CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 91PA00816

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Sur la décision

Référence :
CAA
Juridiction : Cour administrative d'appel
Précédents jurisprudentiels : 2avril 1992 ( req. N° 89PA02633 SA Chargeurs Delmas
CE 12novembre 1986 Winterstein Rec p.338
CE 27octobre 1972 Dlle Ecarlat p.682
CE 23décembre 1988 Cadilhac p.465, avec les conclusions D E F 20avril 1989 p.254
CE 23mars 1990 Société Multitransports A. Jamon Tables p.547
CE 25novembre 1987 Dlle Guyen p.530
CE 6novembre 1953 Dame Boisson p.478
CE 14décembre 1988 SA Gibert Marine p.444
Conseil constitutionnel n° 85-198 DC du 13décembre 1985

Texte intégral

91PA00816
COMPAGNIE NATIONALE DE NAVIGATION
Lecture du 23 février 1993
Conclusions de M. X, Commissaire du Gouvernement
Par un arrêté du 24septembre 1975, le ministre de l’économie et des finances et le secrétaire d’Etat aux transports ont créé une prime d’équipement en vue de favoriser le plan de développement de la flotte de commerce élaboré par le Gouvernement pour les années 1976 à 1980. Cette prime, dont l’octroi était subordonné à un effort de restructuration sur les lignes et les compagnies, était accordée aux propriétaires de navires de commerce neufs livrés entre le 1erjanvier 1976 et le 31 décembre 1980.
La livraison intervenue les 12 juin et 20octobre 1978 des navires Ville de Dunkerque et Ville du Havre a donné lieu au versement de la prime à la Société Dunkerquoise d’Armement et à la Société Française des Transports Maritimes (SFTM), copropriétaires quirataires de ces navires (à hauteur de 90% pour la première et de 10% pour la seconde).
La SFTM est devenue en 1983 seule propriétaire des navires et en 1984, le Ville de Dunkerque a été vendu à la Compagnie de transports maritimes par rouliers(CTMR), cependant que la Ville du Havre devenait à hauteur de 90%, puis de 100% par suite de l’absorption de la SFTM, la propriété de la compagnie navale Worms, rebaptisée par la suite COMPAGNIE NATIONALE DE NAVIGATION, société-mère de la CTMR.
Ayant été frêtés à des entreprises étrangères à partir de septembre 1987 les deux navires ont fait l’objet d’un gel de francisation avec perte du pavillon français, avant d’être radiés de l’effectif naval français à la suite de leur vente partielle, les 3novembre 1988 et 2janvier 1989, à la société Ennisltd, filiale étrangère de la COMPAGNIE NATIONALE DE NAVIGATION.
Par lettre du 10avril 1989, le ministre délégué chargé de la mer a signifié à la COMPAGNIE NATIONALE DE NAVIGATION que les deux navires n’ayant pas conservé le pavillon français durant dix années, elle devait reverser une fraction, calculée prorata temporis, des primes accordées lors de la livraison de ces navires, soit 1.265.753F au titre du Ville de Dunkerque et 1.799.178F au titre du Ville du Havre. Les ordres de reversement correspondants ont été émis le 9mai 1989.
Dès le 26avril 1989, la COMPAGNIE NATIONALE DE NAVIGATION a saisi le ministre d’une réclamation. Puis, le 9juin 1989, sans attendre la réponse à sa réclamation, elle a saisi le tribunal administratif de Paris d’un recours dirigé contre la décision en date du 10avril 1989.
Après avoir recadré la requête, qu’il a regardée comme dirigée non contre la lettre du 10avril 1989, qui n’avait pas le caractère de décision faisant grief, mais contre les ordres de versement, le tribunal administratif de Paris a, par un jugement en date du 11avril 1991, rejeté la demande de la COMPAGNIENATIONALE DE NAVIGATION. La COMPAGNIE NATIONALE DE NAVIGATION interjette régulièrement appel de ce jugement.
S’agissant de la contestation d’ordres de reversement le litige est nécessairement un litige de plein contentieux, et la cour est donc bien compétente pour en connaître en appel (cf la décision de section CE 23décembre 1988 Cadilhac p.465, avec les conclusions D E F 20avril 1989 p.254).
I – La COMPAGNIE NATIONALE DE NAVIGATION invoque tout d’abord le défaut de motivation de la décision du ministre de la mer ordonnant le reversement d’une partie de la prime. Les ordres de recettes doivent en application de l’article 81 du décret du 29décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité, préciser les bases de leur liquidation. Si vous appréciez le moyen au regard de ces dispositions, vous constaterez que si les titres de perception (datés du9mai 1989) ne comportent pas eux-mêmes l’indication de ces bases de liquidation, en revanche la lettre du ministre en date du 10avril 1989 et les deux fiches de calcul qui y étaient annexées donnaient à la compagnie toutes les indications justifiant du montant des sommes dont il était demandé le remboursement. Ces constatations devraient vous amener à rejeter le moyen (cf. CE 23mars 1990 Société Multitransports A. Jamon Tables p.547). Mais en l’espèce ce ne sont pas les dispositions de l’article 81 du décret du 29décembre 1962 qu’invoque la COMPAGNIE NATIONALE DE NAVIGATION mais celles de la loi du 11juillet 1979 sur la motivation des actes administratifs qui dispose, en son article 1er que doivent être motivées les décisions : … qui retirent ou abrogent une décision créatrice de droits. Et c’est donc sur ce terrain, et non sur celui du décret de 1962 qu’il faut répondre à la compagnie d’autant que la loi du 11juillet 1979 nous semble plus exigeante que le décret de 1962. L’article 3 de la loi prévoit en effet que la motivation doit comporter l’énoncé des considérations de fait mais également de droit qui constituent le fondement de la décision. En l’espèce la compagnie fait valoir que si le ministre lui a indiqué dans son courrier du 10avril 1989 les éléments de fait qui justifiaient le reversement prorata temporis, en revanche il n’a pas précisé quel était le fondement juridique de la décision, se bornant à faire référence aux textes en vigueur. Et effectivement cette lettre ne fait nullement référence à la circulaire du secrétaire d’Etat aux transports du 24septembre 1975 qui, comme nous le verrons un peu plus loin, constitue le fondement juridique de la décision.
Nous pensons néanmoins que vous pouvez écarter ce moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article 3 de la loi du 11juillet 1979 car celles-ci n’étaient pas applicables. Non que la décision d’attribution des primes aux deux navires Ville du Havre et Ville de Dunkerque n’ait pas créé de droits au profit de leurs bénéficiaires. Bien au contraire nous sommes convaincus que ces décisions d’attribution étaient créatrices de droits. Mais si nous écartons l’application de la loi du 11juillet 1979 c’est en raison de ce que les titres de recettes dont la compagnie demande l’annulation n’ont eu ni pour objet ni pour effet de revenir sur les droits nés de ces décisions d’attribution. Et nous souhaitons nous expliquer de façon un peu plus détaillée sur ce point.
1°) Il faut en premier lieu admettre qu’en attribuant en 1979 la prime aux deux navires, l’administration a pris une décision créatrice de droits. Les décisions attributives de subventions sont créatrices de droits dès lors que, comme c’est le cas en l’espèce, elles ne se bornent pas à tirer les conséquences financières de situations juridiques qu’elles n’ont pas créées mais font intervenir une appréciation discrétionnaire de l’administration quant à leur octroi (cf CE 12janvier 1977 Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat p.19 ; CE 25juillet 1986 Société Grandes Distilleries Les fils d’B C¯ Y-mai-juin 1987 p.454 ; CE 25novembre 1987 Dlle Guyen p.530).
Certes l’attribution des primes était assortie d’une condition de maintien du navire au sein de la flotte française pendant une durée de dix ans qui, si elle n’était pas respectée, pouvait entraîner le reversement d’une partie de la prime prorata temporis.
Et le principe rappelé par le Président Odent dans son cours de contentieux administratif (p.110) est que les décisions conditionnelles ne créent pas de droits acquis qu’il s’agisse de décisions assorties d’une condition suspensive qui ne se réalise pas, ou qu’il s’agisse de décisions assorties d’une condition résolutoire qui se réalise.
On trouve une illustration de ce principe dans une décision de section du 10mars 1967 ministre de l’économie et des finances c/ Société Samat et Compagnie p.112 dans laquelle le Conseil d’Etat a déclaré régulier le retrait d’un agrément fiscal au motif que son bénéficiaire n’avait pas satisfait à la condition à laquelle était subordonnée l’exonération résultant de cet agrément.
Il résulte de cette jurisprudence que les bénéficiaires de subventions (ou plus généralement d’avantages pécuniaires) ne peuvent invoquer des droits acquis lorsque les conditions auxquelles a été subordonné l’octroi de ces subventions ou avantages ne sont pas satisfaites. Mais l’on ne saurait pour autant en conclure que la décision d’attribution n’est pas créatrice de droits. Des décisions plus récentes du Conseil d’Etat nous conduisent à affirmer que les décisions, d’attribution de primes, même assorties de conditions sont créatrices de droits. Par une décision du 30mars 1979 secrétaire d’Etat aux universités et université de Bordeaux (p.140) le Conseil d’Etat a jugé que les décisions ministérielles qui allouent aux universités leur dotation de fonctionnement sur le vu de leur programme d’activité sont créatrices de droits. Dans une autre décision du 8février 1985 Syndicat intercommunal de la Marana p.28 le Conseil d’Etat a jugé que si des allocations de subventions à des communes n’étaient susceptibles de créer des droits au profit de celles-ci que dans la mesure où la condition à laquelle elles étaient subordonnées demeurait satisfaite, ces décisions n’en n’étaient pas moins par nature des décisions individuelles créatrices de droits. Et le même raisonnement apparaît dans une décision récente du 25avril 1990 Tables p.546 Mme Z et M. A où il s’agissait de l’allocation d’une subvention à un particulier par la commission départementale d’amélioration de l’habitat. Relevant que cette décision est par nature une décision créatrice de droits le Conseil a jugé que quand bien même elle aurait été obtenue par fraude et aurait ainsi perdu son caractère créateur de droits, cette circonstance ne dispensait pas l’administration de motiver la décision en prononçant le retrait.
2ø) Il faut donc admettre que les décisions d’attribution de la prime d’équipement aux deux navires sont donc par nature décisions des créatrices de droits. Mais les ordres de reversement n’avaient cependant pas à être motivés au regard de la loi de 1979 car ils ne portaient atteinte à aucun des droits que ces décisions d’attribution ont fait naître au profit de leurs bénéficiaires ou de leurs ayants droit. Et c’est en cela qu’ils ne peuvent être regardés comme constitutifs de l’abrogation ou du retrait d’une décision créatrice de droits. Le reversement ne porte pas sur l’intégralité des primes qui ont été attribuées mais uniquement sur une partie de celles-ci calculée au prorata de la durée restant à courir de la date à laquelle les navires ont été considérés comme vendus à l’étranger jusqu’à l’expiration du délai de dix ans pendant lequel ils devaient rester sous pavillon français. Or il est constant que les subventions n’ont été accordées que sous condition de ce reversement prorata temporis au cas où les navires seraient vendus à l’étranger avant l’expiration de ce délai de dix ans. De telle sorte que les droits à l’acquisition définitive des sommes versées en 1979 ne naissaient qu’au fur et à mesure du maintien des navires sous pavillon français.
La compagnie ne peut en revanche se prévaloir d’aucun droit pour la partie de la prime qui correspond à la période pendant laquelle les navires n’ont plus été regardés par le ministre comme étant sous pavillon français, et dont il a en conséquence ordonné le reversement. En ordonnant ce reversement le ministre n’a fait que tirer les conséquences du non maintien des deux navires sous pavillon français. Non seulement il n’a pas retiré ou abrogé les décisions initiales d’attribution des primes mais on peut même dire qu’il les a appliquées. Par une décision Laborie du 27juillet 1990 aux tables p.546 il a été jugé qu’en refusant l’emploi auquel il était affecté, un fonctionnaire perdait tout droit au maintien de son avancement de grade et qu’en conséquence la décision rapportant sa promotion ne pouvait être regardée comme retirant une décision créatrice de droits au sens de la loi du 11juillet 1979. En s’inspirant de cette jurisprudence, vous pourrez juger qu’en ne conservant pas les navires pendant dix ans sous pavillon français la compagnie a perdu tout droit sur les sommes dont le ministre a ordonné le reversement.
Nous terminerons sur cette question de la motivation en précisant que vous pourriez également écarter l’application de la loi de juillet 1979 par un raisonnement plus simple, reposant sur l’existence d’un texte spécifique, à savoir l’article 81 du décret du 29décembre 1962. On peut se demander si en raison de cet article 81 (qui rappelons le, prévoit que tout ordre de recettes doit indiquer les bases de sa liquidation) il ne faut pas systématiquement écarter l’application aux ordres de recettes de la loi de juillet 1979. Mais il est difficile de considérer que le décret de 1962 constitue un texte spécial par rapport à la loi de 1979 texte général.
Les deux textes différent dans leurs champs d’application qui se recoupent mais aussi dans leur contenu puisque la loi de juillet 1979 nous paraît plus exigeante dans l’énoncé des considérations de droit (mais aussi de fait) qui motivent la décision. Par ailleurs nous n’avons pas trouvé de décision écartant toute application de la loi de juillet 1979 aux ordres de recettes au motif que la matière est déjà régie par le décret de 1962. Il faut donc admettre que les deux textes peuvent, pour certains ordres de recettes, s’appliquer cumulativement, et c’est donc en raison de l’absence d’abrogation ou de retrait d’une décision créatrice de droits que nous vous proposons de juger que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de la loi de juillet 1979 manque en droit.
II – Vous n’aurez toutefois pas à vous prononcer sur cette question de l’application de la loi du 11juillet 1979, si comme nous vous le proposons, vous faites droit à l’exception d’illégalité de la circulaire du secrétaire d’Etat aux transports du 24septembre 1975, que soulève la COMPAGNIE NATIONALE DE NAVIGATION. Cette circulaire relative au régime des primes d’équipement en faveur de la flotte de commerce qui a été prise le même jour que l’arrêté créant la prime de commerce prévoit : Au cas où se produirait, au cours des dix ans suivant la livraison, une vente à l’étranger, une perte totale du navire, ou un changement de son affectation, susceptible d’entraîner un remboursement de la prime accordée, ou de conduire en application du barème précédemment évoqué, à un niveau de prime inférieur, il sera procédé à l’émission d’un ordre de reversement calculé prorata temporis sur cette période de dix années postérieures à la livraison. La société COMPAGNIE NATIONALE DE NAVIGATION excipe de l’illégalité de ces dispositions. Elle soutient que le secrétaire d’Etat aux transports n’était pas compétent pour édicter par voie de circulaire ces conditions de reversement qui ne sont prévues ni par le décret du 10mars 1972 portant réforme du régime des subventions d’investissement accordées par l’Etat, ni par l’arrêté du 24septembre 1975 créant la prime d’équipement en faveur de la flotte de commerce.
1ø) En première instance le tribunal administratif a écarté comme inopérant ce moyen tiré de l’illégalité de la circulaire en relevant que les demandes de règlement définitif de la prime, faites en 1979,comportaient un engagement des bénéficiaires reproduisant cette condition de reversement. Mais ce raisonnement qui repose sur une fiction, à savoir la contractualisation de la condition de reversement qui serait résultée de son acceptation expresse par les bénéficiaires, ne peut être retenu. Il ressort sans équivoque de la lettre du 11avril 1989 que la décision de reversement a été prise sur le fondement de la circulaire en question. Cette lettre commence en effet par rappeler : Les textes relatifs aux aides de l’Etat au financement des investissements des entreprises d’armement au commerce prévoient qu’en cas de vente d’un navire, ayant donné lieu à une aide, avant l’échéance de la période durant laquelle il devait être maintenu sous pavillon français, le reversement de la prime versée est demandé; ce reversement étant calculé prorata temporis.
Puis le ministre informe la compagnie de ce que la circonstance que les deux navires Ville de Dunkerque et Ville du Havre n’ont pas conservé le pavillon français durant les dix années exigées par la réglementation en vigueur à l’époque de l’octroi des primes l’ont amené à demander l’émission de titres de perception pour ces deux navires. Le courrier ne fait pas expressément référence à la circulaire du 24septembre 1975 mais il ne fait pas de doute qu’en décidant du reversement d’une partie des primes accordées, le ministre a fait application de cette circulaire.
Se pose dès lors la question de la nature juridique de cette circulaire s’agit-il d’un acte réglementaire ou d’une simple directive ?
L’article 13 du décret du 10mars 1972 portant réforme du régime des subventions d’investissement accordées par l’Etat, sur le fondement duquel a été pris l’arrêté portant création de la prime précise dans son dernier alinéa que l’autorité compétente peut exiger le remboursement de la subvention versée au titre d’un équipement dont l’affectation a été modifiée sans autorisation de cette autorité. La rédaction de l’alinéa incline à penser que cette possibilité d’exiger le remboursement de la prime (lorsque l’affectation du bien a été modifiée) relève du pouvoir discrétionnaire de l’autorité qui l’a accordée. La circulaire du 24septembre 1975 pourrait donc être regardée comme le document par lequel le secrétaire d’Etat aux transports a défini sa doctrine, sa ligne de conduite pour l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. Par les dispositions de la circulaire que nous avons lues, le secrétaire d’Etat aux transports aurait ainsi défini, pour lui-même et ses services, l’attitude à suivre pour l’exercice de cette faculté d’obtenir le reversement de la prime prévue par l’article 13 du décret. Mais cette thèse qui consiste à qualifier les dispositions de la circulaire du 24septembre 1975 de directive au sens de la jurisprudence Crédit Foncier de France du 11décembre 1970 ne nous convainc pas, et cela pour deux raisons :
-en premier lieu la circulaire prévoit des conditions de reversement qui sont pas, du moins expressément, prévues par le décret. Le décret ouvre la faculté d’obtenir le remboursement de la subvention lorsqu’il y a changement d’affectation sans autorisation de l’investissement subventionné alors que la circulaire prévoit trois hypothèses susceptibles d’entraîner le reversement prorata temporis : non seulement le changement d’affectation mais également la perte totale du navire et la vente à l’étranger. Or vous savez que doivent être regardées comme ayant un caractère réglementaire les circulaires qui soumettent les décisions individuelles ultérieures à une règle générale et impérative nouvelle, non prévue dans un acte antérieur (CE 6novembre 1953 Dame Boisson p.478 ; CE 14décembre 1988 SA Gibert Marine p.444). Eu égard à l’objectif de la prime qui était de renforcer la flotte de commerce française vous pourriez considérer que la perte totale du navire et la vente à l’étranger constituent un changement d’affectation au sens de l’article 13 du décret. Mais vous conviendrez néanmoins qu’assimiler la perte du pavillon français à un changement d’affectation conduirait à élargir considérablement la portée de l’article 13 du décret et à permettre à l’autorité qui accorde la subvention d’édicter toutes les conditions de reversement qu’il estime nécessaire à l’octroi de celle-ci. Nous avons plutôt tendance à retenir une interprétation plus restrictive (et plus conforme à la lettre du texte) de la notion d’affectation en considérant qu’il faut entendre par là l’usage auquel est destiné l’investissement subventionné. En l’espèce l’article 2 de l’arrêté qui porte création de la prime précise bien que son octroi est subordonné à un effort de restructuration des lignes et des compagnies, et les barèmes qui figurent dans la circulaire dépendent à la fois du tonnage et de l’utilisation qui est faite du navire. La compagnie a donc beau jeu de vous rappeler dans ses écrits que la vente partielle des deux navires à l’étranger n’a pas changé leur affectation puisqu’ils sont restés des navires cargo de ligne.
- la seconde raison qui conduit à exclure la qualification de directive résulte du caractère impératif de la règle du reversement prorata temporis édictée par la circulaire. Comme vous le savez les directives ne sauraient lier le pouvoir d’appréciation de l’autorité chargée de prendre des décisions individuelles (cf CE 12novembre 1986 Winterstein Rec p.338 ; CE 27octobre 1972 Dlle Ecarlat p.682). En l’espèce la rédaction de la circulaire (il sera procédé au reversement…) et celle de la lettre du11avril 1989 font clairement apparaître que le ministre a entendu écarter toute faculté d’apprécier au cas par cas l’opportunité d’ordonner le reversement dans l’hypothèse où le navire ne serait pas maintenu sous pavillon français pendant dix ans. Nous pensons donc que les dispositions de la circulaire qui prévoient le reversement prorata temporis en cas de vente à l’étranger ont un caractère réglementaire et que par suite, contrairement à ce qu’ont jugé les premiers juges l’exception d’illégalité soulevée par la compagnie était bien opérante au regard des critères fixés par la décision de section du 10février 1967 Société des Etablissements Petitjean p.65.
2ø) Il faut donc rechercher si le secrétaire d’Etat aux transports tirait d’un texte législatif ou réglementaire le pouvoir d’édicter la règle du remboursement de la prime prorata temporis en cas de vente à l’étranger. Dans une décision en date du 2avril 1992 (req. N°89PA02633 SA Chargeurs Delmas) rendue dans un litige semblable à celui d’aujourd’hui, la cour constatant que la prime avait été instituée par l’article 1er de l’arrêté du 24septembre 1975 en vue de favoriser le plan de développement de la flotte de commerce a jugé que l’administration avait pu, à bon droit, subordonner l’acquisition définitive des primes d’équipement au maintien des navires au sein de la flotte de commerce française, pendant une durée déterminée. Mais dans ce litige l’exception d’illégalité de la circulaire n’était pas expressément soulevée et la cour a donc pu se borner à rappeler le principe qui veut que l’octroi des primes peut être assorti de conditions dont le non respect justifie le reversement. Vous ne pouvez vous contenter de reprendre la formulation adoptée dans l’arrêt Chargeurs Delmas dans la présente affaire. Pour écarter l’exception d’illégalité il faut trouver un texte autorisant le Secrétaire d’Etat aux transports à prendre les dispositions de la circulaire du 24septembre 1975.
Ni l’article 1er de l’arrêté du 24septembre 1975 qui se borne à créer la prime au bénéfice des propriétaires de navires de commerce français ni l’article 2 du même arrêté qui donne compétence au secrétaire d’Etat aux transports pour décider de l’attribution de la prime, ne peuvent être regardés comme habilitant celui-ci a réglementer ses conditions de reversement, car une telle habilitation ne peut résulter que d’un texte de loi ou d’un décret. C’est pourquoi vous ne pouvez également pas considérer que l’article 3 de l’arrêté qui prévoit expressément l’intervention de la circulaire du secrétaire d’Etat aux transports pour préciser les modalités d’attribution des primes vaut habilitation régulière.
En l’absence de toute précision de la part du ministre de la mer sur le texte qui habilitait le secrétaire d’Etat aux transports à réglementer les conditions de reversement, nous nous sommes tout naturellement reportés au décret du 10mars 1972 sur le fondement duquel a été pris l’arrêté portant création de la prime pour examiner si l’une quelconque des dispositions de ce décret peut être regardée comme autorisant (ne serait ce qu’implicitement) le secrétaire d’Etat aux transports à édicter une telle réglementation.
Nous avons déjà évoqué l’article 13 de ce décret en indiquant qu’à notre sens cet article confère à l’autorité qui a accordé la prime une compétence discrétionnaire pour en demander le remboursement. Il en résulte que l’article 13 ne saurait constituer l’habilitation que nous recherchons.
L’article 15 du décret prévoit que pour les équipements dont la conception générale est susceptible d’être normalisée des barèmes de subvention sont établis par arrêté pris conjointement par le ministre intéressé, le ministre de l’économie et des finances et le ministre chargé du plan. Mais cet article ne saurait être regardé comme autorisant les ministres en question à réglementer les conditions de remboursement des primes. Quand bien même cet article 15 aurait confié cette compétence aux ministres cités qu’il y aurait lieu de s’interroger sur la subdélégation qu’opère l’article 3 de l’arrêté au bénéfice du seul secrétaire d’Etat aux transports. Lorsqu’un texte renvoie à un arrêté interministériel, la compétence ainsi déléguée ne peut être régulièrement exercée par un seul des ministres concernés (cf pour un exemple récent CE Syndicat autonome des enseignants de médecine 3juillet 1991 Tables p.660 : incompétence du ministre de la santé pour fixer seul les émoluments des praticiens hospitaliers dont le statut prévoit qu’ils sont arrêtés par le ministre de l’éducation nationale, le ministre de la santé, le ministre des finances et le ministre de l’intérieur).
Nous avons passé en revue tous les autres articles du décret et il faut bien avouer qu’aucun de ces articles ne semble comporter l’habilitation sans laquelle le secrétaire d’Etat ne pouvait régulièrement édicter les dispositions de la circulaire du 24septembre 1975 relatives au remboursement de la prime.
Ainsi l’article 4 du décret qui définit les compétences des différentes autorités de l’Etat (ministres, préfets) pour l’attribution des subventions selon la catégorie d’investissements auxquelles elles se rattachent ne comporte pas une telle habilitation.
Il a certes été admis qu’un texte qui charge un ministre de prendre des décisions individuelles autorise (de façon implicite) ce ministre à édicter la réglementation nécessaire à la prise de ces décisions.(V. notamment, la décision CE Sect. 6novembre 1964, Réunion des assureurs maladie des exploitants agricoles, p.521 par laquelle il a été jugé que la disposition d’un décret selon laquelle le ministre de l’agriculture pourra accorder des avances à une caisse d’assurance a conféré au ministre le pouvoir de prendre les mesures de caractère réglementaires propres à assurer la mise en œuvre du régime des avances).
Mais en l’espèce l’article 4 du décret n’a eu pour objet que de transposer aux subventions d’investissement les règles de compétence définies par le décret n°70.1047 du 13novembre 1970 portant déconcentration des décisions de l’Etat en matière d’investissements publics. (cf instruction du 1er ministre du 10mars 1972 pour l’application du décret publiée au JO du 14mars 1972). Il nous paraît exclu d’admettre que cet article 4 autorise chacune des autorités de l’Etat qui attribuent des subventions à édicter sa propre réglementation. Ce d’autant qu’il n’était pas nécessaire pour attribuer les primes d’équipement à la flotte de commerce de réglementer au préalable les conditions dans lesquelles l’administration peut en demander le remboursement.
A défaut de trouver une habilitation dans le décret de 1972 nous nous sommes reportés à la loi de finances rectificative pour 1974 (en date du27décembre 1974) et au décret du même jour qui ouvrent les crédits nécessaires au versement de la prime, mais là encore ces deux textes ne peuvent être regardé comme autorisant le secrétaire d’Etat aux transports à réglementer les conditions de reversement de la prime. Une ouverture de crédits à une fin déterminée ne saurait en effet valoir autorisation de prendre les règlements propres à parvenir à cette fin.
La circulaire du 24mars 1975 nous semble donc illégale et cela devrait vous conduire à censurer l’application qu’en a fait le ministre en émettant les ordres de reversement contestés.
On peut certes se demander si la même décision n’aurait pas pu intervenir sur un autre fondement, notamment sur celui de l’article 13 du décret du 10mars 1972 qui prévoit la faculté d’exiger le remboursement de la prime lorsque l’affectation du bien subventionné est modifiée sans autorisation de l’administration. Mais il faudrait pour cela admettre que la vente à l’étranger (ou le gel de francisation)correspond à un changement d’affectation au sens de cet article 13 ce qui on l’a vu est assez problématique. Surtout la substitution de base légale, quand bien même elle aurait été demandée par le ministre, ne serait pas possible car l’article 13 du décret ouvre à l’administration un pouvoir discrétionnaire, alors que la circulaire ne laisse au contraire aucune faculté d’appréciation à l’administration quand à l’opportunité d’ordonner le reversement. La possibilité pour le juge administratif de procéder à une substitution de base légale est en effet subordonnée à la condition que l’administration ait pu prendre sa décision sur le fondement du nouveau texte en vertu du même pouvoir d’appréciation (cf le manuel de droit du contentieux administratif du professeur Chapus p.558). Sans même invoquer une disposition précise du décret de 1972 le ministre aurait pu fonder sa décision sur l’impossibilité pour la compagnie d’invoquer des droits acquis. Mais là encore il n’est pas établi que le ministre aurait ordonné le reversement s’il avait retenu ce seul motif tiré de l’absence de droits acquis (cf pour un exemple de ce type de raisonnement cf CE16octobre 1985 Ministre de l’agriculture c/ Société des courses de Questembert Malestroit Tables p.463). L’illégalité de la circulaire, si vous l’admettez, vous conduira donc nécessairement à annuler les ordres de reversement.
III – Si toutefois vous admettez la légalité des dispositions de la circulaire il faudra examiner si l’administration n’en a pas fait une inexacte application. Sur ce terrain également la position de l’administration nous paraît très fragile.
1°) La circulaire prévoit qu’il y a lieu d’émettre un ordre de reversement au cas où se produirait au cours des dix ans suivant la livraison une vente à l’étranger, une perte totale ou un changement de son affectation. Or en l’espèce il n’y a eu ni perte totale, ni même changement d’affectation des navires. Quant à la vente (partielle) à l’étranger elle n’est intervenue que le 18novembre 1988 pour le Ville de Dunkerque et le 1erfévrier 1989 pour le Ville du Havre soit dans les deux cas plus de dix ans après la livraison (intervenue) respectivement les 12 juin et 20octobre 1978). Le ministre soutient que la procédure dite du gel de francisation qui est intervenue pour les deux navires en septembre 1987 a eu pour effet de suspendre les obligations liées au pavillon français et de reporter d’autant le délai nécessaire au bénéfice de l’aide à l’investissement. De fait on s’aperçoit à l’examen des fiches de calcul des ordres de recettes que la demande de reversement est motivée par le gel de francisation qui a été accordé par le ministre, un peu plus de neuf mois avant l’expiration du délai de dix ans pour le Ville de Dunkerque, environ treize mois avant l’expiration du délai de dix ans pour le Ville du Havre.
Mais le gel de francisation ne figure pas au nombre des événements limitativement énumérés par la circulaire dont la survenance à l’intérieur du délai de dix ans à compter de la livraison du navire a pour conséquence le reversement. Une application littérale des dispositions de la circulaire devrait donc vous amener également sur ce terrain à annuler les titres de perception.
2°) Si toutefois sollicitant la lettre de la circulaire et, eu égard à l’objet de la prime (renforcement de la flotte de commerce française) vous jugez qu’il faut retrancher (pour apprécier si la vente à l’étranger est intervenue ou non à l’intérieur d’un délai de dix ans) les périodes où le navire a circulé sous pavillon étranger en bénéficiant d’un gel de francisation, vous serez alors confrontés à une autre question (également soulevée par la compagnie) qui est celle de savoir si les ordres de recettes ont pu être légalement établis au nom de la COMPAGNIE NATIONALE DE AVIGATION. Celle-ci était propriétaire du Ville du Havre lorsqu’elle a vendu le 1erfévrier 1989 un quirat de ce navire à la société ENNIS, mais en revanche le Ville de Dunkerque était propriété non de la COMPAGNIE NATIONALE DE NAVIGATION mais de sa filiale, la Compagnie de transports maritimes par Rouliers lorsque 1% de cette propriété a été vendu (le 3novembre 1988) à la même société ENNIS qui rappelons le est une autre filiale (étrangère) de la COMPAGNIE NATIONALE DE NAVIGATION. Si comme le soutient le ministre l’obligation de reversement de la prime est attachée au navire, l’ordre de reversement relatif au Ville de Dunkerque aurait d– être établi au nom de la Compagnie des transports maritimes par Rouliers et non à celui de la compagnie requérante.
Mais cette thèse du ministre selon laquelle l’obligation de reversement pèserait sur le propriétaire français du navire qui a pris l’initiative d’en céder tout ou partie à l’étranger (que le tribunal a fait sienne en affirmant que l’obligation suit le navire) ne saurait être retenue. Elle conduirait en effet à admettre que le ministre a pu, par la circulaire du 24septembre 1975, créer une obligation liée à la propriété du navire, ce que les civilistes appellent une obligation «propter rem », ce qui serait vous en conviendrez, tout à fait étonnant. Une telle obligation constituerait en effet une limitation administrative au droit de propriété une telle obligation ne peut à notre sens trouver son origine que dans un texte de loi (cf la décision du Conseil constitutionnel n°85-198 DC du 13décembre 1985 sur les servitudes administratives, décision dite de l’amendement Tour Eiffel recueil des décisions du CC 1985 p.78). Nous pensons donc que si la circulaire a pu valablement édicter une obligation de reversement celle-ci ne concerne que les bénéficiaires de la prime.
C’est au demeurant ce que la cour a jugé dans la décision du 2avril 1992 Chargeurs Delmas. Par cette décision la cour a jugé que c’était à bon droit que l’administration avait demandé à la société qui avait reçu la prime de procéder au reversement même si la cession à l’étranger n’était pas de son fait. Si donc vous acceptez de faire application de la circulaire du 24mars 1975 il faudra considérer que le reversement prorata temporis ne pouvait être réclamé qu’aux bénéficiaires de la prime, à savoir la Société Dunkerquoise d’Armement qui a perçu 90% du montant, et la Société Française des Transports Maritimes les 10% restant.
Celle-ci a toutefois été absorbée par la compagnie requérante en 1986 qui se trouve en conséquence substituée à ses droits et obligations. La compagnie n’est donc en toute hypothèse tenue à reversement que pour les sommes perçues par la SFTM et non pour celles qu’a reçues la Société Dunkerquoise d’Armement. Le ministre ne peut donc, en tout état de cause, réclamer à la COMPAGNIE NATIONALE DE NAVIGATION que le paiement des sommes de 126.575F et 179.917F représentant 10%des ordres de reversement qu’il a émis.
Mais ces développements sur les difficultés que pose l’application de la circulaire du 24mars 1975, auront vraisemblablement conforté auprès de vous la solution que nous vous proposons de retenir qui consiste à faire droit à l’exception d’illégalité de ladite circulaire.
Par ces motifs nous concluons à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Paris du 11avril1991 et à l’annulation des ordres de reversement qui ont été émis le 9mai 1989 par le ministre de la mer à l’encontre de la COMPAGNIE NATIONALE DE NAVIGATION pour avoir paiement des sommes de 1.265.753F et1.799.178F.

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CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 91PA00816