CAA de MARSEILLE, 5ème chambre - formation à 3, 2 novembre 2015, 14MA00790-14MA01022, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Marseille, 5e ch. - formation à 3, 2 nov. 2015, n° 14MA00790-14MA01022
Juridiction : Cour administrative d'appel de Marseille
Numéro : 14MA00790-14MA01022
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Décision précédente : Tribunal administratif de Bastia, 18 décembre 2013, N° 1200998
Identifiant Légifrance : CETATEXT000031427590

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L’association U Levante a demandé au tribunal administratif de Bastia d’annuler l’arrêté du préfet de la Haute-Corse en date du 10 juillet 2012, en tant qu’il a déclaré d’utilité publique le projet d’acquisition par la commune de Sant’Antonino de la parcelle cadastrée section A n° 335, située sur le territoire de ladite commune, en vue de la réalisation d’un nouveau parc de stationnement communal, ensemble la décision de rejet de son recours gracieux opposée le 18 octobre 2012 par le préfet de la Haute-Corse.

Par un jugement n° 1200998 du 19 décembre 2013, le tribunal administratif de Bastia a annulé cet arrêté, ainsi que la décision en date du 18 octobre 2012 précitée.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête, enregistrée le 18 février 2014, sous le n° 14MA00790, le ministre de l’intérieur demande à la Cour d’annuler le jugement n° 1200998 du tribunal administratif de Bastia en date du 19 décembre 2013.

Il soutient que :

 – la réalisation d’une nouvelle aire de stationnement est nécessaire dans la mesure où les lieux de stationnement à Sant’Antonino sont notoirement insuffisants en période estivale ; le parking actuel offre seulement une centaine de places pour les voitures ; les cars peuvent également y stationner mais ont les plus grandes difficultés pour en ressortir et préfèrent généralement stationner à l’extérieur ; l’objectif est donc de remplacer le parking actuel sous-dimensionné, de faciliter et sécuriser l’accès au village, de privilégier un ensemble « accueil-cheminement plus cohérent », de sécuriser et de valoriser le périmètre de l’église de l’Annunziata, de reconquérir le caractère emblématique de l’ensemble « esplanade église de l’Annunziata-chapelle de la confrérie » ;

 – sur le coût de réalisation d’une nouvelle aire de stationnement et son financement, comme tout projet d’investissement des collectivités territoriales, celui-ci est susceptible d’être financé à hauteur de 80 % de son montant hors taxe par l’Etat et les collectivités territoriales ; la part restante à la charge de la commune devrait s’élever à 65 322 euros ; la commune n’aura aucune difficulté d’ordre budgétaire pour réaliser le projet du nouveau parking dès lors que les recettes engendrées par le stationnement s’élèvent à 91 828 euros en 2011, 102 606 euros en 2012 et 109 064 euros en 2013 ; sa capacité d’autofinancement brute évolue à la hausse ; son solde de la section de fonctionnement est de + 109 342 euros ; cet excédent pourra être affecté en tout ou partie à la section d’investissement pour apporter l’autofinancement nécessaire à la réalisation du parking ;

 – sur l’intégration paysagère de la nouvelle aire de stationnement, le projet du nouveau parking prévoit que le stationnement sera implanté essentiellement dans la partie basse du terrain, la moins visible depuis le village et que la partie la plus en vue sera aménagée de façon paysagère ; le choix de la commune d’exproprier la totalité de la parcelle A 335 d’une superficie de 14 000 m2 se justifie par le besoin de réaliser une aire de stationnement aménagée s’intégrant à la nature environnante ; l’un des objectifs du projet est de supprimer le parking actuel pour rendre cet espace à sa vocation naturelle de place de village ;

 – la possibilité d’extension du parking existant sur le terrain contigu constitué par la parcelle A 453 a été étudiée par la commune de Sant’Antonino mais cette parcelle n’a pas été retenue en raison de la présence d’une maison d’habitation, de sa trop grande visibilité et du caractère excessivement rocheux du terrain nécessitant un investissement plus important ; la surface disponible de cette parcelle d’environ 5 000 m2 ne serait pas suffisante pour accueillir le nombre de véhicules prévu ; la réalisation d’une extension de parking sur ce terrain porterait une atteinte grave à la propriété privée ; le bilan coût-avantages de cette opération serait ainsi négatif ;

 – il n’y a pas d’atteinte excessive à la propriété privée en ce qui concerne la parcelle A n° 335.

Par une lettre en date du 5 décembre 2014, l’association U Levante a été mise en demeure de produire, dans un délai d’un mois, ses conclusions à la requête susvisée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 janvier 2015, l’association U Levante représentée par Me A… conclut au rejet de la requête du ministre de l’intérieur et demande à la Cour de mettre à la charge de l’Etat et de la commune de Sant’Antonino la somme de 4 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 – la requête de la commune est irrecevable dès lors qu’elle ne justifie pas d’une autorisation pour faire appel ;

 – elle dispose d’un intérêt à agir en application de l’article L. 142-1 du code de l’environnement dans la mesure où elle était agréée à la date de l’arrêt en litige, par décision du préfet de Corse en date du 15 octobre 2012 ;

 – elle bénéficie d’un mandat pour ester en défense en date du 22 octobre 2014 ;

 – l’utilité publique du projet envisagée in abstracto peut être admise mais l’Etat ne doit pas exagérer les besoins de sécurité ; tant le dossier d’enquête publique que les écritures adverses taisent l’existence d’autres places de stationnement sur la commune ;

 – sur la réelle fréquentation du site, si l’administration aurait enregistré une moyenne de 1 646 véhicules par jour en juin, il a cependant omis de préciser que ce comptage est effectué dans les deux sens ; il n’y a donc en fait que la moitié, soit 823 véhicules par jour ; de plus, il n’est pas tenu compte des déplacements personnels et professionnels des habitants ; on relève une baisse d’environ 10 % de la fréquentation du site en août ; la visite sur le site ne dure en moyenne qu’environ une heure, les rotations sont nombreuses ; le déménagement du parking sur la parcelle A 335 serait fort préjudiciable au circuit de la visite sur le site car il allonge le trajet des passagers des cars ; si l’Etat met en avant les gains en matière de sécurité lors de l’accès au site, il s’agit d’une justification abstraite ; aucun accident n’a été relevé sur le site et il n’existe aucune étude sérieuse à ce sujet ;

 – la commune bénéficie déjà de trois parkings ; le bénéfice en terme de gain de places de parking est nul pour les véhicules ;

 – sur l’absence d’utilité publique in concreto, d’une part, le projet constitue une charge insupportable pour les finances de la commune ; l’évaluation financière est manifestement très basse ; il faudra réaliser une mise à niveau ; l’évacuation des déblais et leur mise en décharge spécialisée ne sont pas pris en compte dans le devis ; l’autofinancement du projet n’est pas prouvé ; les prétendues subventions ne sont pas raisonnablement acquises ; les nouveaux éléments produits en appel concernant les intentions de l’Etat et des collectivités désireuses de subventionner le projet sont postérieurs à l’acte querellé et ne peuvent être pris en compte ; à supposer qu’ils le soient, ils viennent justifier après coup l’utilité publique du projet ; partant le commissaire enquêteur mais encore le public étaient en droit d’en avoir connaissance ; à défaut, la décision attaquée a été prise aux termes d’une procédure irrégulière ;

 – d’autre part, le bilan de son impact sur le paysage et l’environnement est largement négatif ; la nécessité de recourir à l’expropriation de la parcelle A 335 est absente ; une autre solution moins dommageable pour le site aurait pu être envisagée consistant à conserver l’aire de stationnement actuelle en la réaménageant et en l’agrandissant de façon mesurée par l’acquisition d’une partie de la parcelle contiguë n° 453 qui n’est pas bâtie ;

 – si par extraordinaire, le jugement devait être annulé, par l’effet dévolutif de l’appel, elle entend reprendre l’intégralité de ces moyens présentés en première instance.

Un courrier du 23 juillet 2015 adressé aux parties en application des dispositions de l’article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il est envisagé d’appeler l’affaire à l’audience et a indiqué la date à partir de laquelle l’instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l’article R. 613-1 et le dernier alinéa de l’article R. 613-2.

II. Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 février 2014 et 19 août 2015, sous le n° 14MA01022, la commune de Sant’Antonino demande à la Cour d’annuler le jugement n° 1200998 du tribunal administratif de Bastia du 19 décembre 2013 et de mettre à la charge de l’association U Levante la somme de 4 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 – sa requête d’appel est parfaitement recevable dès lors que par délibération en date du 5 avril 2008, le conseil municipal de Sant’Antonino a autorisé son maire, par délégation et pendant toute la durée de son mandat, à « intenter au nom de la commune les actions en justice ou de défendre la commune dans des actions intentées contre elle ».

 – le jugement est irrégulier en ce qu’il n’a pas pris en compte la note en délibéré enregistrée le 26 novembre 2013 ;

 – le tribunal a violé le principe du contradictoire ;

 – le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;

 – le projet présente une utilité publique incontestable dès lors que la commune ne dispose actuellement que d’un petit parc de stationnement de 4 500 m2 qui est manifestement insuffisant surtout en période estivale ; sa capacité n’est pas suffisante pour l’accueil des cars ; sa situation actuelle à proximité immédiate des bâtiments les plus prestigieux justifie son déplacement ;

 – en considérant que les recettes générées par les droits de stationnement ne suffisent pas à couvrir les dépenses de fonctionnement de la commune, le tribunal a dénaturé les pièces du dossier ;

 – il a également dénaturé les pièces du dossier en estimant que le terrain dit « des Belges » pouvait permettre à la commune de remplir ses objectifs dans des meilleures conditions et en affirmant qu’il n’existe pas de maison sur cette parcelle ;

 – le tribunal a commis une erreur de fait en écartant l’argument selon lequel le coût du projet sera partiellement couvert par les recettes tirées des droits de stationnement de l’actuel parking ;

 – il a commis une erreur de droit en retenant que si la commune de Sant’Antonino et le préfet de la Haute-Corse « font valoir que le projet est éligible à des subventions, cette source de financement n’est évoquée que comme une possibilité alors que la seule circonstance que la réfection de l’église de l’Annunziata a bénéficié de subventions de l’Etat, de la collectivité territoriale de Corse et du département ne permet pas à elle seule de déduire que tel sera nécessairement le cas s’agissant d’un parc de stationnement » ;

 – le nombre d’habitants ne saurait constituer un critère suffisant pour apprécier l’étendue de ses ressources financières quand, par ailleurs, il a été démontré que la commune était en capacité de mobiliser des ressources suffisantes pour financer le projet ;

 – en tout état de cause, le coût de l’opération ne saurait être jugé excessif par rapport au budget communal ;

 – c’est à tort que le tribunal a considéré que le projet litigieux portera une atteinte importante au caractère particulier du village ; la circonstance que le village soit inscrit à l’inventaire des sites pittoresques n’empêche pas tout aménagement de la zone ; il serait bien plus dévalorisant pour le site de laisser perdurer la situation actuelle, à savoir l’encombrement de l’esplanade située au centre des trois monuments emblématiques du village et le stationnement anarchique et dangereux des véhicules et cars de tourisme durant la période estivale ;

 – le projet ne saurait constituer une atteinte au village qu’il a justement pour effet de préserver et de mettre en valeur ; un important traitement paysager a été prévu afin de réduire au minimum cet impact sur le paysage environnant et sur la vue depuis le haut du village ;

 – il a été démontré que l’autre solution envisagée consistant à étendre le parc de stationnement existant sur une partie du terrain contigu de l’esplanade de l’église de l’Annunziata ne constitue pas une alternative crédible ; il n’appartient pas au juge administratif d’apprécier l’opportunité du choix d’un terrain par rapport à un autre terrain.

Par une lettre en date du 5 décembre 2014, l’association U Levante a été mise en demeure de produire, dans un délai d’un mois, ses conclusions à la requête susvisée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 janvier 2015, l’association U Levante représentée par Me A… conclut au rejet de la requête du ministre de l’intérieur et demande à la Cour de mettre à la charge de l’Etat et de la commune de Sant’Antonino la somme de 4 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 – la requête de la commune est irrecevable dès lors qu’elle ne justifie pas d’une autorisation pour faire appel ;

 – elle dispose d’un intérêt à agir en application de l’article L. 142-1 du code de l’environnement dans la mesure où elle était agréée à la date de l’arrêt en litige, par décision du préfet de Corse en date du 15 octobre 2012 ;

 – elle bénéficie d’un mandat pour ester en défense en date du 22 octobre 2014 ;

 – l’utilité publique du projet envisagée in abstracto peut être admise mais l’Etat ne doit pas exagérer les besoins de sécurité ; tant le dossier d’enquête publique que les écritures adverses taisent l’existence d’autres places de stationnement sur la commune ;

 – sur la réelle fréquentation du site, si l’administration aurait enregistré une moyenne de 1 646 véhicules par jour en juin, il a cependant omis de préciser que ce comptage est effectué dans les deux sens ; il n’y a donc en fait que la moitié, soit 823 véhicules par jour ; de plus, il n’est pas tenu compte des déplacements personnels et professionnels des habitants ; on relève une baisse d’environ 10 % de la fréquentation du site en août ; la visite sur le site ne dure en moyenne qu’environ une heure, les rotations sont nombreuses ; le déménagement du parking sur la parcelle A 335 serait fort préjudiciable au circuit de la visite sur le site car il allonge le trajet des passagers des cars ; si l’Etat met en avant les gains en matière de sécurité lors de l’accès au site, il s’agit d’une justification abstraite ; aucun accident n’a été relevé sur le site et il n’existe aucune étude sérieuse à ce sujet ;

 – la commune bénéficie déjà de trois parkings ; le bénéfice en terme de gain de places de parking est nul pour les véhicules ;

 – sur l’absence d’utilité publique in concreto, d’une part, le projet constitue une charge insupportable pour les finances de la commune ; l’évaluation financière est manifestement très basse ; il faudra réaliser une mise à niveau ; l’évacuation des déblais et leur mise en décharge spécialisée ne sont pas pris en compte dans le devis ; l’autofinancement du projet n’est pas prouvé ; les prétendues subventions ne sont pas raisonnablement acquises ; les nouveaux éléments produits en appel concernant les intentions de l’Etat et des collectivités désireuses de subventionner le projet sont postérieurs à l’acte querellé et ne peuvent être pris en compte ; à supposer qu’ils le soient, ils viennent justifier après coup l’utilité publique du projet ; partant le commissaire enquêteur mais encore le public étaient en droit d’en avoir connaissance ; à défaut, la décision attaquée a été prise aux termes d’une procédure irrégulière ;

 – d’autre part, le bilan de son impact sur le paysage et l’environnement est largement négatif ; la nécessité de recourir à l’expropriation de la parcelle A 335 est absente ; une autre solution moins dommageable pour le site aurait pu être envisagée consistant à conserver l’aire de stationnement actuelle en la réaménageant et en l’agrandissant de façon mesurée par l’acquisition d’une partie de la parcelle contiguë n° 453 qui n’est pas bâtie ;

 – si par extraordinaire, le jugement devait être annulé, par l’effet dévolutif de l’appel, elle entend reprendre l’intégralité de ces moyens présentés en première instance.

Un courrier du 23 juillet 2015 adressé aux parties en application des dispositions de l’article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il est envisagé d’appeler l’affaire à l’audience et a indiqué la date à partir de laquelle l’instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l’article R. 613-1 et le dernier alinéa de l’article R. 613-2.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 – la Constitution, notamment la Charte de l’environnement à laquelle renvoie son Préambule ;

 – le code général des collectivités territoriales ;

 – le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique ;

 – le code de l’environnement ;

 – le code de l’urbanisme ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience par des avis d’audience adressés le 25 août 2015 et 16 septembre 2015 portant clôture d’instruction immédiate en application des dispositions de l’article R. 613-2 du code de justice administrative.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de Mme Marchessaux,

 – les conclusions de M. Revert, rapporteur public ;

 – et les observations de Mme C…, adjointe au maire de Sant’Antonino.

Deux notes en délibéré présentées par Me A… ont été enregistrées le 12 octobre 2015.

Une note en délibéré présentée par Me B… a été enregistrée le 15 octobre 2015.

1. Considérant que les requêtes susvisées n° 14MA00790 du ministre de l’intérieur et n° 14MA01022 de la commune de Sant’Antonino sont dirigées contre le même jugement et ont fait l’objet d’une instruction commune ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;

2. Considérant que le ministre de l’intérieur et la commune de Sant’Antonino relèvent appel du jugement du 19 décembre 2013 par lequel le tribunal administratif de Bastia a annulé l’arrêté du préfet de la Haute-Corse en date du 10 juillet 2012, en tant qu’il a déclaré d’utilité publique le projet d’acquisition par la commune de Sant’Antonino de la parcelle cadastrée section A n° 335, située sur le territoire de ladite commune, en vue de la réalisation d’un nouveau parc de stationnement communal, ensemble la décision de rejet de son recours gracieux opposée le 18 octobre 2012 par le préfet de la Haute-Corse ;

Sur la recevabilité de la requête d’appel de la commune de Sant’Antonino :

3. Considérant qu’aux termes de l’article L. 2132-1 du code général des collectivités territoriales : « Sous réserve des dispositions du 16° de l’article L. 2122-22, le conseil municipal délibère sur les actions à intenter au nom de la commune » et aux termes de l’article L. 2122-22 du même code : « Le maire peut, en outre, par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : (…) / 16° D’intenter au nom de la commune les actions en justice ou de défendre la commune dans les actions intentées contre elle, dans les cas définis par le conseil municipal » ;

4. Considérant que si l’association U Levante soutient que la commune de Sant’Antonino ne justifie pas d’une autorisation pour faire appel, il ressort des pièces du dossier que par une délibération, en date du 5 avril 2008, son conseil municipal a accordé au maire de Sant’Antonino l’ensemble des délégations prévues par l’article L. 2122-22 précité du code général des collectivités territoriales et, plus particulièrement, celle d’intenter au nom de la commune les actions en justice ou de défendre la commune dans les actions intentées contre elle ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée par l’association U Levante ne saurait être accueillie ;

Sur la régularité du jugement :

5. Considérant qu’aux termes de l’article R. 731-3 du code de justice administrative : « A l’issue de l’audience, toute partie à l’instance peut adresser au président de la formation de jugement une note en délibéré. » ;

6. Considérant que, devant les juridictions administratives et dans l’intérêt d’une bonne justice, le juge a toujours la faculté de rouvrir l’instruction, qu’il dirige, lorsqu’il est saisi d’une production postérieure à la clôture de celle-ci ; qu’il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision et de la viser ; que, s’il décide d’en tenir compte, il rouvre l’instruction et soumet au débat contradictoire les éléments contenus dans cette production qu’il doit, en outre, analyser ; que, dans le cas particulier où cette production contient l’exposé d’une circonstance de fait ou d’un élément de droit dont la partie qui l’invoque n’était pas en mesure de faire état avant la clôture de l’instruction et qui est susceptible d’exercer une influence sur le jugement de l’affaire, le juge doit alors en tenir compte, à peine d’irrégularité de sa décision ;

7. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le jugement contesté porte la mention : « Connaissance prise de la note en délibéré, enregistrée le 26 novembre 2013, présentée pour la commune de Sant’Antonino » ; que cette dernière fait valoir que les premiers juges auraient dû tenir compte de sa note en délibéré ainsi que de ses pièces jointes constituées par ses résultats budgétaires sur plusieurs exercices de 2010 à 2012 et, en conséquence, rouvrir l’instruction afin de les soumettre au débat contradictoire des parties ; que néanmoins, cette note et ces pièces ne contenaient l’exposé d’aucune circonstance de fait ou d’élément de droit dont la commune n’était pas en mesure de faire état avant la clôture de l’instruction et qui étaient susceptibles d’exercer une influence sur le jugement de l’affaire ; qu’il suit de là que le tribunal n’a commis aucune irrégularité en ne tenant pas compte de ses éléments et en ne rouvrant pas l’instruction ;

8. Considérant qu’aux termes de l’article L. 5 du code de justice administrative : « L’instruction des affaires est contradictoire (…) » ;

9. Considérant qu’il ressort du jugement attaqué que, pour annuler l’arrêté du préfet de la Haute-Corse en date du 10 juillet 2012 et la décision du 18 octobre 2012, les premiers juges ont estimé que si la commune de Sant’Antonino « ainsi que le préfet de la Haute-Corse soutiennent que les dépenses exposées seront en partie couvertes par des redevances de stationnement, ils se bornent à faire état des recettes générées par les droits de stationnement, qui couvrent des dépenses de fonctionnement dans les budgets annuels versés au dossier » ; que, ce faisant, il ne ressort pas du jugement querellé que les premiers juges se seraient fondés sur le détail des dépenses de fonctionnement de 2010 à 2012 produites par la commune dans sa note en délibéré ; que, sur ce point, les années 2010 à 2012 qui ne sont pas citées expressément dans le jugement correspondent aussi aux tableaux des recettes générées par les places de stationnement du parking existant, produites tant par le préfet que par la commune ; qu’ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance du principe du contradictoire doit être écarté ;

10. Considérant que la commune de Sant’Antonino reproche au jugement attaqué de ne pas avoir exposé les éléments de droit et de fait sur lesquels il s’est fondé pour juger que le coût de l’opération serait excessif par rapport au budget de la commune ; que toutefois, ledit jugement est suffisamment motivé en ce qu’il qualifie d’excessif le coût de l’opération par rapport au budget communal ;

Sur le fond :

11. Considérant qu’il appartient au juge, lorsqu’il doit se prononcer sur le caractère d’utilité publique d’une opération nécessitant l’expropriation d’immeubles ou de droits réels immobiliers, de contrôler successivement qu’elle répond à une finalité d’intérêt général, que l’expropriant n’était pas en mesure de réaliser l’opération dans des conditions équivalentes sans recourir à l’expropriation, notamment en utilisant des biens se trouvant dans son patrimoine et, enfin, que les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d’ordre social ou économique que comporte l’opération ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt qu’elle présente ;

Quant à la finalité d’intérêt général :

12. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que l’opération déclarée d’utilité publique par l’arrêté contesté du préfet de la Haute Corse, en date du 10 juillet 2012, a pour objet la réalisation d’un parking sur la parcelle cadastrée section A n° 335 ; que ce projet vise à augmenter la capacité et la qualité de l’accueil des véhicules et des bus par rapport à celle du parking actuel qui est complètement saturé en période estivale et permettra de mettre en valeur l’espace sur lequel sont situés l’église de l’Annunziata, la chapelle de la Confrérie et le monument aux morts, actuellement occupé par ledit parking ; que contrairement à ce que soutient l’association U Levante, la sécurité des piétons devrait être améliorée dans la mesure où les manoeuvres des cars et des voitures ne se feront plus au contact des usagers de l’esplanade comme l’a d’ailleurs relevé le commissaire enquêteur ; que si l’association intimée fait état de l’existence de deux parkings dans le village, le premier réservé aux seuls résidents riverains ne permet pas de répondre à la demande des touristes ; que, par ailleurs, il n’est pas démontré que ces parkings puissent accueillir des bus ; que le motif tiré de l’augmentation de la capacité d’accueil des véhicules par le projet en litige qui prévoit la création de 125 emplacements pour véhicules légers, 5 pour les cars et 4 places pour les personnes à mobilité réduite soit 14 places de plus que le parking actuel où les manoeuvres des bus sont délicates n’est pas valablement discutée ; qu’à supposer même que le comptage des véhicules de 1 646 véhicules par jour réalisé par l’administration doive être effectué dans les deux sens, soit 823 véhicules par jour, un tel trafic excède en tout état de cause les capacités des parkings existants de la commune de Sant’Antonino ; qu’ainsi, l’opération répond à une finalité d’intérêt général ;

Quant à la nécessité de recourir à l’expropriation :

13. Considérant qu’il n’est pas allégué et qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que la commune de Sant’Antonino serait en mesure de réaliser l’opération dans des conditions équivalentes en utilisant des biens lui appartenant ; qu’en outre, si l’association U Levante fait valoir qu’une autre solution moins dommageable aurait pu être envisagée, telle que prévue par le projet « ZPPAUP » consistant à conserver l’aire de stationnement actuelle en la réaménageant et en l’agrandissant de façon mesurée par l’acquisition d’une partie de la parcelle contiguë n° 453, le juge de l’excès de pouvoir ne peut apprécier l’opportunité qu’il y aurait eu, pour la commune, à exproprier d’autres terrains plutôt que celui qui a fait l’objet de la déclaration ; qu’en tout état de cause, cette alternative ne permettrait pas de réaliser l’opération dans des conditions équivalentes dès lors qu’elle ne respecte pas un aspect positif du projet envisagé qui consiste à mettre en valeur l’espace de l’esplanade occupé par le parking actuel en déplaçant ce dernier, répondant ainsi aux préconisations de l’association des « Plus beaux villages de France » dont la commune fait partie ;

Quant au bilan coût-avantages :

14. Considérant, en premier lieu, que l’association U Levante se prévaut de l’atteinte paysagère au site dès lors que le projet en cause remplace une parcelle constituée d’une prairie incluse dans le périmètre inscrit à l’inventaire des sites pittoresques en application de la loi du 2 mai 1930 par près d'1,4 ha de terrains artificialisés et de ce que la nouvelle aire de stationnement sera visible depuis de nombreux points du coeur du village portant partiellement atteinte à un panorama exceptionnel existant ; que, néanmoins, ce panorama est actuellement impacté par la vision du stationnement anarchique des véhicules sur l’esplanade de l’église au moins quatre mois par an que le projet propose de déplacer ; qu’en outre, cette atteinte sera compensée, d’une part, par le réaménagement de cette esplanade débarrassée dudit stationnement sur laquelle sont prévus, notamment, des espaces verts, du gazon et des espèces locales et, d’autre part, par la plantation, sur le futur parking, de nombreux arbres sur la périphérie et un large espace de zone arborée sur la partie nord ;

15. Considérant, en deuxième lieu et en revanche, qu’il ressort des pièces du dossier et plus particulièrement de l’estimation sommaire des dépenses que le coût de l’opération s’élève à 383 060,80 euros HT soit 418 721,36 euros TTC ; qu’à cet égard, les appelants soutiennent que la commune peut prétendre à des subventions à hauteur de 80 %, soit 334 400 euros HT, réduisant ainsi sa participation au financement à la somme 76 612 euros HT laquelle devrait être couverte par ses ressources propres issues notamment des recettes tirées des droits de stationnement de l’actuel parking ; que, cependant, le plan de financement approuvé le 11 janvier 2014 par délibération du conseil municipal de Sant’Antonino est postérieur à l’arrêté litigieux du 12 juillet 2012 tout comme la lettre du préfet de la Haute-Corse datée du 17 janvier 2014, informant le maire de Sant’Antonino de ce qu’une aide de 153 224 euros lui sera allouée pour les travaux d’aménagement de l’aire de stationnement ; que de plus, si le ministre de l’intérieur fait état de l’intention du président du conseil général de la Haute-Corse de contribuer au financement du parking à hauteur de 10 %, il ne l’établit pas tout comme l’effectivité de la subvention de la collectivité territoriale corse à hauteur de 30 % ; que de surcroît, si les capacités d’autofinancement de la commune seraient constituées par les recettes issues des redevances liées au stationnement lesquelles s’élèvent à un peu plus de 100 000 euros par an, ces recettes sont insuffisantes, à elles seules, pour financer le coût de l’opération qui est important pour une commune qui ne compte que 98 habitants ; que s’agissant d’un financement par emprunt tel qu’allégué par les requérants, ces derniers ne produisent pas plus en appel qu’en première instance, d’éléments permettant d’apprécier le taux d’endettement de la commune ; que, sur ce point, si la collectivité communale fait valoir qu’elle n’est pas endettée, l’attestation de la trésorerie de l’Ile Rousse mentionne toutefois que les remboursements des dettes bancaires s’inclinent en 2012 ; que la seule circonstance que la commune de Sant’Antonino ait systématiquement obtenu des subventions à hauteur de 80 % pour d’autres opérations d’aménagement ne permet pas d’établir qu’elle obtiendra les subventions de la collectivité territoriale Corse et du conseil général pour son projet de parc de stationnement ; que, dans ces conditions, compte tenu du coût financier important de l’opération dont il n’est pas démontré un apport supérieur à 14 places de stationnement supplémentaires, les inconvénients d’ordre financier sont excessifs à la date de la décision litigieuse eu égard à l’intérêt qu’elle présente ; que, par suite, l’association U Levante est fondée à soutenir que l’opération envisagée est privée d’utilité publique ;

16. Considérant qu’il résulte de ce qui précède, que le ministre de l’intérieur et la commune de Sant’Antonino ne sont pas fondés à se plaindre de ce que par le jugement attaqué, le tribunal a annulé l’arrêté en date du 10 juillet 2012 du préfet de la Haute-Corse en tant qu’il a déclaré d’utilité publique le projet d’acquisition par la commune de Sant’Antonino de la parcelle cadastrée section A n° 335, ainsi que la décision en date du 18 octobre 2012 ;

Sur l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

17. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l’association U Levante, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, verse à la commune de Sant’Antonino quelque somme que ce soit au titre des frais que celle-ci a exposés et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de l’Etat et de la commune de Sant’Antonino une somme de 1 000 euros chacun au titre des frais exposés par l’association U Levante et non compris dans les dépens ;


D E C I D E :

Article 1er : Les requêtes n° 14MA00790 du ministre de l’intérieur et n° 14MA01022 de la commune de Sant’Antonino sont rejetées.

Article 2 : L’Etat et la commune de Sant’Antonino verseront chacun la somme de 1 000 (mille) euros à l’association U Levante au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l’intérieur, à la commune de Sant’Antonino et à l’association U Levante.

Délibéré après l’audience du 12 octobre 2015, où siégeaient :

— M. Bocquet, président,

 – M. Pocheron, président-assesseur,

 – Mme Marchessaux, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 2 novembre 2015.

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Nos 14MA00790, 14MA01022

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CAA de MARSEILLE, 5ème chambre - formation à 3, 2 novembre 2015, 14MA00790-14MA01022, Inédit au recueil Lebon