Cour de cassation, Chambre civile 1, 13 février 2013, 11-14.515, Publié au bulletin
Chronologie de l’affaire
Résumé de la juridiction
Pour justifier une demande de rectification de la mention du sexe figurant dans un acte de naissance, la personne doit établir, au regard de ce qui est communément admis par la communauté scientifique, la réalité du syndrome transsexuel dont elle est atteinte ainsi que le caractère irréversible de la transformation de son apparence, qui ne constituent pas des conditions discriminatoires ou portant atteinte aux principes posés par les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, dès lors qu’elles se fondent sur un juste équilibre entre les impératifs de sécurité juridique et d’indisponibilité de l’état des personnes d’une part, de protection de la vie privée d’autre part.
Dès lors, une cour d’appel, ayant relevé que le demandeur ne rapportait pas la preuve, de nature intrinsèque à sa personne, du caractère irréversible du processus de changement de sexe, qui ne pouvait résulter du seul fait qu’il appartenait au sexe féminin aux yeux des tiers, a pu rejeter sa demande de modification de la mention du sexe portée sur son acte de naissance
Commentaires • 13
La modification de la mention du sexe dans les actes de l'état civil a été précisée par le décret n° 2017-450 du 29 mars 2017. Désormais, la représentation par avocat n'est plus obligatoire, mais la constitution d'un dossier précis et complet est nécessaire selon les articles 1055-5 du Code Civil et suivants. La demande en modification de la mention du sexe et, le cas échéant, des prénoms, dans les actes de l'état civil, est portée devant le tribunal de grande instance dans le ressort duquel soit la personne intéressée demeure, soit son acte de naissance a été dressé ou transcrit. …
La loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle[1] a notamment créé un cadre légal dédié à la modification de la mention du sexe à l'état civil. Ce dispositif a été complété par un décret d'application du 29 mars 2017 Le mécanisme mis en place est effectif depuis près de dix mois maintenant. C'est pour nous l'occasion de faire le point sur l'évolution juridique du traitement de cette thématique, illustration des mutations majeures qui traversent notre corps social aujourd'hui sexué et peut-être demain genré Ainsi sommes-nous passés de la prohibition, …
Sur la décision
Référence : | Cass. 1re civ., 13 févr. 2013, n° 11-14.515, Bull. 2013, I, n° 13 |
---|---|
Juridiction : | Cour de cassation |
Numéro(s) de pourvoi : | 11-14515 |
Importance : | Publié au bulletin |
Publication : | Bulletin 2013, I, n° 13 |
Décision précédente : | Cour d'appel de Nancy, 2 janvier 2011 |
Dispositif : | Rejet |
Date de dernière mise à jour : | 4 novembre 2021 |
Identifiant Légifrance : | JURITEXT000027072698 |
Identifiant européen : | ECLI:FR:CCASS:2013:C100106 |
Lire la décision sur le site de la juridiction |
Sur les parties
- Président : M. Pluyette (conseiller doyen faisant fonction de président)
- Rapporteur : Mme Le Cotty
- Avocat général : Mme Petit (premier avocat général)
Texte intégral
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Nancy, 3 janvier 2011), que M. X… a été déclaré à l’état civil comme étant de sexe masculin ; que, par acte du 13 juin 2007, il a fait assigner le procureur de la République afin de voir remplacer sur son acte de naissance la mention « sexe masculin » par la mention « sexe féminin » ; que, par jugement en date du 13 mars 2009, le tribunal de grande instance a constaté que M. X… ne produisait pas la preuve médico-chirurgicale du changement de sexe qu’il demandait à voir figurer sur son état civil et, en conséquence, a rejeté sa requête en rectification de son acte de naissance ;
Attendu que M. X… fait grief à l’arrêt de confirmer ce jugement, alors, selon le moyen :
1°/ que toute personne a le droit au respect de sa vie privée, ce qui implique le droit de définir son appartenance sexuelle et d’obtenir la modification des actes de l’état civil de façon qu’ils reflètent l’identité de genre choisie, sans obligation préalable de subir un processus irréversible de changement de sexe et d’en administrer la preuve ; qu’en retenant que S. X… aurait dû rapporter la preuve, de nature intrinsèque à sa personne, du caractère irréversible du processus de changement de sexe, la cour d’appel a violé l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et les articles 9 et 57 du code civil ;
2°/ que ni le principe d’indisponibilité de l’état des personnes, ni la cohérence et la sécurité des actes de l’état civil n’imposent à une personne de subir un processus irréversible de changement de sexe et d’en rapporter la preuve pour obtenir la modification des actes de l’état civil de façon qu’ils reflètent l’identité de genre qu’elle a choisie ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé le principe susmentionné et l’article 57 du code civil ;
3°/ qu’en jugeant non discriminatoire le fait de subordonner à la preuve d’avoir subi un processus irréversible de changement de sexe, le droit d’une personne d’obtenir la modification des actes de l’état civil de façon qu’ils reflètent l’identité de genre qu’elle a choisie, la cour d’appel a violé l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés ;
Mais attendu que, pour justifier une demande de rectification de la mention du sexe figurant dans un acte de naissance, la personne doit établir, au regard de ce qui est communément admis par la communauté scientifique, la réalité du syndrome transsexuel dont elle est atteinte ainsi que le caractère irréversible de la transformation de son apparence ;
Et attendu qu’ayant relevé que M. X… ne rapportait pas la preuve, de nature intrinsèque à sa personne, du caractère irréversible du processus de changement de sexe, qui ne pouvait résulter du seul fait qu’il appartenait au sexe féminin aux yeux des tiers, c’est sans porter atteinte aux principes posés par les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, mais par un juste équilibre entre les impératifs de sécurité juridique et d’indisponibilité de l’état des personnes d’une part, de protection de la vie privée d’autre part, que la cour d’appel a rejeté sa demande ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X… aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize février deux mille treize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour M. X….
Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR rejeté la requête de S. X… en rectification de son acte de naissance ;
AUX MOTIFS QUE : « l’état civil d’une personne doit indiquer le sexe dont elle a l’appartenance ; que la demande de changement d’état civil n’impose pas nécessairement que soient avérées des modifications de nature chirurgicale, telle que l’ablation ou la modification des organes génitaux, ou encore de la chirurgie plastique ; que cependant elle implique que soit préalablement établi le caractère irréversible du processus de changement de sexe ; que force est de constater qu’en l’espèce, et devant cette cour, l’appelant ne rapporte pas une telle preuve de nature intrinsèque et qui en aucun cas ne saurait résulter du fait qu’il appartient au sexe féminin aux yeux des tiers ; que le respect de la vie privée ne peut avoir pour effet d’exonérer l’intéressé de cette obligation probatoire qui ne tend pas à confondre le transgenre et le transsexualisme, mais qui, outre l’indisponibilité de l’état des personnes, a pour finalité d’assurer la cohérence et la sécurité des actes de l’état civil ; qu’une telle exigence est légitime et ne représente aucun caractère discriminatoire ; quelle ne viole pas l’article 14 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme ; que d’autre part il n’appartient pas à cette cour de pallier la carence de l’appelant dans l’administration de la preuve ; qu’en conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement déféré » ;
ALORS 1°) QUE toute personne a le droit au respect de sa vie privée, ce qui implique le droit de définir son appartenance sexuelle et d’obtenir la modification des actes de l’état civil de façon qu’ils reflètent l’identité de genre choisie, sans obligation préalable de subir un processus irréversible de changement de sexe et d’en administrer la preuve ; qu’en retenant que S. X… aurait dû rapporter la preuve, de nature intrinsèque à sa personne, du caractère irréversible du processus de changement de sexe, la cour d’appel a violé l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et les articles 9 et 57 du code civil ;
ALORS 2°) QUE : ni le principe d’indisponibilité de l’état des personnes, ni la cohérence et la sécurité des actes de l’état civil n’imposent à une personne de subir un processus irréversible de changement de sexe et d’en rapporter la preuve pour obtenir la modification des actes de l’état civil de façon qu’ils reflètent l’identité de genre qu’elle a choisie ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé le principe susmentionné et l’article 57 du code civil ;
ALORS 3°) QU’en jugeant non discriminatoire le fait de subordonner à la preuve d’avoir subi un processus irréversible de changement de sexe, le droit d’une personne d’obtenir la modification des actes de l’état civil de façon qu’ils reflètent l’identité de genre qu’elle a choisie, la cour d’appel a violé l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Textes cités dans la décision