Cour de cassation, Chambre criminelle, 21 juin 2016, 15-82.529, Inédit

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
Cass. crim., 21 juin 2016, n° 15-82.529
Juridiction : Cour de cassation
Numéro(s) de pourvoi : 15-82529
Importance : Inédit
Décision précédente : Cour d'appel de Paris, 4 mars 2015
Dispositif : Cassation
Identifiant Légifrance : JURITEXT000032774107
Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2016:CR02741

Sur les parties

Texte intégral

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :


- L’Association française d’épargne et de retraite (AFER), partie civile,


contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 5 mars 2015, qui l’a déboutée de ses demandes après relaxe de M. Jacques X… du chef d’injure publique envers un particulier ;


La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 10 mai 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Finidori, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Guichard ;

Sur le rapport de M. le conseiller FINIDORI, les observations de la société civile professionnelle BORÉ et SALVE DE BRUNETON, de la société civile professionnelle GATINEAU et FATTACCINI, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général LIBERGE ;

Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, article 29 de la loi du 29 juillet 1881, 2, 591, 593, du code de procédure pénale ;

«  en ce que l’arrêt attaqué a débouté l’Association française d’épargne et de retraite de ses demandes (AFER) ;

«  aux motifs que le prévenu fait valoir que le blog de M. X… dénonce le caractère mensonger du communiqué de l’AFER qui a pour seul objectif de défendre « l’usine à cash » qu’est devenue cette association très lucrative, que c’est donc sur le fondement de la diffamation que l’AFER devrait agir ; que, l’article 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé » ledit fait devant être suffisamment précis pour pouvoir faire l’objet du débat sur la preuve de sa vérité organisé par les articles 35, 55 et 56 de cette loi ; que ce délit se distingue ainsi de l’injure, que l’alinéa 2 du même article 29 définit comme « toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait » ; que, comme le soutient la partie civile, les expressions « l’AFER : l’épargne qu’on fiente » « Patin, Pétain, Pottin, putain la honte ! ou quand l’AFER donne envie de vomir » visées par la poursuite, ne renvoient à aucun fait précis de nature à faire l’objet d’une preuve et d’un débat contradictoire ; que les propos incriminés ne sauraient relever de la diffamation ; que la partie civile estime, d’une part, que le caractère intrinsèquement injurieux est introduit par le titre : « Patin, Pétain, putain la honte ! Ou quand l’AFER donne envie de vomir », que la référence au régime de Vichy est donc fait dès la première ligne du billet d’humeur ; que, s’agissant du terme « collaborateur zélé », celui-ci fait clairement référence à la partie sombre de l’Histoire de France : « Pétain (…) la honte (…) c’est la France qui est attaquée (…) » ; que, d’autre part, l’injure intrinsèque ressort de la façon dont le communiqué de l’AFER est qualifié par l’auteur de « torchon misérable » ainsi que la phrase sur laquelle se conclut le billet : « l’AFER l’épargne qu’on fiente » ; que le prévenu, M. X… et la lettre de l’assurance, civilement responsable, soutiennent que les propos poursuivis participent à la liberté d’expression, que l’humour sous toutes ses formes bénéficie d’une liberté plus large que d’autres modes d’expression en induisant nécessairement l’excès et la déformation ; qu’en l’espèce, la lettre de l’assurance s’est toujours singularisée par son style qui se situe dans une tradition journalistique humoristique ; que l’auteur a voulu réagir à un communiqué qu’il estime inexact sur le fond et dont la tonalité caricaturale lui paraît empruntée au lexique du régime de Vichy ; que l’objectif du prévenu était donc de dénoncer la ressemblance de cette communication d’entreprise au thème de la révolution nationale du maréchal Pétain ; qu’il ne s’agit là que de l’exercice d’un droit de critique avec l’usage de termes polémiques ou ironiques qui viennent en réponse à une communiqué au ton véritablement décalé ; que, de plus, les termes incriminés n’étaient pas dirigés contre la personne morale mais contre le communiqué de presse ; qu’ils ne peuvent être qualifiés d’injurieux ; qu’il ressort des éléments produits par le prévenu, notamment, le recueil des publications de la lettre de l’assurance, édité pour son 30e anniversaire, que cette publication mensuelle revendique un ton décalé parfois impertinent ou provocateur, ou insolent avant tout humoristique, choisissant « le vitriol pour faire sourire mais aussi grincer les dents des plus puissants de la profession », qu’elle a été qualifiée par certains de « canard déchaîné de l’assurance », que c’est dans ce registre que doivent être appréciés les propos poursuivis ; qu’en l’espèce, les propos poursuivis constituent pour leur majorité, une critique d’un communiqué de presse dont le style est brocardé ; que, si cette critique se présente bien dans des termes parfois grossiers et vulgaires, elle ne peut pour autant être considérée comme méprisante à l’égard de la personne morale elle-même mais constitue plutôt une critique incisive sur son mode de communication ; que, si les expressions utilisées, crues et provocatrices, ont pu être ressenties comme particulièrement désagréables par la partie civile, elles n’ont cependant jamais qualifié la partie civile ni de « putain » ni de « pétainiste », mais ont décliné les termes « Patin, Pétain, potain, putain la honte ! » dans un mode introductif supposé humoristique ; que « l’AFER donne envie de vomir », n’est que l’expression d’une opinion, certes désagréable et grossière ; que « le collaborateur zélé de l’AFER » vise l’auteur du communiqué sans qu’une référence à Pétain soit explicite ; que l’expression « torchon misérable » n’est qu’un jugement de valeur, certes acide, mais concernant uniquement le billet critiqué ; qu’en conséquence, l’ensemble de ces termes ne peuvent être considérés comme outrageants à l’égard de la partie civile elle-même ; qu’en revanche, l’expression « l’AFER, l’épargne qu’on fiente » est un jeu de mot grossier qui vise bien la personne morale partie civile ; qu’aussi vulgaire soit elle, cette expression n’a toutefois pas excédé les limites que permet l’humour et la satire, dans le registre habituel qui est celui de la publication incriminée ; qu’en conséquence, l’injure n’étant pas caractérisée, le prévenu sera renvoyé des fins de la poursuite et l’AFER Association française d’épargne et de retraite, recevable en la forme, déboutée de ses demandes ;

«  1°) alors que toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure ; que les propos litigieux « Patin, Pétin, potain, putain la honte ! Ou quand l’AFER donne envie de vomir […] toute bonne délation se délectant dans l’anonymat […] ce collaborateur zélé […] sous le couvert d’un patriotisme […] flatte les comportements nauséeux appelant ainsi à la gerbe et au rejet » évoquent tous une proximité idéologique avec celle du régime de Vichy qui porte atteinte à l’honneur de l’AFER ; qu’en jugeant néanmoins que l’injure n’était pas caractérisée, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

«  2°) alors que constituent une critique de la personne morale elle-même les injures visant son mode de communication ; qu’en jugeant, néanmoins, que la plupart des critiques contenues dans le texte incriminé ne visaient pas l’AFER tout en constatant elle-même qu’elles mettaient en cause un communiqué de presse de cette association, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a ainsi violé les textes susvisés ;

«  3°) alors que les expressions « l’AFER donne envie de vomir » et « il flatte les comportements nauséeux appelant ainsi à la gerbe » sont dépourvues de tout caractère satirique ou humoristique ; qu’en déboutant l’AFER de ses demandes aux motifs que les injures litigieuses s’inséraient dans un contexte prétendument satirique et humoristique, la cour d’appel a violé les textes susvisés » ;

Vu l’article 29, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 ;

Attendu qu’aux termes de ce texte, toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait précis est une injure ; qu’il appartient à la Cour de cassation d’exercer son contrôle sur le sens et la portée des propos incriminés au regard dudit article servant de base aux poursuites ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que l’Association française d’épargne et de retraite (AFER) a fait citer devant le tribunal correctionnel du chef d’injure publique envers un particulier, M. X…, en qualité de prévenu, et la société La lettre de l’assurance, en qualité de civilement responsable, en raison de la publication sur deux sites internet du message suivant sous le titre : " Patin, Pétain, potin, putain la honte ! Ou quand l’AFER donne envie de vomir… « : » L’Association française d’épargne et de retraite (AFER) a publié le 2 mars dernier un communiqué de presse sous le titre « En attaquant l’assurance vie, c’est la France qui est attaquée », communiqué reproduit ci-après. J’ignore qui est l’auteur de ce texte : il n’est pas signé, toute bonne délation se délectant dans l’anonymat. Mais ce collaborateur zélé de l’AFER, sous le couvert d’un patriotisme creux, fait appel aux instincts nationalistes les plus bas ; il flatte les comportements nauséeux appelant ainsi à la gerbe et au rejet : il utilise les procédés de la désinformation les plus basiques, amalgame en tête, pour défendre son pré-carré poujadiste. Je ne possède aucun compte « AFER » mais si tel avait été le cas, je me serais empressé, à la lecture de ce torchon misérable, d’en réclamer le rachat immédiat pour ne plus laisser un cent d’euro géré par une association qui tolère ce genre de communication. L’AFER : l’épargne « qu’on fiente » ? » ;

Attendu que le tribunal a prononcé la nullité de la citation au motif qu’il existait une ambiguïté sur l’étendue exacte des poursuites ; que, sur appel de la partie civile, la cour d’appel a infirmé le jugement en ce qu’il avait prononcé la nullité de la citation, a dit que c’était l’intégralité de l’article qui était visé, et a renvoyé la cause à une audience ultérieure ; que, par un second arrêt, elle a statué au fond ;

Attendu que, pour renvoyer M. X… des fins de la poursuite et débouter l’AFER de son action civile, l’arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Mais attendu qu’en statuant ainsi, alors que l’écrit litigieux, qui ne s’analysait pas en une simple critique du mode de communication de l’AFER, mais visait cette personne morale, donnant « envie de vomir », pour avoir publié un communiqué de presse, constituant un « torchon misérable », pour se livrer à une « délation » anonyme par un « collaborateur zélé » faisant « appel aux instincts nationalistes les plus bas », flattant « les comportements nauséeux », utilisant les « procédés de la désinformation les plus basiques », concluait par un rapprochement entre l’AFER et de la fiente, et dont le caractère injurieux excédait les limites autorisées par l’humour et la satire, la cour d’appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ainsi que le principe ci-dessus rappelé ;

D’où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Paris, en date du 5 mars 2015, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt et un juin deux mille seize ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

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