CAA de BORDEAUX, 9 mai 2017, 16BX01611,16BX01615, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

M. A… B… a demandé au tribunal administratif de Bordeaux :

— d’annuler la décision en date du 3 décembre 2013 par laquelle le secrétaire général de la direction générale de l’aviation civile a rejeté sa demande de maintien en activité au-delà de

57 ans ;

 – d’annuler l’arrêté du ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie en date du 28 janvier 2014 prononçant sa mise à la retraite pour limite d’âge à compter du 14 juin 2014 ;

 – d’enjoindre à l’Etat de le maintenir en activité au-delà de son

57e anniversaire, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter du jugement.

Par deux jugements n° 1400126 et 1400536 du 22 mars 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté toutes ses demandes.

Procédure devant la cour :

I) Par une requête enregistrée le 12 mai 2016 sous le n° 16BX01611, M. B…, représenté par la SELAFA Cabinet Cassel, demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1400126 du 22 mars 2016 et la décision du 3 décembre 2013 portant refus de prolongation de son d’activité au-delà de 57 ans ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat le versement d’une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. B… soutient que :

 – l’article 3 de la loi n° 89-1007 du 31 décembre 1989 qui interdit tout report de la limite d’âge au-delà de 57 ans est contraire à l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux et à la directive n°2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail. Cette restriction n’est pas proportionnée à l’objectif recherché concernant les ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne (ICNA) ;

 – la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a également interprété la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 dans le sens de son argumentation dans un arrêt du 13 septembre 2011 rendu à propos de l’interdiction de principe pour les pilotes de ligne allemands de continuer leur activité au delà de l’âge de 60 ans ;

 – à supposer que la sécurité aérienne soit un objectif légitime, à apprécier au regard d’un contrôle de proportionnalité, la sécurité est assurée par la visite médicale réglementaire et le renouvellement régulier de l’autorisation d’exercer les fonctions de contrôle aérien. L’Etat ne démontre pas que les aptitudes physiques et cognitives seraient atteintes à l’âge de 57 ans dans des proportions incompatibles avec la sécurité aérienne. La décision de l’Assemblée du contentieux du Conseil d’Etat du 4 avril 2014, dont les motifs ont été repris par le tribunal administratif de Bordeaux, est critiquable. D’une part, le moyen de cassation retenu repose sur une erreur de fait, car les ingénieurs exerçant des tâches administratives ne possèdent plus de « mention d’unité » valide leur permettant d’intervenir en salle de contrôle et ne sauraient donc, contrairement à ce qu’a retenu le Conseil d’Etat, être amenés à tout moment à reprendre des fonctions opérationnelles. D’autre part, les tests médicaux auxquels sont soumis les ICNA, qui sont particulièrement poussés et fondés sur des normes ayant été définies au niveau européen, tiennent compte des effets du vieillissement et sont adaptés, contrairement à ce qu’a indiqué la décision, à l’évaluation de leurs facultés et de la charge mentale qui y est associée. Les pilotes de ligne et les techniciens supérieurs des études et de l’exploitation de l’aviation civile, qui exercent des fonctions de contrôle aérien dans des aéroports régionaux, ne sont pas soumis à une limite d’âge aussi basse. L’âge de départ à la retraite des autres pays européens est supérieur à celui prévu en France. Aucun pays n’impose une limite d’âge aux fonctions d’encadrement, et la directive 2006/23 ne prévoit une telle possibilité que pour le seul exercice d’une « mention d’unité ». Les possibilités de reclassement dans le corps des ingénieurs des études et de l’exploitation de l’aviation civile, dont il a été tenu compte, ne sont pas réalistes ;

 – le Conseil d’Etat était tenu, en vertu de l’article 267 du Traité, de poser à la CJUE la question préjudicielle qui lui était présentée, et ne pouvait se fonder sur une décision rendue par la CJUE sur la limite d’âge pour entrer dans un corps de pompiers volontaires, alors qu’il en existait une autre (C-447-09 du 13 septembre 2011) beaucoup plus proche du litige car rendue sur la limite d’âge des pilotes de ligne ;

II) Par une requête enregistrée le même jour sous le n° 16BX01615, M. B…, représenté par la SELAFA Cabinet Cassel, demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1400536 du 22 mars 2016 et la décision du 28 janvier 2014 prononçant sa mise à la retraite par limite d’âge à compter du 14 juin 2014 ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat le versement d’une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. B… reprend dans des termes identiques l’ensemble des moyens soulevés dans la requête n° 16BX01611.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

 – la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

 – le Traité instituant la Communauté européenne ;

 – le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

 – la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, notamment son article 21 ;

 – la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, notamment ses articles 1, 2, 4 et 6 ;

 – le règlement (CE) n° 551/2004 du 10 mars 2004 du Parlement et du Conseil ;

 – la directive 2006/23/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2006 ;

 – le règlement (CE) n° 1108/2009 du Parlement européen et du conseil du 21 octobre 2009 ;

 – le règlement (UE) n° 805/2011 de la Commission du 10 août 2011 ;

 – la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

 – la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

 – la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984 ;

 – la loi n° 89-1007 du 31 décembre 1989 ;

 – la loi n° 95-116 du 4 février 1995, notamment son article 91 ;

 – la loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001, notamment son article 11 ;

 – la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;

 – la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 ;

 – la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010, notamment ses articles 38 et 118 II ;

 – le décret n° 71-917 du 8 novembre 1971 ;

 – le décret n° 90-998 du 8 novembre 1990 ;

 – le décret n° 2009-1744 du 30 décembre 2009 ;

 – le décret n° 2011-2103 du 30 décembre 2011 ;

 – l’arrêté ministériel du 16 mai 2008 relatif aux conditions médicales particulières exigées pour l’exercice de fonctions de contrôle dans le cadre de la licence communautaire de contrôleur de la circulation aérienne ;

 – l’arrêté ministériel du 16 mai 2008 relatif aux critères et conditions de délivrance des attestations d’aptitude médicale de classe 3 nécessaires pour assurer les services du contrôle de la circulation aérienne et à l’organisation des services de médecine aéronautique ;

 – le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes enregistrées sous les n°s 16BX01611 et 16BX01615 concernent la situation d’un même agent et présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre afin de statuer par une seule ordonnance.

2. Aux termes du dernier alinéa de l’article R. 222-1 du code de justice administrative : « Les présidents des cours administratives d’appel, les premiers vice-présidents des cours et les présidents des formations de jugement des cours peuvent, en outre, par ordonnance, rejeter (…), après l’expiration du délai de recours ou, lorsqu’un mémoire complémentaire a été annoncé, après la production de ce mémoire les requêtes d’appel manifestement dépourvues de fondement (…) ». Ces dispositions sont applicables, en vertu de l’article 35 du décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016, à compter du 1er janvier 2017, y compris pour les requêtes enregistrées avant cette date.

3. M. B… reprend tout d’abord son moyen de première instance tiré de ce que l’article 3 de la loi n° 89-1007 modifiée du 31 décembre 1989 relative au corps des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne dans sa rédaction applicable au litige qui interdit tout report de la limite d’âge au-delà de 57 ans pour les contrôleurs aériens est contraire à la directive

n° 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, dans la mesure où cette disposition est discriminatoire en raison de l’âge et alors que la cour de justice de l’Union européenne rappelle que le principe de non-discrimination doit être considéré comme un principe général du droit de l’Union, concrétisé par cette directive et que cette restriction n’est pas proportionnée à l’objectif recherché concernant les ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne (ICNA).

4. Il présente par ailleurs en appel de nouveaux arguments au soutien de ce moyen en énonçant notamment que cette restriction n’est pas proportionnée à l’objectif de sécurité publique recherché concernant les ICNA dès lors que la visite médicale réglementaire annuelle et le renouvellement régulier de l’autorisation d’exercer les fonctions de contrôleur aérien suffisent à s’assurer de la capacité physique et psychologique des intéressés, alors que les normes médicales sont complètes et tiennent compte des effets du vieillissement, sont appliquées après 57 ans dans les mêmes conditions dans le cadre du contrôle médical des pilotes de lignes et des techniciens supérieurs des études et de l’exploitation de l’aviation de l’aviation civile qui exercent des fonctions comparables sans pour autant être astreints à une limite d’âge. Il se prévaut également de l’arrêt du 13 septembre 2011 par lequel la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a admis le principe d’une discrimination en raison de l’âge à propos de l’interdiction de principe pour les pilotes de ligne allemands de continuer leur activité au delà de l’âge de 60 ans et souligne enfin que des mesures complémentaires à ces normes en matière de contrôle des facultés cognitives ou d’organisation du travail ont été mises en oeuvre pour prendre en compte les éventuels effets de l’âge sur l’exercice par les ICNA des missions de sécurité aérienne.

5. Enfin, M. B… conteste la décision de l’Assemblée du contentieux du Conseil d’Etat rendue le 4 avril 2014, dont les motifs ont été repris en substance par le tribunal et qu’il estime « totalement erronée », en indiquant notamment que l’âge de départ à la retraite des autres pays européens est supérieur à celui prévu en France, qu’aucun autre pays n’impose une limite d’âge aux fonctions d’encadrement, que les possibilités de reclassement dans le corps des ingénieurs des études et de l’exploitation de l’aviation civile opposées par le Conseil d’Etat ne sont pas réalistes voire quasi nulles, que l’administration ne peut se soustraire aux obligations relevant du droit communautaire et européen en imposant des conditions alternatives telles que changer de corps ou de métier, ni imposer à ses fonctionnaires de changer de corps pour contourner une règle de droit. Il soutient enfin que la haute assemblée était tenue de poser à la CJUE la question préjudicielle qui lui était présentée, et ne pouvait, sans motiver plus avant sa décision, estimer que la question posée ne portait pas sur l’interprétation ou la validité du droit de l’Union européenne mais sur la conformité d’une disposition du droit national au droit de l’Union européenne, alors que la question préjudicielle reprenait celle posée par les autorités allemandes s’agissant de la limite d’âge des pilotes de ligne, question très proche du présent litige sur laquelle la cour s’est prononcée dans son arrêt C-447/09 du 13 septembre 2011.

6. M. B…, qui ne peut utilement critiquer devant la présente cour les motifs par lesquels le Conseil d’Etat s’est prononcé sur des questions identiques à la demande d’autres contrôleurs de la navigation aérienne et a estimé ne pas être tenu de poser une question préjudicielle à la CJUE, n’apporte aucun élément de fait ou de droit nouveau de nature à infirmer la position des premiers juges qui ont estimé qu’au regard de l’objectif d’intérêt général qui s’attache à la sécurité aérienne, la différence de traitement en litige relative à l’âge de départ à la retraite des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne poursuit un but légitime et que cette limite d’âge dérogatoire pour l’ensemble des membres du corps des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne est compatible avec les exigences posées par la directive du 27 novembre 2000 et proportionnée compte tenu de la nécessité, au regard de la nature de leur travail sur écran et des cycles de travail irréguliers de jour comme de nuit qui sont les leurs, d’une vigilance permanente exigée par les situations d’urgence auxquelles ils sont susceptibles d’être confrontés, impliquant des facultés d’attention, de concentration et de récupération susceptibles d’être affectées par l’âge, dès lors que celui-ci peut amoindrir l’endurance, la vigilance et les performances au travail du contrôleur de la navigation aérienne. Ils ont également relevé que si la limite d’âge imposée aux pilotes de ligne ainsi qu’aux techniciens supérieurs des études et de l’exploitation de l’aviation civile est supérieure à celle retenue pour les ingénieurs de contrôle de la navigation aérienne, il est constant qu’ils n’exercent pas des fonctions similaires, que si les possibilités de reclassement offertes dans le corps des ingénieurs des études et de l’exploitation de l’aviation civile sont limitées, celles-ci doivent néanmoins être prises en considération dès lors qu’elles permettent aux ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne de poursuivre, sur leur demande et après examen professionnel, une activité au-delà de la limite d’âge qui leur est applicable. Par suite, c’est à bon droit que les premiers juges, par les motifs pertinemment retenus et qu’il convient d’adopter, ont écarté ces moyens.

7. Il résulte de ce qui précède que les requêtes d’appel sont manifestement dépourvues de fondement et doivent être rejetées, sans qu’il soit besoin de saisir la Cour de justice de 1'Union européenne d’une question préjudicielle, selon la procédure prévue par les dispositions précitées du dernier alinéa de l’article R. 222-1 du code de justice administrative. Les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu’être rejetées par voie de conséquence.


ORDONNE:


Article 1er : Les requêtes de M. B… sont rejetées.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A… B… et à la ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat.

Fait à Bordeaux, le 9 mai 2017


Catherine GIRAULT

La République mande et ordonne à la ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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No 16BX01611 – 16BX01615

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