CAA de PARIS, 3ème chambre, 9 décembre 2021, 21PA02938, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Paris, 3e ch., 9 déc. 2021, n° 21PA02938
Juridiction : Cour administrative d'appel de Paris
Numéro : 21PA02938
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Sur renvoi de : Conseil d'État, 27 mai 2021, N° 441856
Dispositif : Avant dire-droit
Identifiant Légifrance : CETATEXT000044470829

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A… C… a demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler la décision du 28 mars 2018 par laquelle la garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé de faire droit à sa demande de changement de nom par adjonction à ce dernier de « de Montfort Laurito ».

Par un jugement n° 1808222/4/3 du 27 juin 2019, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 28 mars 2018 de la garde des sceaux, ministre de la justice, a enjoint à cette dernière d’examiner à nouveau la demande de M. C… dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros, à verser à M. C… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un arrêt n° 19PA02892 du 20 mai 2020, la cour administrative d’appel de Paris a rejeté l’appel formé par la garde des sceaux, ministre de la justice, et lui a enjoint de présenter au Premier ministre un projet de décret autorisant M. C… à changer son nom en « C… de Montfort Laurito », dans un délai de trois mois à compter de la notification de l’arrêt.

Par une décision n° 441856 du 28 mai 2021, le Conseil d’Etat statuant au contentieux, saisi d’un pourvoi présenté par le garde des sceaux, ministre de la justice, a annulé l’arrêt du

20 mai 2020 de la cour administrative d’appel de Paris et a renvoyé l’affaire devant la même cour.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 4 septembre 2019 et le 10 juin 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement du 27 juin 2019 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande de M. C… devant le tribunal administratif de Paris.

Il soutient que, s’il est constant que l’aïeule de M. C… a porté le nom, éteint, « de Montfort Laurito » et que ce nom ne correspond pas à un prédicat du titre de comte contrairement au premier motif opposé par la décision attaquée, il n’est pas établi que ce nom a été légalement porté à l’état civil français.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 11 octobre 2019 et le 30 juin 2021, ce dernier régularisé le 28 juillet 2021, M. C…, représenté par Me Ancel, conclut au rejet de la requête, à ce qu’il soit enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de procéder au changement de nom sollicité dans un délai deux mois à compter de la notification de l’arrêt à intervenir, à ce qu’il soit ordonné de porter la mention de l’arrêt à intervenir en marge de son acte de naissance et à ce que soit mise à la charge de l’État la somme de 3 600 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

 – le moyen tiré de l’existence d’un doute sur la nationalité française de sa grand-mère n’a été soulevé ni dans la décision contestée, ni en première instance ;

 – la nationalité française D… est clairement établie par la production de son acte de baptême et celle d’autres actes d’état civil ; son aïeule était française par filiation conformément aux dispositions du code civil de 1804 alors applicable, pour être née de parents français ; elle l’était également du fait de son mariage avec un conjoint français, né en France de parents français, conformément aux dispositions de la loi du 18 mars 1803 ;

 – l’article 61-2 du code civil, pas plus que l’article 2 du décret du 20 janvier 1994 relatif à la procédure de changement de nom ou la Notice relative aux changements de nom du Sceau de France, ne subordonnent le relèvement d’un nom disparu ou en voie de disparition à ce que la preuve de la nationalité française de l’aïeul(e) soit établie par la retranscription de son acte de naissance sur les registres de l’état civil français ou encore par la production d’un certificat de nationalité française ou d’une carte nationale d’identité ; la transcription de l’acte de naissance D… à l’état civil français peut d’autant moins être exigée dès lors que le service central d’état civil à Nantes a été créé trente-deux ans après son décès ; un certificat de nationalité française ne peut par ailleurs être délivré au nom d’une personne décédée et la production d’une carte nationale d’identité instituée sept années après le décès D… est tout autant impossible, en conséquence de quoi le garde des sceaux, ministre de la justice, commet une erreur de droit en exigeant de telles preuves ; l’article 47 du code civil disposant que les actes d’état civil faits à l’étranger font foi, sauf preuve contraire, l’acte de baptême de son aïeule fait foi, ses actes de mariage et de décès ayant été rédigés en France ;

 – le principe d’égalité devant la justice conduit à interdire au législateur de créer des différences injustifiées entre les justiciables ; l’interdiction de discrimination fondées sur la nationalité est interdite en droit européen par l’article 12 du Traité de Rome, l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et les principes sous-jacents à la Convention ; au niveau international, ce principe est consacré par l’article 7 de la déclaration universelle des droits de l’Homme et l’article 26 du Pacte international sur les droits civils et politique.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 – le code civil ;

 – la loi du 26 juin 1889 sur a nationalité française ;

 – la loi n° 93-22 du 8 janvier 1993 ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de Mme B…,

 – et les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par une requête publiée au Journal officiel le 20 mai 2015, M. C… a sollicité auprès du garde des sceaux, ministre de la justice, l’adjonction à son nom de celui « de Montfort Laurito » porté par sa grand-mère maternelle, Jeanne de Montfort Laurito, afin d’en éviter l’extinction. Le 28 mars 2018, le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande. Par un jugement du 27 juin 2019, le tribunal administratif de Paris a annulé cette décision et a enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, d’examiner à nouveau la demande de changement de nom présentée par l’intéressé dans un délai de trois mois à compter de la notification dudit jugement. Par un arrêt du 20 mai 2020, la cour administrative d’appel de Paris a rejeté l’appel formé par le garde des sceaux, ministre de la justice, contre ce jugement. Par une décision du 28 mai 2021, le Conseil d’Etat statuant au contentieux a annulé l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 20 mai 2020 et a renvoyé l’affaire devant la cour.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l’article 61 du code civil : « Toute personne qui justifie d’un intérêt légitime peut demander à changer de nom. / La demande de changement de nom peut avoir pour objet d’éviter l’extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu’au quatrième degré (…) ». Le relèvement d’un nom afin d’en éviter l’extinction suppose qu’il soit établi que le nom en cause a été légalement porté par un ascendant de celui qui demande à changer de nom ou par un collatéral jusqu’au quatrième degré. Il résulte des travaux préparatoires à l’adoption de la loi du 8 janvier 1993 relative à l’état-civil, à la famille et aux droits de l’enfant et instituant le juge aux affaires familiales, dont est issu le second alinéa de l’article 61 du code civil dans sa rédaction applicable au litige, que le législateur, ayant en vue la préservation du patrimoine onomastique français, a entendu subordonner la reconnaissance d’un intérêt légitime au changement de nom à la condition que le nom à relever ait été porté par une personne possédant la nationalité française.

3. Aux termes de l’article R. 771-2 du code de justice administrative : « Lorsque la solution d’un litige dépend d’une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction judiciaire, la juridiction administrative initialement saisie la transmet à la juridiction judiciaire compétente. Elle sursoit à statuer jusqu’à la décision sur la question préjudicielle ». Aux termes de l’article 29 du même code : « La juridiction civile de droit commun est seule compétente pour connaître des contestations sur la nationalité française ou étrangère des personnes physiques. / Les questions de nationalité sont préjudicielles devant toute autre juridiction de l’ordre administratif ou judiciaire (…) ». L’exception de nationalité française ne constitue, en vertu des dispositions précitées, une question préjudicielle que si elle présente une difficulté sérieuse.

4. Pour demander l’annulation du jugement du 27 juin 2019 du tribunal administratif de Paris, le garde des sceaux, ministre de la justice, soutient que, s’il est constant que l’aïeule de M. C… a porté le nom, éteint, « de Montfort Laurito » et que ce nom ne correspondait pas à un prédicat du titre de comte contrairement au premier motif opposé par la décision attaquée, il n’est en revanche pas établi que Jeanne de Montfort Laurito, née en 1870 à Vienne (Autriche) et décédée en 1933, était française, faute de production de son acte de naissance transcrit à l’état civil français. Pour établir cette preuve, M. C… soutient que sa grand-mère était française, d’une part pour être née de parents français et, d’autre part, du fait de son mariage, le 6 novembre 1897, avec un ressortissant français, Joseph de Cathelineau, né en France le 1er avril 1861 d’un père et d’une mère eux-mêmes nés en France. A cet égard, il produit les actes de naissance des membres de sa famille établissant les liens de filiation et matrimoniaux allégués. L’appréciation du bien-fondé de ce moyen dépend ainsi du point de savoir si Jeanne de Montfort Laurito était française, par filiation pour être née de parents français en application du droit alors applicable sans avoir perdu cette nationalité ultérieurement ou par mariage, pour avoir épousé un Français qui n’aurait pas décliné sa nationalité et dont elle aurait suivi la condition conformément aux dispositions de l’article 12 de la loi du 26 juin 1889 applicables à la date du mariage. Il s’agit ainsi d’une difficulté sérieuse relative à l’état des personnes qu’il n’appartient qu’à l’autorité judiciaire de trancher. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu’une instance serait actuellement pendante devant la juridiction compétente ou que cette dernière aurait rendu une décision se prononçant sur cette question. Il y a lieu, dès lors, de surseoir à statuer sur la requête du garde des sceaux, ministre de la justice, jusqu’à ce que la juridiction compétente se soit prononcée sur cette question. En vertu des dispositions précitées du code de justice administrative, il appartient à la cour de transmettre cette question préjudicielle à la juridiction compétente, laquelle est le tribunal judiciaire de Nantes, dans le ressort duquel se situe le service central de l’état civil.


DÉCIDE :


Article 1er : Il est sursis à statuer sur la requête du garde des sceaux, ministre de la justice, tendant à l’annulation du jugement n° 1808222/4/3 du tribunal administratif de Paris du 27 juin 2019 jusqu’à ce que le tribunal judiciaire de Nantes se soit prononcé sur la question de savoir si Jeanne de Montfort Laurito avait la nationalité française.


Article 2 : La question mentionnée à l’article précédent est transmise au tribunal judiciaire de Nantes.


Article 3 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n’est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu’en fin d’instance.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice et à M. A… C….

Délibéré après l’audience publique du 16 novembre 2021 à laquelle siégeaient :
M. Ivan Luben, président,
Mme Marie-Dominique Jayer, première conseillère,
Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 décembre 2021.

La rapporteure,

M-D. B… Le président,

I. LUBEN

Le greffier,

E. MOULINLa République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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N° 08PA04258

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N° 21PA02938

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