Confirmation 21 juin 2022
Cassation 27 juin 2025
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Sur la décision
| Référence : | CA Versailles, 1re ch. 1re sect., 21 juin 2022, n° 21/00268 |
|---|---|
| Juridiction : | Cour d'appel de Versailles |
| Numéro(s) : | 21/00268 |
| Importance : | Inédit |
| Décision précédente : | Tribunal judiciaire de Chartres, 15 décembre 2020, N° 20/00337 |
| Dispositif : | Autre |
| Date de dernière mise à jour : | 6 août 2024 |
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Sur les parties
| Avocat(s) : | |
|---|---|
| Cabinet(s) : | |
| Parties : |
Texte intégral
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
1ère chambre 1ère section
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
Code nac : 63B
DU 21 JUIN 2022
N° RG 21/00268
N° Portalis DBV3-V-B7F-UIJW
AFFAIRE :
C/
[V], [L], [D] [T]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 Décembre 2020 par le Tribunal Judiciaire de CHARTRES
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 20/00337
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
— la SCP POISSON & CORBILLE LALOUE,
— la SCP COURTAIGNE AVOCATS
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT ET UN JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège
N° SIRET : 395 387 715
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Me Claire CORBILLE LALOUE de la SCP POISSON & CORBILLE LALOUE, avocat postulant – barreau de CHARTRES, vestiaire : 000019 – N° du dossier 2020/242
Me Manuel DAMBRIN de l’AARPI CARDINAL, avocat – barreau de PARIS, vestiaire : C1894
APPELANTE
****************
Maître [V], [L], [D] [T]
né le [Date naissance 3] 1958 à [Localité 6] (BELGIQUE)
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 1]
représenté par Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, avocat postulant – barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52 – N° du dossier 021466
Me Frédéric GUILLEMARD substituant Me Marie BOURREL de l’ASSOCIATION VALERY-BOURREL, avocat – barreau de CAEN, vestiaire : 023
INTIMÉ
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 07 Avril 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie LAUER, Conseiller chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anna MANES, Présidente,
Madame Nathalie LAUER, Conseiller,
Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,
FAITS ET PROCÉDURE
M. [P] a été embauché en tant qu’agent de fabrication au sein de la société à responsabilité limitée (S.A.R.L.) Unipatis Production, laquelle exerce une activité de production de chocolats, le 20 août 2007. M. [T], ès qualités, avocat au barreau de Caen, a été le conseil de celle-ci dans le cadre du licenciement de M. [P].
Par jugement du 20 juillet 2017, le conseil de prud’hommes de Caen a notamment condamné la société Unipatis Production à payer à M. [P] les sommes de 57 983,90 euros au titre de la clause de non concurrence et 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Par arrêt du 18 octobre 2018, la cour d’appel de Caen a infirmé ce jugement et fixé au passif du redressement judiciaire de la société Unipatis Production la créance à hauteur de 52 712,64 euros et de 5 271,26 euros.
Par acte du 7 février 2020, la société Unipatis Production a assigné M. [T] devant le tribunal judiciaire de Chartres
Par jugement contradictoire du 16 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Chartres a :
— rejeté la fin de non recevoir soulevée par M. [T],
— débouté la S.A.R.L. Unipatis Production de ses prétentions,
— dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,
— condamné la S.A.R.L. Unipatis Production aux dépens,
— rappelé que le présent jugement bénéficie de l’exécution provisoire de droit.
La S.A.R.L. Unipatis Production a interjeté appel de ce jugement le 14 janvier 2021 à l’encontre de M. [T].
Par dernières conclusions notifiées le 02 mars 2022, la S.A.R.L. Unipatis Production demande à la cour de :
Vu l’article 1147 du code civil dans sa version en vigueur au moment des faits,
Vu l’article 1.3 du règlement intérieur national de la profession d’avocat,
Vu le contrat de travail de M. [P],
Vu les pièces versées au débat,
— infirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions.
Puis statuant à nouveau, de :
— constater que M. [T] a manqué à son devoir de conseil en omettant d’attirer l’attention de la S.A.R.L. Unipatis Production sur la nécessité de prendre position sur la clause de non concurrence,
— constater que la S.A.R.L. Unipatis Production établit avoir subi un préjudice, directement lié au manquement de Me [T],
— condamner M. [T] au paiement de la somme de 59.783,90 euros au titre de la réparation du préjudice subi par la S.A.R.L. Unipatis Production et subsidiairement, au paiement de la somme de 24.160 euros au titre de la réparation du préjudice subie par la S.A.R.L. Unipatis Production,
— condamner M. [T] à rembourser à la S.A.R.L. Unipatis Production les cotisations sociales afférentes au paiement de l’indemnité de non concurrence,
— prononcer l’exécution provisoire de la décision à intervenir en application de l’article 515 du code de procédure civile,
— condamner M. [T] à payer à la S.A.R.L. Unipatis Production la somme de 4.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
— condamner M. [T] aux entiers dépens.
Par dernières conclusions notifiées le 16 mars 2022, M. [T] demande à la cour de :
— réformer le jugement du tribunal judiciaire de Chartes en ce qu’il a débouté Me [T] de sa fin de non recevoir tirée de la prescription de l’action.
Puis statuant à nouveau, de :
A titre principal,
— déclarer irrecevable l’action de la S.A.R.L. Unipatis Production à l’encontre de M. [T],
A titre subsidiaire,
— confirmer le jugement du tribunal Judiciaire de Chartres,
— débouter la S.A.R.L. Unipatis Production de l’intégralité de ses demandes.
À titre infiniment subsidiaire,
— dire que le préjudice de la S.A.R.L. Unipatis Production ne saurait excéder 1 208 euros.
En toute hypothèse,
— condamner la S.A.R.L. Unipatis Production à verser à M. [T] la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La clôture de l’instruction a été ordonnée le 17 mars 2022.
SUR CE, LA COUR,
Les limites de l’appel
Il résulte des écritures ci dessus visées que le débat en cause d’appel se présente dans les mêmes termes qu’en première instance, chacune des parties maintenant ses prétentions telles que soutenues devant les premiers juges.
La prescription de la demande
M. [T] poursuit l’infirmation du jugement déféré en ce qu’il a jugé la demande indemnitaire non prescrite. À l’appui, il fait valoir que le contrat de travail a été signé le 20 août 2007 de sorte que la société Unipatis avait donc connaissance dès 2007 d’une part de la clause de non-concurrence et d’autre part de la possibilité de se libérer de cette clause moyennant paiement. Il en déduit que la société Unipatis savait donc parfaitement au moment du licenciement de M. [P] le 30 décembre 2014 que la clause de non-concurrence trouvait à s’appliquer et qu’elle avait la possibilité de se libérer de cette clause de sorte que le délai de prescription a commencé à courir à cette date et expirait donc le 30 décembre 2019. Par ailleurs, il estime infondé le raisonnement de l’appelante sur ce point puisqu’elle a rédigé la clause dont elle avait donc parfaitement connaissance.
Il observe également que le contrat de travail stipulait que la levée de la clause de non-concurrence devait intervenir au plus tard à la date du départ effectif de l’intéressé de l’entreprise si bien que, à supposer que la société Unipatis disposait de ce délai, le point de départ de la prescription se trouvait reporté au 30 janvier 2015 et expirait donc le 30 janvier 2020. Il conclut que l’assignation ayant été délivrée le 7 février 2020, en toute hypothèse, la demande est prescrite.
La société Unipatis conclut à la confirmation du jugement sur ce point. Elle expose qu’en matière de clause de non-concurrence, au sens de l’article 2224 du code civil, la connaissance des faits permettant d’exercer l’action ne correspond pas à la date de notification du licenciement mais à la date à laquelle on peut raisonnablement considérer que l’employeur était informé des conséquences du maintien de cette clause, date qui remonte en l’espèce à sa convocation devant le conseil de prud’hommes qui lui a permis de prendre connaissance des conséquences du maintien de la clause de non-concurrence. Elle en infère qu’elle avait jusqu’au 18 juillet 2021 pour exercer son action qui n’est donc aucunement prescrite.
Appréciation de la cour
Selon l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
En l’espèce, c’est aux termes d’exacts motifs adoptés par la cour, que le jugement déféré a retenu que la demande n’était pas prescrite dès lors que la société Unipatis a eu connaissance, par sa convocation devant le conseil de prud’hommes, qu’elle pourrait faire l’objet d’une condamnation pour avoir omis de régler à son ancien salarié M. [P] une indemnité car elle ne l’avait pas déchargé de son obligation de non-concurrence. Le jugement déféré sera donc confirmé sur ce point.
La faute reprochée à M. [T]
La société Unipatis poursuit l’infirmation du jugement déféré en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes indemnitaires à l’encontre de M. [T].
À l’appui, elle fait valoir que, alors qu’elle avait confié à M. [T] la mise en 'uvre et le suivi de la procédure du licenciement de son salarié, M. [P], à aucun moment M. [T] n’a attiré son attention sur la clause de non-concurrence stipulée au contrat de travail ni sur les conséquences de cette clause et, plus particulièrement, sur l’obligation irrévocable qui serait la sienne d’avoir à payer la contrepartie financière de cette clause si elle ne libérait pas le salarié de son obligation de non-concurrence dans le délai d’un mois à compter de la rupture du contrat de travail. Ainsi, M. [P] n’a été libéré de cette clause ni à compter de sa lettre le demandant, ni dans le délai de 30 jours ayant suivi ce licenciement alors que, en grande difficulté financière, elle n’avait ni l’intention ni les moyens de maintenir cette clause et qu’elle s’est vue condamner de ce chef par le conseil de prud’hommes.
Elle reproche, par conséquent, à M. [T] un manquement à son devoir de conseil pour ne pas avoir attiré son attention sur les conséquences de la rupture du contrat de travail, en particulier lorsque celui-ci comporte une clause de non-concurrence alors que la charge de la preuve pèse sur l’avocat débiteur de cette obligation, lequel n’est au demeurant pas fondé à invoquer la supposée connaissance de son client de la faculté de lever cette clause. Elle reproche au jugement déféré d’avoir retenu qu’elle pouvait parfaitement comprendre cette clause pour l’avoir rédigée alors que l’avocat chargé de diligenter une procédure de licenciement a l’obligation d’informer son client de la faculté dont il dispose de lever cette clause, ses propres connaissances en la matière étant indifférentes à cet égard. Tout aussi indifférente est selon elle la circonstance que l’avocat n’ait pas lui-même été le rédacteur du contrat de travail ou de la clause. Elle souligne que cette clause n’étant pas présente dans tous les contrats de travail de la société, elle n’a pas été alertée par l’absence de mention relative à la levée de la clause dans la lettre de licenciement rédigée par M. [T].
En réplique aux observations adverses, elle fait valoir que M. [T] ne démontre pas l’avoir informée de la possibilité qu’elle avait de libérer M. [P] de sa clause de non-concurrence.
M. [T] conclut à la confirmation du jugement sur ce point. Il expose qu’avant le licenciement de M. [P], il avait bien échangé avec la gérante de la société Unipatis, bien qu’oralement, sur la question de la non-concurrence et avait informé celle-ci de la possibilité pour la société Unipatis de se libérer de cette clause. Il ajoute que la société Unipatis avait rédigé la clause de non-concurrence, ce qui, conformément à diverses jurisprudences de cour d’appel, signifie a contrario que le fait pour un avocat de n’intervenir que partiellement dans la procédure de licenciement, ce qui était le cas en l’espèce puisqu’il n’avait pas rédigé la clause, ne permet pas d’engager sa responsabilité. Il observe que dans l’arrêt de la cour d’appel de Versailles cité par la partie adverse, les faits étaient différents puisque l’employeur n’avait pas rédigé la clause de non-concurrence.
Appréciation de la cour
En application de l’article 1147 du code civil, dans sa version applicable aux faits de l’espèce, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.
L’avocat est tenu à une obligation particulière d’information et de conseil vis-à-vis de son client et de prouver qu’il a exécuté cette obligation.
En l’espèce, il est constant que M. [T] a été mandaté pour organiser le licenciement de M. [P], salarié de la société Unipatis.
Le contrat de travail de ce salarié stipule à son article 8 intitulé « non-concurrence » : " compte tenu de la spécificité des fonctions de M. [P] et afin de préserver les intérêts de la société Unipatis, M. [P] s’interdit, en cas de rupture du présent contrat de travail, pour quelque motif que ce soit, y compris pendant la période d’essai, d’exercer des activités similaires soit pour le compte d’une société concurrente soit pour son propre compte et de s’intéresser directement ou indirectement à toute fabrication, distribution, ou tout autre activité pouvant concurrencer l’activité ou les produits de la société.
Cette interdiction de concurrence est limitée à une durée de 24 mois à compter du jour du départ effectif de M. [P] sur toute la France, le Benelux, l’Allemagne et le Royaume-Uni.
En contrepartie de cette obligation de non-concurrence, M. [P] percevra, à compter de son départ de la société, et ce pendant toute la durée d’application de la clause, une indemnité égale à 24 mensualités égales chacune au salaire net moyen des 12 derniers mois précédant le départ du salarié.
Cette indemnité compensatrice ne sera pas due en cas de démission ou de licenciement pour faute grave.
Le non-respect de la clause par M. [P] libère la société de son obligation de lui verser une contrepartie financière.
En cas de violation de la clause, la société pourra obtenir des dommages et intérêts et faire ordonner sous astreinte la cessation de l’activité concurrentielle.
La société se réserve le droit de libérer M. [P] du respect de la clause. Dans ce cas, la société s’engage à notifier par écrit sa décision de renonciation à l’application de la présente dans un délai de 30 jours à compter de la rupture de son contrat de travail. La renonciation de la société au bénéfice de la clause la libère de son obligation de verser à M. [P] la contrepartie financière prévue. ".
M. [T], en tant que professionnel du droit auquel un employeur a recours pour l’organisation d’une mesure de licenciement, doit prendre connaissance du contrat de travail qu’il s’agit de rompre et attirer l’attention de l’employeur sur toutes les conséquences de la rupture du contrat de travail, peu important que cet employeur ait ou non rédigé la clause de non-concurrence litigieuse. D’ailleurs, M. [T] ne conteste pas réellement avoir été tenu de cette obligation puisqu’il affirme avoir attiré l’attention de la société Unipatis sur cette clause sans toutefois en justifier par aucun élément de preuve.
La question de l’opportunité de la levée ou de la non levée de la clause aurait dû être abordée par le conseil, l’employeur ayant à peser les avantages et inconvénients de l’une ou l’autre des solutions en termes de comparaison entre le risque réel de concurrence de la part du salarié et le coût de la contrepartie financière en cas de non levée de la clause de non-concurrence. Or, l’avocat ne justifie pas avoir abordé ce sujet.
Le manquement de M. [T] à son obligation de conseil et d’information est donc caractérisé de sorte que le jugement en ce qu’il écarte l’existence de ce manquement ne pourra être qu’infirmé.
Le préjudice et le lien de causalité
À l’appui de sa demande indemnitaire, la société Unipatis fait valoir qu’elle a été condamnée par le conseil de prud’hommes à payer l’indemnité prévue au contrat de travail suite au manquement de son avocat à son obligation de conseil. Elle affirme que le lien de causalité entre la faute et le préjudice est établi dans la mesure où les agissements reprochés à son salarié pouvaient être combattus sur le terrain délictuel de la concurrence déloyale de sorte qu’elle n’avait pas forcément intérêt à maintenir la clause de non-concurrence. Elle insiste sur le fait que le maintien de cette clause était d’autant plus hasardeux qu’elle connaissait des difficultés financières qui allaient d’ailleurs rapidement mener à l’ouverture d’une procédure collective et ne pouvait, dans ce contexte s’autoriser à payer deux ans de salaire à un salarié licencié. Elle considère que si M. [T] fait valoir qu’en tout état de cause, elle n’aurait pas libéré son salarié de son obligation de non-concurrence en raison du caractère stratégique du poste occupé, il s’agit de simples supputations et que rien ne permet d’affirmer que si elle avait été dûment informée, elle aurait maintenu cette clause. Elle soutient en outre que M. [T] n’a pas réagi au courrier du 27 janvier 2016 par lequel son salarié lui demandait de le libérer de sa clause de non-concurrence. Elle observe au demeurant que celui-ci est postérieur de plus d’un an au licenciement et n’avait été précédé d’aucune demande du salarié relative au versement de la contrepartie financière de la clause. Alors qu’elle ignorait la jurisprudence applicable, elle affirme n’avoir pas été en mesure d’apprécier la légitimité et le risque associé à cette demande tardive.
Aux termes de l’arrêt définitif de la cour d’appel de Caen du 18 octobre 2018, elle estime donc le préjudice constitué de l’obligation de s’acquitter des sommes précitées auxquelles se sont ajoutées les cotisations sociales patronales. Elle invoque une jurisprudence selon laquelle le préjudice est équivalent au montant de l’indemnité de non-concurrence ce qui, exclut selon elle, la notion de perte de chance en la matière. Elle en déduit que ce préjudice est équivalent aux sommes auxquelles elle a été condamnée.
Subsidiairement, dans l’hypothèse où la cour estimerait qu’elle avait la possibilité de lever la clause à partir de la réception du courrier de son salarié du 27 janvier 2016, elle revendique un préjudice pour la période antérieure, soit du 1er mars 2015, date de fin du préavis, au 27 janvier 2016.
M. [T] conclut subsidiairement à l’absence de lien de causalité entre la faute et le préjudice allégué. Il soutient que s’il avait informé par écrit la société Unipatis de sa possibilité de se libérer de la clause, celle-ci n’aurait pour autant pas utilisé cette possibilité compte tenu de l’importance stratégique du poste de M. [P], ce que confirme d’ailleurs la circonstance que d’autres contrats de travail de la société ne contenaient pas cette clause. Il ajoute que la société Unipatis n’a pas répondu à la demande de M. [P] d’être libéré de cette clause, ce qui montre, d’après lui, que le refus de l’employeur de libérer son salarié de la clause était manifeste.
En toute hypothèse, il fait valoir que le préjudice allégué par la société Unipatis, né du défaut d’information, ne saurait que s’analyser en une perte de chance qui se définit comme la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable. Des circonstances ci-dessus rappelées, il déduit qu’il y avait une éventualité très importante pour que la société Unipatis, si elle avait reçu toutes informations nécessaires, maintienne les effets de cette clause de non-concurrence. Il estime ainsi non démontrée la perte de chance qui serait selon lui, en toute hypothèse, purement symbolique.
Appréciation de la cour
Tenu à une obligation particulière d’information et de conseil, il incombait à l’avocat de rappeler à sa cliente la possibilité de faire l’économie de la contrepartie financière de cette clause lors de la procédure de licenciement ce qui pour la société Unipatis, en dépit de l’utilité de la clause de non-concurrence pour l’employeur pouvait être une option compte tenu de ses difficultés financières dont elle justifie. Il ne saurait en effet être préjugé de la décision de la société Unipatis si l’avocat avait rempli son obligation d’information et de conseil à l’égard de sa cliente.
Pour autant, le préjudice qui résulte de ce manquement se limite à la perte de chance de ne pas avoir eu la possibilité de faire un choix éclairé sur la levée ou non de la clause. Or, il est constant qu’une perte de chance ne se confond pas avec un préjudice consommé contrairement à ce que la société Unipatis prétend. Cette perte de chance doit ainsi être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée. L’arrêt de la cour d’appel de Lyon du 25 juin 2013 n° RG 12/05032 cité par l’appelante n’est pas transposable au présent litige puisque dans l’espèce soumise à cette cour, le dossier montrait que l’employeur avait entendu renoncer à l’application de la clause de non-concurrence si bien que, en quelque sorte, il était démontré dans cette espèce que la perte de chance de l’employeur était totale.
Or, dans la présente affaire, la société Unipatis exclut toute perte de chance et ne demande pas la réparation d’un tel préjudice de sorte que sa demande au titre de la réparation du préjudice constitué selon elle par l’obligation de s’acquitter de toutes les sommes mises à sa charge par l’arrêt définitif de la cour d’appel de Caen du 18 octobre 2018 outre cotisations sociales patronales ne peut qu’être rejetée.
Le jugement déféré ne peut donc qu’être confirmé en ce qu’il a débouté la société Unipatis de ses prétentions indemnitaires.
Les demandes accessoires
Compte tenu du sens du présent arrêt, le jugement déféré sera confirmé sur les dépens et sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile.
Il n’y a pas lieu à application des dites dispositions en cause d’appel.
Compte tenu du sens du présent arrêt, chaque partie conservera la charge de ses dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,
DIT que M. [T] a manqué à son obligation particulière d’information et de conseil à l’égard de la société Unipatis,
CONFIRME le jugement rendu le 16 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Chartres,
DÉBOUTE chaque partie de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Unipatis aux dépens d’appel.
— prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
— signé par Madame Nathalie LAUER, conseiller pour le président empêché et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Conseiller,
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