CAA de BORDEAUX, 4ème chambre - formation à 3, 4 mai 2017, 16BX02819, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :


Procédure contentieuse antérieure :

M. C… a demandé au tribunal administratif de Toulouse d’annuler l’arrêté du 25 novembre 2015 par lequel le ministre de l’intérieur l’a astreint à résider jusqu’au 12 décembre 2015 sur le territoire de la commune de Montauban, mesure assortie de l’obligation de se présenter trois fois par jour, à 9 heures, 14 heures et 19 heures à l’hôtel de police de Montauban, tous les jours de la semaine y compris les jours fériés ou chômés et de demeurer tous les jours, entre 20 heures et 6 heures, dans les locaux où il réside … , avec interdiction de se déplacer en dehors du lieu d’assignation à résidence sans avoir obtenu préalablement l’autorisation écrite établie par le préfet du Tarn-et-Garonne.


Par un jugement n°1600349 du 17 juin 2016, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté cette demande.


Procédure devant la cour :


Par une requête, enregistrée le 12 août 2016 sous le n° 16BX02819, M. C…, représenté par Me B…, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 17 juin 2016 ;

2°) d’annuler l’arrêté du ministre de l’intérieur du 25 novembre 2015 ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.


Il soutient que :

- la décision attaquée est entachée d’un défaut de motivation ; les motifs adoptés dans le procès-verbal sont stéréotypés et ne font aucune référence à sa situation particulière ;

- la décision attaquée rend impossible la poursuite de son activité professionnelle qui lui impose de se déplacer à l’extérieur de la commune de Montauban au risque de perdre son emploi et de se voir privé des ressources lui permettant d’assumer les charges de la vie courante ; l’assignation à résidence entrave de manière draconienne sa liberté d’aller et venir ;

- la mesure contestée est manifestement illégale en ce qu’elle ne répond à aucune nécessité réelle ; il appartient à l’autorité de fonder sa décision sur des raisons sérieuses et non sur de vagues présomptions tenant exclusivement à l’existence d’une condamnation pénale au demeurant définitivement exécutée et sans aucun rapport avec les faits ayant justifié la prolongation de l’état d’urgence ; la décision attaquée relève donc d’une appréciation incomplète et inexacte de sa situation personnelle.


Par un mémoire en défense, enregistré le 10 février 2017, le ministre de l’intérieur conclut au rejet de la requête.


Il soutient que les moyens soulevés par M. C… ne sont pas fondés.


Par ordonnance du 2 septembre 2016, la clôture d’instruction a été fixée en dernier lieu au 13 février 2017 à 12h00.

M. C… a été admis au bénéfice de l’aide juridictionnelle totale par une décision du 26 juillet 2016.


Vu les autres pièces du dossier.


Vu :

- la loi n°55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence ;

- la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions ;

- le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ;

- le décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015 portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ;

- le décret n° 2015-1478 du 14 novembre 2015 modifiant le décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015 portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-527 QPC du 22 décembre 2015 ;

- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.


Ont été entendus au cours de l’audience publique :

- le rapport de Mme Marianne Pouget,

- les conclusions de Mme Frédérique Munoz-Pauziès, rapporteur public,


Considérant ce qui suit :

1. M. C… relève appel du jugement du 17 juin 2016 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté du 25 novembre 2015 par lequel le ministre de l’intérieur l’a astreint à résider jusqu’au 12 décembre 2015 sur le territoire de la commune de Montauban, avec l’obligation de se présenter trois fois par jour, à 9 heures, 14 heures et 19 heures, à l’hôtel de police de Montauban, tous les jours de la semaine y compris les jours fériés ou chômés et de demeurer tous les jours, entre 20 heures et 6 heures dans les locaux où il réside et lui a fait interdiction de se déplacer en dehors de son lieu d’assignation à résidence sans avoir obtenu préalablement une autorisation écrite du préfet du Tarn et Garonne.

2. Aux termes de l’article 1er de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence : « L’état d’urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain, des départements d’outre-mer, des collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution et en Nouvelle-Calédonie, soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». Aux termes de l’article 2 de la même loi : « L’état d’urgence est déclaré par décret en Conseil des ministres. Ce décret détermine la ou les circonscriptions territoriales à l’intérieur desquelles il entre en vigueur. Dans la limite de ces circonscriptions, les zones où l’état d’urgence recevra application seront fixées par décret. La prorogation de l’état d’urgence au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi. ».

3. Après les attentats commis à Paris le 13 novembre 2015, l’état d’urgence a été déclaré sur le territoire métropolitain, y compris en Corse, par le décret délibéré en conseil des ministres n° 2015-1475 du 14 novembre 2015. Le décret n° 2015-1476 du même jour a décidé que les mesures d’assignation à résidence prévues à l’article 6 de la loi du 3 avril 1955 pouvaient être mises en oeuvre sur l’ensemble des communes d’Ile-de-France. Ce périmètre a été étendu, à compter du 15 novembre à zéro heure, à l’ensemble du territoire métropolitain par le décret n° 2015-1478 du 14 novembre 2015. L’état d’urgence a, en outre, été déclaré à compter du 19 novembre 2015, sur le territoire des collectivités de Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique, de la Réunion, de Mayotte, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, par le décret délibéré en conseil des ministres n° 2015-1493 du 18 novembre 2015.

4. La loi du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions a prorogé, pour une durée de trois mois à compter du 26 novembre 2015, l’état d’urgence déclaré par les décrets délibérés en conseil des ministres des 14 et 18 novembre 2015. La loi du 20 novembre 2015 a modifié certaines des dispositions de la loi du 3 avril 1955, en particulier celles de l’article 6 de cette loi. Les modifications résultant de cette loi sont applicables aux mesures prises après son entrée en vigueur, qui est intervenue, en vertu des dispositions particulières de son décret de promulgation, immédiatement à compter de sa publication le 21 novembre 2015.

5. Aux termes de l’article 6 de la loi du 3 avril 1955, dans sa rédaction résultant de la loi du 20 novembre 2015 : " Le ministre de l’intérieur peut prononcer l’assignation à résidence, dans le lieu qu’il fixe, de toute personne résidant dans la zone fixée par le décret mentionné à l’article 2 et à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics dans les circonscriptions territoriales mentionnées au même article 2. Le ministre de l’intérieur peut la faire conduire sur le lieu de l’assignation à résidence par les services de police ou les unités de gendarmerie. / La personne mentionnée au premier alinéa du présent article peut également être astreinte à demeurer dans le lieu d’habitation déterminé par le ministre de l’intérieur, pendant la plage horaire qu’il fixe, dans la limite de douze heures par vingt-quatre heures. / L’assignation à résidence doit permettre à ceux qui en sont l’objet de résider dans une agglomération ou à proximité immédiate d’une agglomération. / En aucun cas, l’assignation à résidence ne pourra avoir pour effet la création de camps où seraient détenues les personnes mentionnées au premier alinéa. / L’autorité administrative devra prendre toutes dispositions pour assurer la subsistance des personnes astreintes à résidence ainsi que celle de leur famille. / Le ministre de l’intérieur peut prescrire à la personne assignée à résidence : / 1° L’obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, selon une fréquence qu’il détermine dans la limite de trois présentations par jour, en précisant si cette obligation s’applique y compris les dimanches et jours fériés ou chômés ; / 2° La remise à ces services de son passeport ou de tout document justificatif de son identité. Il lui est délivré en échange un récépissé, valant justification de son identité en application de l’article 1er de la loi n° 2012-410 du 27 mars 2012 relative à la protection de l’identité, sur lequel sont mentionnées la date de retenue et les modalités de restitution du document retenu. / La personne astreinte à résider dans le lieu qui lui est fixé en application du premier alinéa du présent article peut se voir interdire par le ministre de l’intérieur de se trouver en relation, directement ou indirectement, avec certaines personnes, nommément désignées, dont il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics. Cette interdiction est levée dès qu’elle n’est plus nécessaire (…) ".

6. En premier lieu, aux termes de l’article 1er de la loi n°79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public, dans sa rédaction applicable à la date de l’arrêté attaqué : « Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : restreignent l’exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (…) ». Aux termes de l’article 3 de la même loi : « La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision » ;

7. L’arrêté attaqué vise l’article 6 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 modifiée, la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 et les décrets n° 2015-1475, n° 2015-1476 et n° 2015-1478 du 14 novembre 2015. Il indique notamment que M. C… envisage de rejoindre la région parisienne pendant la conférence des Nations Unies sur les changements climatiques, qu’il appartient à un groupe d’individus relevant de la mouvance contestataire violente ayant commis des troubles à l’ordre et à la sécurité publics, qu’il a été condamné pour des faits de violences volontaires et qu’il y a donc lieu de penser que sa présence en région parisienne vise à participer à des actions revendicatives susceptibles de troubler gravement l’ordre public. Ainsi l’arrêté attaqué comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de l’insuffisance de motivation doit être écarté.

8. En deuxième lieu, il résulte des termes des dispositions précitées de l’article 6 de la loi du 3 avril 1955, que le ministre de l’intérieur, tant que l’état d’urgence demeure en vigueur, peut décider, sous l’entier contrôle du juge de l’excès de pouvoir, l’assignation à résidence de toute personne résidant dans la zone couverte par l’état d’urgence, dès lors que des raisons sérieuses donnent à penser que le comportement de cette personne constitue, compte tenu du péril imminent ou de la calamité publique ayant conduit à la déclaration de l’état d’urgence, une menace pour la sécurité et l’ordre publics.

9. M. C… soutient que le ministre a procédé à une appréciation incomplète et inexacte de sa situation. Il ressort toutefois des pièces du dossier, notamment des « notes de renseignement » versées au dossier par le ministre de l’intérieur dans le cadre du débat contradictoire, que M. C… appartient à un groupe d’individus de la mouvance contestataire violente, qu’il est proche d’un syndicat d’obédience anarchiste, qu’il a participé le 1er novembre 2014 à Toulouse à une manifestation non déclarée « en hommage à Rémi Fraisse » marquée par de nombreuses dégradations sur le mobilier urbain et les commerces et des jets de projectiles sur les forces de l’ordre et qu’il a été interpellé dans le cadre de cette manifestation et condamné par le tribunal correctionnel à quatre mois d’emprisonnement ferme pour violences volontaires à l’occasion d’une manifestation, participation à une manifestation avec arme, dissimulation du visage sans motif légitime et outrage. Si le requérant soutient que ces éléments sont sans rapport avec les faits qui ont motivé la prolongation de l’état d’urgence, les dispositions précitées de l’article 6 de la loi du 3 avril 1955, de par leur lettre même, n’établissent pas de lien entre la nature du péril imminent ou de la calamité publique ayant conduit à ce que soit déclaré l’état d’urgence et la nature de la menace pour la sécurité et l’ordre publics susceptible de justifier une mesure d’assignation à résidence. Il ressort également des pièces du dossier que les forces de l’ordre sont demeurées particulièrement mobilisées pour lutter contre la menace terroriste et parer au péril imminent ayant conduit à la déclaration de l’état d’urgence, ainsi que pour assurer la sécurité et le bon déroulement de la conférence des Nations Unies se tenant à Paris et au Bourget jusqu’à la fin de celle-ci. Par suite, M. C… n’est pas fondé à soutenir qu’en prononçant son assignation à résidence jusqu’au 12 décembre 2015, date de la fin de la conférence des Nations-Unies sur les changements climatiques, au motif qu’il existait de sérieuses raisons de penser que son comportement constituait une menace pour la sécurité et l’ordre publics et en en fixant les modalités d’exécution, le ministre se serait fondé sur des faits matériellement inexacts et aurait entaché sa décision d’une erreur d’appréciation.

10. En troisième et dernier lieu, que, ainsi que l’énonce le point 12 de la décision du Conseil constitutionnel du 22 décembre 2015 susvisée, tant la mesure d’assignation à résidence que sa durée, ses conditions d’application et les obligations complémentaires dont elle peut être assortie doivent être justifiées et proportionnées aux raisons ayant motivé la mesure dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l’état d’urgence. Le juge administratif est chargé de s’assurer que cette mesure est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu’elle poursuit.

11. Si la mesure contestée a pour effet de contraindre M. C… jusqu’au 12 décembre 2015 à se rendre trois fois par jour au commissariat de Montauban et à rester sur le territoire de cette commune en demeurant à.son domicile entre 20 heures et 6 heures, l’intéressé n’établit pas l’incompatibilité de cette obligation avec la poursuite d’un emploi en se bornant à produire des fiches de salaire pour une activité d’agent d’entretien pour des durées n’excédant pas 56 heures par mois et dont le lieu d’exercice n’est d’ailleurs pas précisé Au demeurant, cette mesure ne faisait pas obstacle à ce que M. C… demande au préfet de Tarn-et-Garonne de l’autoriser à se déplacer en dehors du territoire de la commune notamment en vue de l’exercice effectif de son activité professionnelle. La mesure apparaît ainsi adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu’elle poursuit.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. C… n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que par, le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande. Sa requête, ainsi que par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées.


DECIDE

Article 1er : La requête de M. C… est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A… C… et au ministre de l’intérieur. Copie en sera adressée au préfet du Tarn-et-Garonne.

Délibéré après l’audience du 23 mars 2017 à laquelle siégeaient :
M. Philippe Pouzoulet, président,
Mme. Marianne Pouget, président-assesseur,
Mme Florence Madelaigue, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 4 mai 2017.


Le rapporteur,

Marianne PougetLe président,

Philippe PouzouletLe greffier,

Florence Deligey La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent arrêt.

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N° 16BX02819


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