CAA de BORDEAUX, 3ème chambre - formation à 3, 17 juillet 2017, 15BX02301, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Bordeaux, 3e ch. - formation à 3, 17 juill. 2017, n° 15BX02301
Juridiction : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Numéro : 15BX02301
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Contentieux fiscal
Décision précédente : Tribunal administratif de Toulouse, 9 mars 2015
Identifiant Légifrance : CETATEXT000035245380

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme C… D… ont demandé au tribunal administratif de Toulouse de prononcer la décharge des suppléments d’impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquels ils ont été assujettis au titre de l’année 2007 ainsi que des pénalités y afférentes.

Par un jugement du 10 mars 2015 n° 1104239, le tribunal administratif de Toulouse a fait droit à cette demande.

Procédure devant la cour :

Par un recours enregistré le 3 juillet 2015, le ministre des finances et des comptes publics (direction spécialisée de contrôle fiscale Sud-ouest) demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement du 10 mars 2015 du tribunal administratif de Toulouse ;

2°) de rétablir M. et Mme D… aux impositions, contributions et pénalités en cause.

Il soutient que :

 – l’autonomie de la loi fiscale imposait au tribunal d’analyser les éléments factuels de l’affaire et non de s’en tenir au dispositif retenu par le tribunal de grande instance de Toulouse ;

 – le tribunal de grande instance n’a pas annulé la cession litigieuse mais a considéré uniquement qu’elle correspondait à un transfert de pouvoir au sein de la société dont les actions avaient été cédées ;

 – s’agissant de l’application de l’article 150-0 A-I-3 du code général des impôts, les rectifications sont justifiées du fait de la théorie de l’apparence puisque les parties elles-mêmes ont procédé à l’enregistrement d’une déclaration de droits sociaux, ce qui impliquait pour le service d’en tirer les conséquences fiscales correspondantes ;

 – le régime légal de mariage applicable aux époux D… est celui de la séparation de biens, ce qui impliquait la possibilité pour l’un des époux de céder ses actions à l’autre ; la cession à titre onéreux de droit de vote est illicite ;

 – s’agissant de l’abus de droit, l’apport-cession de titres caractérise bien l’appréhension des sommes, quand bien même M. D… n’est pas dirigeant de droit de la société E-Square, dès lors qu’il en est co-associé à hauteur de 50 %, que cette société, qui est une holding financière sans moyen dont le siège est une boîte aux lettres et qui se borne à des prises de participations marginales dans des sociétés opérationnelles, n’exerce aucune activité économique et a réinvesti toutes les liquidités issues de l’apport-cession de titres dans des opérations patrimoniales ; l’apport des titres valgo à la société E-Square suivi de leur cession 19 jours plus tard à une société ACP située dans un paradis fiscal est contraire à l’esprit du texte instaurant le sursis d’imposition ; l’opération a donc été réalisée dans un but exclusivement fiscal ; – subsidiairement il y a lieu de compenser la décharge prononcée par une rectification de l’imposition de la plus-value d’apport en retenant un prix d’acquisition de 100 euros par titre et non de 2 150 euros ;

 – la cession intervenue entre les époux est parfaitement régulière et n’est entachée d’aucune nullité de droit public ;

 – la modification de l’objet social de la société E-Square ne signifie pas que matériellement l’activité ait été exercée ;

 – la SCI Immobilière Médicale Amazonienne a été transformée en société civile de construction vente le 20 janvier 2008 et la valeur de la prise de participation est inférieure à 50 % ;

 – aucun élément de la situation de la société Valgo ne justifiait une renonciation pure et simple au remboursement des créances sur cette société ;

 – toutes les prestations de services étaient de fait assurées par Valgo ; la société E-Square n’a pu assurer de prestations auprès des sociétés du groupe ;

 – l’investissement de E-Square dans des titres d’autres sociétés apparaît marginal ; au 31 décembre 2008, soit plus d’un an après la cession des titres, la somme de 7 347 450 euros perçue à l’occasion de la cession des titres Valgo à ACP n’a été que très partiellement réinvestie par la société E-Square ;

 – les avances de trésorerie, remboursables et génératrices d’intérêt, constituent un investissement patrimonial ;

 – la plus-value a été calculée conformément aux dispositions des articles 150-0 D-1 et 150-0 A du code général des impôts ; les titres sont individualisés et avaient tous été acquis à leur valeur nominale.

Par un mémoire en défense enregistré le 29 octobre 2015, M. et Mme D… concluent au rejet du recours du ministre des finances et des comptes publics, demandent que le jugement attaqué soit réformé en ce qu’il doit être fait droit à leur moyen tiré de l’application de l’article L. 76 B du livre des procédures fiscales, et sollicitent que soit mis à la charge de l’Etat les frais non compris dans les dépens qu’ils ont exposés pour l’instance.

Ils font valoir que :

 – il résulte des termes de la proposition de rectification du 4 juin 2010 que l’administration détenait des informations précises et a utilisé des documents qui n’ont pas été puisés dans les seules déclarations souscrites auprès de ses différents services ou accessibles au public mais ont été recueillies auprès de tiers ou par le biais d’enquêtes ; ainsi l’administration n’a pas respecté l’obligation qui lui incombait en vertu de l’article L. 76 B du livre des procédures fiscales de préciser la teneur et l’origine des informations sur lesquelles elle s’est fondée ; or, il ne peut être affirmé que tous ces éléments d’information proviendraient des sociétés E-Square et Valgo ; en tout état de cause ces sociétés sont des personnes morales distinctes du contribuable et par ailleurs, en sa qualité de simple associé et dès lors qu’il n’est pas établi qu’il aurait eu la qualité de dirigeant de fait de la société, il n’apparaît pas qu’il aurait eu accès à toutes ces informations ; la procédure suivie est donc irrégulière ;

 – le jugement du tribunal de grande instance est revêtu de l’autorité de la chose jugée et s’impose au juge administratif dès lors qu’il y a identité de parties, de cause et d’objet ; la question du régime matrimonial des époux relevant de la compétence exclusive du juge judiciaire, la qualification juridique par le juge civil s’impose en la matière au juge administratif ; selon cette décision de justice définitive, ils sont mariés sous le régime de la communauté ; l’administration a d’ailleurs été appelée en la cause devant le tribunal de grande instance et n’a pas cru devoir relever appel du jugement ;

 – par suite, ils étaient soumis aux dispositions de l’article 1401 du code civil ; les parts de la société Valgo acquises en 2005 constituent donc des biens communs et la cession de ces titres, qui relève de la communauté matrimoniale, n’a pu opérer aucun transfert de valeur entre leurs patrimoines mais est restée ancrée dans la communauté ; la cession n’a pu avoir pour effet que de transférer des droits de vote ; il n’y a donc pas eu de plus-value taxable ;

 – la direction de droit de la société E-Square était assurée par M. B… et l’administration n’apporte pas la preuve que M. D… assurait une gestion de fait et qu’il aurait ainsi appréhendé au moins la moitié des liquidités ; les décisions de justice que cite à cet égard l’administration ne sont pas transposables ;

 – il n’a pas été évoqué une nullité d’ordre public de la cession ;

 – lorsque des époux de nationalité française contractent mariage à l’étranger les dispositions de la convention de la Haye du 14 mars 1978 trouvent à s’appliquer ; ainsi, le régime matrimonial des époux n’est déterminé par la loi de l’Etat sur le territoire duquel ils établissent leur résidence habituelle que lorsqu’ils n’ont pas désigné la loi applicable ni établi de contrat de mariage ; ils se sont installés en France et y ont fixé leur résidence habituelle en 2003, donc depuis plusieurs années à la date de la cession litigieuse ; l’acte de mariage indique qu’ils ont entendus se placer sous le régime de la communauté légale applicable en France ;

 – la société E-Square a repris une activité dès le 15 décembre 2006 ; la SCI Immobilière Médicale Amazonienne a pour objet la construction et la vente de bien immobiliers ;

 – l’administration n’apporte pas la preuve qui lui incombe que la société E-Square n’aurait pas renoncé à percevoir les sommes avancées à la société Valgo ni que les avances n’auraient pas servi à des financements de travaux ou d’acquisition d’éléments d’actif par leurs bénéficiaires ; la circonstance que le chiffre d’affaires de E-Square ait progressé n’est pas un facteur primordial ; dès lors que l’administration admet qu’une partie des sommes a été réinvestie, le but exclusivement fiscal n’est pas établi et l’article L. 64 du livre des procédures fiscales ne pouvait s’appliquer.

Par une ordonnance en date du 19 juillet 2016, la clôture de l’instruction a été fixée au 27 septembre 2016 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 – le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

 – le code de commerce ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de M. Laurent Pouget,

 – les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public,

 – et les observations de Me A…, représentant M. et Mme E….

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme D… ont fait l’objet d’un contrôle sur pièces de leur dossier fiscal à l’issue duquel l’administration a remis en cause, d’une part, l’exonération fiscale du produit d’un transfert, entre les époux, de titres de la société Valgo et, d’autre part, le sursis d’imposition de la plus-value réalisée lors de la cession ultérieure de titres de cette même société apportés par M. D… à la société E-Square, dont il détient la moitié des droits. Il en est résulté des suppléments d’impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre de l’année 2007 pour un montant total de 881 534 euros en droits et pénalités, dont les contribuables ont en vain réclamé le dégrèvement à l’administration. Le ministre des finances et des comptes publics a relevé appel du jugement 10 mars 2015 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a accordé à M. et Mme D… la décharge de l’intégralité des impositions et pénalités contestées.

Sur le bien-fondé des impositions en litige :

2. Aux termes du 3 du I de l’article 150-0 A du code général des impôts, dans sa rédaction applicable : « Lorsque les droits détenus directement ou indirectement par le cédant avec son conjoint, leurs ascendants et leurs descendants ainsi que leurs frères et soeurs dans les bénéfices sociaux d’une société soumise à l’impôt sur les sociétés et ayant son siège en France ont dépassé ensemble 25 % de ces bénéfices à un moment quelconque au cours des cinq dernières années, la plus-value réalisée lors de la cession de ces droits, pendant la durée de la société, à l’une des personnes mentionnées au présent alinéa, est exonérée si tout ou partie de ces droits sociaux n’est pas revendu à un tiers dans un délai de cinq ans. A défaut, la plus-value est imposée au nom du premier cédant au titre de l’année de la revente des droits au tiers. ». Et aux termes de l’article 150-0 B du même code : « Les dispositions de l’article 150-0 A ne sont pas applicables, au titre de l’année de l’échange des titres, aux plus-values réalisées dans le cadre d’une opération d’offre publique, de fusion, de scission, d’absorption d’un fonds commun de placement par une société d’investissement à capital variable, de conversion, de division, ou de regroupement, réalisée conformément à la réglementation en vigueur ou d’un apport de titres à une société soumise à l’impôt sur les sociétés. Ces dispositions s’appliquent aux opérations d’échange ou d’apport de titres mentionnées au premier alinéa réalisées en France, dans un autre Etat membre de la Communauté européenne ou dans un Etat ou territoire ayant conclu avec la France une convention fiscale contenant une clause d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, ainsi qu’aux opérations, autres que les opérations d’apport de titres à une société soumise à l’impôt sur les sociétés, pour lesquelles le dépositaire des titres échangés est établi en France, dans un autre Etat membre de la Communauté européenne ou dans un Etat ou territoire ayant conclu avec la France une convention fiscale contenant une clause d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales (…) ».

3. Aux termes d’un accord en date du 19 juillet 2007, enregistré auprès de l’administration fiscale le 3 août suivant, Mme D… a cédé à son époux 971 titres de la société Valgo, évalués à la somme de 2 087 650 euros. M. D… a par la suite, le 14 septembre 2007, fait apport des droits qu’il possédait dans la société Valgo, soit 4 311 titres, à la société E-Square laquelle, dès le 3 octobre suivant, en a cédé 2 291, dont les 971 titres susmentionnés, à la société ACP Special Situation n° 1 Limited, sise dans les Iles Vierges britanniques. L’administration a tout d’abord tiré de cette chaîne rapide d’évènements que la condition de détention des titres par l’acquéreur pendant cinq ans, prescrite par les dispositions précitées de l’article 150-0 A du code général des impôts, n’était pas remplie et que la plus-value de cession des titres réalisée par Mme D… ne pouvait donc bénéficier de l’exonération prévue par ce dispositif. Puis, mettant en oeuvre la procédure de l’abus de droit, elle a également remis en cause le sursis d’imposition de la plus-value de cession des titres Valgo à la société E-Square dont avait bénéficié M. D… en application de l’article 150-0 B également précité du code, au motif que la cession ultérieure de ces mêmes titres à la société ACP Special Situation n° 1 Limited révélait que leur apport intermédiaire à la société E-Square n’avait eu d’autre but que de faire entrer dans le champ du sursis d’imposition une opération qui, réalisée directement entre le contribuable et un acquéreur implanté dans un Etat n’ayant pas conclu avec la France une convention fiscale, ne pouvait légalement bénéficier du report d’imposition.

En ce qui concerne la portée de l’acte du 19 juillet 2007 :

4. Il résulte de l’instruction que M. et Mme D… ont saisi le juge civil aux fins de faire déclarer nul l’acte du 19 juillet 2007. Par un jugement définitif du 12 mars 2013, auquel l’administration fiscale était partie, le tribunal de grande instance de Toulouse a constaté que les époux D… étaient mariés sous le régime de la communauté légale, que les titres objet de l’acte en cause avaient été acquis dans le cadre de cette communauté et qu’ils devaient donc être regardés comme possédés en copropriété par les époux. Le tribunal en a conclu que ces titres étaient insusceptibles de cession à titre onéreux entre M. et Mme D… et que l’acte du 19 juillet 2007 ne pouvait valoir que transfert de droits de vote au sein de la société Valgo. Ce jugement du tribunal de grande instance de Toulouse est, comme l’a estimé le tribunal administratif et contrairement à ce que soutient le ministre, doté de l’autorité absolue de chose jugée tant en ce qui concerne le régime matrimonial de M. et Mme D… qu’en ce qui concerne leurs droits de propriété respectifs sur les titres de la société Valgo avant et après l’acte du 19 juillet 2007, ces questions relevant de la compétence exclusive du juge judiciaire. Ainsi, et sans qu’y fasse obstacle le principe d’autonomie du droit fiscal et la théorie de l’apparence dont se prévaut le ministre dès lors, d’une part, que l’acte du 19 juillet 2007 n’a pu avoir pour effet de modifier les conditions de détention des titres Valgo par l’un et l’autre des époux et que, d’autre part, ceux-ci ont expressément déclaré dans un acte authentique du 10 juillet 1998 soumis à publicité foncière être mariés sous le régime de la communauté, Mme D… ne peut être regardée comme ayant effectivement perçu un prix de cession de ses droits dont il serait résulté une plus-value relevant des dispositions précitées du 3 du I de l’article 150-0 A du code général des impôts.

En ce qui concerne la cession des titres Valgo par M. D… :

5. Au termes de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales : « Afin d’en restituer le véritable caractère, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. / En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l’avis du comité de l’abus de droit fiscal. L’administration peut également soumettre le litige à l’avis du comité. / Si l’administration ne s’est pas conformée à l’avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification ». Lorsque l’administration use des pouvoirs qu’elle tient de ce texte dans des conditions telles que celles de l’espèce, où, en l’absence de saisine du comité consultatif pour la répression des abus de droit, la charge de la preuve lui incombe, elle doit, pour pouvoir écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, établir que ces actes ont un caractère fictif ou, à défaut, qu’ils n’ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, s’il n’avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles.

6. Lorsque l’administration entend remettre en cause les conséquences fiscales d’une opération qui s’est traduite par un sursis d’imposition au motif que les actes passés par le contribuable ne lui sont pas opposables, elle est fondée à se prévaloir des dispositions de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales. En effet, une telle opération, dont l’intérêt fiscal est de ne pas soumettre à l’impôt, au titre de l’année de l’échange des titres, la plus-value réalisée, entre dans le champ d’application de cet article. Si le régime de sursis d’imposition n’offre pas au contribuable le choix entre la taxation immédiate de la plus-value et son imposition ultérieure, contrairement au régime du report d’imposition auquel il s’est substitué, cette seule circonstance ne fait pas obstacle à l’application de la procédure de répression des abus de droit, dès lors que l’opération d’apport de titres à une société soumise à l’impôt sur les sociétés, dont l’intérêt fiscal est de différer l’imposition de la plus-value, a nécessairement pour effet de minorer l’assiette de l’année au titre de laquelle l’impôt est normalement dû à raison de la situation et des activités réelles du contribuable.

7. En particulier, le bénéfice du sursis d’imposition d’une plus-value réalisée par un contribuable lors de l’apport de titres à une société qu’il contrôle et qui a été suivi de leur cession par cette société est constitutif d’un abus de droit s’il s’agit d’un montage ayant pour seule finalité de permettre au contribuable, en interposant une société, de disposer effectivement des liquidités obtenues lors de la cession de ces titres tout en restant détenteur des titres de la société reçus en échange lors de l’apport. Il n’a, en revanche, pas ce caractère s’il ressort de l’ensemble de l’opération que cette société a, conformément à son objet, effectivement réinvesti le produit de ces cessions dans une activité économique.

8. Il résulte de l’instruction qu’à la date du 14 septembre 2007 M. D… et son co-associé dans la SAS E-Square, ont procédé à une augmentation du capital de la société par apport des 8 622 titres de la société Valgo qu’ils possédaient l’un et l’autre, d’une valeur totale de 18 537 000 euros. Le capital de la société E-Square a ainsi été porté à 7 053 040 euros et les associés ont reçu chacun, en contrepartie, 79 865 actions de la société E-Square d’une valeur nominale de 40 euros. Puis la société E-Square a cédé le 3 octobre 2007 à la société ACP Special Situation n° 1 Limited, pour le prix de 7 347 450 euros, 2 409 titres de la société Valgo parmi lesquels figuraient, ainsi qu’il a été dit, 2 291 des titres apportés quelques jours plus tôt par M. D…. Le ministre relève qu’il est ainsi résulté pour ce dernier de l’apport de titres Valgo à la SAS E-Square une plus-value de 2 705 900 euros, qui a été indûment placée sous le régime du report d’imposition dès lors que ce bénéfice procède d’un montage ayant eu pour seule finalité de permettre au contribuable de disposer des liquidités obtenues lors de la cession de ces titres de la société Valgo tout en restant détenteur des titres de la société E-Square reçus en échange lors de l’apport, et sans que cette dernière société n’ait réinvesti le produit de cette cession dans une activité économique effective.

9. En premier lieu, il est constant qu’à la date de la cession litigieuse, M. D… détenait, tout comme son co-associé, 50 % des droits de la SAS E-Square. Comme il a été dit, les deux associés ont fait apport en même temps, le 14 septembre 2007, à cette société des titres de la société Valgo que chacun d’eux détenait. Compte tenu de leur situation de co-associés à parts égales, et eu égard aux statuts de la société E-Square en vigueur à la date des faits, qui supposent un accord des deux associés sur tous les actes de gestion essentiels tels que notamment les cessions d’actions et les modifications du capital social, ils doivent être regardés comme ayant nécessairement décidé conjointement la cession dès le 3 octobre 2007 des titres de la société Valgo à une société établie dans les Iles Vierges britanniques puis du réemploi et de la gestion du produit de cette cession. Dans ces conditions, et contrairement à ce qu’a estimé le tribunal administratif, ce produit a pu être appréhendé par M. D…, alors même que son associé était le dirigeant de droit de la société E-Square.

10. En deuxième lieu, le ministre relève qu’alors que le produit de la cession des actions de la société Valgo à la société ACP Special Situation n° 1 s’est élevé au montant de 7 347 750 euros, la SAS E-Square n’a procédé qu’à un réinvestissement très partiel de cette somme dans des opérations économiques, au cours des exercices clos en 2007 et 2008. Il résulte de l’instruction que les investissements revendiqués par la société au cours de ces exercices ont consisté en des acquisitions de titres de placement, en des prises de participation dans des sociétés tierces, ou encore en des abandons en compte-courant ou des avances de trésorerie consenties à des filiales. Si les requérants font valoir que les soutiens financiers apportés par la société E-Square à ses filiales doivent être regardés comme une participation à une activité économique, ils ne démontrent toutefois pas, alors que de tels soutiens consentis par une société holding à ses filiales présentent en principe un caractère patrimonial, que le produit de ces aides aurait été employé par les sociétés bénéficiaires à une activité économique. L’administration doit donc être regardée comme apportant la preuve que lesdites aides ont eu le caractère d’opérations purement patrimoniales, sans que M. et Mme D… puissent utilement invoquer à cet égard, sur le fondement de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales, la définition des activités économiques données par les points 14 et 15 de l’instruction A-1-06 figurant au BOI n° 2 du 10 janvier 2006, qui traitent de l’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée des produits financiers reçus par les entreprises. Si les contribuables invoquent les dépenses engagées par la société E-Square pour son propre développement, notamment la location de locaux pour l’établissement de son siège social en décembre 2007 et l’ouverture en mai 2008 d’un établissement secondaire à Paris, ces dépenses afférentes aux moyens d’exploitation de cette société holding ne sauraient, par elles-mêmes, révéler l’affectation des fonds y afférents à une activité économique. Enfin, s’il est exact que la société E-Square a effectué, à compter du 3 octobre 2007, des achats de titres de placement et des prises de participation au capital de sociétés tierces pour un montant total de 3 903 660 euros, il est constant qu’elle disposait à cette date d’une trésorerie nette de 5 505 095 euros qui lui permettait de procéder à ces investissements sans avoir à mobiliser le produit de la cession des titres de la société Valgo par M. D…, de sorte que ces achats ne peuvent être regardés comme un réemploi de ce produit. Pour l’essentiel, les investissements de la SAS E-Square ont d’ailleurs consisté en des rachats de titres de la société Valgo, dont il n’est pas contesté que la valeur représentait 88,69 % de la valeur totale de ses actifs au 31 décembre 2008. Enfin, contrairement à ce que suggèrent les requérants, il ne résulte pas de l’instruction que la modification des statuts de la société E-Square opérée le 29 décembre 2007 se serait accompagnée, dès 2008, d’une activité économique effective financée de manière significative par l’opération de cession du 3 octobre 2007. Dans ces conditions, il n’apparaît pas que cette société ait effectivement réinvesti le produit de la cession du 3 octobre 2007 dans une activité économique.

11. Eu égard à ce qui a été dit aux points 9 et 10, l’administration doit être regardée comme apportant la preuve que l’opération litigieuse présentait les caractéristiques d’un montage constitutif d’un abus de droit. Il en résulte que c’est à tort que, pour accorder à M. et Mme D… la décharge des suppléments d’impôt procédant de la remise en cause du sursis d’imposition de la plus-value de cession des titres Valgo à la société E-Square dont avait bénéficié M. D… en application de l’article 150-0 B du code général des impôts, le tribunal administratif s’est fondé sur ce que l’administration n’apportait pas la preuve que le bénéfice de ce sursis procédait d’un abus de droit.

12. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par M. et Mme D… devant le tribunal administratif à l’encontre de ces suppléments d’imposition.

13. En premier lieu, les requérants contestent l’imposition de la plus-value exclusivement entre les mains de M. D… en faisant valoir que les actions non numérotées cédées en octobre 2007 à la société Valgo ne peuvent être regardées comme ayant été détenues en propre par ce dernier à concurrence de 2 291 d’entre elles, dès lors que les dispositions des articles L. 228-1 et R. 228-1 et suivants du code de commerce consacrent le caractère fongible des actions des sociétés par actions simplifiées. Toutefois, et quand bien même les dispositions du code de commerce ne prévoient pas une individualisation des titres des sociétés en actions simplifiées, il n’est pas contesté qu’en l’occurrence, en vertu de l’article 10 des statuts, les actions de la société Valgo détenues par M. D… étaient nominatives et inscrites dans des comptes individualisés. Le service a pu dès lors, à bon droit, se fonder sur ces données pour établir le montant de la plus-value imposable entre les mains du requérant.

14. En deuxième lieu, comme l’a jugé le tribunal, les circonstances, d’une part, que l’administration n’a pas donné suite aux demandes d’entretien oral présentées par M. et Mme D… postérieurement à la réception de la proposition de rectification en date du 4 juin 2010 et, d’autre part, que la vérificatrice n’a pas engagé de dialogue oral avec M. D… lors de la procédure de contrôle distincte menée en matière de taxe sur la valeur ajoutée auprès de la société Valgo SA, sont sans influence sur la régularité de la procédure d’imposition.

15. En troisième lieu, aux termes de l’article L. 76 B du livre des procédures fiscales : « L’administration est tenue d’informer le contribuable de la teneur et de l’origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s’est fondée pour établir l’imposition faisant l’objet de la proposition prévue au premier alinéa de l’article L. 57 ou de la notification prévue à l’article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ». En application de ces dispositions, il incombe à l’administration, quelle que soit la procédure d’imposition mise en oeuvre, et au plus tard avant la mise en recouvrement, d’informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d’arrêter d’office les bases d’imposition, de l’origine et de la teneur des renseignements obtenus auprès de tiers, qu’elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour permettre à l’intéressé, notamment, de discuter utilement leur provenance ou de demander que les documents qui, le cas échéant, contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent. Dans ce dernier cas, la demande du contribuable peut porter sur tout document utilisé par l’administration pour établir les impositions et notamment sur ceux dont elle s’est prévalue au cours de la procédure de rectification.

16. M. et Mme D… relèvent qu’alors que l’administration a notamment fondé les redressements litigieux sur les historiques des sociétés E-Square et Valgo, sur les conditions effectives d’exploitation de ces sociétés et sur leurs relations capitalistiques et commerciales, elle ne les a pas informés de l’origine de ces renseignements. Cependant, l’obligation d’information posée par les dispositions de l’article L. 76 B du livre des procédures fiscales ne s’étend pas aux documents déposés au greffe du tribunal de commerce, tels que ceux établissant l’historique d’une société. Le ministre fait valoir par ailleurs, sans être contredit par les requérants, que compte tenu de sa position dans les sociétés E-Square et Valgo, M. D… ne pouvait ignorer les contrôles sur place dont ont fait l’objet ces deux sociétés, qui sont à l’origine notamment des constats de l’administration relatifs aux moyens humains et matériels dont disposait la société E-Square ou encore aux conditions d’acquisition de prestations de holding auprès de la société Valgo. Dans ces conditions, en n’indiquant pas au contribuable l’origine des renseignements recueillis à cet égard, l’administration n’a pas privé celui-ci, en l’espèce, de la possibilité de discuter utilement le redressement litigieux et, par suite, ce défaut d’information n’est pas constitutif d’une irrégularité substantielle de nature à vicier la procédure d’imposition.

17. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre des finances et des comptes publics est seulement fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a fait droit à la demande de M. et Mme D… tendant à la décharge des impositions en litige en ce que celles-ci procèdent de la remise en cause du sursis d’imposition de la plus-value de cession des titres Valgo à la société E-Square dont avait bénéficié M. D… en application de l’article 150-0 B du code général des impôts.

Sur les conclusions d’appel incident présentées par M. et Mme D…:

18. Les conclusions de M. et Mme D… tendant à ce que la cour réforme le jugement attaqué en ce que, en son point 7, il a écarté le moyen soulevé devant le tribunal tenant à la méconnaissance par l’administration des dispositions de l’article L. 76 B du livre des procédures fiscales, qui ne sont pas dirigées contre le dispositif de ce jugement mais contre ses motifs, sont irrecevables et doivent être rejetées.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

19. Il n’y a pas lieu dans les circonstances de l’espèce de faire droit aux conclusions de M. et Mme E…, au demeurant non chiffrées, présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 10 mars 2015 est annulé en tant qu’il a accordé à M. et Mme D… la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis à raison de la remise en cause du sursis d’imposition de la plus-value de cession réalisée par M. D…, et la demande présentée par M. et Mme D… devant le tribunal est rejetée dans cette mesure.

Article 2 : Les cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles M. et Mme D… ont été assujettis à raison de la remise en cause du sursis d’imposition de la plus-value de cession réalisée par M. D… sont remises à leur charge.

Article 3 : Le surplus des conclusions du ministre des finances et des comptes publics est rejeté.

Article 4 : Les conclusions d’appel incident présentées par M. et Mme D… et leurs conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l’action et des comptes publics et à M. et Mme C… D….

Délibéré après l’audience du 20 juin 2017 à laquelle siégeaient :
M. Aymard de Malafosse, président,
M. Laurent Pouget, président-assesseur,
Mme Sylvie Cherrier, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 17 juillet 2017.


Le rapporteur,

Laurent POUGET

Le président,

Aymard de MALAFOSSE Le greffier,

Virginie MARTY

La République mande et ordonne au ministre de l’action et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent arrêt.

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N° 15BX02301

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CAA de BORDEAUX, 3ème chambre - formation à 3, 17 juillet 2017, 15BX02301, Inédit au recueil Lebon