CAA de VERSAILLES, 4ème chambre, 3 septembre 2020, 19VE01246, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Versailles, 4e ch., 3 sept. 2020, n° 19VE01246
Juridiction : Cour administrative d'appel de Versailles
Numéro : 19VE01246
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Sur renvoi de : Conseil d'État, 4 avril 2019, N° 410039
Dispositif : Satisfaction partielle
Identifiant Légifrance : CETATEXT000042333950

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A… B… a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner la commune de Neuilly-sur-Seine à lui verser une somme de 400 380,17 euros en réparation du préjudice qu’il estime avoir subi du fait des informations erronées qui sont contenues dans la lettre du maire du 2 août 2011 quant à l’usage du lot n° 2 au rez-de-chaussée d’un immeuble situé 8, villa des Sablons à Neuilly, lui appartenant, assortie d’intérêts au taux légal à compter de la date de sa demande préalable.

Par un jugement n° 1305537 du 8 décembre 2015, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 16VE00275 du 23 février 2017, la Cour administrative d’appel de Versailles a annulé ce jugement et condamné la commune de Neuilly-sur-Seine à verser à M. B… une somme de 78 237 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 juin 2012.

Par une décision n° 410039 du 5 avril 2019, le Conseil d’Etat a, sur pourvoi de la commune de Neuilly-sur-Seine, annulé cet arrêt et renvoyé l’affaire devant la Cour administrative d’appel de Versailles.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistré le 27 janvier 2016 et le 7 décembre 2016, M. B…, représenté par Me C…, avocat, demande à la Cour :

1° d’annuler ce jugement du 8 décembre 2015 ;

2° de condamner la commune de Neuilly-sur-Seine à lui verser une indemnité de 400 380,17 euros en réparation des préjudices subis, assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 juin 2012 ;

3° de mettre à la charge de la commune une somme de 35 euros au titre de l’article

R. 761-1 du code de justice administrative ;

4° de mettre à la charge de la commune de Neuilly-sur-Seine une somme de 5 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

 – à la date du changement d’affectation, antérieur à 1964, aucune règlementation n’imposait la délivrance d’une autorisation administrative pour l’affectation d’un garage à un usage commercial ;

 – aucune règlementation d’urbanisme n’exigeait alors de solliciter un permis de construire pour procéder à un tel changement d’affectation ;

 – le jugement est insuffisamment motivé en ne précisant pas la base légale de l’exigence d’une autorisation préfectorale à la date du changement d’affectation du garage ;

 – le plan de copropriété montre la réalisation des travaux de réaffectation dès 1961 et le règlement de copropriété permettait ce changement sans formalités ;

 – le garage n’a jamais été associé à un local d’habitation de l’immeuble ;

 – l’affectation du garage à un usage commercial est antérieur au 1er janvier 1970, ce qui a figé son affectation selon l’article 24 de l’ordonnance du 8 juin 2005 ;

 – l’administration n’a jamais contesté la catégorie de local commercial tant pour les taxes foncières que la révision cadastrale ; aucune demande de remise en état n’est aujourd’hui possible ;

 – en indiquant que le local n’était pas à usage professionnel ou commercial, et que son affectation ne pouvait être modifiée, le maire a commis une faute ;

 – le préjudice est constitué de la perte de l’indemnité d’immobilisation de 110 000 euros restituée à l’acheteur qui s’est rétracté, de l’immobilisation et de l’indisponibilité de deux lots, soit 256 000 euros, des impositions qu’il continue à acquitter, soit 4 679 euros, des charges de copropriété d’un montant de 19 701,17 euros, de l’atteinte à l’honneur de 10 000 euros ;

 – le certificat de conformité des travaux au permis de construire qui aurait été délivré le 26 septembre 1963, non produit par la commune, ne peut pas ne pas avoir pris en compte les travaux de modification de façade réalisés dès 1961 ; le procès-verbal établi le 11 mars 1982 indique une surface des locaux erronée.

Par un mémoire en défense enregistré le 5 septembre 2016, la commune de Neuilly-sur-Seine, représentée par Me Noel, avocat, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. B… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

 – il ressort du règlement de copropriété du 14 mars 1961 qu’un certificat d’urbanisme prévoyait pour le lot n° 2 la délivrance d’une autorisation spéciale pour modifier l’affectation ; or les travaux ont été réalisés sans cette autorisation ;

 – M. B… n’a jamais sollicité de permis de construire pour régulariser la situation ;

 – la commune n’a ainsi commis aucune faute en indiquant que le lot n° 2 n’était pas à usage commercial ;

 – le lien de causalité entre la faute invoquée et le préjudice allégué n’est pas établi ; il n’a en outre aucune caractère certain.

Procédure devant la Cour après renvoi du Conseil d’Etat :

Par un courrier du 21 novembre 2019, la Cour a demandé à M. B… représenté par Me C… de produire des pièces pour compléter l’instruction.

Par deux mémoires enregistrés les 5 décembre 2019 et 22 février 2020, M. B…, représenté par Me C…, avocat, demande à la Cour :

1° d’annuler le jugement du Tribunal administratif de Versailles du 27 novembre 2015 en toutes ses dispositions ;

2° de dire que la lettre du 2 août 2011 de la commune de Neuilly-sur-Seine constitue un agissement fautif engageant sa responsabilité ;

3° de condamner la commune de Neuilly-sur-Seine à lui verser la somme de 578 784 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter de la demande préalable du 4 juin 2012 ;

4° de condamner la commune de Neuilly-sur-Seine aux entiers dépens dont le timbre fiscal de 35 euros ;

5° de condamner la commune de Neuilly-sur-Seine à lui verser la somme de 10 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

 – le bien est affecté à un usage commercial depuis 1962 ;

 – la règlementation du droit de l’urbanisme applicable alors n’exigeait pas de permis de construire pour changer la destination du bien ;

 – l’article 340 du code de la construction et de l’habitation n’imposait une autorisation avant de changer la destination d’un garage qu’à partir du 7 août 1962, mais uniquement pour les garages loués accessoirement à un local d’habitation, ce qui n’est pas le cas du bien en cause ;

 – l’administration ne peut remettre en cause une situation 50 ans après sans porter atteinte au principe de sécurité juridique.

…………………………………………………………………………………………….

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

 – la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 modifiée ;

 – la loi n° 62-902 du 4 août 1962 alors en vigueur ;

 – le code de la construction et de l’habitation ;

 – le code de l’urbanisme ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de Mme D…,

 – les conclusions de Mme Bruno-Salel, rapporteur public,

 – les observations de Me C… pour M. B…, et celles de Me E… pour la commune de Neuilly-sur-Seine.

Une note en délibéré présentée pour M. B… a été enregistrée le 1er juillet 2020.

Considérant ce qui suit :

1. M. B…, propriétaire du lot n° 2 situé au rez-de-chaussée d’un immeuble d’habitation situé 8, impasse villa des Sablons à Neuilly-sur-Seine, a conclu une promesse de vente de ce lot. Consultée par le notaire pour savoir si une autorisation administrative subordonnée à une compensation avait été accordée par la commune après le 1er janvier 1970 pour changer l’usage d’un local qui aurait été destiné à l’habitation ou si une déclaration par laquelle ce local aurait retrouvé son affectation antérieure après affectation temporaire à l’habitation avait été enregistrée par la commune, celle-ci a indiqué par courrier du 2 août 2011, que le local est un bien à usage de garage, et non à usage professionnel, commercial ou industriel, et qu’il a fait l’objet d’un procès-verbal le 11 mars 1982 fondé sur sa transformation sans autorisation en local commercial. L’acheteur s’étant rétracté à la suite de cette information, M. B… a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise la condamnation de la commune à lui verser une indemnité de 400 380,17 euros en réparation des préjudices subis. Le tribunal a rejeté sa demande. Par une décision du 5 avril 2019, le Conseil d’Etat a, sur pourvoi de la commune de Neuilly-sur-Seine, annulé l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles condamnant la commune à verser une indemnité de 78 237 euros, et renvoyé l’affaire devant la Cour.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l’article L. 9 du code de justice administrative : « Les jugements sont motivés ». Il ressort du jugement attaqué qu’il précise que les travaux ont été réalisés sans autorisation administrative selon un jugement du Tribunal de grande instance de Paris en date du 2 juillet 1968, ni permis de construire, exigé depuis 1977 pour changer la destination des locaux en application de l’article L. 421-1 du code de l’urbanisme. Par suite, le moyen tiré de l’insuffisance de motivation du jugement doit être écarté, la critique du fondement légal relevant du bien-fondé du jugement.

Sur le bien-fondé du jugement :

Sur la responsabilité :

3. Par courrier du 2 août 2011, le maire de la commune de Neuilly-sur-Seine a informé le notaire de l’acquéreur du local en cause qu’il était à usage de remise ou de garage et non à usage professionnel, commercial et industriel, et qu’à ce titre il avait fait l’objet d’un procès-verbal le 11 mars 1982 constatant sa transformation sans autorisation en local commercial. M. B… soutient que cette information ayant entraîné l’acquéreur à se rétracter est erronée.

4. En premier lieu, aux termes de l’article 21 de la loi du 4 août 1962 alors applicable : « L’article 340 du code de l’urbanisme et de habitation est ainsi complété : 3° Les garages et remises mentionnés à l’article 2 de la loi du 1er septembre 1948 modifiée ne peuvent être affectés à un usage commercial, industriel ou artisanal. ». Aux termes de l’article 2 de la loi du 1er septembre 1948 : « Les dispositions de la présente loi ne sont pas applicables aux garages ou remises à usage de garage loués accessoirement à des locaux visés à l’article 1er et situés dans des immeubles collectifs ».

5. Il résulte de l’instruction que, d’une part, le permis de construire a été délivré le 30 septembre 1960 pour la construction de 16 logements et 17 parkings, que le local n° 2 au rez-de-chaussée de l’immeuble situé 8 rue des Sablons, à usage de garage ou de remise, était susceptible selon le règlement de copropriété du 14 mars 1961, d’être utilisé pour l’exercice d’une profession, d’un commerce ou d’une industrie, et d’autre part, qu’il a été affecté effectivement à un usage commercial avant 1964. Il ne résulte pas de l’instruction et il n’est d’ailleurs même pas allégué que ce local aurait été loué en tant que garage accessoirement à un logement, depuis la construction de l’immeuble ou lors de son affectation à un usage commercial. Dans ces conditions, il ne peut être regardé, lors de son affectation en local commercial avant 1964, comme entrant dans le champ d’application des dispositions précitées interdisant d’affecter à un usage commercial un garage loué accessoirement à un logement d’habitation.

6. En second lieu, aucune disposition législative ou règlementaire alors applicable lors de l’affectation du local n° 2 à un usage commercial, n’imposait de solliciter une autorisation au titre de l’urbanisme ou au titre du changement d’affectation pour un local à usage de garage non loué accessoirement à un logement. Si le règlement de copropriété fait référence à un certificat d’urbanisme rappelant la nécessité « d’une autorisation spéciale » pour modifier l’affectation d’un local, il n’est apporté par la commune de Neuilly-sur-Seine aucune précision sur le fondement des dispositions qui auraient imposé à l’époque une telle autorisation. Par suite, en indiquant par courrier du 2 août 2011 que le local n’était qu’un garage annexe aux logements de l’immeuble qui avait fait l’objet d’une transformation non autorisée, la commune de Neuilly-sur-Seine a fourni des renseignements erronés constitutifs d’une faute susceptible d’engager sa responsabilité pour les préjudices certains qui en découlent directement.

Sur les préjudices :

7. Il ressort du courrier du 14 novembre 2011 de l’acquéreur du local que celui-ci s’est rétracté et a renoncé à l’achat du bien à la suite du courrier du 2 août 2011 de la commune.

8. M. B… demande le versement d’une indemnité de 110 000 euros représentant l’indemnité d’immobilisation versée par le bénéficiaire lors de la promesse de vente, qu’il a dû restituer alors qu’elle lui serait demeurée acquise en cas de retrait de la vente pour un autre motif relevant du bénéficiaire. Dès lors que la perte de cette somme représentant le prix forfaitaire de l’indisponibilité du bien résulte de la rétractation de l’acquéreur exclusivement fondée sur le courrier de la commune, il y a lieu de condamner la commune de Neuilly-sur-Seine à verser à M. B… une indemnité de ce montant.

9. Concernant le manque à gagner résultant de l’immobilisation et de l’indisponibilité des lots n° 1 et n° 2, par référence à la perte de loyer commercial estimée par une agence à 4 000 euros par mois, la promesse de vente et le courrier du maire de Neuilly-sur-Seine ne portaient que sur le lot n° 2. En outre, le requérant ne produit pas le contrat de bail qui aurait été résilié par anticipation, pourtant demandé par mesure d’instruction, permettant de connaître le montant du loyer commercial du lot n° 2 dont il aurait bénéficié auparavant. Dans ces conditions, ce chef de préjudice, qui revêt un caractère éventuel, ne peut être retenu.

10. La faute commise par la commune a eu pour effet de maintenir à la charge du requérant les taxes foncières et les charges globales. Il sera fait une exacte appréciation de ces préjudices en fixant les indemnités réparatrices aux sommes de 4 679 euros et 14 508 euros.

11. Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. B… en lui allouant une somme de 2 000 euros à ce titre.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Neuilly-sur-Seine doit être condamnée à verser à M. B… une somme totale de 131 187 euros.

Sur les intérêts :

13. M. B… a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 131 187 euros à compter du 5 juin 2012, date de réception de sa réclamation préalable par la commune de Neuilly-sur-Seine.

14. Il résulte de ce qui précède que M. B… est fondé à soutenir que c’est à tort que le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande et à ce que la commune de Neuilly-sur-Seine soit condamnée à lui verser la somme de 131 187 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 juillet 2012.

Sur les frais liés au litige :

15. Aux termes de l’article R. 761-1 du code de justice administrative alors en vigueur : « Les dépens comprennent la contribution pour l’aide juridique prévue à l’article 1635 bis Q du code général des impôts (…). / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l’affaire justifient qu’ils soient mis à la charge d’une autre partie ou partagées entre les parties (…) ».

16. En application des dispositions précitées de l’article R. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu, en l’absence de dispositions ou de circonstances particulières de nature à y faire obstacle, de mettre à la charge de la commune de Neuilly-sur-Seine le versement à M. B… de la somme de 35 euros correspondant à la contribution pour l’aide juridique dont il s’est acquitté en première instance.

17. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, et en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la commune de Neuilly-sur-Seine le versement à M. B… de la somme de 2 000 euros. En revanche les conclusions présentées au titre de ces mêmes dispositions par la commune de Neuilly-sur-Seine doivent être rejetées, M. B… n’étant pas la partie perdante dans la présente instance.

DECIDE :


Article 1er : Le jugement n° 1305537 du 8 décembre 2015 du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé.

Article 2 : La commune de Neuilly-sur-Seine versera à M. B… une somme de 131 187 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 juin 2012.

Article 3 : La commune de Neuilly-sur-Seine versera à M. B… une somme de 2 035 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Neuilly-sur-Seine sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et le surplus des conclusions de la demande de M. B… devant le tribunal administratif sont rejetés.


N° 19VE01246 7

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