Cour de cassation, Chambre civile 1, 13 février 2019, 18-13.748, Publié au bulletin

  • Article 1er du premier protocole additionnel·
  • Convention européenne des droits de l'homme·
  • Présomption de l'article 2279 du code civil·
  • Action en revendication d'un bien public·
  • Article 2279, devenu 2276 du code civil·
  • Premier protocole additionnel·
  • Protection de la propriété·
  • Action en revendication·
  • Compatibilité propriété·
  • Domaine public mobilier

Chronologie de l’affaire

Résumé de la juridiction

La protection du domaine public mobilier impose qu’il soit dérogé à l’article 2279, devenu 2276 du code civil L’action en revendication d’un bien public relève de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dès lors qu’elle s’exerce à l’égard d’une personne qui, ayant acquis ce bien de bonne foi, pouvait nourrir une espérance légitime de le conserver ou d’obtenir une contrepartie, de sorte qu’il y a lieu de procéder à un contrôle de la proportionnalité d’une telle action qui permet de constater que : l’ingérence que constituent l’inaliénabilité du bien et l’imprescriptibilité de l’action en revendication est prévue par des dispositions de loi présentant l’accessibilité, la clarté et la prévisibilité requises par la Convention, dès lors, d’une part, qu’elles figurent à l’article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, d’autre part, qu’il s’en déduit qu’aucun droit de propriété sur un bien appartenant au domaine public ne peut être valablement constitué au profit de tiers et que ce bien ne peut faire l’objet d’une prescription acquisitive en application de l’article 2276 du code civil au profit de ses possesseurs successifs, même de bonne foi ; cette ingérence poursuit un but légitime, dès lors que la protection de l’intégrité du domaine public relève de l’intérêt général ; l’action en revendication étant la seule mesure de nature à permettre à l’Etat de recouvrer la plénitude de son droit de propriété, l’ingérence ne saurait être disproportionnée eu égard au but légitime poursuivi

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Sur la décision

Référence :
Cass. 1re civ., 13 févr. 2019, n° 18-13.748, Publié au bulletin
Juridiction : Cour de cassation
Numéro(s) de pourvoi : 18-13748
Importance : Publié au bulletin
Décision précédente : Cour d'appel de Paris, 17 janvier 2018, N° 16/02315
Précédents jurisprudentiels : A rapprocher :
Crim., 4 février 2004, pourvoi n° 01-85.964, Bull. crim. 2004, n° 34 (rejet), et l'arrêt cité
Crim., 17 mars 2015, pourvoi n° 13-87.873, Bull. crim. 2015, n° 59 (rejet).N2 >Sur la conformité de l'article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques à la Constitution,
Chambre des requêtes, 17 juin 1896, DP 1897, I, 257 (rejet).En matière pénale,
Crim., 17 mars 2015, pourvoi n° 13-87.873, Bull. crim. 2015, n° 59 (rejet).N2 >Sur la conformité de l'article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques à la Constitution,
Crim., 4 février 2004, pourvoi n° 01-85.964, Bull. crim. 2004, n° 34 (rejet), et l'arrêt cité
Confère :
Cons. Const., 26 octobre 2018, décision n° 2018-743 QPC
Textes appliqués :
Sur le numéro 1 : article 2279, devenu 2276, du code civil.

Sur le numéro 2 : article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques

Dispositif : Rejet
Date de dernière mise à jour : 4 novembre 2021
Identifiant Légifrance : JURITEXT000038161198
Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2019:C100155
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Texte intégral

CIV. 1

FB

COUR DE CASSATION

______________________

Audience publique du 13 février 2019

Rejet

Mme BATUT, président

Arrêt n° 155 FS-P+B+I

Pourvoi n° R 18-13.748

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par la société Brimo de Laroussilhe, société par actions simplifiée, dont le siège est […],

contre l’arrêt rendu le 18 janvier 2018 par la cour d’appel de Paris (pôle 2, chambre 2), dans le litige l’opposant à la Direction nationale d’interventions domaniales, dont le siège est […],

défenderesse à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, composée conformément à l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, en l’audience publique du 15 janvier 2019, où étaient présents : Mme Batut, président, Mme Gargoullaud, conseiller référendaire rapporteur, Mme Wallon, conseiller doyen, MM. Hascher, Reynis, Mme Reygner, M. Vigneau, Mme Bozzi, M. Acquaviva, Mme Auroy, conseillers, Mmes Mouty-Tardieu, Le Cotty, Azar, Feydeau-Thieffry, conseillers référendaires, Mme Marilly, avocat général référendaire, Mme Pecquenard, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Gargoullaud, conseiller référendaire, les observations et plaidoiries de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société Brimo de Laroussilhe, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la Direction nationale d’interventions domaniales, l’avis de Mme Marilly, avocat général référendaire, auquel les avocats ont été invités à répliquer, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 18 janvier 2018), que l’Etat a présenté une action en revendication relative à une pierre sculptée de 1,63 mètre, désignée comme le « fragment à l’Aigle », provenant du jubé gothique de la cathédrale de Chartres et acquise en 2002 par la société Brimo de Laroussilhe (la société Brimo) ;

Sur le premier moyen et le second moyen, pris en sa première branche, ci-après annexés :

Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur les deuxième et troisième branches du second moyen :

Attendu que la société Brimo fait grief à l’arrêt de lui ordonner de restituer à l’Etat le fragment du jubé de la cathédrale de Chartres dit le « fragment à l’Aigle » dans les trois mois de la signification du jugement, et de rejeter sa demande en indemnisation pour procédure abusive, alors, selon le moyen :

1°/ que la règle « en fait de meubles, la possession vaut titre » prévue par l’article 2276 du code civil constitue un mode autonome d’acquisition, distinct de l’aliénation et de la prescription ; que dès lors, les principes d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité du domaine public ne font pas obstacle à l’acquisition d’un bien mobilier appartenant au domaine public par une prise de possession de bonne foi ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté, par motifs adoptés, « que la société Brimo de Laroussilhe est entrée en possession du fragment revendiqué en toute bonne foi, suite à une acquisition sur le marché de l’art et qu’elle bénéficie de la présomption prévue à l’article 2276 du code civil » ; qu’en jugeant néanmoins que le fait que le bien ait appartenu au domaine public lors de cette prise de possession impliquerait, en application des principes d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité du domaine public, qu’il doive être restitué à l’Etat, la cour d’appel a violé l’article 2276 du code civil, ensemble l’article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques ;

2°/ que le fait, pour l’Etat, de retirer à une personne un meuble corporel qu’elle avait acquis de bonne foi constitue une privation de propriété, au sens de l’article 1er du premier protocole additionnel de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dès lors que cet acquéreur pouvait légitimement se prévaloir d’une situation de sécurité juridique résultant de son titre de propriété ; qu’une telle ingérence dans le droit au respect des biens ne peut être justifiée par l’appartenance dudit bien au domaine public que si elle est proportionnée ; qu’en l’espèce, en ordonnant à la société Brimo de restituer à l’Etat, sans la moindre indemnisation, le fragment à l’Aigle qu’elle avait acquis de bonne foi et qui avait une valeur pécuniaire considérable, motif pris de son appartenance au domaine public, la cour d’appel a porté une atteinte disproportionnée au droit au respect des biens de cette société, en violation de l’article 1er du premier protocole additionnel de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu, d’abord, que la protection du domaine public mobilier impose qu’il soit dérogé à l’article 2279, devenu 2276 du code civil ; qu’après avoir comparé le fragment à l’Aigle et une autre sculpture composant, ensemble, un bas-relief du jubé de la cathédrale de Chartres, démonté en 1763, l’arrêt retient que ce fragment correspond à celui extrait en 1848 du sol de la cathédrale par l’architecte M…, à une époque où le bâtiment relevait du domaine public de l’Etat ; que la cour d’appel n’a pu qu’en déduire que le fragment à l’Aigle avait intégré à cette date le domaine public mobilier ;

Attendu, ensuite, que l’action en revendication d’un tel bien relève de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dès lors qu’elle s’exerce à l’égard d’une personne qui, ayant acquis ce bien de bonne foi, pouvait nourrir une espérance légitime de le conserver ou d’obtenir une contrepartie ;

Attendu, cependant, que l’ingérence que constituent l’inaliénabilité du bien et l’imprescriptibilité de l’action en revendication est prévue à l’article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 relative à la partie législative du même code ; qu’il s’en déduit qu’aucun droit de propriété sur un bien appartenant au domaine public ne peut être valablement constitué au profit de tiers et que ce bien ne peut faire l’objet d’une prescription acquisitive en application de l’article 2276 du code civil au profit de ses possesseurs successifs, même de bonne foi ; que ces dispositions législatives présentent l’accessibilité, la clarté et la prévisibilité requises par la Convention ;

Attendu que cette ingérence poursuit un but légitime, au sens de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dès lors que la protection de l’intégrité du domaine public relève de l’intérêt général ;

Et attendu que l’action en revendication étant la seule mesure de nature à permettre à l’Etat de recouvrer la plénitude de son droit de propriété, l’ingérence ne saurait être disproportionnée eu égard au but légitime poursuivi ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize février deux mille dix-neuf.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour la société Brimo de Laroussilhe.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu’il avait ordonné à la société Brimo de Laroussilhe de « restituer » à l’Etat le fragment du jubé de la cathédrale de Chartres dit le « fragment à l’Aigle » dans les trois mois de la signification du jugement, sous peine d’astreinte passé ce délai et pour une durée de six mois, d’un montant fixé provisoirement à la somme de 500 euros par jour de retard, et d’avoir débouté la société Brimo de Laroussilhe de sa demande reconventionnelle tendant à la condamnation de l’Etat à lui payer une somme de 2 407 414,56 euros, à parfaire, à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

AUX MOTIFS QUE « sur l’action en revendication, (…) aux termes de l’article 1315, alinéa 1, devenu 1353 du code civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ;

que l’expert, au motif qu’entre 1791 et 1836 les reliefs étaient considérés comme des matériaux de construction, a rappelé qu’à compter de 1836, une attention particulière a été portée aux vestiges du jubé de la cathédrale de Chartres, en raison de l’intérêt historique et artistique éveillé à cette période ;

que les parties s’accordent sur l’année 1836, comme date à compter de laquelle l’extraction du fragment de la cathédrale, appartenant au domaine public de l’Etat, entraînait son intégration au domaine public mobilier ; que la preuve doit en conséquence être rapportée, non de cette extraction, mais de la présence du fragment dans la cathédrale à une date postérieure à 1836 ;

que, sur l’aveu judiciaire invoqué par la société Brimo de Laroussilhe, selon l’article 1356 devenu 1383-2 du code civil, L’aveu judiciaire est la déclaration que fait en justice la partie ou son représentant spécialement mandaté.

Il fait foi contre celui qui l’a fait.

Il ne peut être divisé contre son auteur.

Il est irrévocable, sauf en cas d’erreur de fait ;

que la date d’extraction du fragment à l’Aigle de la cathédrale de Chartes est un élément de fait que l’Etat a présenté au soutien de sa demande, en considération des analyses et recherches disponibles à cette date, par la suite écartées au fil des expertises, et ne constituait pas la reconnaissance d’un droit au profit de la société Brimo de Laroussilhe ;

qu’il n’est pas contesté qu’en 1763, le jubé de la cathédrale de Chartres a été démantelé, que de 1786 à 1787, le choeur des chanoines a été dépavé pour être recouvert de marbre, réfection poursuivie en 1791, que le 4 juin 1836, la cathédrale a été partiellement incendiée, sinistre amenant la reprise d’une partie de son dallage en 1837 et la découverte de deux bas-reliefs, les mages devant Hérode et la Nativité, provenant du jubé, sans que soit réalisé un inventaire exhaustif des vestiges découverts ; qu’en 1847 et 1848, l’architecte M… a été chargé par le ministre d’une mission dans le cadre de la rédaction d’une monographie de la cathédrale, a obtenu l’autorisation de procéder à des fouilles autour du choeur afin de retrouver d’autres éléments du jubé et a déposé l’intégralité du dallage devant l’entrée principale et une partie devant l’entrée latérale nord et devant l’entrée sud ;

que ces travaux ont révélé l’existence de six bas-reliefs, retournés et servant de dalles, parmi lesquels un bas-relief provenant probablement d’un retable et un bas-relief formant la contrepartie du précédent et composé d’animaux symboliques ;

que dans le cours de la procédure d’acquisition du fragment à l’Aigle par l’Etat, une expertise a été diligentée par MM. G… et S…, dont le rapport, remis le 25 mai 2006, affirme que le fragment a été remployé dans le pavage de la cathédrale et précise qu’il s’agit de deux grands reliefs avec des ronds, qui ont été excavés en 1848, dont l’un se joint exactement à l’autre, formant une section complète de la frise ronde, l’iconographie de la partie supérieure étant parfaitement complétée par le fragment inférieur, les deux bas-reliefs ayant été coupés exactement de la même manière, en haut à droite et en bas à gauche, indiquant ainsi que les deux bas-reliefs ont été utilisés pour le pavement de la cathédrale, taillés pour rentrer dans les espaces dans lesquels ils ont été insérés ;

que l’expert judiciaire, M. O…, reprend cette constatation en indiquant que les deux fragments, composant la « Majesté de l’Agneau », ont fait l’objet d’une seule et unique découpe, avec l’utilisation d’une même technique de découpe, de retaille et d’ajustement des deux dalles, à l’Ange et à l’Aigle, un calepinage semblable de la dalle à l’Ange et de la dalle à l’Aigle, et les mêmes traces d’outil sur les deux fragments pour les placer dans le pavement du sol ;

que M. O… décrit la présence d’un seul mortier de scellement dans le lit de pose du pavement et dans le creux des sculptures des fragments du jubé, soit les fragments à l’ange, au lion, à l’aile et à l’aigle, constatations rejoignant celles, antérieures, des experts MM. X… et V…, d’une usure importante du revers du fragment à l’Aigle qui démontre un scellement long dans le temps, postérieur au décret de nationalisation des biens du clergé par l’Etat, le fragment à l’Aigle étant le plus usé, en raison soit du passage sur un axe plus fréquenté que les autres dalles, soit parce que la dalle était placée sur un lieu de piétinement dû aux pratiques religieuses type dévotion populaire ; qu’il en conclut que l’usure du revers du « Fragment à l’Aigle » est un élément important qui permet de considérer comme plausible (et même certain) un maintien de cette pierre dans le sol de la cathédrale de Chartres jusqu’en 1848, soit près de 85 ans (60 ans si on retient l’hypothèse de M. P… T…) et il considère qu’un maintien sur une durée plus réduite n’aurait pas permis d’atteindre cette usure ;

qu’il conclut que le fragment à l’Aigle a fait l’objet d’un seul et unique enfouissement, un second emploi étant exclu, et ce dans le sol de la cathédrale, où il est resté un temps très long au regard de l’usure de l’extrados, soit le côté lisse de la pierre ; que le fragment à l’Aigle correspond au bas-relief indiqué par M… comme étant probablement un retable, lors de son extraction en 1848, ou éventuellement après l’incendie de 1836 en cas de distraction frauduleuse après l’incendie de la cathédrale ; que le relief au lion fait probablement la contrepartie du précédent, tel que présenté par M… ;

qu’il résulte de ces constatations que le fragment à l’Ange, extrait en 1848, et le fragment à l’Aigle, constituaient un seul et unique bas-relief du jubé de la cathédrale de Chartres, démonté en 1763 ; que le fragment à l’Aigle a été enfoui à une seule reprise et a servi de dalle, ainsi qu’en témoigne l’usure de l’extrados, supérieure à celle des reliefs découverts en 1848 et similaire au relief à l’Aile extrait en 2008 ; qu’ainsi il est établi que le fragment à l’Aigle correspond à un fragment du relief extrait en 1848 par l’architecte M… et décrit par celui-ci comme le bas-relief provenant d’un retable ;

qu’il s’ensuit que le fragment à l’Aigle, extrait en 1848 du sol de la cathédrale, a intégré à cette date le domaine public mobilier ; que l’action en revendication de l’Etat étant bien fondée, le jugement ordonnant sa restitution sous astreinte sera confirmé ;

sur les autres demandes, qu’il résulte du sens de l’arrêt que la société Brimo de Laroussilhe sera déboutée de sa demande reconventionnelle tendant à la condamnation de l’Etat à lui payer une somme de 2 407 414,56 euros, à parfaire, à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive » ;

1°/ ALORS QUE dans leurs conclusions d’appel, la société Brimo de Laroussilhe et l’Etat considéraient tous les deux que le Fragment à l’Aigle ne correspondait pas au bas-relief que l’architecte M… avait désigné comme « provenant probablement d’un retable » dans le rapport qu’il avait rédigé à l’issue de fouilles réalisées dans les sols de la cathédrale de Chartres en 1848 ; que leur désaccord portait sur le point de savoir si ce fragment correspondait à « l’autre basrelief formant la contrepartie du précédent et composé d’animaux symboliques » mentionné dans ce rapport, thèse qui était soutenue par l’Etat mais contestée par la société Brimo de Laroussilhe, et qui avait été écartée par l’expert judiciaire ; qu’en jugeant néanmoins que le Fragment à l’Aigle correspondrait au bas-relief décrit par M… comme « provenant probablement un retable », cependant que ce point n’était pas discuté, la cour d’appel a méconnu les termes du litige, en violation des articles 4 et 5 du code de procédure civile ;

2°/ ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE dans son rapport déposé le 28 novembre 2013, l’expert judiciaire a expressément présenté « l’attribution du « Fragment à l’Aigle » à l’ensemble « formant (sic) probablement un retable » (avec le « Fragment à l’Ange ») pour faire la « Majesté de l’Agneau » » comme faisant partie des « éléments [qui] sont des interprétations de textes qui portent en eux-mêmes une ambigüité et sont donc des sources moins probantes » (§ 5.3.1.2 du rapport d’expertise) ; que la conclusion qu’il a retenue à ce sujet était ainsi rédigée en des termes hypothétiques, l’expert ayant indiqué que les investigations menées « conduisent à penser que le « Fragment à l’Aigle » conservé par Brimo de Laroussilhe est un fragment du bas-relief que M… a indiqué comme étant probablement un retable » ; qu’en affirmant pourtant que l’expert aurait « conclu » que le fragment à l’Aigle correspondait au bas-relief désigné par M… comme provenant probablement un retable, et en en déduisant qu’il serait « établi » que « le fragment à l’Aigle correspond à un fragment du relief extrait en 1848 par l’architecte M… et décrit par celui-ci comme le bas-relief provenant d’un retable », la cour d’appel a dénaturé les termes clairs et précis du rapport d’expertise judiciaire, en méconnaissance de l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis.

SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu’il avait ordonné à la société Brimo de Laroussilhe de restituer à l’Etat le fragment du jubé de la cathédrale de Chartres dit le « fragment à l’Aigle » dans les trois mois de la signification du jugement, sous peine d’astreinte passé ce délai et pour une durée de six mois, d’un montant fixé provisoirement à la somme de 500 euros par jour de retard, et d’avoir débouté la société Brimo de Laroussilhe de sa demande reconventionnelle tendant à la condamnation de l’Etat à lui payer une somme de 2 407 414,56 euros, à parfaire, à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE « le Fragment à l’Aigle, extrait en 1848 du sol de la cathédrale, a intégré à cette date le domaine public mobilier ; que l’action en revendication de l’Etat étant bien fondée, le jugement ordonnant sa restitution sous astreinte sera confirmé » ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QU’ « aux termes des dispositions de l’article 9 du code de procédure civile, « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention » ;

que l’article 2276 du code civil dispose « En fait de meubles, la possession vaut titre » ;

qu’en l’espèce, il n’est pas contesté que la société Brimo de Laroussilhe est entrée en possession du fragment revendiqué en toute bonne foi, suite à une acquisition sur le marché de l’art et qu’elle bénéficie de la présomption prévue à l’article 2276 du code civil ;

qu’il est également de principe que les biens appartenant au domaine public sont inaliénables et imprescriptibles et échappent de ce fait à la présomption édictée ;

qu’au regard de ces éléments, il appartient à l’Etat, qui revendique sa propriété sur le « fragment à l’Aigle » en possession de la société Brimo de Laroussilhe, d’établir que ce bien lui a appartenu et qu’il était inaliénable du fait de son appartenance au domaine public ;

(…) qu’il est incontestable que le « fragment à l’Aigle », lors de son extraction postérieure à 1836, est entré dans le domaine public de l’Etat ;

que l’hypothèse d’une distraction et en tout état de cause d’une disparition sans déclassement préalable, n’est pas contestée ;

que le domaine public de l’Etat étant inaliénable et imprescriptible, l’Etat qui démontre sa propriété, est en droit de revendiquer le fragment litigieux ;

que la restitution en sera ordonnée sous astreinte » ;

1°/ ALORS QUE par mémoire distinct et motivé, il est soutenu que les dispositions de l’article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, en ce qu’elles ne prévoient pas de dérogation pour les meubles corporels acquis de bonne foi, contreviennent au droit au maintien des situations légalement acquises et des contrats légalement conclus et à la liberté du commerce et de l’industrie ; qu’à la suite de la déclaration d’inconstitutionnalité qui sera prononcée, l’arrêt attaqué rendu en application de ce texte se trouvera privé de base légale au regard des articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et ne pourra donc qu’être annulé ;

2°/ ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE la règle « en fait de meubles, la possession vaut titre » prévue par l’article 2276 du code civil constitue un mode autonome d’acquisition, distinct de l’aliénation et de la prescription ; que dès lors, les principes d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité du domaine public ne font pas obstacle à l’acquisition d’un bien mobilier appartenant au domaine public par une prise de possession de bonne foi ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté, par motifs adoptés, « que la société Brimo de Laroussilhe est entrée en possession du fragment revendiqué en toute bonne foi, suite à une acquisition sur le marché de l’art et qu’elle bénéficie de la présomption prévue à l’article 2276 du code civil » (jugement entrepris, p. 8 § 4) ; qu’en jugeant néanmoins que le fait que le bien ait appartenu au domaine public lors de cette prise de possession impliquerait, en application des principes d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité du domaine public, qu’il doive être restitué à l’Etat, la cour d’appel a violé l’article 2276 du code civil, ensemble l’article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques ;

3°/ ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE le fait, pour l’Etat, de retirer à une personne un meuble corporel qu’elle avait acquis de bonne foi constitue une privation de propriété, au sens de l’article 1er du premier protocole additionnel de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dès lors que cet acquéreur pouvait légitimement se prévaloir d’une situation de sécurité juridique résultant de de son titre de propriété ; qu’une telle ingérence dans le droit au respect des biens ne peut être justifiée par l’appartenance dudit bien au domaine public que si elle est proportionnée ; qu’en l’espèce, en ordonnant à la société Brimo de Laroussilhe de restituer à l’Etat, sans la moindre indemnisation, le Fragment à l’Aigle qu’elle avait acquis de bonne foi et qui avait une valeur pécuniaire considérable, motif pris de son appartenance au domaine public, la cour d’appel a porté une atteinte disproportionnée au droit au respect des biens de cette société, en violation de l’article 1er du premier protocole additionnel de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

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