CAA de PARIS, 5ème Chambre, 19 juin 2014, 12PA00444, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

Vu le recours, enregistré le 24 janvier 2012, présenté par le ministre des affaires étrangères et européennes, qui demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 0908076/5-2 du 1er décembre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Paris a condamné l’Etat à verser la somme de 19 766 euros à M. A… B…, augmentée des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, ainsi que la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B… devant le Tribunal administratif de Paris ;

………………………………………………………………………………………………………….

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention internationale du 13 février 1946 sur les privilèges et immunités des Nations Unies ;

Vu l’accord du 18 février 1953 entre le gouvernement français et le Haut commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, en vue de l’installation en France et du fonctionnement en France de la délégation du Haut commissariat ;

Vu la loi n°2003-1367 du 31 décembre 2003 autorisant l’approbation de l’accord sur les privilèges et immunités de la Cour pénale internationale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 5 juin 2014 :

— le rapport de M. Blanc, premier conseiller,

— et les conclusions de Mme Dhiver, rapporteur public ;

1. Considérant qu’il résulte de l’instruction que M. B…, qui avait été recruté par la délégation pour la France du Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), par un contrat conclu le 6 août 1990, en qualité de juge assesseur auprès de la Commission de recours des réfugiés, a été licencié le 13 mars 1998 ; que, par un arrêt en date du 7 novembre 2006, devenu définitif, la Cour d’appel de Paris a condamné la délégation du HCR à verser à M. B… la somme de 16 766 euros au titre de ses congés payés, d’une indemnité de licenciement, et d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ; que la délégation du HCR s’est opposée aux mesures prises à son encontre pour l’exécution de cet arrêt en invoquant l’immunité prévue par la section 2 de l’article 2 de la convention internationale du 13 février 1946 sur les privilèges et immunités des Nations Unies ; que M. B… a, le 5 janvier 2009, présenté au ministre des affaires étrangères une demande, à laquelle il n’a pas été répondu, tendant à obtenir la réparation du préjudice qu’il estimait avoir subi en raison de l’immunité d’exécution dont bénéficient en France les organes des Nations Unies et du refus d’exécution par le HCR de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 7 novembre 2006 ; que le ministre des affaires étrangères fait appel du jugement en date du 1er décembre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Paris a jugé que la responsabilité de l’Etat français était engagée et a condamné celui-ci à verser à M. B… la somme totale de 19 766 euros, augmentée des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice subi par l’intéressé ;

2. Considérant que la responsabilité de l’Etat est susceptible d’être engagée, sur le fondement de l’égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de conventions conclues par la France avec d’autres Etats et entrées en vigueur dans l’ordre interne, à la condition, d’une part, que ni la convention elle-même, ni la loi qui en a éventuellement autorisé la ratification, ne puissent être interprétées comme ayant entendu exclure toute indemnisation et, d’autre part, que le préjudice dont il est demandé réparation, revêtant un caractère grave et spécial, ne puisse, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés ;

3. Considérant, en premier lieu, qu’il ne ressort ni des termes de l’accord du 18 février 1953 entre le gouvernement français et le Haut commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, en vue de l’installation en France et du fonctionnement en France de la délégation du Haut commissariat, ni de la convention du 13 février 1946 sur les privilèges et immunités des Nations Unies auquel cet accord renvoie, que les parties ont exclu toute indemnisation par l’Etat des préjudices nés de leur application ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que, pour s’opposer à la demande de M. B…, le ministre se prévaut de la généralité des stipulations de la convention du 13 février 1946 qui prévoient une immunité d’exécution au profit de l’Organisation des Nations Unies et fait valoir que l’appréciation du caractère spécial du préjudice invoqué par l’intéressé doit être faite au regard du comportement de l’ensemble des organes des Nations Unies sur le territoire français à l’égard de leurs employés, auxquels cette règle a vocation à s’appliquer ; que, toutefois, le caractère spécial du préjudice invoqué doit être apprécié non seulement au regard de la portée des stipulations en cause mais également en tenant compte du nombre connu ou estimé de victimes de dommages analogues à ceux subis par la personne qui en demande réparation ; que le ministre ne soutient, ni même n’allègue, que la délégation du HCR ou d’autres organes des Nations Unies exerçant leur activité en France, auraient opposé, à d’autres reprises, l’immunité prévue par la convention du 13 février 1946 pour se soustraire à l’exécution d’une condamnation prononcée par une juridiction française en faveur d’un de leurs employés, ni que le nombre des victimes de dommages analogues à celui subi par M. B… serait important ; qu’ainsi, le préjudice dont se prévaut l’intimé doit être regardé comme présentant un caractère spécial et, dès lors, comme ne constituant pas une charge lui incombant normalement ;

5. Considérant, en troisième lieu, que le ministre soutient que M. B…, qui exerçait les fonctions de juge assesseur auprès de la Commission de recours des réfugiés avant son licenciement, ne pouvait ignorer les immunités dont bénéficiait son employeur, en tant qu’organisation internationale ; que, toutefois, un salarié ne peut être réputé avoir par avance accepté le risque résultant de la méconnaissance par son employeur des dispositions d’ordre public applicables à la conclusion et à l’exécution de son contrat de travail ; que, parmi ces dispositions, figurent celles permettant le recouvrement, même contraint, des créances salariales du salarié sur son employeur en contrepartie du travail effectué et des indemnités pouvant résulter de la rupture de ce contrat par l’employeur ; que la chambre sociale de la Cour d’appel de Paris, a, par un arrêt du 7 novembre 2006, jugé que M. B… devait être regardé comme ayant été employé par le HCR à compter du 6 août 1990 en vertu d’un contrat de travail régi par la loi française et qu’il avait ainsi la qualité de salarié ; que, par suite, l’exception de risque accepté tirée de ce que M. B… ne pouvait ignorer l’immunité d’exécution que la délégation du HCR pouvait, le cas échéant, invoquer en cas de litige lors de la rupture de son contrat de travail, ne peut lui être opposée ;

6. Considérant, en quatrième lieu, qu’ainsi qu’il a été dit, la Cour d’appel de Paris, a, dans son arrêt précité, condamné la délégation du HCR à indemniser M. B… du dommage causé par son licenciement ; que le préjudice dont M. B… demande la réparation à l’Etat français, qui est distinct de celui dont il s’est prévalu à l’encontre de la délégation du HCR, réside non pas dans les conditions de son licenciement, ni même dans l’impossibilité de faire valoir ses droits par l’exercice d’une voie de recours juridictionnelle de droit commun, mais dans le seul défaut d’exécution d’une décision de justice définitive rendue en sa faveur, en raison de l’immunité d’exécution prévue au profit des organes des Nations Unies par les stipulations de la section 2 de l’article II de la convention internationale du 13 février 1946 ; qu’ainsi, la circonstance que M. B… n’aurait pas exercé une autre voie de droit, telle celle de l’arbitrage, qui aurait pu, le cas échéant, lui permettre d’obtenir la reconnaissance d’un droit à indemnisation, est sans incidence sur l’appréciation du caractère certain du préjudice dont celui-ci demande la réparation à l’Etat français, dès lors qu’une telle action ne lui aurait pas permis, en tout état de cause, d’obtenir l’exécution de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 7 novembre 2006 ; que si, par ailleurs, M. B… n’a pas saisi le juge de l’exécution, cette voie de recours était néanmoins manifestement vouée à l’échec, la délégation du HCR ayant constamment opposé l’immunité d’exécution prévue par les stipulations de la convention du 13 février 1946 pour faire obstacle à toutes les demandes d’exécution et aux actes de poursuites émis à son encontre ; que M. B… a ainsi suffisamment établi que son préjudice présentait un caractère certain ;

7. Considérant, en cinquième et dernier lieu, qu’il résulte de l’instruction et qu’il n’est pas contesté que le préjudice dont se prévaut M. B…, au regard de sa situation et des sommes en cause, revêt un caractère de gravité de nature à ouvrir droit à indemnisation ;

8. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le ministre n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a retenu la responsabilité de l’Etat sur le fondement de la rupture d’égalité devant les charges publiques et l’a condamné à indemniser M. B… du préjudice subi par celui-ci en raison de son licenciement ;

9. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat le versement d’une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B… et non compris dans les dépens ;


DÉCIDE :


Article 1er : Le recours du ministre des affaires étrangères et européennes est rejeté.

Article 2 : L’Etat versera à M. B… une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

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N°12PA00444

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