Cour de cassation, Chambre criminelle, 20 octobre 2015, 14-82.587, Publié au bulletin

  • Éléments accréditant les faits diffamatoires·
  • Convention européenne des droits de l'homme·
  • Base factuelle suffisante·
  • Liberté d'expression·
  • Article 10, § 2·
  • Compatibilité·
  • Diffamation·
  • Conditions·
  • Bonne foi·
  • Exclusion

Chronologie de l’affaire

Résumé de la juridiction

La liberté d’expression peut être soumise à des ingérences dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Justifie sa décision la cour d’appel qui déclare coupable de diffamation publique envers un fonctionnaire public la directrice d’une publication imputant à une fonctionnaire d’une mairie d’avoir bénéficié d’une promotion en raison de son lien de parenté avec le maire, dès lors que les propos incriminés, s’ils concernaient un sujet d’intérêt général relatif à la gestion des emplois municipaux et aux conditions de la promotion accordée par un maire à l’un de ses proches parents au sein du personnel municipal, étaient dépourvus de base factuelle suffisante, en l’absence d’élément accréditant le fait que la fonctionnaire en cause aurait été privilégiée par rapport à d’autres candidats à ces fonctions répondant à des critères de compétence, de diplôme et d’ancienneté équivalents

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Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant : Statuant sur le pourvoi formé par :

— Mme Irène X…,

contre l’arrêt de la cour d’appel de SAINT-DENIS DE LA RÉUNION, chambre correctionnelle, en date du 13 mars 2014, qui, pour diffamation publique envers un fonctionnaire public, l’a condamnée à 1 000 euros d’amende et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 8 septembre 2015 où étaient présents : M. Guérin, président, M. Straehli, conseiller rapporteur, M. Finidori, M. Monfort, M. Buisson, Mme Durin-Karsenty, conseillers de la chambre, M. Barbier, M. Talabardon, conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Cordier ;

Greffier de chambre : Mme Guichard ;

Sur le rapport de M. le conseiller STRAEHLI, les observations de Me BLONDEL, de la société civile professionnelle ROCHETEAU et UZAN-SARANO, avocats en la Cour, et les conclusions de M. le premier avocat général CORDIER ;

Vu les mémoires en demande et en défense et les observations complémentaires produits ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 23, 29, 30, 31 et 42 de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse, violation de l’article 93-3 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982, méconnaissance des exigences de l’article préliminaire et de l’article 593 du code de procédure pénale, violation des articles 6-1 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble dénaturation d’un écrit ;

«  en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a déclaré la prévenue coupable de diffamation publique à l’égard de Mme C… dans les termes repris par la prévention et condamné celle-là au paiement d’une amende de 1 000 euros ;

«  aux motifs que Mme Irène X… a été candidate aux dernières législatives de septembre/ octobre 2011 sous une bannière « Ni droite, ni gauche » ; que Mme Christine D…, épouse C…, est la belle-fille de M. Gilbert C…, maire socialiste de Saint-Denis ; qu’elle travaille au service de l’urbanisme de la commune depuis de nombreuses années et a été nommée à ce poste avant l’élection de son beau-père à la mairie ; que le 27 octobre 2011 et les jours qui suivront sont distribués sur la commune de Saint-Denis des tracts dans lesquels figurent la profession de foi de Mme X…(lutter contre les clans politiques, dénoncer les dérives « d’un système opaque », lutter contre le « copinage »), des propos sur M. Gilbert C… et Mme Ericka E… et les phrases incriminées au sujet de Mme D…, épouse C… ; que dans le cadre de l’instruction, Mme X… déclare être la directrice de publication des documents en cause, documents distribués sur la voie publique par son association Génération solidarité ; qu’elle déclare au juge d’instruction avoir rédigé l’article incriminé en octobre 2011 ; qu’elle précise que 300 à 400 tracts ont été ainsi distribués ;

«  aux motifs encore que l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 précise que constitue une diffamation toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ; que Mme X… tente de faire accroire que les propos incriminés ne sont pas dirigés contre Mme D…, épouse C…, mais s’adressent à son adversaire politique de l’époque, à savoir M. Gilbert C…, dont elle critiquait les pratiques ; or, et contrairement à ce que les premiers juges ont indiqué, si une large partie du tract concerné dénonce des « dérives » commises par le maire de Saint-Denis et son équipe, les propos relatifs à Mme D…, épouse C…, contenus dans ce tract, et seuls incriminés, concernent bien cette dernière puisqu’ils précisent que l’intéressée a été « promue par beau-papa » et qu’elle a bénéficié d’un « traitement de faveur » par la mairie de Saint-Denis en accédant à l’échelon le plus élevé des ingénieurs en chef ; en sorte que c’est par une analyse erronée des faits de la cause que les premiers juges ont estimé que ces propos ne visaient pas personnellement la partie civile ;

«  aux motifs aussi qu’en affirmant que Mme D…, épouse C…, avait bénéficié de l’appui de son beau-père pour obtenir une promotion, que cette promotion n’avait, donc, pas été le fait de ses mérites et diplômes et que l’intéressée avait donc été promue par népotisme, Mme X… a atteint à l’honneur et à la considération de la partie civile ; que cette affirmation diffamatoire a été reprise dans un tract distribué à la population réunionnaise sur la voie publique, ce qui caractérise son caractère public et sa gravité, une partie non négligeable des Réunionnais ayant pu prendre ainsi connaissance des propos tenus à l’égard de Mme D…, épouse C… ; que l’infraction reprochée est donc établie ;

«  aux motifs que Mme X… prétend avoir agi de « bonne foi » ; que, cependant, la susnommée a rédigé les propos incriminés en l’absence de toute base factuelle sérieuse, en ne vérifiant notamment pas la réalité du parcours universitaire ainsi que la carrière à la mairie de Saint-Denis de Mme D…, épouse C…, et en procédant par simple affirmation ; elle ne s’est pas montrée « prudente dans l’expression » en affirmant par des termes forts que l’intéressée, qui n’est par ailleurs pas engagée politiquement, avait bénéficié d’un appui du maire de Saint-Denis dans son parcours professionnel : « promue par beau-papa », « elle s’appelle C… et en mairie de Saint-Denis, ça aide à tous les coups ", « avec un CV anonyme, le choix aurait été différent » ; qu’enfin, Mme X… a clairement cherché à discréditer une proche du maire de Saint-Denis et ce, dans l’unique but d’illustrer l’ensemble de son tract, ce qui démontre une absence totale de sincérité du but poursuivi et caractérise une réelle animosité gratuitement dirigée contre Mme D…, épouse C… ; qu’enfin, il ne peut être sérieusement soutenu que le sujet abordé par Mme X… est « d’intérêt général » s’agissant de la promotion de la partie civile alors que celle-ci n’est ni une élue, ni une politique et que sa carrière professionnelle ne regarde qu’elle-même et ses proches ; étant de plus observer que le débat, y compris vif et soutenu, est certes justifié entre adversaires politiques, notamment dans le cadre de campagnes électorales, mais ne doit pas servir à atteindre « gratuitement » les proches au nom d’un intérêt général mal compris ; en sorte que l’exception de bonne foi n’est nullement démontrée et sera dès lors écartée ;

«  et aux motifs, enfin, que Mme X… soutient que « les conditions de la bonne foi sont corrélées à l’intensité de l’intérêt général » et que les juges européens, suivis désormais par les juges français, se montrent plus libéraux s’agissant de la portée qu’il convient de donner à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme ; que si cette affirmation est exacte, il convient de rappeler que dans la présente affaire, non seulement les propos incriminés n’ont aucune base factuelle sérieuse, mais n’intéressent pas l’intérêt général puisqu’il s’agit de la nomination d’une personne ayant les qualités requises pour le poste attribué, qui ne fait pas de carrière politique et qui travaille au sein de la mairie de Saint-Denis depuis de nombreuses années, avant même l’arrivée de M. Gilbert C… à la mairie ; qu’en sorte le moyen soulevé sera écarté ;

«  1°) alors que les juges du fond pour apprécier le caractère diffamatoire du tract incriminé, se devaient de le replacer dans son contexte, celui de prochaines élections notamment à la députation, le tract s’adressant à son adversaire politique de l’époque, à savoir le maire de Saint-Denis dont étaient critiquées les pratiques, les premiers juges à cet égard ayant relevé qu’une large partie du tract concerné dénonce des « dérives » commises par le maire de Saint-Denis et son équipe ; la circonstance que les propos relatifs à Mme D…, épouse C…, contenus dans ce tract, fussent-ils les seuls incriminés, concernent bien cette dernière puisqu’ils précisent que l’intéressée a été « promue par beau-papa » et qu’elle a bénéficié d’un « traitement de faveur » par la mairie de Saint-Denis en accédant à l’échelon le plus élevé des ingénieurs en chef est insuffisante pour caractériser la diffamation, car c’est à la suite d’un examen analytique et non synthétique et/ ou intrinsèque du tract incriminé que la cour infirme le jugement entrepris et affirme que Mme X… a porté atteinte à l’honneur et à la considération de la partie civile, d’où la violation des textes cités au moyen ;

«  2°) alors que l’exception de bonne foi doit s’apprécier par rapport au contexte à l’origine de la rédaction des propos incriminés et plus généralement de la rédaction d’un tract à partir duquel la prévention a extrait certains propos en les sortant d’un contexte dans la seule perspective de retenir la prévenue dans les liens de la prévention, la circonstance que la partie civile n’était ni une élue, ni une politique et que sa carrière professionnelle ne regardait qu’elle-même et ses proches, étant sans emport par rapport à l’exception de bonne foi telle qu’invoquée, le tract en cause ayant été diffusé dans le cadre de campagnes électorales et de proches élections présidentielles et législatives, tract abordant un sujet d’intérêt général, les façons de faire du maire de la ville de Saint-Denis, le cas de Mme D…, épouse X…, n’étant là que pour illustrer un propos d’abord d’ordre politique ; qu’en jugeant le contraire à la faveur d’une motivation inopérante, la cour méconnaît de plus fort les textes cités au moyen ;

«  3°) et alors que, aux termes de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme tel qu’interprété par la Cour européenne, les conditions de la bonne foi doivent s’apprécier à l’aune de l’intensité de l’intérêt général lorsqu’un tract qui doit être pris dans son ensemble s’inscrit dans la ligne d’un débat politique en l’état de futures élections présidentielles et à la députation ; que, pour écarter le moyen avancé par la prévenue, la cour affirme que dans la présente affaire, non seulement les propos incriminés n’ont aucune base factuelle sérieuse, mais n’intéresse pas l’intérêt général puisqu’il s’agit de la nomination d’une personne ayant les qualités requises pour le poste attribué, qui ne fait pas le caractère politique et qui travaille au sein de la mairie de Saint-Denis depuis de nombreuses années, ayant avant même l’arrivée de M. Gilbert C… à la mairie ; que ce faisant, la cour statue de plus fort à la faveur de motifs inopérants et insuffisants, méconnaissant les textes cités au moyen, le tract devant être pris intrinsèquement pour se prononcer valablement par rapport à « l’intérêt général » ;

«  4°) alors enfin que tout jugement doit être motivé de façon cohérente, suffisante et non équivoque, que ce qui était en cause ce n’était nullement l’accès en 2008 de Mme D…, épouse C…, à la mairie de Saint-Denis et ses fonctions aux services de l’urbanisme de la commune, mais c’était sa promotion alors que son beau-père était maire au grade le plus haut des ingénieurs en chef de la fonction publique territoriale ; qu’en statuant comme elle l’a fait, la Cour méconnaît les termes mêmes du tract en cause en les dénaturant faisant pouvoir faire état de la circonstance que Mme D…, épouse C…, travaillait depuis de nombreuses années à la mairie avant même l’arrivée de son beau-père, cependant que le tract visait uniquement une promotion au grade le plus haut des ingénieurs en chef alors que M. C… était maire, d’où la violation des textes cités au moyen » ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que Mme Christine D…, épouse C…, a porté plainte et s’est constituée partie civile du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire public contre Mme Irène X… à la suite de la publication dans une lettre gratuite distribuée, à l’occasion de la campagne électorale qu’elle menait, par l’association Génération solidarité des propos suivants, sous le titre " Christine C…

D… promue ! « : » Christine C…

D… avec le concours en poche a été promue par beau-papa. Elle peut remercier son beau-père Gilbert C… du traitement de faveur dont elle bénéficie en mairie de Saint-Denis. Déjà propulsée à la tête de l’urbanisme de la mairie en 2008, la femme de l’un des fils de Gilbert C… a été promue au grade de l’échelon le plus haut des ingénieurs en chef. Avec un CV anonyme, le choix aurait été peut-être différent. Mais elle s’appelle C… et en mairie de Saint-Denis, aujourd’hui, ça aide à tous les coups. » ; que, renvoyée devant le tribunal correctionnel, du chef de cette infraction, Mme X… a été relaxée et que la partie civile a été déboutée de ses demandes ; que Mme C… et le ministère public ont interjeté appel de cette décision ;

Attendu que, pour infirmer ce jugement, relever le caractère diffamatoire des propos incriminés et refuser à la prévenue le bénéfice de la bonne foi, l’arrêt retient, notamment, qu’en l’absence de base factuelle suffisante, Mme X…, directrice de la publication en cause, n’a pas procédé à une enquête sérieuse sur le parcours universitaire et sur la carrière à la mairie de Mme C… ; que les juges ajoutent que celle-ci ne menait pas une carrière politique ;

Attendu qu’en l’état de ces seuls motifs, la cour d’appel a justifié sa décision dès lors que les propos en cause, même s’ils concernaient un sujet d’intérêt général relatif à la gestion des emplois municipaux et aux conditions de la promotion accordée par un maire à l’un de ses proches parents au sein du personnel municipal, étaient dépourvus de base factuelle suffisante en l’absence d’élément accréditant le fait que Mme C… aurait été privilégiée par rapport à d’autres candidats à ces fonctions répondant à des critères de compétence, de diplôme et d’ancienneté équivalents ;

D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

DIT n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt octobre deux mille quinze ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

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