CAA de NANCY, 4ème chambre, 28 décembre 2021, 19NC03717, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Sertelet Yves a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l’établissement public de santé Alsace Nord (EPSAN) à lui verser une somme de 108 699 euros hors taxe (HT), soit 130 438,80 euros toutes taxes comprises (TTC), avec intérêts à compter du 6 juin 2017, en règlement du solde du lot n°4 « charpente bois » du marché public conclu pour la construction d’une structure d’hospitalisation complète de psychiatrie adulte de cent-quarante lits.

Par un jugement n° 1706648 du 24 octobre 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 24 décembre 2019, la SARL Sertelet Yves, représentée par la Selas Fidal, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 24 octobre 2019 ;

2°) de faire droit à sa demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l’EPSAN le versement d’une somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 – le jugement du tribunal administratif de Strasbourg est irrégulier en ce qu’il comprend d’importantes erreurs de droit et d’appréciation ;

 – contrairement à ce qu’ont estimé les premiers juges, elle apporte la preuve de la faute commise par le maître de l’ouvrage dans le contrôle de l’exécution du marché ;

 – le maître de l’ouvrage a également commis une faute dans le choix du titulaire de la mission OPC qui s’est révélé incompétent ;

 – elle a le droit à être indemnisée des préjudices résultant des difficultés rencontrées dans l’exécution du marché en raison des fautes commises par le maître de l’ouvrage, soit 1 750 euros au titre de frais de secrétariat et 71 400 euros au titre des surcoûts engendrés par les différents décalages d’intervention ;

 – elle a droit au paiement des plans d’exécution qu’elle a réalisés à la demande de l’EPSAN à la place du maître d’œuvre ;

 – le retard dans la transmission des plans d’atelier et de chantier ne lui est pas imputable et ne saurait donner lieu à l’application de pénalités ;

 – les travaux de la zone 10 étaient achevés le 27 août 2014 et ne sauraient donner lieu à l’application de pénalités dès lors que le retard ne lui est pas imputable ;

 – sa participation aux réunions de chantier dont elle était absente n’était pas utile, de sorte que l’EPSAN ne saurait lui appliquer des pénalités à ce titre ;

 – la retenue de 1 020 euros HT n’est pas fondée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 février 2020, l’EPSAN, représenté par la Selarl CM Affaires publiques, conclut au rejet de la requête et au versement d’une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

 – la société Sertelet ne démontre pas l’existence de fautes imputables au maître de l’ouvrage ;

 – subsidiairement, les coûts de secrétariat et de présence aux réunions de chantier sont inclus dans la rémunération forfaitaire du titulaire du marché ; la tardiveté dans le paiement des acomptes mensuels n’est pas établie ; les surcoûts liés au décalage du chantier ne sont pas justifiés ;

 – la société Sertelet n’est pas fondée à solliciter le paiement de travaux supplémentaires dès lors qu’il ne lui a pas été demandé de faire les plans d’exécution et qu’elle ne démontre pas, en tout état de cause, les avoir réalisés ;

 – elle est fondée à demander l’inscription dans le décompte, au débit de la société Sertelet, d’une somme totale de 20 000 euros résultant de l’application de pénalités de retard d’un montant contractuel total de 38 800 euros ;

 – elle est fondée à demander l’inscription dans le décompte, au débit de la société Sertelet, d’une somme de 1 020 euros en indemnisation du coût des notes de calcul qu’elle a dû faire réaliser en lieu et place du titulaire du marché.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de Mme Picque, première conseillère,

 – les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

 – et les observations de Me Dezempte, représentant l’EPSAN.

Considérant ce qui suit :

1. En 2013, l’EPSAN s’est engagé dans un projet de construction d’une structure nouvelle d’hospitalisation complète de psychiatrie adulte de cent-quarante lits. Par un acte d’engagement du 9 octobre 2013, le maître de l’ouvrage a confié l’exécution du lot n°4 « charpente bois » du marché public de travaux à la société Sertelet Yves pour un montant global et forfaitaire de 106 000 euros HT. Le 15 mars 2017, cette société a établi son projet de décompte final, d’un montant de 113 998,60 euros HT en sa faveur, comprenant une somme de 108 699 euros au titre de « surcoûts supplémentaires ». Le 4 mai 2017, l’EPSAN a transmis à la société Sertelet Yves le décompte général du marché, arrêté à la somme de 14 590,62 euros au débit du titulaire, après application de 20 000 euros de pénalités de retard et 1 020 euros de retenue. La société a contesté ce décompte général dans un mémoire en réclamation reçu le 6 juin 2017 par l’EPSAN. Le maître de l’ouvrage a rejeté la réclamation de l’entreprise le 15 juin 2017. La société Sertelet Yves fait appel du jugement du 24 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l’établissement public à lui verser la somme de 108 699 euros HT, soit 130 438, 80 TTC au titre du solde du marché.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Si la société Sertelet soutient que les premiers juges auraient commis des erreurs de droit et d’appréciation, ces circonstances, si elles étaient fondées, seraient seulement susceptibles d’affecter le bien-fondé du jugement attaqué, dont le contrôle est opéré par l’effet dévolutif de l’appel, et sont sans incidence sur sa régularité.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne les travaux supplémentaires :

3. La société Sertelet ne démontre pas, comme elle le soutient, que l’EPSAN lui aurait demandé de réaliser les plans d’exécution à la place du maître d’œuvre. Dans ces conditions, la société Sertelet n’est pas fondée à demander l’inscription dans le décompte, à son crédit, d’une quelconque somme au titre de travaux supplémentaires.

En ce qui concerne l’indemnisation des difficultés rencontrées dans l’exécution du marché :

4. Les difficultés rencontrées dans l’exécution d’un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à une indemnité au profit de l’entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l’économie du contrat, soit qu’elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l’exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l’estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en œuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics. En revanche, le titulaire du marché ne peut demander une indemnisation au maître de l’ouvrage du seul fait des fautes commises par d’autres intervenants.

5. En premier lieu, si la société Sertelet Yves soutient que le maître de l’ouvrage aurait laissé le chantier subir « d’importantes dérives » qui, selon elle, seraient à l’origine de l’allongement de la durée du chantier, les pièces qu’elle produit, ne démontrent pas, comme elle l’affirme, qu’elle aurait alerté l’EPSAN des risques de retard. Par ailleurs et en tout état de cause, les reproches allégués sont relatifs à la mission d’ordonnancement, de pilotage et de la coordination (OPC) qui relevait du maître d’œuvre et non du maître d’ouvrage. Dans ces conditions, la faute de l’EPSAN dans ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché de travaux n’est pas établie.

6. En second lieu, il ne résulte pas de l’instruction que l’EPSAN aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité en retenant la société EPC comme titulaire de la mission OPC.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la société Sertelet Yves n’est pas fondée à demander l’inscription dans le décompte, à son crédit, d’une quelconque somme au titre des fautes qu’auraient commises le maître d’ouvrage.

En ce qui concerne les pénalités de retard :

8. En premier lieu, selon l’article 4.3 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché en litige, sur simple constat dans les comptes rendus de chantier et/ou des coordonnateurs OPC et/ou SPS, une pénalité de 200 euros par jour et par plan est applicable en cas de retard dans la remise et/ou la diffusion des plans de détail d’exécution.

9. Il résulte de l’instruction que le maître de l’ouvrage a appliqué à la société Sertelet Yves des pénalités de retard en raison d’un retard de 98 jours pour la transmission des plans d’atelier et de chantier (PAC). La société requérante, qui ne conteste pas la réalité de ce retard, ne démontre pas, en particulier par le courrier du 23 septembre 2014 adressé à l’OPC, qu’il ne lui serait pas imputable.

10. En deuxième lieu, selon l’article 4.3 du CCAP : « par dérogation à l’article 20.1 du CCAG, l’entrepreneur subira par jour calendaire de retard dans l’exécution des travaux sur un délai partiel d’une tâche sur le » chemin critique " ou sur un délai global, une pénalité journalière HT en euros de 1/2000ème du montant HT du marché avec un minimum de 500 €uros /jour. On entend par chemin critique toute tâche provoquant en cas de retard un décalage dans le temps d’une autre tâche. Les pénalités sont encourues du simple fait de la constatation du retard par l’un des membres de l’équipe de maîtrise d’œuvre ".

11. Il résulte de l’instruction, et en particulier du courriel de l’OPC du 25 août 2014 et du compte-rendu du chantier du 8 octobre 2014, que la pose de la charpente du bloc 10, qui, selon le calendrier contractuel devait avoir lieu sur cinq jours entre le 12 et le 19 août 2014, n’a été achevée que le 9 octobre 2014 et non le 27 août 2014 comme l’affirme la société Sertelet Yves. Celle-ci ne justifie pas qu’elle était dans l’impossibilité technique, en particulier au regard du temps de séchage du béton, d’intervenir plus tôt.

12. En dernier lieu, l’article 4.3 du CCAP prévoit également une pénalité de 150 euros pour les retards supérieurs à un quart d’heure et les absences du titulaire aux réunions de chantier et une pénalité de 60 euros pour les retards inférieurs à un quart d’heure.

13. En se bornant à soutenir que sa participation aux réunions de chantier auxquelles il est constant qu’elle ne s’est pas présentée n’était pas utile, la société Sertelet Yves ne conteste pas utilement le bien-fondé de la pénalité que l’EPSAN lui a infligée en application des stipulations énoncées au point précédent qui résulte du seul constat de l’absence à la réunion.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la société Sertelet Yves ne remet pas en cause le bien-fondé des pénalités contractuelles de retard mises au débit de son décompte.

En ce qui concerne la retenue :

15. S’il ressort du décompte général établi par l’EPSAN que ce dernier a opéré une « retenue » d’un montant de 1 020 euros correspondant au coût des notes de calcul qu’il a effectuées en lieu et place de la société requérante, la réalité de ce préjudice financier n’est pas démontrée. Par suite, il n’y a pas lieu d’inscrire cette somme au débit du décompte général du marché.

En ce qui concerne le solde :

16. Le montant des travaux réalisés par la société Sertelet Yves s’élève à la somme non contestée de 127 923,10 euros TTC. Il résulte de ce qui a été dit aux points 8 à 14 qu’il y a lieu de déduire de ce montant les pénalités de retard d’un montant 20 000 euros, somme modulée par l’EPSAN alors que les pénalités contractuelles s’élevaient à 38 800 euros. Compte tenu des sommes déjà perçues, à hauteur de 121 493,62 euros TTC, le solde du marché est donc arrêté à la somme de 13 570,52 TTC au débit de la société Sertelet Yves. Par suite, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l’EPSAN à lui verser la somme de 130 438,80 euros TTC en règlement du solde du marché.

Sur les frais liés à l’instance :

17. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l’intimé, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société Sertelet Yves demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la requérante le versement de la somme de 1 500 euros à l’EPSAN sur le fondement des mêmes dispositions.

D E C I D E :


Article 1er : La requête de la SARL Sertelet Yves est rejetée.


Article 2 : La SARL Sertelet Yves versera à l’établissement public de santé Alsace Nord une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Sertelet Yves et à l’établissement public de santé Alsace Nord

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N° 19NC03717

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