CAA de PARIS, 1ère chambre , 20 octobre 2015, 15PA00239, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Paris, 1re ch., 20 oct. 2015, n° 15PA00239
Juridiction : Cour administrative d'appel de Paris
Numéro : 15PA00239
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Décision précédente : Tribunal administratif de Paris, 16 novembre 2014, N° 1408284/6-2
Identifiant Légifrance : CETATEXT000031389835

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D… A…, néeH…, Mme F… E…, néeH…, M. C… H…, M. B… H…, M. G… H…, M. I… H… et Mme L… H… ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l’Etat à réparer l’intégralité des préjudices qu’ils ont subis en qualité d’ayants droit de Mme K… J… et M. M…-C… H…, leurs grand-mère et père, du fait des ordonnances des 16 janvier 1945 et 18 juillet 1945 nationalisant l’ensemble des actifs de la société anonyme des usines H… ayant appartenu à LouisH….

Par un jugement n° 1408284/6-2 du 17 novembre 2014, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 16 janvier 2015, et un mémoire en réplique, enregistré le 24 avril 2015, Mme A…, néeH…, Mme E…, néeH…, M. C… H…, M. B… H… et M. G… H…, représentés par Me Lévy, demandent à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1408284/6-2 du 17 novembre 2014 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de condamner l’Etat, sur le fondement de la faute commise du fait de l’adoption des ordonnances des 16 janvier 1945 et 18 juillet 1945, non conformes à plusieurs principes de valeur constitutionnelle, ou, subsidiairement, sur le fondement de la responsabilité sans faute du fait de la rupture d’égalité devant les charges publiques, à leur verser un euro au titre de l’indemnisation de leur préjudice moral et le montant qui sera déterminé par un expert, nommé par arrêt avant dire droit, au titre de l’indemnisation de leur préjudice matériel, sommes assorties des intérêts au taux légal avec capitalisation ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 30 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

— la déchéance quadriennale ne peut leur être opposée car le préjudice dont ils demandent l’indemnisation ne se limite pas à la privation de propriété intervenue en 1945 mais comprend le préjudice résultant de l’atteinte aux droits de la défense et au droit à un recours juridictionnel effectif ; cette situation préjudiciable continue a duré de 1945 jusqu’à l’entrée en vigueur du mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité ;

 – aucune créance ne peut être regardée comme acquise tant que celui qui s’en prévaut est privé de la possibilité d’élever une prétention juridictionnelle ; en l’espèce, leur créance ne pourra être considérée comme acquise que lorsque le Conseil constitutionnel se sera prononcé sur la conformité des ordonnances des 16 janvier et 18 juillet 1945 à la Constitution ; du moins l’impossibilité de faire reconnaître l’inconstitutionnalité de ces ordonnances jusqu’à la mise en place de la question prioritaire de constitutionnalité a suspendu, en l’absence de recours effectif, le délai de prescription ;

 – l’Etat engage sa responsabilité du fait de l’adoption de normes à valeur législative, les ordonnances de 1945 précitées, en violation de nombreux droits et principes à valeur constitutionnelle : ces ordonnances ont violé le droit de propriété en dehors de toute « nécessité publique » et sans « juste et préalable indemnité », elles ont le caractère d’une peine qui ne pouvait être infligée sans intervention de l’autorité judiciaire et ne respectent ni le principe de la personnalité des peines ni celui de la présomption d’innocence, elles ont été prises en violation des droits de la défense et du principe de non-rétroactivité de la loi pénale la plus sévère et elles ont privé, de par leur nature législative, les héritiers de Louis H… du droit à un recours effectif ;

 – la responsabilité de l’Etat est également susceptible d’être engagée sur le fondement de la rupture d’égalité des citoyens devant les charges publiques ; les ordonnances de 1945 ont causé un préjudice certain, anormal et spécial aux héritiers de LouisH…, explicitement privés du bénéfice de l’indemnisation légale et seuls à l’être ;

— l’Etat ne peut invoquer l’autorité de la chose jugée puisque les requérants ne demandent pas, comme en 1961, réparation de l’atteinte portée aux droits de LouisH…, mais à ceux de son fils, Jean-Louis, et de son épouse, K… J…, ainsi qu’à leurs droits propres, ce qui constitue des préjudices différents ;

 – le préjudice matériel est constitué par le fait que Jean-Louis H… et Christiane J… ont été privés des biens énumérés par les ordonnances litigieuses et les arrêtés pris pour leur application sans indemnité préalable et sans recours effectif possible ; la valeur de ces biens devra être déterminée par un expert ;

 – le préjudice moral résulte de l’infliction à Christiane J… et Jean-Louis H… d’une sanction imméritée les désignant comme indignes de conserver les biens dont ils avaient hérité et doit être évalué à un euro.

Par un mémoire distinct, enregistré le 16 janvier 2015, les requérants demandent à la Cour, en application des articles 23-1 et 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d’Etat, aux fins de transmission au Conseil constitutionnel, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles 1er à 4 de l’ordonnance n° 45-68 du 16 janvier 1945 portant nationalisation des usinesH…, modifiée par l’ordonnance n° 45-1582 du 18 juillet 1945.

Ils soutiennent que :

 – les dispositions contestées ont été reconnues de valeur législative et sont applicables au litige dès lors qu’est recherchée la responsabilité de l’Etat, d’une part, pour avoir édicté une loi non conforme à la Constitution et, d’autre part, pour rupture de l’égalité devant les charges publiques en l’absence de toute indemnisation ;

 – elles n’ont pas déjà été soumises au Conseil constitutionnel ;

 – la question de la conformité de ces dispositions législatives à la Constitution présente un caractère sérieux :

 – les articles 1er à 4 susmentionnés portent atteinte au droit de propriété sans qu’il soit justifié d’une nécessité publique et sans aucune indemnisation en violation du principe du droit de propriété figurant à l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ;

 – la confiscation de biens contestée constitue une sanction, qui n’a pas été prononcée dans le respect des principes découlant de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ;

 – elle ne respecte pas le principe de la personnalité des peines, dès lors qu’elle atteint non pas Louis H… mais ses héritiers ;

 – elle a été prononcée en violation du principe de la présomption d’innocence énoncé par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ;

 – la confiscation prononcée après le décès de Louis H… est intervenue en violation du principe des droits de la défense prévu par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ;

 – les héritiers ont été privés de leur droit à un recours effectif ;

 – la sanction porte sur des faits antérieurs à l’ordonnance du 16 janvier 1945 et porte donc atteinte aux principes de légalité des délits et des peines et de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère ;

 – l’abrogation des ordonnances litigieuses par la loi n° 2007-1787 du 20 décembre 2007 n’interdit pas de constater leur inconstitutionnalité dans une instance postérieure.

Par un nouveau mémoire, enregistré le 24 avril 2015, relatif à la demande de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité, Mme A… et autres persistent dans leurs conclusions en faisant en outre valoir que :

 – lorsque se pose une question de recevabilité d’une requête, le juge n’est pas tenu de la trancher avant de décider de la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité ;

 – les ordonnances en cause violent les principes constitutionnels régissant les nationalisations, expropriations et confiscations ;

 – ni les conditions de la déchéance quadriennale ni celles relatives à l’autorité de la chose jugée ne sont réunies, de sorte que ces exceptions ne peuvent être opposées à leur demande.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 23 mars et 16 juin 2015, le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique conclut au rejet de la requête et à la non-transmission de la question prioritaire de constitutionnalité.

Il soutient que :

— le caractère prioritaire de la question de constitutionnalité, qui n’est pas l’objet principal du litige mais seulement un moyen de droit, ne fait pas obstacle à ce que la Cour examine les questions préalables à l’examen au fond de la requête, en l’espèce les exceptions tirées de la prescription et de l’autorité de la chose jugée ;

 – les créances sont prescrites depuis le 31 décembre 1949 en application de l’article 9 de la loi du 20 janvier 1831 alors en vigueur, comme l’a jugé le Conseil d’Etat le 10 novembre 1961 ; les consorts H… ne peuvent sérieusement soutenir qu’ils ont été dans l’impossibilité d’agir et que la prescription n’a pas couru ;

 – la réclamation se heurte en outre à l’autorité de chose jugée qui s’attache à la décision rendue par le Conseil d’Etat dans l’instance introduite par Jean-LouisH…, dont les requérants tiennent les droits qu’ils revendiquent et qui les tenait lui-même de son père LouisH… ;

 – l’ordonnance contestée a clairement entendu exclure toute indemnisation pour la nationalisation de l’ensemble des droits détenus par LouisH… ;

 – la question prioritaire de constitutionnalité soulevée n’est pas nouvelle, puisque la Cour de cassation a déjà refusé de la transmettre.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 – la Constitution ;

 – l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

 – la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution ;

 – la loi du 29 janvier 1831 portant règlement du budget et des dispositions sur la déchéance des créanciers de l’Etat ;

 – l’ordonnance n° 45-68 du 16 janvier 1945 portant nationalisation des usinesH…, modifiée par l’ordonnance n° 45-1582 du 18 juillet 1945 et abrogée par l’article 27 de la loi n° 2007-1787 du 20 décembre 2007 ;

 – la loi n° 45-0195 du 31 décembre 1945 portant fixation du budget général (services civils) pour l’exercice 1946 ;

 – la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de Mme Terrasse, président,

 – les conclusions de M. Romnicianu, rapporteur public,

 – et les observations de Me Lévy, avocat de Mme A… et autres.

Une note en délibéré présentée pour Mme A… et autres a été enregistrée le 23 septembre 2015.

1. Considérant que Mme A… et autres, tous héritiers de M. M…-C… H… et de sa mère, Mme K… J…, épouse de M. C… H…, relèvent appel du jugement du 17 novembre 2014 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant, d’une part, à l’annulation de la décision en date du 24 mars 2014 par laquelle le ministre de l’économie et des finances a refusé de les indemniser des préjudices tant moral que matériel subis par leurs père et grand-mère à raison de l’intervention des ordonnances des 16 janvier et 18 juillet 1945 nationalisant l’ensemble des actifs de la société anonyme des usines H… ayant appartenu à LouisH…, d’autre part, à la transmission au Conseil d’Etat, aux fins de renvoi au Conseil constitutionnel, de plusieurs questions relatives à la conformité de ces ordonnances à des droits et principes de valeur constitutionnelle et, enfin, à la condamnation de l’Etat à leur verser, en réparation du préjudice moral causé par la non-conformité à la Constitution de ces ordonnances, une somme d’un euro et, en réparation du préjudice matériel, la somme déterminée par un expert à nommer par la juridiction ;

Sur les conclusions indemnitaires :

2. Considérant que l’article 1er de l’ordonnance du 16 janvier 1945 modifiée portant nationalisation des usinesH…, abrogée par la loi du 20 décembre 2007, disposait : « La société anonyme des usines H… est dissoute. Elle est liquidée, à compter du 1er janvier 1945, par l’attribution à l’Etat de la totalité de l’actif et du passif de la société » ; qu’aux termes de l’article 3 de la même ordonnance : " Sont confisqués, au profit de la nation, à compter du 1er janvier 1945, et sans qu’il puisse être tenu compte des stipulations unilatérales ou conventionnelles, ou des dispositions législatives qui seront invoquées pour soustraire à la confiscation tout ou partie de ces biens : / 1° L’intégralité de la part revenant dans la liquidation de la société aux actions dont M. C… H… avait l’administration et la jouissance au moment de son décès ; 2° L’intégralité des participations dont M. C… H… avait la jouissance, à la même date, dans les sociétés ou établissements dont l’activité était liée à celle de la Société des usines H… lorsque le montant de ces participations est au moins égal au cinquième du capital des sociétés ou établissements dont il s’agit ; / 3° L’intégralité des droits incorporels dont M. C… H… avait la jouissance au moment de son décès dans des brevets d’invention, licences d’exploitation, procédés de fabrication, marques commerciales ou fonds de commerce utilisables pour l’exploitation des usinesH… ; / 4° L’intégralité des droits attachés à la propriété des biens corporels dont M. C… H… avait l’administration et la jouissance au moment de son décès, et qui seraient utiles à l’exploitation technique, financière ou commerciale des usinesH…, ou au fonctionnement de leurs oeuvres sociales » ;

3. Considérant que, par lettre en date du 13 janvier 2014, les requérants ont présenté au ministre de l’économie et des finances une demande tendant à l’indemnisation du préjudice moral, à hauteur d’un euro, subi par leur père, M. M…-C… H…, et leur grand-mère, Mme K… J…, du fait de la sanction imméritée qui les a désignés comme indignes de conserver la propriété de biens dont ils avaient hérité à la mort de LouisH…, survenue le 24 octobre 1944, et du préjudice matériel, pour un montant à évaluer par un expert, résultant de la dépossession de ces biens par l’effet des dispositions précitées de l’ordonnance du 16 janvier 1945 modifiée, qui méconnaîtraient, selon eux, plusieurs droits et principes de valeur constitutionnelle ; que cette demande a été rejetée par décision du 24 mars 2014 au motif qu’elle se heurtait à l’autorité de chose jugée s’attachant à une décision du Conseil d’Etat du 10 novembre 1961 ; que le Tribunal administratif de Paris a rejeté la demande introduite par les consorts H… au motif que les créances invoquées étaient frappées par la déchéance quadriennale ;

4. Considérant qu’aux termes de l’article 148 de la loi du 31 décembre 1945, abrogeant et remplaçant l’article 9 de la loi du 29 janvier 1831 : « Sont prescrites et définitivement éteintes au profit de l’Etat, des départements, des communes et des établissements publics toutes créances qui, n’ayant pas été acquittées avant la clôture de l’exercice auquel elles appartiennent, n’ont pas pu être liquidées, ordonnées et payées dans un délai de quatre années à partir de l’ouverture de l’exercice » ; que selon l’article 10 de la loi du 29 janvier 1831, modifié par le décret du 30 octobre 1935 : « Les dispositions de l’article précédent ne seront pas applicables aux créances dont l’ordonnancement et le paiement n’auraient pu être effectués, dans les délais déterminés, par le fait de l’administration » ; qu’aux termes de l’article 12 de la loi du 31 décembre 1968 : « Les dispositions de la présente loi sont applicables aux créances nées antérieurement à la date de son entrée en vigueur et non encore atteintes de déchéance à cette même date. Les causes d’interruption et de suspension prévues aux articles 2 et 3, survenues avant cette date, produisent effet à l’égard de ces mêmes créances » ;

5. Considérant que les dispositions précitées de l’ordonnance du 16 janvier 1945 ont prononcé la confiscation sans indemnisation, à compter du 1er janvier 1945, de l’intégralité des biens rentrant dans les catégories qu’elles définissent, dont M. M…-C… H… et Mme K… J…, respectivement fils et épouse de M. C… H…, étaient devenus propriétaires à la suite du décès de ce dernier survenu le 24 octobre 1944 ; que les créances dont se prévalent les requérants sont celles que pouvaient faire valoir Mme K… J… et M. M… -C… H…, qui leur ont été transmises en leur qualité d’héritiers après le décès, d’une part, de Mme K… J… le 28 mars 1979, et, d’autre part, de M. M… -C… H… le 4 juin 1982 ; que si les requérants font valoir que l’ordonnance du 16 janvier 1945 est contraire à plusieurs principes de valeur constitutionnelle et que cette contrariété ne peut être constatée par le Conseil constitutionnel que depuis l’introduction, par la loi organique du 10 décembre 2009, du mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité, cette circonstance[0] n’a pu avoir pour effet de prolonger le délai de déchéance applicable à ces créances ; que le fait générateur tant du préjudice matériel que du préjudice moral qu’ils ont invoqués résulte de la confiscation sans indemnité prononcée par les dispositions ayant valeur législative intervenues au cours de l’année 1945, sans que les requérants puissent utilement soutenir avoir souffert d’un « préjudice continu » jusqu’en 2010 du fait qu’ils ne disposaient pas de la possibilité de contester la conformité des ordonnances à la Constitution ; qu’en vertu des dispositions précitées de l’article 148 de la loi du 31 décembre 1945, applicables à la date de rattachement de ces créances, celles-ci ont été frappées de déchéance le 31 décembre 1949, ainsi que le Conseil d’Etat l’a jugé dans sa décision n° 48349 du 10 novembre 1961 statuant sur le rejet de la demande d’indemnisation présentée par M. M… -C… H… ; que, dès lors, la déchéance étant acquise à la date de l’entrée en vigueur de la loi du 31 décembre 1968, celle-ci n’est pas applicable aux faits de l’espèce ;

6. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le ministre était fondé à opposer devant le juge l’exception de déchéance quadriennale aux conclusions des requérants tendant à l’indemnisation du préjudice matériel que constitue la confiscation de biens sans indemnité ; que le fait générateur des créances en cause étant l’adoption de l’ordonnance du 16 janvier 1945, la déchéance pouvait légalement être opposée tant aux conclusions formulées en invoquant la méconnaissance par des dispositions à valeur législative de principes constitutionnels qu’à celles invoquant la responsabilité du fait de la rupture d’égalité des citoyens devant les charges publiques ;

7. Considérant que Mme A… et autres ont demandé à être indemnisés, à hauteur d’un euro, du préjudice moral résultant de l’infliction à leurs grand-mère et père d’une sanction imméritée les désignant comme indignes de conserver les biens dont ils avaient hérité au décès de LouisH… ; que, toutefois, le fait générateur de ce préjudice est constitué, comme pour le préjudice matériel, par la confiscation décidée par l’ordonnance du 16 janvier 1945 ; que, pour les mêmes motifs, la créance dont se prévalent les requérants à ce titre est donc également prescrite ;

Sur la demande de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité :

8. Considérant qu’aux termes de l’article 61-1 de la Constitution : « Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d’application du présent article » ; qu’aux termes de l’article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 précité de la Constitution : « Devant les juridictions relevant du Conseil d’Etat, (…) le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d’irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé (…) » ; qu’enfin, aux termes de l’article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat (…). Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux. En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu’elle est saisie de moyens contestant la conformité d’une disposition législative, d’une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d’autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d’Etat (…) Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu’à l’occasion d’un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige » ;

9. Considérant que Mme A… et autres font valoir que les ordonnances des 16 janvier et 18 juillet 1945 sont contraires à plusieurs droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment violent les droits de la défense et le droit à un recours effectif, l’interdiction de toute dépossession sans juste et préalable indemnité, le principe d’égalité devant les charges publiques, la présomption d’innocence, la personnalité des peines et la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère ; que, toutefois, les réponses susceptibles d’être apportées par le Conseil constitutionnel à ces questions sont en tout état de cause sans incidence sur la solution du litige dès lors que, ainsi qu’il a été dit aux points 5, 6 et 7, les conclusions indemnitaires des requérants sont frappées par la déchéance quadriennale ; que c’est ainsi à bon droit que le tribunal administratif a jugé qu’il n’y avait pas lieu de transmettre au Conseil d’Etat, aux fins de renvoi au Conseil constitutionnel, la question de la constitutionnalité des dispositions des articles 1er à 4 de l’ordonnance n° 45-68 du 16 janvier 1945 modifiée ;

10. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que Mme A… et autres ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande ; que l’ensemble des conclusions de la requête d’appel doit par suite être rejeté, y compris celles tendant à ce que la Cour ordonne une expertise, qui n’est pas utile à la solution du litige, ou mette, en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, à la charge de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante, la somme demandée au titre des frais de procédure exposés ;


DÉCIDE :


Article 1er : La requête de Mme A… et autres est rejetée.


Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D… A…, néeH…, à Mme F… E…, néeH…, à M. C… H…, à M. B… H…, à M. G… H… et au ministre des finances et des comptes publics.

Délibéré après l’audience du 17 septembre 2015, à laquelle siégeaient :


- Mme Pellissier, présidente de chambre,

- Mme Terrasse, président assesseur,

- M. Gouès, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 20 octobre 2015.


Le rapporteur,
M. TERRASSELa présidente,

S. PELLISSIER

Le greffier,

E. CLEMENTLa République mande et ordonne au ministre des finances et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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N° 15PA00239

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