de travail

La lettre de licenciement du 21 mai 2015, qui fixe les limites du litige, est ainsi libellée :

'Le 6 mai 2015 à 18 h 05, votre responsable hiérarchique Mademoiselle L Y, vous a demandé de réaliser une dernière mission.

Or, vous n’avez pas jugé bon de respecter l’instruction donnée par votre manager puisque vous avez catégoriquement refusé la mission en indiquant que votre journée de travail était terminée.

Pire encore, quelques minutes plus tard, toujours présent dans les locaux Mademoiselle L Y vous croise dans l’entrepôt. Constatant votre inaction, cette dernière vous reproche votre manque d’implication et d’investissement professionnel en vous comparant à d’autres membres de l’équipe. C’est alors que vous avez exprimé votre plus vif mécontentement au sein même de l’entrepôt et ce devant certains de vos collègues de travail en employant des propos tels que « sale pute » « va te faire enculer par Ludo avec sa grosse bite de noir ».

Les propos injurieux et dénigrants que vous avez tenus à l’encontre de votre responsable hiérarchique ainsi que le refus d’exécuter les directives données sont particulièrement graves et inacceptables. Ils constituent non seulement un manquement à l’obligation de loyauté à laquelle vous êtes tenu à l’égard de votre hiérarchie mais également un acte d’insubordination et un abus de votre droit d’expression que nous ne saurions tolérer.

En outre, ces propos tenus devant une partie des collaborateurs de la société perturbent le bon fonctionnement de l’entrepôt ce qui constitue un trouble caractérisé pour l’entreprise.

Lors de l’entretien, vous avez reconnu avoir refusé d’effectuer la tâche que votre Gestionnaire Parc vous avait confiée et l’avoir violemment insultée. Vous ne nous avez ainsi fourni aucun élément nous permettant de modifier notre appréciation des faits qui vous sont reprochés.

Votre attitude fait apparaître un manque caractérisé de professionnalisme et de respect de votre hiérarchie, ce qui est préjudiciable pour vos relations de travail au sein de notre société.

Nous vous rappelons en outre, que nous vous avions d’ores et déjà reproché des faits d’insubordination à l’égard de votre hiérarchie, dans le cadre d’un entretien disciplinaire en date du 24 avril 2015.

Dans ce contexte, la gravité exceptionnelle des faits qui vous sont reprochés et leur répétition rendent impossible la poursuite de votre contrat de travail et nous conduisent à vous notifier la rupture de votre contrat de travail pour faute grave.'

Le salarié considère qu’il n’a pas refusé d’exécuter un travail, dès lors qu’il ne lui a pas été demandé l’exécution d’un travail, mais d’aider une de ses collègues, qui refusera son aide. Il fait valoir que c’est Mme Y qui l’a provoqué, qu’il s’en est suivi un échange houleux, où il a répondu aux insultes de sa supérieure par des propos également peu courtois, et que Mme Y s’est alors jetée sur lui pour l’étrangler, en le plaquant sur une caisse. Il considère que la société, qui était parfaitement informée, dès l’ouverture de la procédure de licenciement, des coups portés par Mme Y et des conséquences sur son salarié, puisqu’elle a effectué elle-même une déclaration d’accident du travail, le 7 mai, ne pouvait le sanctionner alors qu’il était la victime du comportement emporté de son supérieur hiérarchique. Il ajoute que Mme Y avait déjà, à plusieurs reprises, agressé d’autres salariés. Alors que la charge de la preuve incombe à l’employeur, la faute grave n’est démontrée par aucun fait précis, objectif et vérifiable. En l’absence de faute grave, le licenciement, survenu alors que son contrat de travail était suspendu en application de l’article L.1226-7 du code du travail, du fait de l’accident du travail dont il a été victime le 7 mai 2015, est nul en application de l’article L.1226-9 du même code. Subsidiairement, il est sans cause réelle et sérieuse.

La société fait valoir que Mme Y a été très gravement outragée par les propos injurieux et racistes tenus par M. X, alors qu’elle s’était seulement étonnée de son manque d’implication et d’investissement, se déduisant de son refus d’aider un collègue, prétexte pris qu’il avait achevé sa journée de travail, alors même qu’il était encore présent dans l’attente d’un pot de départ d’un autre collègue. Elle met en doute la réalité du traumatisme invoqué par M. X et les constatations médicales effectuées à l’appui, relevant que M. X, selon les attestations produites, a assisté tranquillement et avec le sourire au pot de départ qui a suivi, et qu’il s’est rendu à son travail le lendemain. Elle ajoute avoir contesté la décision de la caisse primaire d’assurance maladie du 17 août 2015 de reconnaître un caractère professionnel à l’accident déclaré le 7 mai 2015. Elle considère que le licenciement pour faute grave de M. X, qui est à l’origine de l’altercation violente qui l’a opposé à Mme Y, est parfaitement justifié. Elle fait valoir que lorsque la procédure de licenciement a été engagée, le contrat de travail de M. X n’était pas encore suspendu, la déclaration d’accident du travail n’ayant été effectuée que le 7 mai 2015 dans l’après-midi, postérieurement à la notification au salarié de sa convocation à l’entretien préalable. Elle ajoute qu’en toute hypothèse, la faute grave commise par le salarié, avant la suspension du contrat de travail, l’autorisait à rompre celui-ci.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. L’employeur doit rapporter la preuve de l’existence d’une telle faute, et le doute profite au salarié.

Les attestations établies par Mme Y, M. N-O et M. A, produites par l’employeur, confirment que M. X a proféré des insultes à caractère sexuel et raciste à l’encontre de sa supérieure hiérarchique Mme Y, impliquant le prénommé 'Ludo'. Celle de M. B, produite par le salarié lui-même, également. Ces mêmes attestations, outre celles de M. C et de M. D, versées respectivement par l’employeur et le salarié lui-même, établissent que ce n’est qu’après qu’il l’a insultée que Mme Y, comme elle l’a elle-même rapporté, a agrippé M.

X par le cou et l’a poussé contre une caisse, avant que des collègues ne viennent s’interposer. A l’exception de Mme E, qui fait état, de manière imprécise, 'd’insultes’ de Mme Y à l’encontre de M. X, après que celui ci lui a signalé que l’heure de fin de travail était passée, il ne résulte d’aucun témoignage que Mme Y aurait insulté M. X avant que celui-ci ne profère à son encontre les propos incriminés. Le fait d’insulter un supérieur hiérarchique, sur le lieu de travail, en présence de plusieurs autres salariés, dans les termes rapportés par la victime et les témoins des faits (' sale pute va te faire enculer par Ludo avec sa grosse bite noir' (Mme Y), 'espèce de sale pute, va te faire sucer par Ludo. En plus il est noir, je suis sûr qu’il en a une grosse' (M. N-O), 'va te faire baiser/troncher par Ludo' (M. A) ou même 'grosse pute', 't’aime ça la grosse bite de black de Ludo' (M. B), constitue une violation par M. X des obligations résultant de son contrat de travail, rendant impossible son maintien dans l’entreprise. Le fait que le salarié ait fait l’objet de reproches de sa supérieure hiérarchique concernant son manque d’implication et d’investissement, et qu’il les estimait infondés puisque sa journée de travail était terminée, ne saurait justifier un tel comportement injurieux, mêlant de surcroît sexisme et racisme. Quant aux blessures et à l’arrêt de travail qui sont résultés de la riposte de Mme Y aux insultes reçues, ils sont indifférents en ce qui concerne l’existence de la faute reprochée au salarié, qui leur est antérieure.

Le licenciement de M. X repose donc bien sur une faute grave.

Le licenciement de M. X n’est ni nul, puisque l’employeur pouvait, conformément à l’article L. 1226-9 du code du travail, rompre le contrat de travail durant la suspension de celui-ci en raison de la faute grave commise par le salarié, ni dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le jugement déféré est donc confirmé, sauf en ce qu’il a écarté la faute grave et alloué au salarié une indemnité compensatrice de préavis, les congés payés afférents, et une indemnité de licenciement.

Sur la demande reconventionnelle de dommages-intérêts de l’employeur :

La société considère que les demandes formées par M. X à son encontre caractérisent un abus de son droit d’agir en justice, et sollicite 2 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la mise en cause injuste de sa probité, et du malaise qui en est résulté au sein de l’entreprise, entre les salariés sollicités par les deux parties au soutien de leurs prétentions respectives.

Dès lors que l’action de M. X a prospéré, même très partiellement, elle ne peut être regardée comme abusive. En conséquence, la demande de dommages et intérêts de l’employeur est rejetée, et le jugement est confirmé sur ce point.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Le salarié et l’employeur succombant chacun pour partie dans leurs prétentions, ils conserveront l’un et l’autre la charge des dépens de première instance et d’appel qu’ils ont exposés.

Par ailleurs, aucune considération d’équité ou tirée de la situation économique des parties ne justifie de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit

de l’une ou l’autre d’entre elles. En conséquence, le jugement du conseil de prud’hommes est infirmé en ce qu’il a condamné l’employeur à régler au salarié une somme de 1 000 euros à ce titre, et les parties sont déboutées de leurs demandes au titre des frais irrépétibles en cause d’appel.

Par ces motifs

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement rendu le 22 septembre 2016 par le conseil de prud’hommes de Montmorency, sauf en ce qu’il a :

— débouté le salarié de sa demande d’annulation de l’avertissement du 6 mai 2015,

— dit que le licenciement de M. X est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

— condamné la société Dushow à verser à M. X 3 546 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, 354,60 euros au titre des congés payés afférents, 1 507,05 euros à titre d’indemnité de licenciement, 1 000 euros à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— mis les dépens de première instance à la charge de la société Dushow,

Statuant à nouveau des chefs infirmés, et y ajoutant,

Annule l’avertissement du 6 mai 2015 notifié le 7 mai 2015 à M. X,

Dit que le licenciement de M. X est justifié par une faute grave,

Déboute M. X de ses demandes d’indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents à l’indemnité compensatrice de préavis et d’indemnité de licenciement,

Déboute M. X de ses demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile en première instance et en cause d’appel,

Déboute la société Dushow de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,

Laisse à chaque partie ses dépens de première instance et d’appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Philippe FLORES, Président et par Madame LECLERC, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

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