CAA de BORDEAUX, 2ème chambre - formation à 3, 20 mars 2018, 16BX00518, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Bordeaux, 2e ch. - formation à 3, 20 mars 2018, n° 16BX00518
Juridiction : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Numéro : 16BX00518
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Tribunal administratif de Limoges, 2 décembre 2015, N° 1300855 et n° 1402143
Identifiant Légifrance : CETATEXT000036743868

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G… B…, veuveD…, et Mme E… F… ont, en leur qualité d’ayants droit de MichelD…, demandé au tribunal administratif de Limoges d’annuler la décision du 1er octobre 2014 par laquelle le ministre de la défense a rejeté leur demande d’indemnisation présentée au titre de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, de condamner l’État à réparer les préjudices subis par leur époux et père et d’enjoindre au ministre de la défense de saisir le comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires pour qu’il procède à l’évaluation desdits préjudices.

Par un jugement n° 1300855 et n° 1402143 du 3 décembre 2015, le tribunal administratif de Limoges a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 3 février 2016 et 19 juillet 2017,
Mme G… B…, veuveD…, et Mme E… F…, représentées par

la Selarl Teissonnière Topaloff Lafforgue Andreu, demandent à la cour dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 3 décembre 2015 ;

2°) d’annuler la décision du ministre de la défense du 1er octobre 2014 ;

3°) de condamner l’État à leur verser une indemnité d’un montant global

de 391 486 euros, subsidiairement d’enjoindre au comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) de réexaminer leur demande et de procéder à l’évaluation des préjudices de toute nature imputables aux maladies radio-induites dont était atteint leur défunt mari et père, dans le délai de trois mois à compter de la notification de l’arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, l’indemnité due devant être majorée des intérêts au taux légal à compter de la première demande d’indemnisation avec capitalisation des intérêts échus à compter de cette date ;

4°) de mettre à la charge de l’État le versement d’une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

 – les conditions de lieux, de temps et de pathologie posées par la loi du 5 janvier 2010 modifiée pour bénéficier de la présomption d’imputabilité de la maladie sont remplies ;

 – le ministre ne peut établir que la pathologie de leur défunt mari et père résulte exclusivement d’une cause étrangère alors qu’il a été nécessairement soumis à un risque de contamination par inhalation et ingestion de poussières de gaz radioactifs ;

 – le frais d’assistance par tierce personne doivent être évalués à la somme

de 99 486 euros, le préjudice fonctionnel temporaire à la somme de 57 000 euros, les souffrances endurées à la somme de 70 000 euros, la souffrance moral et le préjudice spécifique de contamination à la somme globale de 90 000 euros, le préjudice d’agrément à la somme de 40 000 euros, le préjudice esthétique temporaire à la somme de 20 000 euros et le préjudice sexuel à la somme de 15 000 euros.

Par des mémoires, enregistrés les 19 juillet 2017 et 20 septembre 2017, le ministre de la défense conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 18 août 2017, le CIVEN conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

 – la requête est irrecevable ;

 – les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées, le 21 septembre 2017, en application des dispositions de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, que l’arrêt était susceptible d’être fondé sur un moyen relevé d’office, tiré de l’application de l’article 113 de la loi n° 2017-256 du

28 février 2017.

Par une lettre enregistrée le 28 septembre 2017, le CIVEN a répondu au moyen d’ordre public.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 – la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;

 – la loi n° 2017-256 du 28 février 2017, et notamment son article 113 ;

 – le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 ;

 – le code de justice administrative ;

 – l’avis du Conseil d’État n° 409777 du 28 juin 2017.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de M. A…,

 – et les conclusions de M. Katz, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. MichelD…, né le 14 novembre 1948, appelé du contingent au sein

du 4e régiment de génie, a été affecté au 5e régiment mixte du Pacifique au centre d’expérimentations du Pacifique à Papeete. Il était ainsi présent à Tahiti du 21 novembre 1968 au 20 septembre 1969. Un cancer du poumon lui a été diagnostiqué en 2008, dont il décèdera

le 3 août 2014. Sa demande d’indemnisation, rejetée initialement par une décision du ministre de la défense du 19 décembre 2013, a été réexaminée par le comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen) le 20 mai 2014 en raison de l’intervention de l’article 53 de la

loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 modifiant l’article 2 de la loi du 5 janvier 2010 et élargissant les conditions de recevabilité des demandes d’indemnisation des victimes des essais nucléaires. Mme G… C…, veuveD…, et Mme E… F…, agissant en leur qualité d’ayants droit de leur époux et père relèvent appel du jugement du 3 décembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté leur demande tendant à l’annulation de la décision du 1er octobre 2014 par laquelle le ministre de la défense a de nouveau rejeté la demande d’indemnisation initialement présentée par MichelD….

Sur la fin de non-recevoir opposée par le CIVEN :

2. Si le CIVEN oppose une fin de non-recevoir à la requête, il ne développe aucun argument au soutien de ses allégations. Par suite, la fin de non-recevoir doit être rejetée.

Sur les conclusions aux fins d’annulation du jugement :

3. Aux termes de l’article 1er de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français : « Toute personne souffrant d’une maladie radio-induite résultant d’une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d’État conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi./Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit ». Aux termes de l’article 2 de cette même loi : " La personne souffrant d’une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné :/ 1° Soit entre le 13 février 1960 et le 31 décembre 1967 au Centre saharien des expérimentations militaires, ou entre le 7 novembre 1961 et le 31 décembre 1967 au Centre d’expérimentations militaires des oasis ou dans les zones périphériques à ces centres ;/ 2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 en Polynésie française./ (…) « . L’article 4 de cette même loi, dans sa rédaction issue du I de l’article 113 de la loi du 28 février 2017, applicable aux instances en cours au lendemain de la publication de cette loi, comme en l’espèce, dispose que : »I. Les demandes d’indemnisation sont soumises au comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (…). V. Ce comité examine si les conditions de l’indemnisation sont réunies. Lorsqu’elles le sont, l’intéressé bénéficie d’une présomption de causalité. (…) « . Enfin, aux termes du II de l’article 113 de la loi du 28 février 2017 : » Lorsqu’une demande d’indemnisation fondée sur les dispositions du I de l’article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français a fait l’objet d’une décision de rejet par le ministre de la défense ou par le comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires avant l’entrée en vigueur de la présente loi, le comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires réexamine la demande s’il estime que l’entrée en vigueur de la présente loi est susceptible de justifier l’abrogation de la précédente décision.

Il en informe l’intéressé ou ses ayants droit s’il est décédé qui confirment leur réclamation et, le cas échéant, l’actualisent. Dans les mêmes conditions, le demandeur ou ses ayants droit s’il est décédé peuvent également présenter une nouvelle demande d’indemnisation, dans un délai de douze mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi. ".

4. Il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu que, dès lors qu’un demandeur satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par l’article 2 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée, il bénéficie de la présomption de causalité entre l’exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie. Cette présomption ne peut être renversée que si l’administration établit que la pathologie de l’intéressé résulte exclusivement d’une cause étrangère à l’exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires, en particulier parce qu’il n’a subi aucune exposition à de tels rayonnements.

5. Il résulte de l’instruction que Michel D… a séjourné dans des lieux et pendant une période définis par l’article 2 de la loi du 5 janvier 2010. La pathologie dont il a souffert figure sur la liste annexée au décret du 15 septembre 2014. Il bénéficie donc d’une présomption de causalité entre l’exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et la survenue de sa maladie.

6. Le ministre fait valoir qu’aucun essai nucléaire atmosphérique n’a eu lieu pendant la période au cours de laquelle Michel D… a été affecté en Polynésie française et que la radioactivité due aux essais nucléaires réalisés les 7 juillet, 3 et 24 août et 8 septembre 1968, soit pour le dernier d’entre eux deux mois et demi avant son arrivée, décroît rapidement de sorte que la dosimétrie d’ambiance pour le 5e régiment mixte du Pacifique a présenté des résultats normaux tant à Tahiti pour la période allant d’octobre 1967 à décembre 1968 qu’à Hao pour la période allant de juin 1968 à janvier 1969. Le ministre ajoute que Michel D… n’étant pas au nombre des personnels exposés, il n’a pas fait l’objet d’une dosimétrie individuelle tant externe qu’interne. Ces éléments ne peuvent cependant suffire à établir que Michel D… n’aurait subi au cours de son séjour aucune exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires alors que le chef du service historique de la défense atteste que le 5e régiment mixte du Pacifique a effectivement stationné à Mururoa, Hao et Fangataufa du 22 novembre 1968 au 19 septembre 1969, et qu’ainsi sa pathologie résulterait exclusivement d’une cause étrangère à celle-ci, alors même que le diagnostic en a été posé près de quarante ans après ce séjour.

7. Il résulte de ce qui précède que Mme B… veuve D… et Mme E… F… sont fondées à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué

du 3 décembre 2015, le tribunal administratif de Limoges a rejeté leur demande tendant à l’annulation de la décision du ministre de la défense du 1er octobre 2014.

Sur les conclusions aux fins d’injonction et d’astreinte :

8. Il résulte des dispositions de la loi du 28 février 2017 citées au point 2 que lorsque le juge statue sur une décision antérieure à leur entrée en vigueur, il se borne, s’il juge qu’elle est illégale, à l’annuler et à renvoyer au CIVEN le soin de réexaminer la demande.

9. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 7 que le présent arrêt implique nécessairement que le CIVEN réexamine la demande introduite par Mme B…,

veuveD…, et Mme E… F… en leur qualité d’ayants droit et leur adresse une proposition d’indemnisation tendant à la réparation intégrale des préjudices subis en raison de l’exposition de Michel D… aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires. Par suite, il y a lieu d’enjoindre au CIVEN d’adresser à Mme B…, veuve D… et à
Mme E… F… une proposition d’indemnisation dans un délai de six mois à compter de la notification du présent arrêt. L’indemnisation qui leur sera versée inclura les intérêts au taux légal et capitalisés auxquels elles peuvent prétendre. Il n’y a cependant pas lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de

l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Il y a lieu dans les circonstances de l’espèce de mettre à la charge de l’État la somme globale de 1 200 euros au titre des frais exposés par Mme B…, veuveD…, et

par Mme E… F… qui ne sont pas compris dans les dépens.


DÉCIDE :


Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Limoges du 3 décembre 2015 est annulé.


Article 2 : La décision du ministre de la défense du 1er octobre 2014 est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires d’adresser une proposition d’indemnisation à Mme B…, veuveD…, et à Mme E… F… dans le délai de six mois à compter de la notification du présent arrêt.


Article 4 : L’État versera à Mme B…, veuveD…, et à Mme E… F… une somme globale de 1 200 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.


Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.


Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G… B…, veuveD…, à Mme E… F…, au ministre des armées et au comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires.

Délibéré après l’audience du 15 février 2018 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
M. Didier Salvi, président-assesseur,
Mme Aurélie Chauvin, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 20 mars 2018

Le rapporteur,

Didier A…

Le président,

Éric Rey-Bèthbéder

Le greffier,

Vanessa Beuzelin

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent arrêt.

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N° 16BX00518

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