CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 91PA00352

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA
Juridiction : Cour administrative d'appel
Précédents jurisprudentiels : CE 13.03.1963 SDIS de l' Aisne rec. p. 159

Texte intégral

N°91PA00352
Commune de Capesterre-Belle-Eau c/ Mme X
Lecture du 4 juin 1992
Conclusions de M. Y, Commissaire du Gouvernement
Le 30 avril 1983 M. Z dans un moment de démence a volontairement mis le feu à sa maison. Le feu s’est propagé et a gravement endommagé l’immeuble de Mme X qui a mis en cause la responsabilité de la commune de Capesterre-Belle-Eau devant le tribunal administratif de Basse-Terre sur le fondement de la faute lourde constituée par le délai trop long d’intervention des secours,l’insuffisance des effectifs mobilisés et la défectuosité du matériel employé.
Le tribunal administratif lui a donné satisfaction en paraissant retenir en outre la faute lourde de police résultant de ce que M. Z n’aurait pas fait l’objet des mesures que nécessitait son état.
La commune relève régulièrement appel de ce jugement en soutenant qu’aucune faute lourde dans l’exercice du pouvoir de police ne pouvait être retenue ; qu’elle ne peut par ailleurs être reconnue responsable sur le fondement de la faute lourde si les moyens en effectif et en matériel mis à sa disposition par le département de la Guadeloupe s’avèrent insuffisants ; qu’elle n’aurait en toute hypothèse à répondre que de l’aggravation des conséquences du sinistre par rapport aux dommages que n’aurait pu éviter une intervention normale.
Le premier et le troisième moyens posent des questions d’appréciation, le second pose une question de droit délicate en raison des dispositions de l’article 91 de la loi du 7 janvier 1983 dont la jurisprudence n’a pas encore, à notre connaissance, éclairé le contenu incertain.
Nous pensons effectivement qu’une faute lourde pouvait être relevée dans les conditions d’intervention des services de lutte contre l’incendie.
Nous pensons en revanche qu’aucune faute lourde ne pouvait être retenue en raison de l’absence de mesures du maire à l’égard de M. Z. Comme nous l’avons souligné cette faute retenue par les premiers juges était superfétatoire et d’ailleurs pas explicitement invoquée par Mme X. Dans ces conditions se poserait la question de son caractère nouveau en appel.
Mais nous n’avons pas à nous prononcer sur ces différents aspects si vous retenez comme nous la faute lourde du service de lutte contre l’incendie.
Nous ne pensons pas que le délai d’intervention des pompiers soit de nature à révéler la faute lourde. En revanche nous n’avons guère d’hésitation à retenir cette faute en raison de l’insuffisance du personnel, 1 pompier, et de la défectuosité du matériel, les tuyaux usagers s’étant déchirés au moment de leur installation.
Si le rapport de police signale que « les pompiers » ont mis 25 minutes pour combattre efficacement les flammes alors que le lieu de l’incendie se trouvait à environ 1700 m de la caserne, il résulte d’autres informations du dossier que la police a été prévenue de l’incendie le 30 avril à 11heures02 ; qu’à 11heures 15mn un fourgon pompe-tonne des pompiers avec 1pompier était sur les lieux ; qu’à 11heures25 les premiers jets d’eau attaquaient le feu ; qu’à 11heures50 le feu était maîtrisé.
Selon le procès-verbal de police le feu s’est propagé à la Maison de Mme X vers 11 heures 15.
Dans ces conditions, si l’on peut hésiter sur le délai d’intervention, le pompier étant arrivé sur les lieux 13 minutes après l’alerte, l’organisation du service présente de très lourdes lacunes.
D’une part il apparaît qu’aucune permanence téléphonique n’était en place, la police ayant dû se rendre à la caserne faute de réponse téléphonique, d’autre part il apparaît que seul 1 pompier a pu intervenir avec du matériel défectueux.
Il résulte en outre des pièces du dossier que M. Céleste, sapeur-pompier professionnel qui est intervenu, n’était pas en service le 30 avril et passait par hasard à la caserne où il n’y avait apparemment personne, les 2 autres pompiers professionnels étant appelés sur les lieux d’un accident et aucun des 19 sapeurs-pompiers volontaires n’étant apparemment présent.
Si le sapeur-pompier Céleste invoque pour justifier les difficultés pour combattre l’incendie la baisse de pression de l’eau, celle-ci est catégoriquement niée par les responsables de la régie des eaux. Par ailleurs le rapport de police signale effectivement que les tuyaux se sont déchirés lors de l’installation.
La commune a certes raison de souligner que seule l’aggravation des dommages liée aux défauts de l’intervention peut normalement être mise à sa charge.
Dans les circonstances de l’espèce on peut hésiter sur les dommages que n’aurait pas permis d’éviter une intervention rapide et efficace.
Mais il nous semble, compte tenu des informations du dossier, qu’une telle intervention aurait sans doute pu éviter la propagation de l’incendie à la Maison de Mme X. C’est ce que souligne le rapport de police sans que la chronologie minutée de l’intervention permette de remettre en cause cette appréciation.
Nous pensons donc que la faute lourde des services de lutte contre l’incendie pouvait être retenue et que l’intégralité des dommages causés à la Maison de Mme X pouvait être imputée aux conditions d’intervention.
Reste à prendre en compte le moyen tiré de ce que la faute lourde ne pourrait être imputée à la commune du fait que les moyens en effectif et en matériel mis à sa disposition par le département étaient insuffisants.
Le moyen n’est pas clairement présenté en appel sinon pour justifier une exonération de responsabilité de la commune.
Précisons qu’en première instance Mme X n’avait mis en cause que la commune qui s’était défendue en demandant sa mise hors de cause au motif que le corps des sapeurs-pompiers étant organisé en service départemental, seul le conseil général avait qualité pour intervenir dans le litige.
Vous noterez que la commune ne présentait aucun appel en garantie du département et à fortiori du service départemental d’incendie et de secours mais se bornait à soutenir que Mme Romuald avait mal dirigé son action. Le département appelé à produire des observations a confirmé l’existence d’un service départemental d’incendie et de secours. La commune ne présentait non plus aucune demande d’atténuation de sa responsabilité en application de l’article91 de la loi du 7janvier 1983.
Si l’on avait dû appliquer la jurisprudence antérieure à cet article, la solution aurait été simple.
D’une part l’invocation d’une faute lourde du service départemental d’incendie et de secours, qui est,rappelons-le, doté de la personnalité morale et a fortiori celle d’une faute lourde du département, confondu avec le service départemental d’incendie et de secours dont il se distingue nécessairement en raison de la personnalité morale de ce dernier, ne pouvait en aucun cas exonérer la responsabilité de la commune, lieu du sinistre. La victime pouvait donc obtenir la condamnation intégrale de cette dernière sauf pour celle-ci à mettre en cause la responsabilité de toute autre personne publique dans le cadre de l’appel en garantie ou de l’action récursoire entendus d’ailleurs strictement – voyez pour une faute lourde du service départemental de lutte contre l’incendie (CE 13.03.1963 SDIS de l’Aisne rec. p. 159 ; 13.07.1965 Arbez-Gindre rec. p. 442 ; 14.12.1981 Jouve RDP 82/1455) -et pour l’appel en garantie. (CE19.01.1962 min. de l’agriculture c/ Barcons et commune de Vernet-les-Bains rec. p. 52)
D’autre part non seulement on ne pouvait voir dans la défense de la commune un appel en garantie ou une action récursoire faute de pouvoir y assimiler une demande de mise hors de cause, mais encore de telles conclusions auraient été mal dirigées contre le département alors qu’était en cause le service départemental d’incendie et de secours.(voyez notamment CE13mars 1963 SDIS de l’Aisne précité et CE 13 juillet 1965 Sieur Arbez-Gindre idem, qui tirent toutes les conséquences qui s’imposent de la qualité d’établissement public du SDIS)
Ce schéma de raisonnement est-il remis en question par la loi sur la décentralisation de 1982 et par l’article 91 de la loi du 7 janvier 1983 ?
Il y a d’une part l’article 56 de la loi du 2 mars 1982 qui organise dans ses alinéas 4 et 5 un transfert de compétence de l’Etat au département en ce qui concerne le service départemental d’incendie et de secours.
Ce transfert est partiel. Seuls les pouvoirs afférents à l’organisation du service ont été transmis au poste de président du conseil général à l’exclusion des compétences relatives à la mise en œuvre opérationnelle des moyens qui continuent d’être exercés par le représentant de l’Etat dans le département.
Voyez sur ces aspects une présentation claire de la nouvelle répartition des compétences (RDP 1988 p. 1046) qui ignore cependant, sans explication, la nature d’établissement public du service départemental d’incendie et de secours.
Le partage de compétence qui s’effectue entre l’Etat et le département ne saurait en effet gommer la personnalité morale du service départemental d’incendie et de secours qui ne peut juridiquement être confondu avec le département alors même qu’il constitue un établissement public départemental. (cf.RFDA3/6 N.de1987 le statut des services d’incendie et de secours JCDouence p. 941)
Comme le souligne l’auteur : « le service départemental d’incendie et de secours devient un établissement public départemental de soutien à l’exercice de compétences communales, mais le Commissaire de la République conserve la disposition des moyens nécessaires à l’exercice de ses pouvoirs propres de police. »
Nous pensons que pour ce qui relève de l’activité du service départemental d’incendie et de secours sous la présidence du président du conseil général c’est la responsabilité de l’établissement public qui peut seule être mise en cause et non celle du département.
La question est plus délicate pour l’activité du service départemental d’incendie et de secours quand ses services sont mis à la disposition du préfet agent de l’Etat (pour reprendre les termes du décret du 4 août 1982). C’est normalement la responsabilité de l’Etat qui devrait pouvoir être poursuivie, la situation ne pouvant guère s’analyser sous l’angle de la substitution mais bien dans le cadre des pouvoirs propres du préfet pour reprendre les termes qui viennent d’être cités. A tout le moins c’est, là aussi, la responsabilité du service départemental d’incendie et de secours et non celle du département qui pourrait être mise en cause.
Au-delà de ces questions délicates d’imputation se pose la question toute aussi délicate de la procédure à suivre pour mettre en cause les responsabilités.
L’article 91 de la loi du 7 janvier 1983 précise en effet : "Sans préjudice des dispositions de l’article 16de la présente loi, les communes sont civilement responsables des dommages qui résultent de l’exercice des attributions de police municipale, quelque soit le statut des agents qui y concourent. Toutefois, au cas où le dommage résulte, en tout ou partie, de la faute d’un agent ou du mauvais fonctionnement d’un service ne relevant pas de la commune, la responsabilité de celle-ci est atténuée à due concurrence.
La responsabilité de la personne morale autre que la commune dont relève l’agent ou le service concerné ne peut être engagée que si cette personne morale a été mise en cause, soit par la commune, soit par la victime du dommage. S’il n’en a pas été ainsi, la commune demeure seule et définitivement responsable du dommage."
La disposition n’a pas encore fait l’objet d’une explicitation par le Conseil d’Etat à notre connaissance.
Certains estiment qu’elle ne remet pas en cause les solutions dégagées par la jurisprudence que nous avons précédemment exposée (cf. Jur. Coll. locales, rubrique incendie, n°71 RDP1988 article précité p. 1047).
D’autres sont plus nuancés (cf. X. Pritot) qui soulignent que la portée exacte des dispositions sera éclairée par le juge (références p. 8).
Nous ne voyons pas comment l’article 91 que nous venons de citer permettrait, comme l’estiment les auteurs de la RDP (1988 précité), l’action récursoire puisqu’à défaut de mise en cause d’une personne autre que la commune par celle-ci ou par la victime du dommage … la commune demeure seule et définitivement responsable aux termes précités de la loi.
D’autre part, seule nous paraît ouverte par l’article la voie de l’appel en garantie stricto-sensu qui n’empêcherait pas la condamnation de la commune pour le tort à l’égard de la victime, quitte pour elle à obtenir une contribution d’un coauteur, mais celle d’une demande d’atténuation de la responsabilité qui ne peut guère se concevoir au regard des intérêts de la victime, que la loi n’a pas entendu limiter, que comme impliquant soit une demande complémentaire de condamnation d’une autre personne morale par la victime elle-même soit, de façon plus réaliste, une demande de condamnation par la commune d’une autre personne morale à concurrence de sa participation au dommage.
La loi rétablit donc un partage de responsabilité entre les coauteurs comme c’est naturel en matière de responsabilité quasi délictuelle alors que le système précédent aménageait paradoxalement dans le cadre de cette responsabilité un régime de responsabilité en quelque sorte solidaire de la commune.
Encore faut-il, pour que l’atténuation puisse jouer, d’une part que les dommages résultent de la faute d’un agent ou du mauvais fonctionnement d’un service ne relevant pas de la commune, notion qui n’est pas d’une grande clarté, et que la responsabilité de la personne morale dont relève l’agent ou l’activité ait été poursuivie devant le juge par la victime ou par la commune.
Si les mots gardent un sens comme cela doit être le cas quand ils correspondent à des distinctions effectuées par le législateur, la notion de fonctionnement du service qui renvoie plutôt à la mise en œuvre opérationnelle s’oppose à la notion d’organisation qui préside seule au transfert de compétence au département et plus précisément au service départemental d’incendie et de secours dans la loi de 1982.
Il est vrai que certains commentateurs paraissent assimiler organisations et fonctionnement dans le cadre des dispositions de l’article 91. (cf. X. Pritot Revue Administration n° 136-1987 p. 80 et n° 148-1990 p. 22 et s.)
Si l’on devait s’en tenir à l’acception étroite de la notion, c’est la responsabilité de l’Etat qui devrait être envisagée du fait du mauvais fonctionnement du service départemental d’incendie et de secours, le défaut d’organisation restant à la charge de la commune.
Faute d’une telle analyse et en cas d’assimilation du défaut d’organisation et du mauvais fonctionnement resterait posé le problème de l’imputation au service départemental d’incendie et de secours ou à l’Etat. On ne pourrait guère que retenir la responsabilité du service départemental d’incendie et de secours comme antérieurement.
Comme vous pouvez le noter l’acception des termes n’est pas sans conséquence au regard de l’imputation puisqu’on passe d’un système qui exclut pratiquement la responsabilité du service départemental d’incendie et de secours, sauf la faute d’un de ses agents, à un système qui la retient à titre principal.
Ainsi, à supposer que la commune ait invoqué tant devant les premiers juges que devant vous le bénéfice des dispositions de l’article 91 précité, vous ne pourriez retenir sa demande d’atténuation de responsabilité, à défaut d’invocation de la faute d’un agent ou du mauvais fonctionnement strictement entendu du service départemental d’incendie et de secours. Dans ce dernier cas, elle ne pourrait d’ailleurs mettre en cause que la responsabilité de l’Etat, à tout le moins du service départemental d’incendie et de secours, mais certainement pas du département lui-même.
Pour conclure, ou bien vous considérez que la commune n’a effectivement présenté aucune demande d’atténuation de sa responsabilité au sens de l’article 91en première instance et en appel en demandant sa mise hors de cause au motif que le département serait seul responsable, ou bien vous faites l’effort d’interpréter ses productions en première instance et en appel dans ce sens.
Mais alors vous ne pouvez que constater que les conditions posées par l’article 91 pour permettre l’atténuation de sa responsabilité ne sont pas réunies, faute que les dommages soient imputables à la faute d’un agent ou au mauvais fonctionnement du service départemental d’incendie et de secours, lequel impliquerait, si vous nous suivez, la mise en cause de l’Etat, ou si vous admettiez la mise en jeu de la responsabilité d’une autre personne morale pour défaut d’organisation du service faute que les conclusions soient dirigées contre la « bonne » personne morale susceptible d’être concernée, c’est-à-dire le service départemental d’incendie et de secours et non le département.
Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête.

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