Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 17 février 2022, n° 19/02202

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 6e ch., 17 févr. 2022, n° 19/02202
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 19/02202
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise, 3 avril 2019, N° F17/00246
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES


Code nac : 80A

6e chambre

ARRET N°102

CONTRADICTOIRE


DU 17 FEVRIER 2022


N° RG 19/02202 – N° Portalis DBV3-V-B7D-TGLH


AFFAIRE :

B X


C/

SASU AUTOBACS


Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 04 Avril 2019 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CERGY-PONTOISE


N° Chambre :


N° Section : E


N° RG : F 17/00246


Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Vincent LECOURT

Me Carine KALFON

le :18 février 2022

Expédition numérique délivrée à Pôle Emploi, le 18 Février 2022

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


LE DIX-SEPT FÉVRIER DEUX MILLE VINGT DEUX ,


La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant,fixé au 13 janvier 2022,puis prorogé au 17 Février 2022, les parties ayant été avisées, dans l’affaire entre :
Monsieur B X

né le […] à […]

de nationalité Française

[…]

[…]


Représenté par : Me Vincent LECOURT, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VAL D’OISE, vestiaire : 218

APPELANT

****************

SASU AUTOBACS


N° SIRET : 434 718 706

[…]

[…]


Représentée par : Me Carine KALFON, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0918

INTIMEE

****************

Composition de la cour :


En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 19 Novembre 2021 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller chargé du rapport.


Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Isabelle VENDRYES, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,


Greffier lors des débats : Mme Elodie BOUCHET-BERT,

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES


La SASU Autobacs est spécialisée dans le secteur d’activité du commerce de détail d’équipements automobiles. Elle emploie plus de dix salariés.


Par contrat de travail à durée indéterminée daté du 1er février 2009, M. B X, né le 27 mars 1975, a été engagé par la société Autobacs France, à compter du 1er février 2010, en qualité de directeur de magasin, statut cadre, position III de la convention collective nationale des commerces et services de l’audiovisuel, de l’électronique et de l’équipement ménager du 26 novembre 1992.


Il a été initialement affecté au magasin de Bonneuil-sur-Marne (Val-de-Marne) puis il a été muté sur le magasin de Saint-Maximin (Oise) puis sur celui d’Herblay (Val-d’Oise) avant d’être muté en avril 2015 sur le magasin de Lognes (Seine-et-Marne). Il percevait un salaire mensuel brut de base de 4 100 euros.


Par courrier du 17 octobre 2016, M. X a été convoqué à un entretien préalable qui s’est tenu le 27 octobre 2016. Il s’est vu notifier son licenciement pour insuffisance professionnelle par lettre du 24 novembre 2016 ainsi rédigée :

« (…) je vous informe par la présente que nous avons décidé de procéder à votre licenciement pour les motifs suivants.

Alors que le magasin de Lognes faisait partie des magasins pilotes d’Autobacs France tant en termes de rigueur de gestion que de performances économiques (premier magasin en rentabilité et deuxième en chiffre d’affaires au 31 mars 2015), nous constatons que depuis que nous vous en avons confié la direction en mars 2015, sa situation n’a cessé de se dégrader sur ces deux aspects essentiels de votre mission.

Alors que nous vous avons interrogé à plusieurs reprises sur les raisons d’une telle dégradation que ce soit sur le merchandising du magasin ou dans le travail d’équipe avec vos cadres et invité à mettre en oeuvre sans délai toutes les actions correctives qui s’imposaient, notamment sur la partie management à la lumière des conclusions de Coventeam sur votre gestion des cadres du magasin d’Herblay et sur votre manque de proximité, d’accompagnement et de présence terrain évoqués alors, nous avons eu à déplorer une totale désorganisation du magasin de Lognes à laquelle vous n’avez pas su remédier.

L’aspect le plus visible de cette désorganisation a été l’état déplorable du magasin ayant conduit à vous notifier un rappel à l’ordre en janvier dernier dont vous n’avez manifestement pas pris toute la mesure. Son point d’orgue a été le constat fait le 12 octobre dernier par Messieurs Y, Président de notre groupe et lui-même ancien directeur de magasin et Z, Président d’Autobacs France, à l’occasion de leur visite en France, sur l’état général du magasin, très loin des standards d’Autobacs et des exigences élémentaires en matière d’animation, d’agencements de rayons ou de présentation des produits.

L’autre mesure d’un manque de gestion ou d’une perte de contrôle s’est révélée dans vos propos auprès de Monsieur Z, qui vous interrogeait le 7 septembre dernier sur les mauvais résultats de votre magasin et auquel vous vous êtes contenté de mentionner les nombreuses absences subies par votre magasin au cours de l’été avec l’indication que votre effectif était désormais au complet, ce qui n’a jamais été vraiment le cas à Lognes.

Ainsi sur cet exercice et depuis le 1er avril 2016, le magasin de Lognes a été en sous-effectif, cette tendance s’accroissant fortement au cours de la période estivale pour des raisons certes indépendantes de votre volonté mais que vous deviez impérativement gérer sur une période aussi décisive pour nos résultats annuels. Vous ne pouviez ignorer à ce titre les instructions de cette année visant à prendre toutes les dispositions pour renforcer nos effectifs en CDD durant cette période et faire face aux risques de manque de personnel déjà subis, l’exercice précédent ayant vu une haute saison ratée, avec un nombre très important de CDD recrutés ayant fait défaut ou quitté leurs postes au bout de quelques jours. Ce manque d’effectif s’est malheureusement reproduit avec une ampleur inédite à Lognes car certains de vos salariés et cadres étant absents pour maladie, vous n’avez pas remédié d’une façon ou d’une autre à leur absence. Conséquence, sur le seul mois de juillet alors que 47 salariés (CDI) devaient être présents, nous n’en décomptions finalement que 41 (2 postes non pourvus et 4 salariés absents non remplacés) ! Il est clair que vous n’avez pas pris la mesure des enjeux et de leurs conséquences sur le chiffre d’affaires puisque ce manque d’effectif a perduré.

Abordant ce point au cours de notre entretien, vous avez soutenu que votre magasin n’avait pas été en sous-effectif et que l’économie de masse salariale de 78 K€ constatée à fin septembre avait pour principale origine un décalage de masse salariale sur les congés payés ainsi que des indemnités journalières de sécurité sociale perçues sur les arrêts maladie. Cet argument est parfaitement inexact au vu de vos comptes de résultat mensuels et de l’analyse de votre masse salariale et des livres de paie dont vous disposez chaque mois.

Cette situation est à mettre en parallèle avec certains des indicateurs sociaux de votre magasin qui nous interpellent, dont un absentéisme au plus haut sur votre magasin en cette année 2016 avec 769 jours d’absence, soit 109 semaines et un nombre croissant de démissions passé de un sur l’année 2014 à cinq depuis votre prise de fonction.

Si vous m’indiquez ne pas être responsable des nombreuses absences maladies constatées sur votre magasin, ce que je vous concède, s’agissant de démissions, celles-ci sont le symptôme d’un réel problème.

Vous tentez de vous dédouaner prétextant que les difficultés constatées sur le magasin ne sont pas de votre seule responsabilité mais entre autres la conséquence d’un manque de soutien de votre hiérarchie qui aurait pour effet de vous rendre moins crédible vis-à-vis de vos équipes et de rendre plus difficile leur mobilisation.

Ainsi que je l’ai évoqué à nouveau auprès de vous, ce n’est pas la Direction des Opérations ou la Direction Générale qui fait la crédibilité ou l’autorité d’un Directeur, mais le Directeur lui-même qui la construit jour après jour par la confiance et la coopération qu’il sait établir avec ses cadres et son personnel, ce qui n’a pas été le cas à Lognes et ce jusqu’à ce jour.

Comment en effet envisager cette coopération alors que vos équipes, victimes directes du sous-effectif, s’épuisent sans que vous ne preniez les mesures qui s’imposent. Comment accepter que des cadres qui jusqu’à présent ont donné entière satisfaction, notamment à l’ancien directeur du site avec les résultats que l’on sait, seraient devenus selon vos dires des cadres sans aucune autonomie, allant jusqu’à créer une véritable scission avec ces derniers.

Tout ceci n’est sans doute pas étranger au sentiment de laisser-aller donné par le magasin qui n’a pas échappé à nos dirigeants, même si là encore vous prétextez que cela n’est pas de votre fait mais le résultat du retard pris dans la réalisation du remodeling du magasin de Lognes sur lequel je me suis déjà exprimée par mail.

Ce remodeling en projet depuis au moins deux ans peut certes améliorer des aspects esthétiques ou structurels du magasin comme son agencement, mais n’a aucune portée sur sa tenue que seule une bonne organisation des postes et des responsabilités peut assurer et c’est au directeur d’en être le garant et l’animateur au quotidien.

Cette défaillance dans la bonne tenue du magasin n’a pas échappé à nos dirigeants japonais dont la visite sur Lognes avait été pourtant annoncée à l’avance. Le sous-effectif et la démobilisation de vos équipes y compris d’encadrement en sont, à n’en pas douter, la principale raison sans qu’il soit nécessaire d’invoquer la responsabilité du Siège social, de la Direction Générale ou Opérationnelle ou du remodeling, en attente sur ce magasin comme sur d’autres. Conséquence de cette situation, le magasin de Lognes au 31 octobre enregistre la plus forte perte de chiffre d’affaires et de marge en valeur et en pourcentage par rapport au budget et par rapport à l’année dernière. Sa perte de marge qui s’élève à 235 K€ par rapport à la même période de l’année dernière représente le plus fort recul parmi les 6 magasins de sa catégorie, loin derrière Rosny qui, avec des problèmes de difficultés d’accès au magasin, ne recule en marge que de 151 K€.

Vous m’avez indiqué que la dégradation des résultats du magasin de Lognes aurait pour origine une désaffection des clients pour sa zone d’implantation et qu’aucune campagne CRM ou action spécifique n’aurait été initiée afin d’y faire face. Si l’environnement commercial de votre magasin, qui n’a pas évolué sur les deux dernières années, le nécessitait, il aurait été en effet urgent d’engager les actions de communication qui s’imposent et pour ce faire d’être force de proposition dans la défense des intérêts de son magasin, c’est ce que nous attendions d’un Directeur responsable et engagé dans sa réussite.

Il était à ce titre de votre responsabilité première de mener à bien l’ensemble des actions nécessaires à son bon fonctionnement comme à la mobilisation de l’ensemble de ses équipes (cadres et non cadres) en vous assurant notamment que ces dernières s’acquittaient bien de leurs tâches et qu’elles étaient a minima au complet et en mesure de le faire correctement.

Les carences et l’attentisme que nous constatons dans la gestion du magasin et de son personnel, ont porté un grave préjudice à son bon fonctionnement et constituent des insuffisances professionnelles auxquelles vous n’avez pas remédié avec diligence au regard des devoirs de votre poste et des fonctions qui y sont attachées.

Ce constat et ses conséquences préjudiciables pour notre entreprise ne permettent pas la poursuite de votre contrat de travail et nous conduisent aujourd’hui à vous notifier votre licenciement pour cause réelle et sérieuse. (…) »


Par requête reçue au greffe le 1er juin 2017, M. X a saisi le conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise aux fins de contester son licenciement et de voir condamner la société Autobacs France au versement de diverses sommes indemnitaires et salariales.


Par jugement rendu le 4 avril 2019, le conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise a :


- dit que le licenciement pour insuffisance professionnelle de M. X repose sur une cause réelle et sérieuse,


- dit que la convention annuelle de forfait en jours est nulle mais que M. X ne justifie d’aucun préjudice à ce titre,


- débouté M. X de l’ensemble de ses demandes,


- mis les éventuels dépens de l’instance à la charge de M. X.

M. X a interjeté appel de la décision par déclaration du 14 mai 2019.


Par conclusions adressées par voie électronique le 21 juin 2021, il demande à la cour de :


- infirmer le jugement entrepris,


- dire et juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse,


- condamner la société Autobacs France à verser à M. X la somme de 85 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- statuer ce que de droit sur le remboursement à Pôle emploi des indemnités versées au salarié,


- dire et juger que la convention de forfait est nulle et doit être privée d’effet,


- condamner la société Autobacs France à verser à M. X la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l’exécution déloyale de la convention de forfait,


- condamner la société Autobacs France à verser à M. X la somme de 4 900 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,


- ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir,


- condamner la société Autobacs France aux dépens.


Par conclusions adressées par voie électronique le 12 novembre 2019, la société Autobacs France demande à la cour de :


- déclarer recevable et bien fondé son appel incident,


- confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

* dit que le licenciement pour insuffisance professionnelle de M. X repose sur une cause réelle et sérieuse,

* dit que M. X ne justifie d’aucun préjudice au titre de la nullité de la convention de forfait en jours,

* débouté M. X de l’ensemble de ses demandes,


- infirmer le jugement pour le surplus,

statuant de nouveau,


- dire et juger que le licenciement pour cause réelle et sérieuse de M. X est justifié,


- dire et juger que la société Autobacs France a respecté ses obligations légales,


- dire et juger valable la convention de forfait en jours,


- dire et juger que M. X ne justifie d’aucun préjudice,


- dire et juger M. X mal fondé en ses demandes, fins et conclusions,

en conséquence,


- débouter M. X de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,


- le condamner en tous les dépens.


Par ordonnance rendue le 20 octobre 2021, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 19 novembre 2021.


En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS

Sur la validité du forfait jours

M. X sollicite l’indemnisation du préjudice découlant de la mise en oeuvre déloyale d’une convention de forfait jours illicite.


Il soutient que le régime instauré par l’accord d’entreprise conclu le 30 mai 2006, auquel se réfère la convention de forfait individuelle en jours qu’il a signée, ne comporte aucune mesure concrète de nature à assurer le respect du décompte effectif des jours et demi-journées travaillées, ni aucune mention concernant le repos journalier minimum (11 heures) et hebdomadaire minimum (35 heures), et ce d’autant moins que les magasins de l’enseigne sont ouverts tous les jours de la semaine, y compris le dimanche, que rien n’est davantage prévu pour limiter le nombre d’heures de travail hebdomadaire maximal, qu’en outre l’employeur n’a pas mis en place un dispositif de contrôle de son temps de travail, ni ne s’est assuré du respect des périodes de repos légalement obligatoires, pas plus que du suivi de sa charge de travail.


Il fait valoir qu’il a travaillé durant des jours de repos à de très nombreuses reprises, qu’il a travaillé au-delà des horaires de fermeture de l’établissement, y compris la nuit, par le biais de l’informatique de l’entreprise, qu’il a reçu de la part du siège des courriels urgents pendant ses congés dont il était le seul destinataire et qu’il devait transférer, alors même que ses dates de congés étaient connues de l’entreprise, qu’il a réalisé en dehors de son établissement des inventaires dans d’autres magasins, qu’il a participé au siège de l’entreprise à des réunions mensuelles, qu’il a pallié l’absence de personnel encadrant, qu’il a porté son CET à pas moins de 40 jours, faute de pouvoir prendre tous ses jours de repos, qu’il a assuré les ouvertures et les fermetures des magasins, tant sur Herblay que sur Lognes, que l’organisation du travail mise en place au sein de l’entreprise n’a pour objectif que d’échapper aux contraintes qui découleraient du paiement des dépassements d’horaires du salarié, sans lui laisser la moindre marge d’autonomie réelle.


La société Autobacs soutient quant à elle qu’elle a respecté les dispositions légales et jurisprudentielles relatives aux conventions de forfait jours ; qu’ainsi le recours à un forfait annuel en jours a été prévu par un accord d’entreprise portant sur l’aménagement et l’organisation du temps de travail, conclu avec les organisations syndicales le 30 mai 2006 ; qu’il a donné lieu à l’acceptation individuelle de M. X, par la signature sans réserve de son contrat de travail ; que le salarié indiquait lui-même à la direction les journées et demi-journées travaillées par le biais d’un système auto-déclaratif de fiches mensuelles de suivi du temps de travail ; qu’aux termes de ces documents de contrôle, il attestait d’une part, que son amplitude journalière et hebdomadaire de travail n’excédait pas les durées maximales de travail fixées par la loi ou la convention collective et respectait les temps de repos quotidien et hebdomadaire et d’autre part, qu’un dispositif de contrôle avait été mis en place au sein de l’entreprise afin de permettre de signaler à tout moment auprès de son supérieur hiérarchique une éventuelle surcharge de travail qui aurait pour effet de porter la durée effective de travail au-delà des limites légales fixées ; qu’il n’a jamais alerté la direction d’une quelconque difficulté ; qu’il bénéficiait de jours de RTT en contrepartie de son forfait de 218 jours annuels travaillés ; qu’il bénéficiait de repos hebdomadaires ; que les feuilles de demande de congés remplies par l’intéressé démontrent qu’il a bien pris des jours de congés.


Elle ajoute que M. X étant soumis à un forfait annuel en jours, il ne saurait prétendre au paiement d’heures supplémentaires dans la mesure où le décompte de son temps de travail s’effectuait en jours et non pas en heures ; qu’en sa qualité de cadre autonome, il organisait son temps de travail comme il l’entendait ; que s’il verse aux débats des courriels démontrant qu’il se connectait au serveur certains soirs et durant ses jours de repos, il s’agissait d’un choix de sa part et non d’une demande de l’entreprise ; que de nombreux éléments démontrent que le salarié n’effectuait pas de dépassement des maxima journaliers et hebdomadaires de travail ; que sa charge de travail, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale ont été abordées dans le cadre des entretiens annuels avec son supérieur hiérarchique.


Sur ce, il sera rappelé que la conclusion d’une convention de forfait jours requiert que :


- le salarié dispose d’une réelle autonomie dans l’organisation de son emploi du temps ;


- un accord collectif d’entreprise ou, à défaut, une convention ou un accord de branche autorise et réglemente la conclusion de conventions de forfait jours en application de l’article L. 3121-39 du code du travail dans sa version en vigueur lors des faits ;


- un accord soit mis en place sur le forfait jours prévoyant des règles de suivi de la charge du travail du salarié. L’employeur est tenu d’établir un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées, ainsi que le positionnement et la qualification des jours de repos en repos hebdomadaires, congés payés, congés conventionnels ou jours de repos au titre de la réduction du temps de travail ; ce document peut être tenu par le salarié sous la responsabilité de l’employeur ; le supérieur hiérarchique du salarié ayant conclu une convention de forfait défini en jours assure le suivi régulier de l’organisation du travail de l’intéressé et de sa charge de travail ;


- une convention individuelle de forfait soit rédigée et acceptée par le salarié en application de l’article L. 3121-40 du code du travail dans sa version en vigueur lors des faits ;


- un entretien annuel soit organisé en application de l’article L. 3121-46 du code du travail, dans sa version en vigueur lors des faits, qui dispose : « Un entretien annuel individuel est organisé par l’employeur, avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l’année. Il porte sur la charge de travail du salarié, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur la rémunération du salarié. » ; l’entretien d’évaluation annuelle ne peut suffire à respecter ces prescriptions légales.


Ces conditions sont cumulatives. Par conséquent, si l’une d’entre elles fait défaut, le forfait annuel en jours encourt la nullité ou n’est pas opposable au salarié qui peut réclamer le paiement d’heures supplémentaires.


En l’espèce, conformément à l’article 6 (Durée du travail) de son contrat de travail, M. X a été soumis à un forfait jours à raison de 218 jours par an. S’agissant des modalités de ce forfait, l’article 6 renvoie à l’accord du 30 mai 2006 sur l’aménagement et l’organisation du temps de travail.


Ni la convention collective nationale des commerces et services de l’audiovisuel, de l’électronique et de l’équipement ménager au visa de laquelle le contrat de travail a été conclu, ni l’accord cadre d’aménagement et d’organisation du temps de travail conclu le 30 mai 2006 au sein de la société Autobacs France, qui prévoit en son article 2.1.2 relatif à la fixation de la durée du travail pour les cadres autonomes le recours au forfait en jours, mais ne fixe aucune mesure de contrôle par l’employeur, le système reposant exclusivement sur l’auto-déclaration du salarié, ne sont de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé et donc, à assurer la protection de sa sécurité et de sa santé.


A défaut pour les accords susvisés d’organiser un suivi effectif par l’employeur permettant de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, la convention de forfait en jours à laquelle M. X a été soumise est nulle, comme l’ont justement retenu les premiers juges.


Au surplus, l’employeur ne justifie aucunement de la tenue d’entretiens individuels spécifiques portant sur les modalités d’organisation du travail du salarié, sur sa charge individuelle de travail et sur l’amplitude de ses journées de travail.


Le salarié, qui a été privé de la protection qui aurait dû être instituée par le forfait en jours auquel il était soumis, notamment par le contrôle de son temps de travail et de sa charge de travail, a subi de ce fait un préjudice, qui ne se confond pas avec une privation de salaires dus au titre d’heures supplémentaires, et qui sera indemnisé à hauteur de la somme de 5 000 euros, par infirmation du jugement entrepris.

Sur le licenciement


La société Autobacs a licencié M. X pour insuffisance professionnelle.


Pour constituer une cause légitime de rupture, l’insuffisance professionnelle doit être établie par des éléments objectifs, constatée sur une période suffisamment longue pour ne pas apparaître comme passagère ou purement conjoncturelle, directement imputable au salarié et non la conséquence d’une conjoncture économique difficile ou du propre comportement de l’employeur. Il appartient à l’employeur d’établir que l’insuffisance professionnelle reprochée au salarié repose sur des éléments objectifs, précis et imputables à celui-ci.


Le salarié conteste le bien-fondé du licenciement. Il considère que les appréciations portées par la direction générale sont non seulement infondées mais totalement subjectives et qu’elles ne reposent sur aucun fait objectif qui soit imputable à la tenue de ses fonctions propres de directeur du magasin.

M. X a été engagé par la société Autobacs France en qualité de directeur de magasin. Il a été initialement affecté au magasin de Bonneuil-sur-Marne puis il a été muté sur le magasin de Saint-Maximin puis sur celui d’Herblay avant d’être muté en avril 2015 sur le magasin de Lognes.


Aux termes de la lettre de licenciement, il est lui reproché la totale désorganisation du magasin de Lognes ainsi que des carences managériales.


L’employeur constate que la situation du magasin de Lognes, qui faisait partie des magasins pilotes d’Autobacs France tant en termes de rigueur de gestion que de performances économiques (premier magasin en rentabilité et deuxième en chiffre d’affaires au 31 mars 2015), n’a cessé de se dégrader depuis que M. X en a pris la direction en mars 2015 ; que depuis son arrivée les ventes ont baissé de 11,6 % et la marge a diminué de 13,2 %, soit le plus fort recul parmi les six magasins relevant de la même catégorie ; qu’un rappel à l’ordre a été adressé au salarié le 8 janvier 2016, dont il n’a pas pris la mesure, ne tenant aucun compte des directives de sa hiérarchie et n’entreprenant aucune démarche pour redresser la situation ; que le point d’orgue a été le constat fait le 12 octobre 2016 par M. Y, président du groupe, et M. Z, président d’Autobacs France, à l’occasion de leur visite en France, sur l’état général du magasin, très loin des standards d’Autobacs et des exigences élémentaires en matière d’animation, d’agencement de rayons ou de présentation des produits.


Comme le fait cependant justement observer M. X, aucune des pièces versées aux débats par la société Autobacs France au soutien de ce manquement n’a trait à cette visite du 12 octobre 2016 dont il conteste le compte-rendu faitepar cette dernière, indiquant que la critique portée par la direction japonaise n’a pas porté sur l’état d’approvisionnement ou de saleté du magasin mais sur l’absence de 'remodeling', laquelle n’a pu être mise en oeuvre, non pas du fait du salarié mais de celui de la direction de l’entreprise.


L’appelant produit ainsi une attestation de M. D E, directeur d’un magasin Autobacs entre avril 2013 et juin 2016, qui témoigne que lors des réunions de directeurs au siège social, son collègue a demandé à plusieurs reprises la réalisation du 'remodeling’ du magasin de Lognes, cette demande étant restée insatisfaite au motif que ce n’était pas la priorité alors que le magasin était à refaire intégralement.

M. X fait valoir qu’à son arrivée à la tête du magasin de Lognes, un plan d’actions, dont il communique une copie, a été établi, validé par sa hiérarchie et entrepris. Or, la synthèse fournie par l’employeur sur l’état d’avancement au 26 juin 2015 des actions visées par ce plan ne fait pas état d’une mauvaise tenue du magasin, aucun état plus récent n’étant par ailleurs versé aux débats.


L’état 'déplorable’ du magasin dont fait état l’employeur n’est étayé par aucune pièce utile, notamment les comptes-rendus des visites effectuées chaque mois par M. F A, directeur des opérations. En effet, si des photos de rayons vides de produits sont jointes à un courriel de reproches adressé par M. A à M. X le 21 novembre 2016, dans le prolongement d’une visite du magasin le samedi 18 novembre, le salarié rétorque sans être contredit que cette visite faisait suite à un inventaire du magasin effectué la veille et ayant nécessité la fermeture de la réserve pendant une semaine, ce qui explique que les rayons se sont vidés sans pouvoir être réapprovisionnés.


La cour observe que le seul tableau chiffré communiqué par la société Autobacs France pour démontrer que les résultats du magasin de Lognes ont chuté après l’arrivée de M. X, ne comporte aucune date et que la société ne produit aucun élément de comparaison avec les autres magasins.


Le manquement n’est pas démontré.


La société Autobacs France reproche également à M. X des carences managériales, soutenant qu’il n’a mis en oeuvre aucune des actions visées par le plan d’actions susmentionné pour améliorer son management. Elle énonce en particulier que le magasin de Lognes a été en sous-effectif depuis le 1er avril 2016 et que le salarié n’a pris aucune mesure pour faire face au manque de personnel, en anticipant les besoins de recrutement, que le nombre de jours d’absence de l’ensemble du personnel a considérablement augmenté entre 2015 et 2016, tout comme le nombre de démissions, ce qui est symptomatique des difficultés managériales évoquées, que pour autant, le salarié n’a jamais alerté la direction sur ses difficultés (sous-effectif, démobilisation des équipes y compris d’encadrement) ou sur la nécessité de recruter, que ce manque d’effectif a nécessairement impacté les résultats du magasin.

M. X fait valoir en réplique que le plan d’actions validé par sa hiérarchie prévoyait à la fois une réduction des effectifs, une réduction des références présentes en magasin et un nouveau modèle de magasin (le 'remodeling') avec des salariés plus polyvalents et plus mobilisés, que finalement le projet de 'remodeling’ a été sans cesse repoussé malgré ses demandes réitérées, l’obligeant à organiser au mieux le magasin avec moins de moyens humains, que le retard dans la mise en place du 'remodeling’ a été mal perçu par ses équipes, qu’en outre en janvier 2016, l’équipe de direction a clairement saboté son autorité en venant dans le magasin, pendant son absence, pour enquêter auprès des salariés sur sa manière de manager.


Il ajoute qu’il a, comme les autres directeurs de magasin, régulièrement informé la direction lors des réunions mensuelles sur la situation du magasin de Lognes et ses difficultés, notamment le fait que la réduction d’effectifs demandée aurait un impact négatif sur les résultats, que la situation de chaque magasin est suivie en temps réel au siège qui dispose des indicateurs sociaux et économiques, des bilans mensuels fournis par chaque directeur de magasin, des plannings, qui reçoit les arrêts de travail, les informations sur les postes non pourvus et qui reçoit les candidatures, réalise les embauches, que les seuls conseils de la direction ont été de l’exhorter à être plus proche de ses équipes. Il indique que des salariés sont partis parce qu’on leur proposait mieux ailleurs, ses demandes de revalorisation de salaire n’ayant pas été suivies d’effet, qu’il n’est pas responsable des absences imprévues, qu’il a rencontré des difficultés pour embaucher des salariés qualifiés, qu’il n’avait pas la possibilité de recruter directement, se bornant à faire passer des entretiens et à passer des annonces permanentes sur le site 'Le bon coin', que ses demandes de recrutement adressées à la direction n’ont pas donné lieu à réponse, qu’il a comblé les absences, en particulier celles des cadres, par sa plus grande présence sur le terrain.


L’appelant verse aux débats de nombreux courriels. Il en ressort qu’il relance la direction à de nombreuses reprises au sujet du 'remodeling', qu’il n’est pas tenu compte de son avis pour des augmentations de salaire ou des versement de prime, certains des salariés concernés quittant de ce fait l’entreprise, qu’il n’obtient pas de retour sur des demandes de recrutement.


Or, M. G H, ancien directeur régional de la société, confirme qu’en tant que directeur de magasin, M. X n’avait pas la possibilité de procéder à des embauches sans la validation de sa hiérarchie.

M. D E atteste en outre de la difficulté croissante de recruter, remontée à la direction lors des réunions mensuelles, avec la mise en avant que cette tâche était intégralement réalisée par chaque directeur de magasin sans aucune aide du service des ressources humaines.


Il n’est par ailleurs pas justifié par l’employeur, par des éléments objectifs, des carences managériales imputées au salarié, et ce tandis que ce dernier produit une attestation de M. I J, directeur général d’Autobacs France jusqu’en 2014, qui déclare que durant les quatre années de travail en commun, il a toujours été satisfait de ses services, que M. X s’est avéré être un excellent directeur aussi bien en management que dans la tenue des magasins, qu’ainsi il a été nommé 'Homme de l’année 2012', qu’il a effectué deux remodeling du magasin d’Herblay avec un réel succès.


La société Autobacs France n’apportant pas la preuve de l’insuffisance professionnelle alléguée, le licenciement est en conséquence dépourvu de cause réelle et sérieuse.


Au vu des pièces et des explications fournies, compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à l’appelant, de son âge, de son ancienneté depuis le 1er février 2010 et des conséquences de la rupture à son égard, la société Autobacs France sera condamnée à lui régler, par infirmation du jugement entrepris, la somme de 40 000 euros à titre indemnitaire.

Sur le remboursement des indemnités de chômage


En application de l’article L. 1235-4 du code du travail, il convient d’ordonner d’office le remboursement par la société Autobacs France aux organismes concernés, parties au litige par l’effet de la loi, des indemnités de chômage qu’ils ont versées à M. X à compter du jour de son licenciement, et ce à concurrence de trois mois.

Sur les dépens de l’instance et les frais irrépétibles


La société Autobacs France supportera les dépens en application des dispositions de l’article'696 du code de procédure civile.


Elle sera en outre condamnée à payer à M. X une indemnité sur le fondement de l’article'700 du code de procédure civile, que l’équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 4 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, INFIRME le jugement rendu le 4 avril 2019 par le conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise sauf en ce qu’il a dit nulle la convention annuelle de forfait jours ;


Statuant à nouveau et y ajoutant,

DIT le licenciement de M. B X dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la société Autobacs France à verser à M. B X la somme de 40 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la société Autobacs France à verser à M. B X la somme de 5 000 euros au titre de la nullité de la convention de forfait jours ;

ORDONNE le remboursement par la société Autobacs France à Pôle emploi des indemnités de chômage payées à la suite du licenciement de M. B X, dans la limite de trois mois et dit qu’une copie certifiée conforme du présent arrêt sera adressée par le greffe par lettre simple à la direction générale de Pôle emploi conformément aux dispositions de l’article R. 1235-2 du code du travail ;

CONDAMNE la société Autobacs France à verser à M. B X la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE la société Autobacs France de sa demande de ce chef ;

CONDAMNE la société Autobacs France aux dépens.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Isabelle Vendryes, présidente, et par Mme Élodie Bouchet-Bert, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
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Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 17 février 2022, n° 19/02202