CAA de MARSEILLE, 7ème chambre, 7 février 2020, 17MA04797, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D… F… épouse C… a demandé au tribunal administratif de Montpellier, d’une part, d’annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par le maire de Saint-Cyprien sur sa réclamation préalable tendant à ce que la commune lui verse la somme de 579 000 euros en réparation de ses préjudices, d’autre part, de condamner celle-ci à lui verser cette somme.

Par un jugement n° 1506748 du 19 octobre 2017, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 18 décembre 2017 et le 1er avril 2019, Mme F… épouse C…, représentée par Me B…, demande à la Cour :

1°) d’annuler ce jugement du 19 octobre 2017 ;

2°) d’annuler la décision implicite de rejet du maire de Saint-Cyprien de sa réclamation préalable tendant à ce que la commune lui verse la somme de 579 000 euros ;

3°) de condamner la commune à lui verser cette somme ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Cyprien la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal a retenu à tort l’autorité de la chose jugée par la cour administrative d’appel de Marseille dans son arrêt du 8 novembre 2011 ;

- la prescription quadriennale n’est pas acquise ;

- la commune a violé les stipulations de l’article 1 du Protocole n° 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

- la convention d’amodiation de 1987 était illégale et donc fautive ;

- l’arrêté du 6 avril 2012 par lequel le maire de Saint-Cyprien a ordonné la fermeture administrative de l’Hôtel du Port a été annulé par le tribunal administratif de Montpellier et l’illégalité de cette décision est fautive ;

- la commune a méconnu le principe d’égalité de traitement ;

- elle justifie d’un préjudice financier résultant de ces fautes d’un montant de 574 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 janvier 2019, la commune de Saint-Cyprien, représentée par Me E…, conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de Mme F… épouse C… la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu’aucun des moyens de la requête n’est fondé.

Vu :

 – la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment son premier protocole additionnel ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

- le rapport de M. Coutier, premier conseiller,

- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,

- et les observations de Me A…, représentant la commune de Saint-Cyprien.

Considérant ce qui suit :

1. Mme F… épouse C… relève appel du jugement du 19 octobre 2017 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le maire de Saint-Cyprien sur sa réclamation préalable tendant à ce que la commune lui verse la somme de 579 000 euros en réparation de ses préjudices, d’autre part, de condamner celle-ci à lui verser cette somme.

2. L’autorité de la chose jugée par une décision rendue dans un litige de plein contentieux est subordonnée à la triple identité de parties, d’objet et de cause.

3. Il résulte de l’instruction que, tant dans la réclamation préalable qu’elle a adressée au maire de Saint-Cyprien que dans son recours devant le tribunal administratif de Montpellier ayant donné lieu au jugement attaqué, Mme F… épouse C… s’est prévalue de la double faute qu’aurait commise la commune, d’une part, en saisissant la juridiction administrative d’une mesure d’expulsion à son encontre, mesure ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier par ordonnance du 24 juin 2013 mais ultérieurement annulée par décision du conseil d’Etat du 3 juin 2015, d’autre part, en prenant le 6 avril 2012 un arrêté prononçant la fermeture administrative de l’hôtel Résidence du Port, décision que le tribunal administratif de Montpellier a annulé par jugement du 11 février 2014, pour obtenir réparation des préjudices qu’elle estime résulter de ces décisions illégales. L’objet de ce recours n’était ainsi pas identique à celui du recours ayant donné lieu à l’arrêt rendu le 8 novembre 2011 par la cour administrative d’appel de Marseille, qui ne concernait que l’illégalité prétendument fautive de la convention d’amodiation conclue le 23 octobre 1987 entre la commune de Saint-Cyprien et la SCI « Hôtel de Saint-Cyprien Port ». C’est dès lors à tort que le tribunal a retenu, pour rejeter le recours formé par Mme F… épouse C…, le motif tiré de l’autorité de la chose jugée par la Cour dans son arrêt du 8 novembre 2011.

4. Cependant, et en premier lieu, aux termes de l’article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes ».

5. La notion de bien évoquée par l’alinéa 1er de l’article précité a une portée autonome qui ne se limite pas à la propriété des biens corporels et qui est indépendante des qualifications formelles du droit interne. Cette notion recouvre notamment les créances en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins une espérance légitime et raisonnable d’obtenir la jouissance effective d’un droit de propriété. Si les principes d’imprescriptibilité et d’inaliénabilité du domaine public ne permettent pas de caractériser une privation de propriété au sens des stipulations précitées, ils ne sauraient faire obstacle à ce que soit caractérisée l’existence d’un « bien » au sens de ces stipulations. Le régime juridique du domaine public répond à un but d’intérêt général. L’ingérence de l’Etat poursuit ainsi un but légitime. Toutefois, en vertu des principes énoncés par l’article 1er du protocole précité, une mesure d’ingérence doit ménager un « juste équilibre » entre les impératifs de l’intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu. Cet équilibre n’est rompu que si la personne concernée a eu à subir une charge spéciale et exorbitante.

6. Il résulte de l’instruction qu’à la suite du jugement du 27 février 2002 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a constaté la nullité de la convention d’amodiation du 23 octobre 1987 conclue entre la SCI Hôtel de Saint-Cyprien, aux droits de laquelle est ultérieurement venue la SCI Résidence du Port, au motif que cet acte avait reconnu à l’amodiataire la propriété des installations à construire et, de surcroît, des bâtiments édifiés antérieurement à la signature de l’amodiation, en méconnaissance des principes mêmes de la domanialité publique portuaire, Mme F… épouse C… a librement conclu avec la commune, en date du 22 juin 2002, une convention d’occupation temporaire du domaine public portuaire concernant un immeuble situé dans l’enceinte du port de plaisance de Saint-Cyprien aux fins de poursuivre l’exercice de ses activités, immeuble dans lequel étaient situés les deux appartements acquis par l’intéressée en son nom propre en 1991. Cette convention précisait qu’elle avait pour objet de définir les nouvelles conditions d’occupation d’une dépendance du domaine public portuaire par Mme F… épouse C… conformément aux règles de la domanialité publique. L’article 3 de cet acte indiquait expressément que l’autorisation d’occupation présentait un caractère précaire et révocable et qu’elle était accordée pour une durée d’un an, renouvelable sur demande expresse de l’occupant, la commune se réservant le droit de refuser le renouvellement sans motif. A la date de la conclusion de cette convention, la requérante était ainsi parfaitement informée du statut de l’immeuble et du régime juridique qui s’y appliquait nécessairement. Mme F… épouse C… ne saurait dès lors utilement invoquer, au soutien de sa requête, le comportement prétendument fautif de la commune avant cette date.

7. Il résulte également de l’instruction, et n’est pas contesté par Mme F… épouse C… dans la présente instance, que la convention précitée du 22 juin 2002 n’a pas été renouvelée à sa première échéance, en juin 2003. Mme F… épouse C… ne disposait dès lors plus d’un titre l’autorisant à occuper l’immeuble dans lequel elle exerçait ses activités, lequel est une dépendance du domaine public portuaire. Il résulte en outre de l’instruction que par ordonnance du 9 novembre 2004 devenue définitive, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a, sur demande de la commune de Saint-Cyprien, ordonné à Mme C… ainsi qu’à tous occupants de son chef de libérer les locaux appartenant au domaine public de la commune « qu’elle occupe et exploite à l’usage d’hôtel résidence ». Puis par une nouvelle ordonnance en date du 24 juin 2013, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, se référant dans ses motifs à la précédente ordonnance rendue le 9 novembre 2004, a enjoint à l’EURL Résidence Hôtel du Port, à sa dirigeante, Mme C…, ainsi qu’à tous les occupants de leur chef de libérer les locaux à usage d’hôtel et de résidence qu’ils occupent sans droit ni titre sur le domaine public portuaire de la commune de Saint-Cyprien dans un délai de trois mois. Dans ces conditions, Mme F… épouse C… n’est pas fondée à soutenir que la commune a pu faire naître une espérance légitime de se voir reconnaître la jouissance effective d’un droit de propriété sur les locaux en cause. Il y a lieu, dès lors, d’écarter le moyen tiré de la violation des stipulations de l’article 1 du Protocole n° 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

8. En deuxième lieu, le moyen tiré de ce que la convention d’amodiation de 1987 était illégale et donc fautive est inopérant dès lors que, ainsi qu’il a été dit au point 6 ci-dessus, Mme F… épouse C…, par ailleurs gérante de l’EURL Résidence Hôtel du Port qui exploite l’activité, a conclu le 22 juin 2002 avec la commune, en connaissance de cause, une convention d’occupation du domaine public établie sur de nouvelles bases.

9. En troisième lieu, en principe, toute illégalité commise par l’administration constitue une faute susceptible d’engager sa responsabilité, pour autant qu’il en soit résulté un préjudice direct et certain. La responsabilité de l’administration ne saurait être engagée pour la réparation des dommages qui ne trouvent pas leur cause dans cette illégalité mais découlent directement et exclusivement de la situation irrégulière dans laquelle la victime s’est elle-même placée, indépendamment des faits commis par la puissance publique, et à laquelle l’administration aurait pu légalement mettre fin à tout moment.

10. Il résulte de l’instruction que, par jugement du 11 février 2014 devenu définitif, le tribunal administratif de Montpellier a annulé l’arrêté du 6 avril 2012 par lequel le maire de Saint-Cyprien a ordonné la fermeture administrative de l’Hôtel du Port au motif que cette mesure était disproportionnée. Si, cette décision, jugée illégale, est nécessairement réputée fautive, il résulte de l’instruction que les préjudices allégués par Mme F… épouse C…, tenant notamment à la « perte » de ses deux appartements et à la perte des revenus tirés de leur location, résultent non pas de l’arrêté du 6 avril 2012 dans la mesure où l’intéressée n’établit pas qu’elle aurait cessé de les louer, mais directement et exclusivement de l’exécution effective, le 14 janvier 2014, de la mesure d’expulsion ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier par son ordonnance du 9 novembre 2004, laquelle était devenue définitive et à laquelle la société appelante n’a jamais déféré. En en tout état de cause, Mme F… épouse C… était, ainsi qu’il a été dit au point 6 ci-dessus, dépourvue de tout titre l’autorisant à occuper le domaine public portuaire, au moins depuis mai 2004. Dans ces circonstances, la responsabilité de la commune ne peut être engagée.

11. En dernier lieu, eu égard à la situation illégitime dans laquelle elle s’était placée, Mme F… épouse C… ne saurait utilement soutenir qu’en acceptant de transiger avec d’autres occupants du domaine public se trouvant également en situation irrégulière, la commune a méconnu le principe d’égalité de traitement.

12. La responsabilité de la commune de Saint-Cyprien n’est ainsi pas engagée à l’encontre de Mme F… épouse C….

13. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de statuer sur le moyen, opposé par la commune, tiré de la prescription quadriennale dont seraient atteintes les demandes indemnitaires de Mme F… épouse C…, que celle-ci n’est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

14. Aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. ».

15. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Saint-Cyprien, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme F… épouse C… demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de Mme F… épouse C… une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la commune de Saint-Cyprien et non compris dans les dépens.


D É C I D E :


Article 1er : La requête de Mme F… épouse C… est rejetée.

Article 2 : Mme F… épouse C… versera à la commune de Saint-Cyprien une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D… F… épouse C… et à la commune de Saint-Cyprien.

Délibéré après l’audience du 24 janvier 2020, à laquelle siégeaient :

— M. Pocheron, président de chambre,

 – M. Guidal, président-assesseur,

 – M. Coutier, premier conseiller.

Lu en audience publique le 7 février 2020.

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N° 17MA04797

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