Cour de cassation, Chambre criminelle, 7 mai 2018, 17-83.857, Inédit

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

N° A 17-83.857 F-D

N° 751

VD1

7 MAI 2018

CASSATION SANS RENVOI

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

— 

La République d’Azerbaïdjan, partie civile,

contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de VERSAILLES, en date du 16 mai 2017, qui, dans la procédure suivie sur sa plainte contre MM. X… et Y… du chef de diffamation publique envers un particulier, a confirmé l’ordonnance de non-lieu rendue par le juge d’instruction ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 13 mars 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Parlos , conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Zita ;

Sur le rapport de M. le conseiller PARLOS, les observations de la société civile professionnelle ORTSCHEIDT, de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIÉ, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général CROIZIER ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 29, alinéa 1er, 32, alinéa 1er, 50 et 53 de la loi du 29 juillet 1881, et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;

« en ce que l’arrêt confirmatif attaqué a constaté la prescription, déclaré irrecevable la plainte avec constitution de partie civile de l’Etat d’Azerbaïdjan, déclaré et dit n’y avoir lieu à le suivre ;

« aux motifs que le 15 octobre 2015 l’Etat d’Azerbaïdjan déposait une plainte avec constitution de partie civile pour diffamation à l’encontre d’une personne privée ; que le 16 janvier 2016 une information était ouverte pour diffamation publique envers un particulier, par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique ; que le 2 août 2016, M. X… par l’intermédiaire de son avocat adressait au magistrat instructeur ses observations à la suite des réquisitions du procureur de la République, en s’associant â celles-ci et en sollicitant du magistrat instructeur qu’il constate la prescription de l’action publique ; que le juge d’instruction a prononcé un non-lieu, jugeant que la plainte était irrecevable puisque « l’Etat d’Azerbaïdjan ne s’entend pas comme une personne privée ou une réunion de personnes privées mais bien comme une personne morale de droit international public dont il n’est pas prévu par la loi qu’elle puisse, par l’intermédiaire de ses gouvernante se constituer partie civile » et que le procureur de la République n’avait pas sur dénonciation de l’Etat plaignant, mis en mouvement l’action publique à raison d’une diffamation commise contre « son peuple ou sa communauté », soit « une collection de personnes privées » ; qu’enfin le juge d’instruction estimait que le réquisitoire introductif ne répondait pas aux exigences de l’article 50 de la loi du 18 juillet 1881, puisqu’il ne reprenait pas les propos incriminés, il ne pouvait avoir valablement mis en oeuvre l’information ; que l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte a l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé » et l’injure comme toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait » ; que selon l’article 47 de cette même loi, en cas d’infraction de presse comme une diffamation ou une injure, seul le ministère public peut mettre en mouvement et exercer l’action publique ; que ce monopole d’action du ministère public revêt une importance particulière puisqu’il a été conçu comme une protection de la liberté de presse ; que cependant, par dérogation à ce principe, le dernier alinéa de l’article 48 de la même loi prévoit les cas dans lesquels la victime peut mettre en mouvement l’action publique elle-même ; que ce dernier alinéa vise les alinéas précédents de ce même article 48 à l’exception de l’alinéa qui est relatif à la poursuite en cas d’injure ou de diffamation envers les cours, tribunaux et autres corps indiqués en l’article 30 » ; que cet article 30 désigne « les cours : les tribunaux, les armées de terre, de mer ou de l’air, les corps constitués et les administrations publiques » ; que le Conseil constitutionnel statuant sur une question prioritaire de constitutionnalité a considéré que « les mots « par les 2°, 3°, 4'1, 5e> 6°, 7° et 8° » figurant au dernier alinéa de l’article 48 de la loi du 29 juillet 1881, qui ont pour effet d’exclure les personnes visées au 1° de cet article du droit de mettre en mouvement l’action publique, doivent être déclarés contraires à la Constitution. » (Conseil cons., 25 octobre 2013; n° 2013-350, QPC) ; que par suite de la décision rendue, les collectivités territoriales peuvent désormais prendre l’initiative de déclencher l’action publique lorsqu’elles sont victimes d’injure ou de diffamation publique en déposant une plainte pénale ou en se constituant partie civile auprès du doyen des juges d’instruction ; que dans le cas d’espèce, l’article 30 n’est pas visé dans la plainte ou le réquisitoire introductif, si bien que le délit à l’égard d’un corps ne peut être examiné ; qu’en toute hypothèse, un Etat souverain ne peut être assimilé à un simple corps constitué dont la particularité est de ne jouir que d’une portion de l’autorité publique ; que sans doute conscient de cette difficulté, l’Etat d’Azerbaïdjan a fait le choix de se fonder sur l’article 32 qui est seul visé tant dans la plainte que dans le réquisitoire introductif ; que cependant, l’Etat d’Azerbaïdjan n’est pas un particulier mais une personne morale de droit international comme le souligne à juste titre le juge d’instruction ; que pour répondre à cet argument l’appelant dans son mémoire se borne à soutenir que l’Etat d’Azerbaïdjan est une personnalité juridique ainsi que la victime de l’infraction, et ne peut souffrir d’une restriction qui serait contraire à l’article 6, § I, de la Convention européenne des droits de l’homme et à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; que toutes les décisions de jurisprudence citées par l’appelante sont cependant relatives à la situation d’un individu ou d’une association ; que la loi pénale est d’interprétation stricte ; que la cour observe qu’aucune question prioritaire de constitutionnalité n’a été posée par l’Etat d’Azerbaïdjan pour venir faire examiner la supposée restriction du droit à agir, la rupture d’égalité devant la loi, et partant, la méconnaissance des exigences de l’article 16 précité qui en découlerait ; qu’il existait dès lors une incertitude dans la prévention et la répression, visée dans la plainte initiale, et reprise dans le réquisitoire introductif ; que selon ce que la Haute cour a jugé, n’entrent pas dans les prévisions de l’article 173 du code de procédure pénale les demandes tendant à faire constater la prescription de l’action publique (Crim., 7 février 1995 n°93-85-26) ; qu’en revanche, au stade de l’examen de l’appel de non-lieu, l’extinction de l’action publique par l’effet de la prescription peut être constatée par la chambre de l’instruction ; que la prescription de l’action publique, même quand elle est régie par l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881, constitue une exception péremptoire d’ordre public, qui doit être relevée d’office par le juge (Crim., n° 2632 6 mai 2003, rejet de pourvoi sur un arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Montpellier qui après annulation de pièces de la procédure, avait constaté l’extinction de l’action publique en raison de la prescription) ; que dans le cas présent le réquisitoire ne répondant pas aux exigences de la loi, n’a pu dès lors mettre en oeuvre l’action publique dans les délais impartis par la loi du 29 juillet 1881 ; que plus de trois mois se sont écoulés depuis le dépôt de la plainte, effectué le 15 septembre 2015 et que la prescription est donc bien acquise, emportant extinction de l’action publique ; qu’il convient ainsi de confirmer l’ordonnance de non-lieu, y substituant les motifs ci-dessus exposés ;

« 1°) alors qu’il résulte de l’article 50 de la loi du 29 juillet 1881 que si l’acte initial de poursuite doit, à peine de nullité, articuler et qualifier les diffamations en raison desquelles la poursuite est intentée, avec indication des textes dont l’application est demandée, les juges ne sauraient subordonner la régularité d’une plainte avec constitution de partie civile à d’autres conditions, dès lors qu’il n’existe pas d’incertitude sur l’objet de la poursuite ; qu’ainsi, il n’appartient pas à la juridiction de l’instruction d’apprécier le bien-fondé de la qualification retenue par l’acte initial de poursuite ; qu’en se prononçant comme elle l’a fait, motifs pris que l’article 32 de la loi du 29 juillet 1881 est seul visé dans la plainte et dans le réquisitoire introductif et que l’Etat d’Azerbaïdjan n’est pas un particulier mais une personne morale de droit international, de sorte qu’il existe une incertitude dans la prévention et la répression visées dans la plainte initiale et reprises dans le réquisitoire introductif, la chambre de l’instruction, à laquelle il n’appartenait pas d’apprécier le bien-fondé de la qualification retenue par l’acte initial de poursuite, a méconnu les textes susvisés ;

« 2°) alors qu’en se prononçant comme elle l’a fait, après avoir pourtant constaté que la plainte du 15 octobre 2015, qui qualifiait les faits de diffamation publique et mentionnait les articles 29 alinéa 1 et 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1981, visait précisément un communiqué de presse publié le 28 septembre 2015, rédigé par M. X…, en ce qu’il avait diffusé les propos « L’Azerbaïdjan se comporte comme un Etat terroriste ! », de sorte qu’il ne pouvait en résulter aucune incertitude sur la nature de l’infraction dénoncée et aucune ambiguïté sur les faits objets de la poursuite, la chambre de l’instruction a méconnu le sens et la portée du texte susvisé du principe ci-dessus rappelé" ;

Vu l’article 50 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;

Attendu que ce texte n’exige, à peine de nullité, que la mention, dans l’acte initial de poursuite, de la qualification du fait incriminé et du texte de loi énonçant la peine encourue ; qu’il n’appartient pas à la juridiction d’instruction d’apprécier le bien-fondé de la qualification retenue par l’acte initial de la poursuite ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu’à la suite de la mise en ligne, le 28 septembre 2015, sur le site internet […] d’un communiqué de presse émanant de M. François X…, député de la Loire, et contenant les propos suivants : « L’Azerbaïdjan se comporte comme un état terroriste. Au lendemain dés graves événements survenus dans le Tavauch, région frontalière du Nord Est de l’Arménie, il l’initiative de l’armée azerbaïdjanaise, j’exprime mes plus vives inquiétudes. Des villages ont fait l’objet de bombardements intenses, ce qui a provoqué la mort de trois civils et deux blesses. Certes ces attaques constituent une énième violation du cessez le feu intervenu en 1994 mais elles sont les plus graves », « S’agissant de leur impact sur la population civile, En retour, elfes ont entraîné une riposte arménienne et la mort de plusieurs soldats azéris. Cette escalade de la violence est inadmissible et doit être condamnée, alors que des rencontres importantes ont lieu à New York dans le cadre des travaux de la 70e Assemblée générale de l’ONU. Il est révoltant de constater qu’une armée régulière puisse volontairement s’en prendre à des populations civiles, comme cela vient de se produire, ou mépris des principes élémentaires du droit et des conventions de Genéve ». En agissant ainsi l’Azerbaïdjan se comporte en état terroriste", la République d’Azerbaïdjan a porté plainte et s’est constituée partie civile, le 15 octobre 2016, du chef de diffamation publique envers un particulier ; qu’une information judiciaire a été ouverte, le 16 janvier 2016, de ce chef ; que le juge d’instruction ayant déclaré irrecevable cette constitution de partie civile, constaté que le réquisitoire introductif n’a pu valablement mettre en mouvement l’action publique et dit n’y avoir lieu à suivre, la République d’Azerbaïdjan a relevé appel de cette décision ;

Attendu que, pour confirmer l’ordonnance de non-lieu rendue par le juge d’instruction, après avoir constaté que l’article 30 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse n’est pas visé dans la plainte ou le réquisitoire introductif, si bien que le délit à l’égard d’un corps constitué ne saurait être examiné, un Etat souverain ne pouvant être assimilé à un simple corps constitué dont la particularité est de ne jouir que d’une portion de l’autorité publique, l’arrêt énonce que l’Etat d’Azerbaïdjan a fait le choix de se fonder sur l’article 32 de la loi du 29 juillet 1881 précitée, qui est seul visé tant dans la plainte que dans le réquisitoire introductif ; que les juges retiennent que, cependant, l’Etat d’Azerbaïdjan n’est pas un particulier mais une personne morale de droit international ; qu’ils ajoutent qu’une incertitude existant dans la prévention et la répression, visée dans la plainte initiale et reprise dans le réquisitoire introductif, cet acte de poursuite, qui ne répond pas aux exigences de la loi, n’a pu, dès lors, mettre en oeuvre l’action publique dans les délais impartis par la loi du 29 juillet 1881, de sorte que plus de trois mois s’étant écoulés depuis le dépôt de la plainte, le 15 septembre 2015, l’action publique est éteinte par la prescription ;

Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, alors qu’ainsi que la Cour de cassation est en mesure de s’en assurer, la plainte avec constitution de partie civile, mentionnant la qualification du fait incriminé et du texte de loi énonçant la peine encourue, ne crée dans l’esprit d’un prévenu aucune incertitude sur les infractions dont il aurait à répondre, peu important à cet égard l’éventuel défaut de pertinence de la qualification ainsi retenue, qu’il appartiendra aux seuls juges saisis de la poursuite, et non aux juridictions d’instruction, d’apprécier, la chambre de l’instruction a méconnu le sens et la portée du texte susvisé et du principe ci-dessus énoncé ;

D’où il suit que la cassation est encourue ; que, n’impliquant pas qu’il soit à nouveau statué sur le fond, elle aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire ;

Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres moyens d’annulation et de cassation proposés :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles, en date du 16 mai 2017 ;

DIT que le juge d’instruction a été régulièrement saisi ;

DIT n’y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE le retour de la procédure au juge d’instruction saisi ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept mai deux mille dix-huit ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

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