CAA de MARSEILLE, 1ère chambre, 17 septembre 2020, 18MA00970, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI « Domaine de la Ségurane », M. I… A…, Mme O… B…, M. F… D…, M. J… N…, Mme H… M… et M. P… G…, d’une part, et l’association « Vivre dans la presqu’île de Saint-Tropez » d’autre part, ont demandé au tribunal administratif de Toulon d’annuler l’arrêté du 23 juillet 2014 par lequel le préfet du Var a autorisé le défrichement de la parcelle cadastrée BX 178, hors espace boisé classé, appartenant à la SCI « Les Gaches ».

Par un jugement n° 1403983-150005 du 5 janvier 2018, le tribunal administratif de Toulon a annulé cet arrêté et la décision implicite de rejet du recours gracieux de l’association « Vivre dans la presqu’île de Saint-Tropez » du 23 novembre 2014.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 1er mars 2018, le 5 avril 2019 et le 7 avril 2019, la SCI « Les Gaches », représentée par Me C…, demande à la Cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 5 janvier 2018 ;

2°) de rejeter la demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l’association « Vivre dans la presqu’île de Saint-Tropez et de la SCI » Domaine de la Ségurane " la somme de 3 000 euros chacune sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 – le jugement est irrégulier dès lors que la SCI « Les Gaches », bénéficiaire de la décision attaquée, n’a pas été mise en cause dans l’instance enregistrée sous le n° 1403983 ;

 – c’est à tort que le tribunal a accueilli le moyen tiré de l’exception d’illégalité du plan local d’urbanisme (PLU) en tant qu’il n’a pas classé la parcelle cadastrée BX 178 en espace boisé classé (EBC) sur le fondement de l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme alors que les boisements ne présentent pas d’intérêt significatif dans la commune et que la parcelle est située dans une zone construite ;

 – c’est également à tort que le tribunal a accueilli le moyen tiré de la méconnaissance des articles L. 146-6 et R. 146-1 du code de l’urbanisme, alors que la parcelle BX n°178 n’est pas visible du rivage de la mer et compte tenu des caractéristiques du secteur ;

 – les autres moyens de première instance devront également être écartés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 juillet 2018, la SCI « Domaine de la Ségurane », conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de la SCI « Les Gaches » la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir à titre principal qu’aucun des moyens de la requête n’est fondé.

A titre subsidiaire, elle soutient que l’arrêté est entaché d’erreur manifeste d’appréciation au regard de l’article L. 341-5 du code forestier et méconnait l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme.

Par des mémoires en défense enregistrés le 19 juillet 2018, le 21 février 2019 et le 26 avril 2019, l’association « Vivre dans la presqu’île de Saint-Tropez » demande à la Cour de rejeter la requête et de mettre à la charge de la SCI « Les Gaches » la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu’aucun des moyens de la requête n’est fondé.

Par un mémoire enregistré le 7 mars 2019, le ministre de l’agriculture et de l’alimentation s’en remet à la sagesse de la Cour.

Le 10 juillet 2020, les parties ont été informées, en application des dispositions de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l’arrêt était susceptible d’être fondé sur un moyen relevé d’office, tiré de l’irrecevabilité de l’appel de la SCI « Les Gaches » dirigé contre le jugement du tribunal administratif de Toulon n°1403983 du 5 janvier 2018, auquel elle n’était pas partie.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 – le code de l’urbanisme ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de Mme E…,

 – les conclusions de Mme Giocanti, rapporteur public,

 – et les observations de Me K… de la SELARL Lexavoué, représentant la SCI « Les Gaches », et de Me L…, représentant l’association « Vivre dans la presqu’île de Saint-Tropez ».

Une note en délibéré présentée pour la SCI Les Gaches a été enregistrée le 10 septembre 2020.

Considérant ce qui suit :

1. Le préfet du Var a, par arrêté du 23 juillet 2014, accordé à la SCI « Les Gaches » une autorisation de défricher une surface de 3 700 m², hors espace boisé classé, sur une parcelle cadastrée section BX n° 178, lieudit Collebasse, à La Croix Valmer. Celle-ci relève appel du jugement du 5 janvier 2018 par lequel le tribunal administratif de Toulon, à la demande, d’une part de la SCI « La Séguranne » et autres demandeurs dans l’affaire enregistrée sous le n° 1403983 et, d’autre part de l’association « Vivre dans la presqu’île de Saint-Tropez », enregistrée sous le n° 150005, a annulé cette décision ainsi que la décision implicite de rejet du recours gracieux de l’association « Vivre dans la presqu’île de Saint-Tropez » du 23 novembre 2014.

Sur la régularité du jugement n° 1403983 du 5 janvier 2018 :

2. Aux termes de l’article R. 832-1 du code de justice administrative : « Toute personne peut former tierce opposition à une décision juridictionnelle qui préjudicie à ses droits, dès lors que ni elle ni ceux qu’elle représente n’ont été présents ou régulièrement appelés dans l’instance ayant abouti à cette décision. ». Par suite, lorsqu’il est saisi d’un recours pour excès de pouvoir contre une autorisation de défricher, le tribunal administratif doit appeler dans l’instance le bénéficiaire de cette autorisation. Toutefois l’absence de communication au bénéficiaire de l’autorisation est sans influence sur la régularité du jugement alors qu’il est loisible au cédant, si le jugement rendu préjudicie à ses droits, de former tierce-opposition contre ce jugement devant le tribunal administratif. Dans ces conditions, le moyen tiré de l’irrégularité du jugement n°1403983 doit être écarté.

Sur le bien-fondé des jugements n° 1403983, 1500005 :

3. Le tribunal après avoir joint les affaires enregistrées sous les n° 1403983 et n° 1500005, a tout d’abord accueilli le moyen tiré de l’exception d’illégalité du plan local d’urbanisme en tant qu’il n’a pas classé la parcelle cadastrée BX 178 dans son intégralité en espace boisé classé, en méconnaissance du dernier alinéa de l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme.

4. Toutefois, l’illégalité d’un acte administratif, qu’il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée à l’appui de conclusions dirigées contre une décision administrative que si cette dernière a été prise pour son application ou s’il en constitue la base légale. Or l’autorisation de défrichement en litige n’est pas un acte pris pour l’application de la délibération approuvant le plan local d’urbanisme (PLU) communal, laquelle ne constitue pas davantage sa base légale. Ainsi, c’est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal a accueilli le moyen tiré de l’exception d’illégalité du PLU.

5. Le tribunal a ensuite accueilli le moyen tiré de la méconnaissance du dernier alinéa de l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme selon lequel : « Le plan local d’urbanisme doit classer en espaces boisés, au titre de l’article L. 130-1 du présent code, les parcs et ensembles boisés existants les plus significatifs de la commune ou du groupement de communes, après consultation de la commission départementale compétente en matière de nature, de paysages et de sites. ». Il résulte de ces dispositions que la protection prévue à l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme, sur lequel le juge de l’excès de pouvoir exerce un contrôle normal, est applicable à tout terrain situé sur le territoire d’une commune littorale et ayant les caractéristiques définies à cet article, que ce terrain soit ou non situé à proximité du rivage. Par suite la société requérante ne peut utilement se prévaloir du fait que le terrain en litige ne se situerait pas à « proximité du rivage ».

6. En l’espèce, le terrain cadastré section BX n° 178, objet de l’arrêté de défrichement contesté, d’une superficie totale de 12 704 m², est classé dans sa totalité en secteur « UCa » du PLU et en espace boisé classé (EBC) au Sud et à l’Est de la parcelle. Le défrichement concerne la partie Ouest du terrain sur une superficie de 3 700 m², hors EBC. Ce dernier se trouve sur le bassin versant du vallon des Gaches, quasiment vierge de construction, abritant en fond de vallon une ripisylve bordant un ruisseau éponyme qui débouche sur la plage de Gigaro située environ 700 mètres plus bas. Ladite parcelle jouxte au Nord-Ouest le lotissement du Gigaro, et au Sud-Ouest quelques constructions. L’EBC qui la frappe au Sud Est se situe en continuité du vaste massif boisé du Cap Lardier, site classé des trois caps méridionaux de la presqu’île de Saint Tropez et de la zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) de type 1 « Cap Lardier, Taillat et Camarat ». Et il ressort des pièces du dossier, et notamment de l’étude paysagère de la SAS Provence Forêts réalisée en juillet 2014 par la société pétitionnaire elle-même, et des photographies, que cette parcelle est plantée de nombreux arbres, parmi lesquels des arbres de haute tige et notamment des pins parasols, des pins d’Alep, des eucalyptus, des chênes liège, des chênes verts et blancs et des arbousiers. Dans un courrier du 14 novembre 2014, le Conservatoire du littoral fait état d’un « périmètre d’intervention foncière qui couvre les parcelles comprises entre l’actuelle propriété du Conservatoire du littoral et les zones urbanisables du PLU » qui « recouvre la parcelle BX 178 sur sa moitié Est (dont une partie est classée en EBC) » et relève " la qualité paysagère et écologique de cette vaste coupure d’urbanisation littorale […] exceptionnelle. ". Ce boisement constitue ainsi le prolongement du massif boisé du Cap Lardier avec lequel il présente une unité paysagère. Par suite, nonobstant la présence de constructions à l’Ouest, eu égard à la configuration des lieux, au caractère du boisement, par rapport à d’autres espaces boisés de la commune et à la taille des arbres, c’est à bon droit que le tribunal a estimé que ce boisement appartenait aux ensembles boisés existants les plus significatifs de la commune, au sens du dernier alinéa de l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme et en a déduit que l’arrêté attaqué méconnaissait ces dispositions.

7. Le tribunal a enfin également accueilli le moyen tiré de la violation des dispositions de l’article L. 146-6 alinéa 1 et R. 146-1 du code de l’urbanisme. L’article L. 146-6 alinéa 1 du code de l’urbanisme dispose que : « Les documents et décisions relatifs à la vocation des zones ou à l’occupation et à l’utilisation des sols préservent les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral, et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques. Un décret fixe la liste des espaces et milieux à préserver, comportant notamment, en fonction de l’intérêt écologique qu’ils présentent, les dunes et les landes côtières, les plages et lidos, les forêts et zones boisées côtières, les îlots inhabités, les parties naturelles des estuaires, des rias ou abers et des caps, les marais, les vasières, les zones humides et milieux temporairement immergés ainsi que les zones de repos, de nidification et de gagnage de l’avifaune désignée par la directive européenne n° 79-409 du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages et, dans les départements d’outre-mer, les récifs coralliens, les lagons et les mangroves. ». Et selon l’article R. 146-1 du même code : " En application du premier alinéa de l’article L. 146-6 sont préservés, dès lors qu’ils constituent un site ou un paysage remarquable ou caractéristique du patrimoine naturel et culturel du littoral, sont nécessaires au maintien des équilibres biologiques ou présentent un intérêt écologique : / […] b) Les forêts et zones boisées proches du rivage de la mer et des plans d’eau intérieurs d’une superficie supérieure à 1 000 hectares ". Pour apprécier si les parcelles en cause présentent le caractère de site ou paysage remarquable à protéger au sens du premier alinéa de l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme, l’autorité compétente ne peut se fonder sur leur seule continuité avec un espace présentant un tel caractère, sans rechercher si elles constituent avec cet espace une unité paysagère justifiant dans son ensemble cette qualification de site ou paysage remarquable à préserver.

8. En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que le terrain cadastré section BX n° 178 se situe à environ 600 à 700 mètres du rivage et constitue de ce fait un « espace proche du rivage », au sens de l’article R. 146-1 précité du code de l’urbanisme, compte tenu de la configuration des lieux, alors même qu’il n’est pas visible depuis la mer.

9. Et il ressort des pièces du dossier que la parcelle en litige qui est plantée de nombreux arbres, parmi lesquels des arbres de haute tige, ainsi qu’il a été dit au point 6, s’intègre dans un fond de vallon verdoyant, qui se prolonge au Sud sur l’EBC délimité sur la même parcelle pour s’intégrer dans le massif du Cap Lardier, et vers la ZNIEFF n° 83-100-163 « Caps Lardier, Taillat-Camarat » et le site Natura 2000 FR 9301624 « Zone spéciale de conservation corniche varoise » ainsi qu’avec le site classé n° 93C83047 des trois caps méridionaux de la presqu’île de Saint-Tropez. Le Conservatoire du littoral a ainsi souligné dans son courrier précité du 14 novembre 2014 la " qualité paysagère et écologique de cette vaste coupure d’urbanisation littorale […] exceptionnelle « . Ni la circonstance que cette parcelle, située à fond de vallon, ne soit pas directement visible du rivage de la mer, ni celle qu’elle se trouve à proximité au Nord du lotissement du Gigaro et de celui du domaine de la Baie Valmer ne sont de nature à remettre en cause l’unité paysagère d’ensemble, caractéristique du patrimoine naturel et culturel du littoral méditerranéen, formé par la parcelle en cause avec l’espace situé au Sud et à l’Est dans lequel elle s’intègre. C’est donc à bon droit que le tribunal a admis le caractère remarquable des lieux, au sens des articles L. 146-6 et R. 146-1 b) précités du code de l’urbanisme, qu’il a estimés par conséquent méconnus, et a par suite annulé l’autorisation de défrichement qui avait été accordée le 23 juillet 2014 à la SCI » Les Gâches ".

10. Les motifs du jugement tirés de la méconnaissance de l’article L. 146-6 dernier alinéa du code de l’urbanisme et des articles L. 146-6 et R. 146-1 b) du même code suffisent à justifier les jugements d’annulation attaqués.

11. Par conséquent, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la requête d’appel dirigée contre le jugement n° 1403983, la SCI « Les Gaches » n’est pas fondée à se plaindre de ce que c’est à tort que le tribunal administratif de Toulon a annulé l’autorisation de défricher qui lui avait été accordée le 23 juillet 2014, ainsi que la décision implicite de rejet du recours gracieux de l’association « Vivre dans la presqu’île de Saint-Tropez ».

Sur les conclusions au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions de la SCI Les Gâches dirigées contre la SCI « Domaine de la Ségurane » et l’association « Vivre dans la Presqu’île de Saint-Tropez » qui ne sont pas, dans la présente instance, parties perdantes. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la SCI « Les Gâches » la somme de 1 500 euros à verser la SCI « Domaine de La Ségurane » et la somme de 1 500 euros à verser à l’association « Vivre dans la Presqu’île de Saint-Tropez » en application de ces dispositions.

D É C I D E :


Article 1er : La requête de la SCI « Les Gâches » est rejetée.


Article 2 : La SCI « Les Gâches » versera la somme de 1 500 euros chacune à la SCI « Domaine de La Ségurane » et à l’association « Vivre dans la presqu’île de Saint-Tropez » au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.


Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI « Les Gâches », à la SCI « Domaine de La Ségurane », à l’association « Vivre dans la presqu’île de Saint-Tropez » et au ministre de l’agriculture et de l’alimentation.


Copie en sera adressée au préfet du Var, à M. I… A…, à Mme O… B…, à M. F… D…, à M. J… N…, à Mme H… M… et à M. P… G….

Délibéré après l’audience du 3 septembre 2020, où siégeaient :

— M. Poujade, président de chambre,

 – M. Portail, président assesseur,

 – Mme E…, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 17 septembre 2020.

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N° 18MA00970

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