CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 09PA05694;09PA05733

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Sur la décision

Référence :
CAA
Juridiction : Cour administrative d'appel
Précédents jurisprudentiels : CAA Bordeaux, 21 juin 2012, Commune de Villenave d'Ornon, n° 11BX01481
CAA Lyon, 12 octobre 1989, OPHLM de Valence, Rec. T. 793
CAA Lyon, 4 mars 2010, SARL Dufraigne Couverture, n° 08LY01648
CAA Nantes, 25 avril 2003, Société Desbont Clain, req. n° 99NT00346
CAA Nantes, 31 décembre 2009, SCA Dalkia France, n° 09NT00343
CAAP, 7 novembre 1989, Société parisienne de canalisations, LPA, 28 mai 1990, n° 64
CAA Versailles, 17 juin 2008, Maison de retraite intercommunale La Seigneurie, n° 07VE00480
CE, 10 décembre 1982, Entreprise Morin, n° 18367
CE, 11 août 2009, commune Les Vans, n° 317516
CE, 11 février 1983, Société Entreprise Caroni, Rec. 60
CE, 15 décembre 2000, Ville d'Amiens, n° 190552
CE, 17 décembre 1990, Commune de Mours c/ Entreprise La Dunoise, RDP 1991, p. 1561
CE, 17 janvier 1969, Héritiers Delavault, Rec. 31
CE, 18 mai 1988, Société « Monin ordures services », n° 67294
CE, 19 décembre 2007, CHU de Nice, n° 282261
CE, 21 octobre 1977, Société « Entreprise Bouteiller », req. n° 99749
CE 24 janvier 1990, Commune de St A de Monts c/ Marty, RDP 1991, p. 301
CE 25 juin 2004, Commune de Gap, n° 221563
CE, 28 avril 1989, Commune de Largentière, D. 1990. Somm. 61
CE 28 septembre 1984, Sté Stribick, Rec T 670
CE 28 septembre 2011, Communauté de communes du canton de Segré, n° 337692
CE, 29 janvier 1982, Société des docks lorrains, Rec. 44
CE, 30 janvier 2008, OPAC de la ville de Clermont-Ferrand, n° 278770
CE 4 mars 1985, Commune de Mandelieu la Napoule, n° 36072
CE, 5 novembre 1980, SIVOM de Bischwiller c/ Société Stein-industrie, n° 14.274
CE, 8 juin 2005, Ville de Caen c/ Dubois, n° 261478
CE, Sect., 27 mars 1998, Société d'assurances La Nantaise et l' Angevine réunies, n° 144240
CE, Sect., 6 avril 2007, CHG de Boulogne-sur-Mer, n° 264490 et 264491
Conseil d'État du 21 mars 1947, Compagnie générale des Eaux ( n° 77.529, GAJA 18e édit. 2011, n° 59

Texte intégral

[…]
Société IOSIS CONSEIL et société HERVE c/ Paris Habitat OPH
Audience du 25 mars 2013
Lecture du 13 mai 2013
CONCLUSIONS de M. Stéphane Dewailly, Rapporteur public
Faits :
Par plusieurs marchés, PARIS HABITAT OPH a confié à la société Qualiconsult, à l’Atelier d’architecture MP, à la société Iosis conseil et à la société Hervé, diverses missions de contrôle technique, de maîtrise d’œuvre des travaux de construction, de bureau d’étude et économiste de la construction, en vue de la construction de logements sociaux sur un terrain situé dans le quartier de la Goutte d’Or, aux […] à Paris.
L’ordre de service de commencement des travaux a été notifié par PARIS HABITAT OPH le 1er avril 1999.
Par un contrat du 30 juin 1999, la société Hervé a chargé la société T.I.R. de la réalisation des fondations en tranchées blindées.
En cours d’exécution de ces travaux et des opérations de terrassement, débutés le 30 août 1999, un immeuble voisin appartenant à l’indivision C-D a révélé la faiblesse de ses fondations et son mauvais état d’entretien, entraînant l’instabilité du bâtiment qui menaçait de s’effondrer.
Dans ce cadre, le pouvoir adjudicateur prit la décision de suspendre le chantier, à compter du 9 septembre 1999, et mit en œuvre des mesures conservatoires jusqu’au 22 septembre 1999.
Puis, par un arrêté du 22 décembre 1999, le Préfet de police prescrira la démolition de l’immeuble à la charge des propriétaires de celui-ci. Ces derniers refuseront d’assumer la charge de cette démolition, imputant aux seuls travaux, les désordres. Finalement, un accord transactionnel sera conclu, le 28 avril 2000, entre PARIS HABITAT OPH et les consorts C-D. PARIS HABITAT OPH acquérant la propriété de cet immeuble et procédant à sa démolition. Celle-ci sera achevée en juillet 2000.
Par courrier du 4 juillet 2000, PARIS HABITAT OPH informera la société Hervé de la possibilité de reprendre les travaux interrompus, à compter du mois de septembre 2000. Cependant, par un courrier du 20 septembre 2000, la société Hervé informera PARIS HABITAT OPH qu’elle ne souhaite pas reprendre le chantier et lui fera part de son intention de demander la résiliation de son marché du fait de l’interruption prolongée des travaux.
PARIS HABITAT OPH décidera de procéder à cette résiliation, mais aux frais et risques de la société Hervé, le 13 octobre 2000. Elle conclura un marché de substitution avec la société Bouygues, le 26 novembre 2001, pour un montant de 3.873.425 euros TTC. La société Hervé en sera informée par lettre recommandée avec accusé de réception reçue le 2 janvier 2002.
Plusieurs expertises seront ordonnées, afin de déterminer si les constructeurs ont ou pas manqué à leur devoir de conseil. Trois rapports d’expertise successifs seront déposés. Un premier rapport remis par M. X de la Motte le 22 octobre 1992, puis, un second rapport remis le 21 janvier 2005, par M. Y, dans le cadre de procédure de référés expertise devant le TGI de Paris les 4 septembre 1996 et 3 septembre 1998. Enfin, le TAP, sollicitera un troisième expert, M. Z. Ce dernier déposera son rapport le 23 décembre 2004.
Par une ordonnance du 23 novembre 2005, le juge du référé du TAP rejettera la demande de provision présentée par PARIS HABITAT OPH. Enfin, par un jugement du 16 juin 2009, le TAP fera droit à la demande de PARIS HABITAT OPH, condamnant la société Hervé à lui verser une somme de 59.760,15 euros, la société Qualiconsult à lui verser une somme de 104.955,02 euros et la société Iosis conseil à lui verser la somme de 209.910,06 euros, ces sommes étant majorées des intérêts au taux légal.
Les sociétés Hervé et IOSIS Conseil interjettent appel de ce jugement demandant à la Cour de l’annuler et de rejeter les demandes de PARIS HABITAT OPH. Les autres intervenants formulent aussi des conclusions dans leurs mémoires respectifs.
Discussion :
I – Sur les conclusions d’appel principal :
1 – En ce qui concerne la régularité du jugement :
A – La société Hervé soutient que le Ta n’a pas statué sur le moyen lié à la résiliation aux frais et risques.
Ce moyen manque en fait si vous opérez la relecture du cinquième considérant de ce jugement.
Par ailleurs, il est de jpce constante que le juge n’est jamais contraint de répondre à l’ensemble des arguments soulevés dès lors qu’il répond au moyen qu’ils soutiennent.
B – La société Hervé soutient encore que le jugement n’est pas suffisamment motivé :
a- Elle estime qu’il ne pouvait écarter le rapport de M. Y. Toutefois, force est de constater que les premiers juges ont pris en compte l’ensemble des rapports, comme cela ressort du considérant « chapeau ». De surcroît, rien n’interdit au tribunal de se fonder sur le rapport d’expertise diligenté par le tribunal, surtout alors que le rapport de M. Y n’avait pas le même objet que celui demandé par le tribunal. Le premier était seulement un rapport dans le cadre d’un référé préventif, tandis que le second portait sur les travaux nécessaires et l’origine des désordres.
b- Elle estime encore que la répartition des fautes et leur degré de gravité et d’imputabilité n’est pas suffisamment motivé au regard de leur devoir de conseil. Toutefois, ce défaut manque en fait, puisque dans son premier considérant le tribunal a bien indiqué les fautes commises par la maîtrise d’œuvre.
C- La société Hervé soutient que les premiers juges ont statué ultra petita en réinterprétant les conclusions de Paris habitat OPH.
Certes, Paris Habitat OPH n’a soulevé, dans sa RII, que sur le défaut de conseil et d’information des constructeurs, qui est à l’origine de l’effondrement de l’immeuble. Toutefois, l’OPAC reprend ultérieurement les conclusions de l’expert qui chiffre tous les préjudices, dont ceux dus au retard du chantier en raison notamment de la résiliation du marché par l’entreprise Hervé. Cependant, ils sont postérieurs à l’effondrement de l’immeuble et restent sans lien avec le défaut de conseil.
Vous auriez ici un motif d’irrégularité du jugement qui a pris cet élément en compte alors qu’il ne le pouvait pas. Vous devrez alors annuler le jugement et évoquer l’affaire.
A défaut, l’analyse devra être poursuivie.
D – La société Qualiconsult relève pour sa part le fait que le partage de responsabilité n’est pas suffisamment motivé. Cependant, la lecture de l’ensemble du jugement et notamment du premier considérant, combiné avec l’analyse des fautes des cocontractants, montre que ce moyen peut être écarté, cette question ayant été analysé et la réponse, motivée.
2 – En ce qui concerne les fins de non recevoir :
A – Les appelantes demandent que la Cour oppose une fin de non recevoir aux conclusions de Paris Habitat OPH, parce que les relations contractuelles auraient cessé en septembre 1999 lors de la déclaration d’achèvement des travaux.
D’ores-et-déjà, la jurisprudence ne donne pas à la déclaration de travaux une valeur absolue de date certaine (voir pour le versement d’une participation pour raccordement à l’égout : CE 4 mars 1985, Commune de Mandelieu la Napoule, n° 36072). Dans ces conditions, elle ne peut servir de point de départ de la réception de l’ouvrage.
En outre, vous ne trouverez pas trace dans les dossiers d’un document pouvant avoir valeur d’une réception en septembre 2003 ou à une autre date. Il n’y a eu ni réception tacite, ni prise de possession d’un ouvrage achevé en état d’être reçu (CE 24 janvier 1990, Commune de St A de Monts c/ Marty, RDP 1991, p. 301 ; CE 12 juillet 1993, Entse B). De surcroît, le DGD, invoqué par la société Iosis Conseil, daté du 19 novembre 2004, comme le tribunal l’a d’ailleurs rappelé, ne concerne pas le marché en cause dans le présent litige. Il ne peut donc qu’être écarté.
En revanche, il est exact de dire que la résiliation peut emporter réception des prestations exécutées (CCAG Trav., art 46-2), mais dans l’hypothèse où elle est prononcée avec des réserves, mais seulement dans cette mesure, le maître d’ouvrage peut alors rechercher la responsabilité contractuelle de son cocontractant (CE, Sect., 27 mars 1998, Société d’assurances La Nantaise et l’Angevine réunies, n° 144240). C’est bien le cas ici, puisque la résiliation est intervenue aux torts et frais de la société Hervé.
De surcroît, et en toute hypothèse, cette réception sans réserve, à la supposer intervenue, est sans incidence sur le motif du présent litige qui porte non pas sur l’exécution de travaux, mais en amont sur le devoir de conseil (CE 25 juin 2004, Commune de Gap, n° 221563).
Ce moyen pourra être écarté.
B – Dans ce contexte, la société Qualiconsult peut-elle être valablement mise en cause ?
D’ores-et-déjà, vous pourrez lui opposer le fait qu’elle n’est pas fondée à invoquer le moyen précédemment évoqué pour dégager sa responsabilité sur le fondement de l’article L. 111-23 du CCH, puisque, ainsi qu’il a été dit, le contrat n’était pas rompu.
Pour autant, peut-elle être utilement mise en cause dans ce litige ?
Ces dispositions précisent que : «Le contrôleur technique a pour mission de contribuer à la prévention des différents aléas techniques susceptibles d’être rencontrés dans la réalisation des ouvrages. / Il intervient à la demande du maître de l’ouvrage et donne son avis à ce dernier sur les problèmes d’ordre technique. Cet avis porte notamment sur les problèmes qui concernent la solidité de l’ouvrage et la sécurité des personnes.»
Toutefois, il ne peut jouer ce rôle que dans la mesure où il est informé des contraintes pouvant peser sur le projet, objet de sa mission. La circonstance, à la supposer établie, selon laquelle l’expertise de M. Y ne lui aurait pas été communiquée étant sans incidence en regard des obligations qui pèsent sur le contrôleur technique, dès lors qu’elle ne pouvait ignorer cet aléa, d’ailleurs évoqué en réunion de chantier et mentionné dans le pré-rapport de M. Y du 31 janvier 1999, qui lui a été communiqué (CE 28 septembre 2011, Communauté de communes du canton de Segré, n° 337692).
En tout état de cause, elle n’est pas fondée à soutenir qu’elle doit être mise hors de cause.
3 – Ils soutiennent que le jugement n’est pas suffisamment motivé, faute qu’il ait pris en compte le rapport de M. Y, alors que la mission confiée à ce dernier n’était pas purement préventive.
Ce dernier ayant conclu à la responsabilité de l’indivision C et de Paris Habitat OPH.
Par ailleurs, ce rapport ne conclut pas qu’il existait un manquement au devoir de conseil et le tribunal n’a pas motivé son jugement sur ce point.
Toutefois, si le jugement est succinct sur ces points, il n’en demeure pas moins qu’il aborde la question du manquement à diverses reprises. Qu’en revanche, s’il se borne à retenir les conclusions du rapport de M. Z, sans faire référence à celles des experts intervenus antérieurement, à la demande des juridictions judiciaires, il était fondé à la faire dès lors que contrairement à ce qui est soutenu, ces précédents rapports ne concernaient pas directement le chantier objet du présent litige.
Ce moyen pourra être écarté.
4 – En ce qui concerne les fautes retenues à l’encontre des appelants :
A – Le manquement au devoir de conseil.
Les appelants insistent sur le fait qu’ils ignoraient l’état de l’immeuble voisin, notamment alors que l’expert admettait que rien ne laissait présager cette évolution, que seule des études spécifiques auraient permis d’établir. En outre, Paris Habitat OPH ne pouvait ignorer cette situation, alors qu’il avait sollicité l’expertise et reçu copie du rapport et était déjà destinataire du rapport remis par M. X de Lamotte, dans une autre opération immobilière riveraine. Enfin, la révélation de cette menace d’effondrement a eu lieu après que le chantier fut arrêté.
De surcroît, la société Hervé rappelle que les travaux qui lui ont été confiés, ne sont pas à l’origine de cette situation.
a- En ce qui concerne le maître d’œuvre :
Ce dernier est tenu d’une obligation d’assistance et de conseil au maître d’ouvrage.
Cela notamment lorsqu’il a eu connaissance de désordres survenus en cours de chantier qui, sans affecter l’état de l’ouvrage achevé, ont (ou pourraient) causé des dommages au maître de l’ouvrage.
À défaut, il commet une faute de nature à engager sa responsabilité à l’égard du maître de l’ouvrage (CE, Sect., 6 avril 2007, CHG de Boulogne-sur-Mer, n° 264490 et 264491).
Un manquement de l’architecte à ce devoir est bien sûr aussi susceptible d’engager sa responsabilité à l’égard du maître de l’ouvrage (CE, 8 juin 2005, Ville de Caen c/ Dubois, n° 261478). Toutefois, ce qui a été jugé concerne plutôt les désordres survenant sur l’ouvrage lui-même et non pas ceux pouvant potentiellement survenir du fait de l’environnement.
Cependant, comme les pièces du dossier l’établissent en l’espèce, la mission confiée à la maîtrise d’œuvre englobait aussi les « environnants ». A l’inverse, elles n’établissent pas que le maître d’ouvrage aurait été informé, par lui, des risques d’effondrement de l’immeuble adjacent.
Le maître d’œuvre a donc bien manqué à son obligation de conseil.
b- En ce qui concerne l’entreprise Hervé :
Dans la mesure des compétences supposées devoir normalement être les siennes, l’entrepreneur est aussi dans l’obligation de signaler toutes les déficiences dans la conception de l’ouvrage et d’émettre des réserves chaque fois qu’il est nécessaire.
L’obligation de conseil est donc analysée au cas par cas, compte tenu de la nature des travaux, du caractère plus ou moins innovant ou expérimental du projet à réaliser, de la spécialisation de l’entreprise et de son « poids » par rapport au maître d’œuvre et au maître d’ouvrage.
S’il ne prend pas la précaution de faire connaître son avis de technicien, sa responsabilité pourra être retenue (CE, 17 janvier 1969, Héritiers Delavault, Rec. 31).
Ainsi, par exemple, même lorsqu’une technique est imposée par l’architecte ou le maître de 1'ouvrage, il ne lui est pas interdit de formuler des observations et des réserves par exemple, sur le choix des matériaux (CAAP, 7 novembre 1989, Société parisienne de canalisations, LPA, 28 mai 1990, n° 64). De même, sa responsabilité contractuelle sera engagée s’il « ne conteste pas avoir accepté, sans faire aucune réserve, de construire un vide sanitaire sans ventilation ni drainage alors qu’il ne pouvait ignorer ni les caractéristiques du terrain, ni les prescriptions du ministre qui exigeait que de tels aménagements soient réalisés » (CE, 17 décembre 1990, Commune de Mours c/ Entreprise La Dunoise, RDP 1991, p. 1561).
De même, encore, l’entreprise, même si aucune faute d’exécution ne peut être relevée à son encontre, a néanmoins manqué à ses obligations contractuelles en n’appelant pas l’attention du maître de l’ouvrage sur les insuffisances des installations projetées » (CE, 15 décembre 2000, Ville d’Amiens, n° 190552). A cet égard, le Conseil d’État précise aussi dans cette même décision que «la circonstance que la commune dispose de services techniques qui ont suivi le déroulement du chantier ne déchargeait pas la société GAO, en raison de la nature particulière des installations réalisées et de l’absence d’intervention de ses services dans la conception de l’ouvrage, de son devoir d’information et d’avertissement envers le maître de l’ouvrage ».
Dans d’autres circonstances, sa responsabilité n’est pas retenue pour un manquement à l’obligation de conseil (CE, 14 décembre 1988, Régie municipale usine d’électricité de Metz, MTPB, 17 février 1989) et une décharge totale de responsabilité est prononcée lorsque les défectuosités sont impossibles à connaître (CE, 28 avril 1989, Commune de Largentière, D. 1990. Somm. 61).
Plus récemment, dans une affaire dans laquelle le maître de l’ouvrage savait, dès avant la conclusion du marché, que le projet n’était pas adapté à la topographie des lieux, mais ne pouvait connaître l’ampleur des travaux supplémentaires qu’il serait amené à ordonner pour y remédier, le Conseil d’État a refusé aux entreprises le droit au paiement du surcoût lié à l’exécution de ces travaux au motif que les entreprises elles-mêmes avaient parfaitement connaissance des erreurs entachant le relevé topographique qu’il leur avait fourni et qu’elles étaient donc en mesure de prévoir, avant la signature du marché, le surcoût qui en résulterait pour la réalisation du mur de soutènement (CE, 19 décembre 2007, CHU de Nice, n° 282261).
En l’occurrence, quand bien même le premier rapport aurait concerné un autre chantier, il est établi qu’elle avait connaissance des risques présentés par la proximité de l’immeuble mal fondé et dont l’instabilité ressortait à l’évidence. Cependant, vous noterez qu’il n’est pas sérieusement contredit qu’elle avait attiré elle-même l’attention du maître d’œuvre (voir télécopie du 9 septembre 1999) et avait même effectué une visite du bâtiment et constaté le caractère délabré de ce bâtiment.
La société Hervé n’a donc pas manqué à son obligation de conseil.
c- En ce qui concerne le contrôleur technique :
Ce dernier en application des dispositions de l’article L. 111-23 du CCH doit donner son avis sur les problèmes relatifs à la solidité de l’ouvrage et la sécurité des personnes. Vous pourrez adopter deux types de raisonnement sur cet article : au sens strict, la mission qui lui est confiée est une mission strictement limitée au chantier, l’environnement lui est donc indifférent ; la seconde, qui a notre préférence, qui tend à donner à cet article une acception plus large et comprend cette mission comme englobant le chantier dans son environnement. Pour autant, nous ne pensons pas que cette acception doive être étendue de manière démesurée.
En effet, si cet article nous semble devoir être compris dans sa partie « solidité de l’ouvrage », comme concernant exclusivement l’ouvrage lui-même en cours de réalisation, il nous semble en revanche, que vous pourrez donner une analyse plus large des termes de « sécurité des personnes » et considérer qu’il s’agit ici aussi bien de la sécurité des personnes appelées à occuper temporairement ou non le bâtiment après son achèvement que celle des ouvriers appelés à intervenir en cours de chantier.
D’ailleurs, les dispositions de l’article R. 111-39 du CCH nous semble aller dans ce sens. Le contrôle technique peut porter sur tous autres éléments de la construction dont la réalisation est susceptible de présenter des aléas techniques particuliers contre lesquels le maître de l’ouvrage estime utile de se prémunir. Le risque d’effondrement d’un bâtiment voisin nous semblant de nature à entrer dans ce cadre.
Sur ce point, s’il ne semble pas que le contrôleur technique ait formulé auprès du maître d’ouvrage des remarques sur le risque présenté par l’immeuble voisin, il n’en demeure pas moins qu’il s’est inquiété de la stabilité, dès le 15 juin 1998 et a sollicité que lui soient transmis des documents sur ce point. Ultérieurement pourtant, il n’a émis aucune remarque sur le risque, se bornant à demander la communication de documents techniques. Il ne nous semble pas fondé à soutenir qu’il n’a pas manqué à son obligation de conseil, puisqu’aucun document n’établit clairement qu’il aurait émis des réserves sur le projet de construction.
B – En ce qui concerne le manquement de Paris Habitat OPH à son obligation d’information :
De manière générale et malgré ce qui précède, l’administration engage sa responsabilité lorsqu’elle ne procure pas tous les éléments d’information en sa possession lorsque ceux-ci sont nécessaires à une bonne exécution du contrat.
Tel est le cas lorsqu’elle fournit des plans ou des documents techniques erronés ou imprécis :
- Par exemple, des documents contenant une erreur dans l’estimation du volume des travaux à réaliser (CE, 11 février 1983, Société Entreprise Caroni, Rec. 60) ;
- Par exemple et plus topique, une faute commise dans la conception du projet de construction d’un égout en s’abstenant d’imposer à l’entreprise les précautions spéciales que rendaient nécessaires l’état du sous-sol et la faible distance de l’ouvrage par rapport à un immeuble (CE, 21 octobre 1977, Société « Entreprise Bouteiller », req. n° 99749).
Or, depuis la première expertise s’étant prononcée sur l’état du bâtiment appartenant à l’indivision C, Paris Habitat OPH ne pouvait ignorer sa fragilité. Certes, il s’agissait d’un autre projet, mais l’immeuble en cause était intercalé entre ce premier projet et celui objet du présent litige. Par construction, les faiblesses constatées dans l’un ne pouvaient qu’avoir des conséquences et des répercussions, même potentielles, sur l’autre. Notons en outre que les entreprises attributaires du marché en cause n’étaient pas partie à cet autre chantier.
Pourtant, et malgré les informations qu’il détenait, Paris Habitat OPH a poursuivi son projet de construction, sans avertir les entreprises de cette situation et sans avoir pris les mesures nécessaires pour anticiper le risque. Rappelons à cet égard que le maître de l’ouvrage est la personne morale pour laquelle l’ouvrage est construit et que notamment la loi MOP met l’accent sur le caractère éminent de son rôle, comme la jurisprudence l’a rappelé : «responsable principal de l’ouvrage, il remplit dans ce rôle une fonction d’intérêt général dont il ne peut se démettre » (CE, 11 août 2009, commune Les Vans, n° 317516).
En ne démontrant pas avoir informé les participants à l’acte de construire de l’état de délabrement de l’immeuble voisin dont il avait connaissance depuis 1996, année de sa saisine du TGI, dans le cadre d’un référé préventif, connaissance qui s’est transformée en certitude, au plus tard lors du dépôt définitif, en 2005 (rappelons qu’un rapport provisoire de M. Y a été déposé dans l’intervalle, en 1999) et en 2004, si l’on retient le rapport demandé par le TA à M. Z. Ce serait cependant oublier qu’il existait un rapport portant sur le même immeuble, mais concernant l’autre mitoyenneté déposé par M. X de Lamotte, en 1992, sur le même immeuble dont l’état était déjà alarmant et sur lequel aucun travail de structure n’avait été entrepris, depuis lors.
Paris Habitat OPH a ainsi manqué à ses obligations d’information. Cette circonstance est de nature à atténuer la responsabilité de la maîtrise d’œuvre et du contrôleur technique.
5 – Si vous ne nous suivez pas sur ce manquement au devoir d’information, pourrez-vous retenir une autre cause d’atténuation ou d’exonération de responsabilité ?
Les appelants soutiennent que la connaissance que Paris Habitat OPH avait du chantier, au regard du risque encouru, aurait du, à dire d’expert, le dissuader de construire, dans ces conditions, à cet emplacement.
Toutefois, il n’appartient pas au juge d’apprécier l’opportunité d’une telle opération, alors en outre que des mesures préventives pouvaient être mise en œuvre pour sécuriser le périmètre. Ces mesures ont d’ailleurs été mises en œuvre puisque l’office, après que le préfet de police ait constaté le péril, a finalement acheté l’immeuble et l’a fait démolir.
Ce moyen ne sera pas de nature à modifier le régime des responsabilités, ni leur répartition.
6 – La résiliation aux frais et risques ne serait pas justifiée :
A – D’abord parce que la procédure n’aurait pas été respectée :
Si celle demandée à l’initiative de la société Hervé, était justifiée, en application des stipulations de l’article 48.8 du CCAG – Travaux, celle effectuée par Paris Habitat OPH, sur la base des articles 46 et 49 du même CCAG, ne l’est pas, le marché de substitution débuté le 27 novembre 2001, n’ayant été notifié que le 2 janvier 2002 et n’ayant ni le même objet que le marché initial, ni le même montant résiduel.
L’article 49.1 du CCAG – Travaux rappelle que lorsque l’entrepreneur ne se conforme pas aux dispositions du marché ou aux ordres de service, la personne responsable du marché le met en demeure d’y satisfaire, dans un délai déterminé, par une décision qui lui est notifiée par écrit. Ce délai n’étant, en principe, pas inférieur à quinze jours à compter de la date de notification de la mise en demeure.
La mise en demeure de reprendre le chantier lui a été notifié le 20 septembre 2000, tandis que l’OS de reprendre les travaux lui a été notifié le 4 juillet. Un délai de 15 jours lui a été laissé pour se mettre en conformité avec ces stipulations (CE, 30 janvier 2008, OPAC de la ville de Clermont-Ferrand, n° 278770).
Le marché a été résilié par courrier du 13 octobre 2000. Un constat des travaux réalisé a été effectué le 25 octobre 2000. Cette procédure a donc été respectée (CE 28 septembre 1984, Sté Stribick, Rec T 670).
Aux termes de l’article 49.4 du même CCAG, la résiliation du marché aux frais et risques de l’entrepreneur autorise l’administration à passer un marché, dans le cadre d’un nouvel AO, avec publicité, avec un autre entrepreneur, pour l’achèvement des travaux ou un marché négocié sans publicité.
Le décompte général du marché résilié ne sera notifié à l’entrepreneur qu’après règlement définitif du nouveau marché passé pour l’achèvement des travaux.
Le marché de substitution a été notifié à l’entreprise Bouygues, le 27 novembre 2001 et à l’entreprise Hervé, le 2 janvier 2002. Les travaux n’ayant débuté que le 27 janvier 2002, c’est ce qu’exige la jurisprudence (CAA Lyon, 4 mars 2010, SARL Dufraigne Couverture, n° 08LY01648).
Rappelons que l’entreprise écartée devant assurer les éventuels surcoûts, il est assez logique qu’elle dispose d’un droit d’information sur l’exécution des prestations et, donc, de la possibilité de suivre les opérations de la régie. Cependant, c’est à la condition qu’elle en fasse la demande (CE, 5 novembre 1980, SIVOM de Bischwiller c/ Société Stein-industrie, n° 14.274 ; CAA Versailles, 17 juin 2008, Maison de retraite intercommunale La Seigneurie, n° 07VE00480 ; CAA Nantes, 31 décembre 2009, SCA Dalkia France, n° 09NT00343).
B – Ensuite, parce que le motif de la résiliation n’est pas fondé.
D’ores-et-déjà, vous savez que la décision d’arrêter l’exécution du marché constitue un tel manquement qui peut être sanctionné par la résiliation, lorsqu’elle n’est pas fondée (CE, 18 mai 1988, Société « Monin ordures services », n° 67294 ; CAA Nantes, 25 avril 2003, Société Desbont Clain, req. n° 99NT00346).
Selon la société Hervé, la longue interruption de ce chantier serait liée seulement à la négociation entamée par cette dernière avec l’indivision C, en vue du rachat de l’immeuble -à laquelle les constructeurs n’étaient pas partie- est de nature à empêcher une résiliation aux frais et risques.
Toutefois, l’entreprise Hervé a bien pris l’initiative de dire qu’elle ne continuerait plus l’exécution du marché et décidé de rompre unilatéralement celui-ci, estimant que l’interruption de plus d’un an, le justifiait. Dès lors, à supposer que les négociations entre l’indivision C et Paris Habitat OPH ait été longue, ce qui ne ressort pas à l’évidence des pièces du dossier (l’accord étant daté du 28 avril 2000), il vous faudra apprécier si la durée de cette interruption a pu justifier cette décision.
La date d’interruption du chantier à retenir serait, selon cette dernière, celle du 9 septembre 1999, d’ailleurs retenue par les experts, et non pas celle du 22. Le redémarrage ayant été seulement annoncé le 4 juillet 2000 avec une reprise prévue, sans autre précision, en septembre 2000. Elle vous indique que les travaux de démolition de l’immeuble voisin n’avaient pas encore commencé à cette date. Elle estime enfin que seule la mise en demeure, notifiée le 21 septembre 2000, pouvait valoir reprise du chantier, marquant ainsi le fait que l’interruption était supérieure à un an.
Une rupture fondée sur les stipulations de l’article 48.2 était ainsi justifiée.
Il ressort des pièces du dossier que le 9 septembre 1999, une suspension provisoire des travaux a été décidée. Une décision définitive d’interruption du chantier devant être examinée lors d’une réunion prévue le 15 (cf. PV de la réunion du 9 septembre 1999). Dès lors, le point de départ ne peut être fixé le 9, comme le soutient l’entreprise. Peut-il être fixé au 22, comme le dit le tribunal ?
La lecture du rapport d’expertise de M. Z retient cette date, aucun autre élément probant ne permet de retenir une autre date. De surcroît, vous noterez que l’OS de reprise des travaux a été notifié le 1er septembre 2000 et annoncé, comme il a été soutenu par l’entreprise, le 4 juillet.
Dans ces conditions et en toute hypothèse, vous ne pourrez considérer que le refus de reprendre le chantier était justifié et qu’une rupture pouvait être fondée sur l’article 48.2 du CCAG – Travaux.
7 – Enfin, il vous est explique qu’il y a lieu de réduire les prétentions financières de Paris Habitat OPH, compte tenu du raisonnement erroné suivi par l’expert.
Depuis une décision d’Assemblée du Conseil d’État du 21 mars 1947, Compagnie générale des Eaux (n° 77.529, GAJA 18e édit. 2011, n° 59), l’évaluation des dommages matériels (par opposition aux dommages corporels) doit être faite à la date où, leur cause ayant pris fin et leur étendue étant connue, il pouvait être procédé aux travaux destinés à les réparer.
Cette date est, en principe, fixée par le rapport de l’expert ou à défaut d’indication dans le rapport, à celle du dépôt du rapport (CE, 29 janvier 1982, Société des docks lorrains, Rec. 44).
Exceptionnellement, une date plus tardive peut être retenue si la victime établit qu’à la date où la nature, l’étendue et le coût des travaux étaient connus avec une précision suffisante, elle se trouvait confrontée à des difficultés financières insurmontables ou à des difficultés techniques majeures (CE, Sect., 28 novembre 1975, Ville de Douai, Rec. 604 ; CE, 10 décembre 1982, Entreprise Morin, n° 18367).
Il en résulte que, lorsque les dommages sont évalués en valeur de l’année n dans un rapport d’expertise déposé au cours de l’année n + 1, il convient d’appliquer au montant proposé par l’expert la variation du taux de l’indice à la construction entre ces deux dates (CAA Lyon, 12 octobre 1989, OPHLM de Valence, Rec. T. 793).
En l’espèce, les reproches adressés à l’expert ne sont pas fondés, les travaux évalués l’ayant été conformément aux règles de l’art. Ce moyen pourra être écarté.
II – En ce qui concerne les conclusions d’appel incident :
A – Cabinet d’architecte MP appelé à garantir la société Iosis des condamnations à intervenir. La société Qualiconsult appelée à garantir la société Hervé.
D’une part, vous pourrez rejeter les appels en garantie de la société Othem et de la société Iosis qui sont des conclusions nouvelles irrecevables en appel.
Par ailleurs, si vous nous suivez, vous pourrez rejeter les autres appels en garantie puisqu’il a été proposé de dire que la société Hervé, avait informé le maître d’œuvre de l’état de l’immeuble riverain et n’est donc pas responsable de ce désordre et de rejeter les demandes d’appel en garantie des autres constructeurs.
B – Demandes reconventionnelles.
Le projet modifié par l’ajout de l’immeuble détruit a entraîné des demandes supplémentaires et ainsi des honoraires en sus de ceux objets du marché précédent pour un montant de 14.177,54 euros au profit du cabinet MP.
Toutefois, une telle demande formulée tant par la société Iosis, par l’Atelier d’Architecture, que par la société Hervé constitue une demande distincte ayant un autre fondement et un autre objet que le présent litige portant sur la responsabilité des constructeurs pour manquement à leur devoir de conseil. Ces demandes pourront ainsi être rejetées (CAA Bordeaux, 21 juin 2012, Commune de Villenave d’Ornon, n° 11BX01481).
Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête de la société Iosis et autres et à l’annulation du jugement du TAP du 16 juin 2009 en tant qu’il a admis que l’entreprise Hervé avait manqué à son obligation de conseil, de juger que Paris Habitat OPH a manqué à son obligation d’information et de laisser un tiers des condamnations à sa charge, y compris des frais d’expertise. Enfin de mettre à la charge de Paris Habitat OPH une somme de 1.500 euros de frais irrépétibles au profit de la société Hervé, de mettre à la charge de la société Iosis conseil et de l’Atelier d’architecture une somme 1.500 euros au profit de Paris Habitat OPH et de rejeter le surplus des conclusions des parties.
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Textes cités dans la décision

  1. Code de la construction et de l'habitation.
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CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 09PA05694;09PA05733