Cour de cassation, Chambre criminelle, 11 septembre 2019, 18-81.067, Publié au bulletin

  • Cumul des sanctions fiscales et des sanctions pénales·
  • Principe de l'interdiction des doubles poursuites·
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  • Réserve émise par la France·
  • Examen de proportionnalité

Chronologie de l’affaire

Résumé de la juridiction

Il appartient au juge répressif d’appliquer l’article 4 au Protocole n° 7, additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, en faisant produire un plein effet à la réserve émise par la France en marge de ce protocole.

L’interdiction d’une double condamnation en raison de mêmes faits, prévue par l’article 4 du Protocole n° 7 ne trouve à s’appliquer, selon ladite réserve, que pour les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale et n’interdit pas le prononcé de sanctions fiscales parallèlement aux peines infligées par le juge répressif.

Dès lors, justifie sa décision la cour d’appel saisie de faits de fraude fiscale, qui, pour rejeter l’exception de procédure fondée sur le principe ne bis in idem, énonce qu’il n’est pas démontré que la réserve émise par la France, dont il n’appartient pas au juge du fond d’apprécier la validité, ait été écartée par la Cour européenne des droits de l’homme Lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l’objet, à titre personnel, d’une sanction fiscale pour les mêmes faits, il appartient au juge pénal, après avoir caractérisé les éléments constitutifs de cette infraction au regard de l’article 1741 du code général des impôts, et préalablement au prononcé de sanctions pénales, de vérifier que les faits retenus présentent le degré de gravité de nature à justifier la répression pénale complémentaire. Le juge est tenu de motiver sa décision, la gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention dont celles notamment constitutives de circonstances aggravantes. A défaut d’une telle gravité, le juge ne peut entrer en voie de condamnation.

Dès lors, justifie sa décision, sans méconnaître la portée de la réserve d’interprétation émise par le Conseil constitutionnel selon laquelle les dispositions de l’article 1741 du code général des impôts ne s’appliquent qu’aux cas les plus graves d’omission ou d’insuffisance déclarative volontaire, la cour d’appel qui, après avoir établi les infractions de fraude fiscale reprochées aux prévenus et préalablement à la motivation du choix des peines, caractérisé la gravité des faits tenant à la réitération de faits d’omission déclarative sur une longue période en dépit de plusieurs mises en demeure et à la qualité d’élu de la République de l’un d’entre eux Lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l’objet, à titre personnel, d’une sanction fiscale définitivement prononcée pour les mêmes faits, le juge pénal n’est tenu de veiller au respect de l’exigence de proportionnalité que s’il prononce une peine de même nature.

Dès lors, n’a pas méconnu la portée de la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel relative au principe de proportionnalité des peines en cas de cumul de sanctions pénales et fiscales, la cour d’appel qui condamne les prévenus, à l’encontre desquels des pénalités fiscales définitives ont été prononcées, chacun, à douze mois d’emprisonnement avec sursis et trois ans d’inéligibilité pour fraude fiscale, aucune amende pénale ne leur ayant été infligée

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Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

N° P 18-81.067 FS-P+B+R+I

N° 1175

CK

11 SEPTEMBRE 2019

REJET

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l’arrêt suivant :

REJET des pourvois formés par M. G… I…, Mme T… M… , épouse I…, contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, chambre 5-12, en date du 31 janvier 2018, qui, pour fraude fiscale, les a condamnés, chacun, à douze mois d’emprisonnement avec sursis et trois ans d’inéligibilité et a prononcé sur les demandes de l’administration fiscale, partie civile .

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 15 mai 2019 où étaient présents : M. Soulard, président, Mme Pichon, conseiller rapporteur, Mmes de la Lance, Planchon, M. Larmanjat, Mme Zerbib, MM. d’Huy, Wyon, conseillers de la chambre, M. Ascensi, Mme Fouquet, conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Petitprez ;

Greffier de chambre : Mme Darcheux ;

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire PICHON, les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, la société civile professionnelle FOUSSARD et FROGER, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général PETITPREZ ;

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires en demande et en défense et des observations complémentaires ont été produits.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 27 mai 2015, l’administration fiscale, sur avis conforme de la commission des infractions fiscales, a transmis au procureur de la République une plainte pour fraude fiscale à l’encontre des époux I… leur reprochant d’avoir déposé tardivement des déclarations d’ensemble des revenus sur la période de 2009 à 2013, certaines après l’envoi de mises en demeure, l’une d’entre elles, postérieurement à la mise en oeuvre d’une procédure de taxation d’office, pour un montant total de droits fixé à 70 547 euros.

3. Le procureur de la République, après avoir diligenté une enquête préliminaire, a fait citer M. et Mme I… devant le tribunal correctionnel afin d’y être jugés du chef de fraude fiscale pour s’être abstenus de souscrire la déclaration de revenus au titre de l’année 2012 et de souscrire, dans les délais légaux, les déclarations de revenus au titre des années 2009, 2010, 2011 et 2013.

4. Devant les premiers juges, les prévenus ont justifié avoir fait l’objet, pour les mêmes faits, de pénalités fiscales définitives de 10 % ou 40 %, selon les années concernées, à hauteur d’une somme globale de 20 495 euros. Ils ont soulevé in limine litis une exception d’extinction de l’action publique en application du principe de nécessité des délits et des peines, arguant que de simples omissions déclaratives ne constituent pas des faits graves susceptibles de justifier une procédure pénale.

5. Ladite exception était également fondée sur la violation du principe ne bis in idem prévu à l’article 4 du Protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l’homme, en ce que les deux procédures, fiscale et pénale, n’ont entretenu entre elles aucun lien matériel et temporel. Il a été allégué que, compte tenu de l’arrêt R… et autres c. Italie en date du 4 mars 2014 (nos 18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10 et 18698/10), la Cour européenne des droits de l’homme, lorsqu’elle se prononcera, invalidera la réserve émise par la France en marge de ce protocole de sorte qu’il est opportun que les juges anticipent la condamnation de la France, qu’ils en ont d’ailleurs l’obligation comme l’a jugé l’assemblée plénière de la Cour de cassation le 15 avril 2011.

6. Le tribunal correctionnel a rejeté l’exception et condamné Mme I… à trois mois d’emprisonnement avec sursis, M. I… à trois mois d’emprisonnement avec sursis et un an d’inéligibilité. Il s’est prononcé sur les intérêts civils.

7. Le procureur de la République, les prévenus et l’administration fiscale, partie civile, ont interjeté appel.

8. Devant la cour d’appel, les époux I… ont à nouveau soulevé une exception d’extinction de l’action publique.

Examen des moyens

Sur le quatrième moyen

9. Le moyen n’est pas de nature à être admis en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

10. Le moyen est pris de la violation des articles 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 1728 1.a. et 1.b. et 1741 du code général des impôts, 6, 591 et 593 du code de procédure pénale.

11. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce que la cour d’appel a rejeté l’exception d’extinction de l’action publique et déclaré les demandeurs coupables de fraude fiscale par omission de réaliser la déclaration dans les délais prescrits alors que « les dispositions de l’article 1728, 1, a, et 1, b, du code général des impôts et la phrase « soit qu’il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits » de l’article 1741 de ce code, en ce qu’elles autorisent, à l’encontre de la même personne et en raison des mêmes faits, le cumul de procédures ou de sanctions pénales et fiscales, portent atteinte aux principes constitutionnels de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines découlant de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; que la déclaration d’inconstitutionnalité qui interviendra privera de fondement l’arrêt attaqué, de sorte que la cassation sera prononcée » .

Réponse de la Cour

12. Sur une saisine des prévenus, la Cour de cassation a transmis au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité incidente aux présents pourvois, et portant sur la faculté de cumuler des actions et sanctions pénales et fiscales en cas d’omissions déclaratives. Le Conseil constitutionnel a déclaré les dispositions de l’article 1728, 1, a et b et la phrase « soit qu’il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits » de l’article 1741 du code général des impôts, conformes à la Constitution sous trois réserves d’interprétation (décision n° 2018-745 QPC du 23 novembre 2018).

13. Le moyen, devenu sans objet compte tenu de la décision du Conseil constitutionnel précitée, doit être écarté.

Sur le troisième moyen relatif au principe ne bis in idem et à la réserve émise par la France

Enoncé du moyen

14. Le moyen est pris de la violation des articles 57 de la Convention européenne des droits de l’homme, 4 du Protocole additionnel n° 7 à la Convention européenne des droits de l’homme, 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, 1728, 1, a, et 1, b, et 1741 du code général des impôts, 6, 591 et 593 du code de procédure pénale.

15. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce que la cour d’appel a rejeté l’exception d’extinction de l’action publique et déclaré les demandeurs coupables de fraude fiscale par omission de réaliser la déclaration dans les délais prescrits ;

1°/ alors qu'« en sa qualité de juge de droit commun de la Convention européenne des droits de l’homme, chaque juge national a le pouvoir d’interpréter les droits garantis ainsi que les conditions dans lesquels l’Etat membre s’est engagé à les respecter ; qu’à ce titre, il n’est fait aucun obstacle à ce que le juge pénal français apprécie la validité d’une réserve émise par la France en application de l’article 57 de la Convention européenne ; que c’est au prix d’une méconnaissance de son office que la cour d’appel a jugé qu'« il n’est pas démontré que les réserves émises par la France à l’application de ces dispositions, dont il n’appartient pas au juge du fond d’apprécier la validité, aient été écartées par la Cour européenne des droits de l’homme ; »

2°/ alors que « si un cumul entre des poursuites fiscales et pénales peut être envisagé en application de la jurisprudence de la Cour européenne, c’est à la condition qu’il existe un lien matériel et temporel suffisamment étroit entre ces deux procédures ; qu’en l’espèce, ainsi que le faisaient valoir les conclusions régulièrement déposées, la poursuite pénale est intervenue bien postérieurement aux différentes décisions définitives rendues sur le plan fiscal, à tel point que de deux à quatre années se sont écoulées entre les décisions de sanction par l’administration fiscale et la décision du ministère public de déclencher l’action publique, intervenue le 21 septembre 2016 ; que dans ces conditions, la cour d’appel n’était pas fondée à écarter la violation du principe non bis in idem » .

Réponse de la Cour

16. Lors de la ratification du Protocole n° 7, additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (la Convention), la France a émis une réserve aux termes de laquelle « seules les infractions relevant du droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale doivent être regardées comme des infractions au sens », notamment, de l’article 4 de ce protocole qui prévoit, à son paragraphe premier, que « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat ».

17. La Cour de cassation juge de façon constante que l’interdiction d’une double condamnation en raison de mêmes faits, prévue par l’article 4 du Protocole n° 7 ne trouve à s’appliquer, selon la réserve émise par la France en marge de ce protocole, que pour les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale et n’interdit pas le prononcé de sanctions fiscales parallèlement aux peines infligées par le juge répressif (Crim., 20 juin 1996, pourvoi n° 94-85.796, Bull. crim. 1996, n° 268 ; Crim., 4 juin 1998, pourvoi n° 97-80.620, Bull. crim. 1998, n° 186).

18. Postérieurement à l’arrêt R… ayant constaté l’invalidité de la réserve italienne, la Cour de cassation a confirmé son analyse considérant que la réserve de la France n’est pas remise en cause par la Cour européenne des droits de l’homme (Crim., 22 février 2017, pourvoi n° 14-82.526, Bull. crim. 2017, n° 49). En effet, ladite Cour ne s’est pas prononcée sur la validité de la réserve française.

19. Cette jurisprudence s’inscrit dans celle relative à l’office du juge judiciaire qui est d’interpréter et d’appliquer un traité international invoqué dans la cause soumise à son examen, auquel s’incorpore la déclaration unilatérale faite par un Etat quand il signe ou ratifie un traité, par laquelle il vise à exclure ou à modifier l’effet juridique de certaines dispositions du traité dans leur application à l’Etat (Crim., 15 janvier 2014, pourvoi n° 13-84.778, Bull. crim. 2014, n° 11 ; 1re Civ., 11 juillet 2006, pourvoi n° 02-20.389, Bull. 2006, I, n° 378).

20. Dans ces conditions, il appartient au juge répressif d’appliquer l’article 4 au Protocole n° 7 en faisant produire un plein effet à la réserve émise par la France en marge de ce protocole.

21. Ce principe ne contredit pas la jurisprudence de la Cour de cassation aux termes de laquelle les Etats adhérents à la Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation (Ass. plén., 15 avril 2011, pourvoi n° 10-17.049, Bull. crim. 2011, Ass. plén., n° 1).

22. Cette exigence a été adoptée pour l’application et l’interprétation des droits et libertés définis par la Convention ou ses protocoles. Elle ne s’applique pas lorsque la question concerne, non la portée de ces droits et libertés, mais l’appréciation préalable de l’étendue des engagements de l’Etat.

23. C’est d’ailleurs sur le fondement de dispositions spécifiques de la Convention, les actuels articles 19 et 32, que la Cour européenne des droits de l’homme s’est reconnue compétente pour apprécier la validité d’une réserve formulée par un Etat au sujet d’une disposition particulière (29 avril 1988, J… c. Suisse, n° 10328/83). En particulier, l’article 32 prévoit que la compétence de la Cour européenne des droits de l’homme s’étend à toutes les questions concernant l’interprétation et l’application de la Convention et de ses protocoles et qu’en cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide.

24. En l’espèce, pour rejeter l’exception de procédure fondée sur le principe ne bis in idem, l’arrêt attaqué énonce qu’il n’est pas démontré que la réserve émise par la France, dont il n’appartient pas au juge du fond d’apprécier la validité, ait été écartée par la Cour européenne des droits de l’homme.

25. En l’état de ces seules énonciations, la cour d’appel a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées.

26. Il s’ensuit que le moyen, qui devient inopérant en sa seconde branche, ne peut qu’être écarté.

Sur le deuxième moyen relatif à la gravité des faits de fraude fiscale

Enoncé du moyen

27. Le moyen est pris de la violation des articles 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 1728 1, a, et 1, b, et 1741 du code général des impôts, 6, 591 et 593 du code de procédure pénale.

28. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce que la cour d’appel a rejeté l’exception d’extinction de l’action publique et déclaré les demandeurs coupables de fraude fiscale par omission de réaliser la déclaration dans les délais prescrits alors que « si, la Cour de cassation, en refusant de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité, ou le Conseil constitutionnel, dans sa décision, étendaient aux cas d’omission la réserve posée pour les cas de dissimulation, selon laquelle les doubles poursuites doivent être réservées aux cas les plus graves, la chambre criminelle ne serait pas en mesure de vérifier la conformité de la décision de la cour d’appel à cette exigence, cette dernière ayant considéré que « la gravité ne saurait être considérée comme une condition de recevabilité de l’action publique » et n’ayant en conséquence jamais recherché si les faits reprochés aux époux I… entraient dans le champ des cas les plus graves, privant ainsi sa décision de toute base légale » .

Réponse de la Cour

29. L’article 1741 du code général des impôts incrimine et punit celui qui « s’est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l’établissement ou au paiement total ou partiel des impôts », « soit qu’il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits, soit qu’il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l’impôt » notamment.

30. Le Conseil constitutionnel juge que la répression pénale permet d’assurer, avec la répression fiscale, la protection des intérêts financiers de l’Etat ainsi que l’égalité devant l’impôt, en poursuivant des finalités communes, à la fois dissuasive et répressive, et que le recouvrement de la nécessaire contribution publique et l’objectif de lutte contre la fraude fiscale peut justifier l’engagement de procédures complémentaires.

31. Le Conseil constitutionnel considère cependant que le principe de nécessité des délits et des peines impose que les dispositions pénales ne s’appliquent qu’aux cas les plus graves d’omission ou d’insuffisance déclarative volontaire. Cette gravité peut résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention. Aussi a-t-il posé en ce sens une réserve d’interprétation à l’application combinée des dispositions précitées de l’article 1741 du code général des impôts avec l’article 1728, 1, a, et 1, b, ou 1729 du même code prévoyant des sanctions fiscales (décisions nos 2016-545 QPC et 2016-546 QPC du 24 juin 2016, n° 2016-556 QPC du 22 juillet 2016 et n° 2018-745 QPC du 23 novembre 2018).

32. Il en résulte que seuls les faits présentant une certaine gravité au regard des critères généraux fixés par la réserve peuvent faire l’objet, en complément de sanctions fiscales, de sanctions pénales. Si la gravité des faits est prise en considération par l’administration fiscale lorsqu’elle dépose plainte après avis conforme de la commission des infractions fiscales puis par le ministère public lorsqu’il décide d’engager les poursuites, il incombe à la juridiction de jugement, devant laquelle un débat contradictoire peut s’engager, de s’assurer de cette gravité.

33. A contrario, les faits ne présentant pas le caractère de gravité suffisante ne peuvent donner lieu, en plus de la poursuite fiscale, à une condamnation pénale, puisque, dans ce cas, même si les éléments constitutifs de l’infraction, qui demeurent inchangés, sont réunis, les dispositions les réprimant ne sont pas applicables. En l’absence de tout fondement légal par effet de la réserve, le juge pénal ne peut que prononcer la relaxe du prévenu.

34. Il s’en déduit que l’applicabilité de l’article 1741 du code général des impôts suppose la vérification par le juge pénal de la caractérisation du délit reproché, puis de sa gravité suffisante.

35. Par ailleurs, s’agissant des conditions d’application de la réserve, la Cour de cassation a jugé qu’il appartient au prévenu de fraude fiscale de justifier de l’engagement à son encontre de poursuites fiscales pour les mêmes faits (Crim., 22 février 2017, pourvoi n° 16-82.104, Bull. crim. 2017, n° 51).

36. Les considérations qui précèdent permettent de dégager les principes suivants. Lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l’objet, à titre personnel, d’une sanction fiscale pour les mêmes faits, il appartient au juge pénal, après avoir caractérisé les éléments constitutifs de cette infraction au regard de l’article 1741 du code général des impôts, et préalablement au prononcé de sanctions pénales, de vérifier que les faits retenus présentent le degré de gravité de nature à justifier la répression pénale complémentaire. Le juge est tenu de motiver sa décision, la gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention dont celles notamment constitutives de circonstances aggravantes. A défaut d’une telle gravité, le juge ne peut entrer en voie de condamnation.

37. En l’espèce, pour confirmer le jugement ayant rejeté l’exception aux fins de constatation de l’extinction de l’action publique, l’arrêt attaqué, par motifs propres et adoptés, énonce que la gravité des faits de fraude fiscale ne constitue pas une condition de recevabilité de l’action publique et que le juge pénal doit examiner les éléments constitutifs de l’infraction et a posteriori apprécier, le cas échéant, si le prévenu doit être soumis à l’intégralité du régime répressif ou seulement à une partie de celui-ci.

38. Les juges, après avoir caractérisé les infractions reprochées aux deux prévenus et préalablement à la motivation du choix des peines, retiennent, par motifs propres et adoptés, que les manquements concernent cinq années et que l’administration fiscale a pris le soin, à maintes reprises, de rappeler aux prévenus leurs obligations déclaratives. Ils ajoutent, s’agissant de M. I…, que le fait pour un élu auquel s’attache un devoir d’exemplarité, de ne pas respecter sur plusieurs années, une législation à laquelle il participe constitue un fait grave. Ils concluent que les circonstances de l’espèce justifient le prononcé de sanctions pénales à l’encontre des deux prévenus.

39. En l’état de ces seules énonciations, la cour d’appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a justifié sa décision sans méconnaître la portée de la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel.

40. En effet, il résulte de ces motifs que les juges du fond ont caractérisé la gravité des faits retenus à l’encontre des prévenus tenant à la réitération de faits d’omission déclarative sur une longue période en dépit de plusieurs mises en demeure et à la qualité d’élu de la République de l’un d’entre eux.

41. Il s’en déduit que le moyen doit être rejeté.

Sur le cinquième moyen de cassation relatif à la proportionnalité du cumul des sanctions pénales et fiscales

Enoncé du moyen

42. Il est pris de la violation des articles 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 4 du Protocole additionnel n° 7 à la Convention européenne des droits de l’homme, 131-26 du code pénal, 1728 1, a, et 1, b, et 1741 du code général des impôts, 6, 591 et 593 du code de procédure pénale.

43. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce que la cour d’appel a condamné les demandeurs à une peine d’un an d’emprisonnement avec sursis et de trois ans d’inéligibilité alors qu’ « il résulte du principe de proportionnalité de la peine globale que, dans l’hypothèse d’une poursuite pénale succédant à une poursuite fiscale ayant conduit à l’application de pénalités, le juge pénal doit motiver le choix de la peine en tenant compte de la sanction déjà prononcée ; qu’en prononçant à l’égard des demandeurs une peine d’emprisonnement d’un an avec sursis et de trois ans d’inéligibilité, sans qu’il résulte de sa décision une quelconque prise en compte de la pénalité fiscale précédemment prononcée à leur encontre pour les mêmes faits, la cour d’appel a méconnu le principe précité » .

Réponse de la Cour

44. Aux termes d’une autre réserve d’interprétation émise par le Conseil constitutionnel, si l’éventualité que deux procédures, pénale et fiscale, pour des faits de fraude fiscale soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu’en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues (décisions nos 2016-545 QPC et 2016-546 QPC du 24 juin 2016, n° 2016-556 QPC du 22 juillet 2016 et n° 2018-745 QPC du 23 novembre 2018).

45. Cette réserve ne peut concerner que des sanctions de même nature dès lors que sa mise en oeuvre suppose, pour le juge qui se prononce en dernier, de pouvoir procéder à la comparaison des maximums des sanctions pénales et fiscales encourues afin de déterminer le montant le plus élevé qui constitue le plafond.

46. Il convient d’en déduire que, lorsque le prévenu justifie avoir fait l’objet, à titre personnel, d’une sanction fiscale définitivement prononcée pour les mêmes faits, le juge pénal n’est tenu de veiller au respect de l’exigence de proportionnalité que s’il prononce une peine de même nature.

47. En l’espèce, les juges en appel ont condamné M. et Mme I…, déclarés coupables de fraude fiscale, chacun, aux peines de douze mois d’emprisonnement avec sursis et de trois ans d’inéligibilité.

48. En statuant ainsi, la cour d’appel, qui n’avait pas à procéder à la recherche prétendument omise, n’a pas méconnu la portée de la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel.

49. En effet, si des sanctions fiscales définitives ont été prononcées à l’encontre des époux I…, aucune amende pénale ne leur a été infligée par la juridiction correctionnelle.

50. Le moyen, inopérant en ce qu’il invoque l’article 4 du Protocole n° 7 compte tenu de la réserve émise par la France, ne saurait être accueilli.

51. Par ailleurs, l’arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le onze septembre deux mille dix-neuf ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

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