CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 03PA03532

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Sur la décision

Référence :
CAA
Juridiction : Cour administrative d'appel
Précédents jurisprudentiels : CE, 16 octobre 2000, p. 422
Conseil d'Etat du 24 novembre 1989, commune d'Iffendic, n° 68439

Texte intégral

03PA03532
Territoire de la Polynésie française
Date de lecture : 18/05/2006
Conclusions X Y, commissaire du gouvernement
Le litige qui vous est soumis soulève la question suivante : le Territoire de Polynésie française pouvait-il, sous le régime de la loi organique du 12 avril 1996, participer au capital d’une société privée autre qu’une société d’économie mixte ? Indiquons d’emblée que cette question trouverait aujourd’hui une réponse plus facile dans le cadre du nouveau statut de la Polynésie française issu de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004, puisque, selon cette l’article 30 de cette loi, « la Polynésie française peut participer au capital des sociétés privées gérant un service public ou d’intérêt général ; elle peut aussi, pour des motifs d’intérêt général, participer au capital de sociétés commerciales ». Mais le précédent statut de 1996 n’apportait pas de telles précisions.
Rappelons d’abord les faits de l’espèce : Par un arrêté du 10 septembre 2001, le conseil des ministres de la Polynésie française a autorisé le Territoire à souscrire 33 109 actions émises par la société Compagnie de développement des énergies renouvelables ( la Coder « Marama nut »), pour un montant voisin de 154 M de F CFP, soit 1,2 M d’euros.. Cette société assure, aux côtés d’Electricité de Tahiti, la production et le transport d’électricité d’origine hydraulique. Il s’agissait en réalité d’une opération d’augmentation de capital de cette société, et le Territoire, qui possédait déjà, depuis 1980, une participation à son capital, a contribué à cette augmentation de capital sous la forme d’une incorporation de créances et d’un solde créditeur de compte courant. La participation du Territoire est ainsi demeurée inchangée, à hauteur d’environ 38 % du capital.
Le haut-commissaire de la République a demandé au Territoire, dans le cadre du contrôle de légalité, la communication de la délibération de l’assemblée générale extraordinaire du 23 juin 2001 de la société Coder Marama Nut fixant les conditions d’augmentation du capital. En l’absence de réponse, il a saisi le Tribunal administratif de Papeete afin d’obtenir, d’une part, l’annulation de ce refus implicite, et d’autre part, et surtout, l’annulation de l’arrêté du 10 septembre 2001.
Le tribunal a fait droit à cette demande d’annulation du représentant de l’Etat par un jugement du 12 août 2003, en se fondant notamment sur les dispositions de la loi n° 83-597 du 7 juillet 1983 relatives aux sociétés d’économie mixte locales, applicable en Polynésie française en vertu de la loi du 12 avril 1996 complétant le statut d’autonomie. Il a en effet estimé qu’il résultait de ces dispositions « qu’alors même que la prise de participation initiale du territoire au capital de la société Coder Marama Nui serait antérieure à l’entrée en vigueur des dispositions de la loi du 7 juillet 1983, l’augmentation de cette participation, sous l’empire de cette loi, au capital d’une société anonyme qui n’est pas constituée sous forme de société d’économie mixte et ne permet donc pas à la puissance publique d’exercer son contrôle dans les conditions particulières prévues par la loi est entachée d’illégalité ». Le tribunal a, en conséquence, annulé l’arrêté et retenu une solution de non-lieu à statuer en ce qui concerne les conclusions relatives au refus de communication des documents réclamés par le haut-commissaire.
Les conclusions du commissaire du gouvernement permettent d’éclairer ce jugement. Le commissaire relevait notamment que dès lors que la société en cause ne constitue pas une société d’économie mixte, « rien n’empêche la société anonyme de se choisir un actionnaire privé comme président du Conseil d’administration » et que « les grandes décisions de l’entreprise, engageant des fonds publics, relèvent alors des partenaires privés ». Il observait, en outre, que l’arrêté méconnaissait le principe de liberté du commerce et de l’industrie.
Le Territoire de la Polynésie française vous demande aujourd’hui d’annuler ce jugement.
Il soutient d’abord que le tribunal n’aurait pas examiné l’ensemble des moyens de défense soulevés en première instance. Mais ce moyen, présent dans la requête d’appel, n’est pas repris dans le mémoire ampliatif. En tout état de cause, il manque en fait, étant rappelé que le juge n’est pas tenu de répondre à l’ensemble des arguments des parties.
Sur le fond, le Territoire fait valoir qu’aucune disposition ne lui interdisait de prendre une participation dans une société de droit privé.
La question qui vous est ainsi soumise n’est pas, contrairement à ce que soutient le requérant, celle de la répartition des compétences entre l’Etat et le Territoire. Il résulte en effet clairement des articles 5 et 6 du statut d’autonomie du 12 avril 1996 que les interventions publiques en matière économique ne relèvent pas, en Polynésie française, des compétences de l’Etat, ces dernières étant limitativement énumérées et la compétence de droit commun appartenant au Territoire. Pour cette raison, d’ailleurs, le Tribunal n’était nullement tenu de saisir pour avis le Conseil d’Etat en application de l’article 113 de la loi statutaire.
Cela étant, la compétence de principe dévolue au Territoire en matière d’interventionnisme économique lui permettait-elle des prises de participation dans des sociétés de droit privé autres qu’une société anonyme , et plus particulièrement, des prises de participation minoritaires ? N’existait-il pas des obstacles législatifs ou jurisprudentiels ?
Commençons par les premiers et rappelons qu’en métropole, les collectivités territoriales ne peuvent détenir des participations dans le capital de sociétés commerciales autres que des sociétés d’économie mixte. Cette règle est rappelée, pour les communes, par l’article L. 2253-1 du code général des collectivités territoriales, lequel admet cependant des dérogations sous la forme d’une autorisation donnée par décret en Conseil d’Etat. La jurisprudence a confirmé ce principe d’interdiction, notamment dans une décision du Conseil d’Etat du 24 novembre 1989, commune d’Iffendic, n° 68439. Mais le code général des collectivités territoriales n’est pas applicable en Polynésie française, si bien qu’en ce qui concerne les textes, c’est uniquement l’interprétation donnée à l’article 66 de la loi organique qui nous paraît pertinente pour donner une réponse à la question posée.
Cet article 66 disposait que le Territoire pouvait créer des sociétés d’économie mixte, le régime juridique de ces sociétés étant précisé, par référence à la loi de 1983 applicable en métropole, par l’article 9 de la loi ordinaire du 12 avril 1996. : « Le territoire de la Polynésie française peut créer des sociétés d’économie mixte qui associent le territoire ou ses établissements publics à une ou plusieurs personnes privées et, éventuellement, à d’autres personnes publiques, dans les conditions prévues par la législation en vigueur. Les statuts types de ces sociétés sont fixés par délibération de l’assemblée de la Polynésie française. Le territoire, ses établissements publics ou les autres personnes morales de droit public ont droit, en tant qu’actionnaires, à au moins un représentant au conseil d’administration ou au conseil de surveillance… ».
L’interprétation retenue par le Tribunal repose en réalité sur le raisonnement suivant : le statut d’autonomie n’envisageant que les SEM, toute autre forme de participation dans une société de droit privé est exclue. Mais l’examen des travaux parlementaires ne permet pas, à notre avis, de confirmer cette interprétation. En effet, l’article 66 n’a fait que reprendre une disposition un peu plus ancienne, à savoir l’article 105 du statut du 6 septembre 1984 modifié, dans sa rédaction issue de la loi n° 90-612 du 12 juillet 1990. Cet article 105 avait permis d’étendre à la Polynésie un régime juridique métropolitain, celui des SEM, tout en l’adaptant aux particularités du territoire. Comme le souligne pertinemment le Territoire, « à défaut de pouvoir créer une SEM locale ou de participer à son capital, la Polynésie française ne pourrait participer qu’au capital de sociétés anonymes de droit commun. L’Etat étant seul compétent en matière de principes fondamentaux des obligations commerciales, en vertu de l’article 5 de la loi statutaire, et la loi de 1983 constituant une dérogation au régime commun de la loi de 1966, il était nécessaire que l’Etat, seul compétent donc en la matière, étende les dispositions relatives aux SEM locales à la Polynésie».
Une lecture étroite du statut de 1996 conduirait à retenir que celui-ci interdisait également, par exemple, toutes aides directes ou indirectes versées par le Territoire, type d’interventions qu’il ne prévoyait pas explicitement.
Quant aux travaux préparatoires du nouveau statut de 2004, qui peuvent éventuellement, a posteriori, apporter quelque lumière sur la législation antérieure, nous relevons, dans les rapports parlementaires, à propos du nouvel article 30 autorisant expressément la Polynésie à participer au capital de certaines sociétés privées, l’observation suivante : « Cet article a pour objet de donner une base légale plus solide à des interventions économiques qui ont déjà cours. A titre d’exemple, le Territoire participe déjà au capital de la société « les huileries de Tahiti ». Mais ce souci d’éviter tout risque contentieux ne suffit pas à notre avis pour considérer que le législateur de 1996 aurait entendu exclure ce type de participations.
En résumé, nous ne voyons pas d’obstacle législatif à des prises de participation du Territoire, dans le capital de certaines sociétés autres que les SEM, dès 1996.
Mais, dès lors que les modalités de leur octroi n’étaient pas précisées par la loi, il faut considérer que leur légalité était subordonnée au respect des principes généraux du droit et à la justification d’un intérêt général précis, un intérêt devant s’apprécier, naturellement, à l’échelle du Territoire.
A ce titre, l’on peut d’abord songer au respect du principe de la liberté du commerce et de l’industrie, d’ailleurs invoqué par le haut-commissaire comme faisant obstacle à une participation d’une collectivité territoriale à une société à but lucratif. Mais il ne s’agit pas , en l’espèce, de créer un service public concurrençant les acteurs privés, puisque la société concernée est la seule à produire de l’énergie hydroélectrique en Polynésie. En outre, l’arrêt fondateur Chambre Syndicale de commerce de Nevers de 1930 doit être lu, aujourd’hui, à la lumière de l’évolution de la jurisprudence : la carence de l’initiative privée n’est pas à elle seule de nature à justifier la création d’un service public dans un environnement concurrentiel. L’existence d’un intérêt public, même futur, peut justifier cette création : voyez notamment en ce sens CE, Compagnie méditerranéenne d’exploitation des services d’eau (CE, 16 octobre 2000, p. 422), et surtout une décision récente du CE, Territoire de la PF, précisément ! du 18 mai 2005, n° 254199, AJDA p. 2131, à propos des l’exploitation de liaisons aériennes internationales.
Une autre objection à la prise de participations du Territoire dans le capital de sociétés commerciales pourrait être la suivante : une collectivité territoriale doit être guidée par des préoccupations d’intérêt général, alors qu’une société commercial a nécessairement un but lucratif. Mais une société, même à but lucratif, peut contribuer à l’intérêt général et l’Etat participe lui-même, en métropole, au capital de certaines sociétés de droit privé dans lequel il n’est pas majoritaire.
Reste à savoir si la prise de participation contestée par le haut-commissaire répondait à un véritable intérêt général, justifiant le versement de fonds publics dans une société privée .
Deux modes de raisonnement sont ici possibles.
Le premier s’inspire de la logique de l’actuel statut d’autonomie, celui de 2004. Dès lors que la société de droit privé gère un service public ou d’intérêt général, l’on pourrait estimer que la prise de participation est, par essence, justifiée. Ce serait ainsi uniquement la nature de l’activité menée par la société qu’il conviendrait d’examiner. Dans ce cadre, il est indéniable que la production d’énergie hydro-électrique en Polynésie, a fortiori lorsqu’elle émane d’un unique producteur et qu’elle représente un tiers de la production énergétique totale, répond à un intérêt général. Le Territoire écrit sur ce point, en adoptant presque une pétition de principe : « l’intérêt général pour la Polynésie française de participer à la maîtrise de l’énergie hydroélectrique par le truchement de la seule société privée existante sur le territoire est plus qu’évidente ».
Le second mode de raisonnement, que nous privilégions, est plus exigeant et repose sur la préoccupation suivante. Une prise de participation conduit la collectivité à investir des fonds publics dans une structure de droit privé dans laquelle elle n’exerce pas forcément un réel contrôle et, surtout, sans que l’utilisation de ces fonds publics soit réellement contrôlée. En un mot, elle présente des risques pour la collectivité, surtout, comme en l’espèce, lorsqu’elle est minoritaire. Dans ce cas, un intérêt général spécifique doit justifier cette prise de risques. On peut penser, par exemple, à la volonté d’apporter des capitaux à une nouvelle société afin de favoriser son développement.
Or, en l’espèce, il semble que le choix effectué par le Territoire ait été motivé par la volonté de consolider financièrement la société Coder Maram Nui, dont l’endettement était important et pour laquelle le Territoire avait contracté des engagements de caution.
Mais les pièces du dossier ne fournissent aucune indication supplémentaire. On ne connaît rien des causes de l’endettement de la société, ou de l’attitude des autres actionnaires. Le renforcement de la structure financière impliquait-il nécessairement une prise de participation publique supplémentaire ? En l’absence de tout indice circonstancié en ce sens, nous vous proposons de répondre par la négative.
C’est pourquoi nous vous proposons de confirmer l’annulation de l’arrêté du Territoire, et de rejeter en conséquence la requête .

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