Cour de cassation, Chambre civile 1, 11 juillet 2019, 18-17.574, Inédit

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Référence :
Cass. 1re civ., 11 juill. 2019, n° 18-17.574
Juridiction : Cour de cassation
Numéro(s) de pourvoi : 18-17.574
Importance : Inédit
Décision précédente : Cour d'appel de Toulouse, 25 septembre 2017
Textes appliqués :
Article 146 du code civil.
Dispositif : Cassation
Date de dernière mise à jour : 14 décembre 2021
Identifiant Légifrance : JURITEXT000038797640
Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2019:C100696
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Texte intégral

CIV. 1

JT

COUR DE CASSATION

______________________

Audience publique du 11 juillet 2019

Cassation

Mme BATUT, président

Arrêt n° 696 F-D

Pourvoi n° Z 18-17.574

Aide juridictionnelle totale en défense

au profit de Mme L… .

Admission du bureau d’aide juridictionnelle

près la Cour de cassation

en date du 20 juillet 2018.

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par M. D… Y…, domicilié […] ,

contre l’arrêt rendu le 26 septembre 2017 par la cour d’appel de Toulouse (1re chambre, section 2), dans le litige l’opposant :

1°/ à Mme V… L… , domiciliée […] ,

2°/ au procureur général près la cour d’appel de Toulouse, domicilié en son parquet général, […],

défendeurs à la cassation ;

Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l’audience publique du 12 juin 2019, où étaient présentes : Mme Batut, président, Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mme Pecquenard, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de M. Y…, de la SCP Gouz-Fitoussi, avocat de Mme L… , et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu l’article 146 du code civil ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. Y…, de nationalité française, et Mme L… , de nationalité russe, se sont mariés en France le 27 juillet 2013 ; que M. Y… a assigné Mme L… en nullité du mariage ;

Attendu que, pour rejeter cette demande, l’arrêt retient qu’il n’est pas établi qu’à la date du mariage, Mme L… n’avait pas la volonté de se soumettre aux obligations en résultant, celle-ci souhaitant au contraire que son futur époux lui convienne et se projetant dans un avenir commun avec lui, peu important qu’elle ait ou non éprouvé des sentiments amoureux ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait relevé qu’il était certain que Mme L… souhaitait rencontrer un homme français et vivre en France, ce dont il résultait qu’il n’existait pas d’intention matrimoniale spécifique à l’égard de M. Y…, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 26 septembre 2017, entre les parties, par la cour d’appel de Toulouse ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Bordeaux ;

Condamne Mme L… aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du onze juillet deux mille dix-neuf et signé par lui et par Mme Randouin, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l’arrêt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour M. Y…

Il est reproché à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir débouté M. Y… de ses demandes tendant à voir annuler le mariage célébré le 27 juillet 2013 entre lui et Mme L… , ordonner la mention de la décision en marge de l’acte de mariage ainsi qu’en marge de l’acte de naissance des époux, et condamner Mme L… à lui payer la somme d’un euro à titre de dommages et intérêts ;

Aux motifs qu’aux termes des articles 144 et 184 du code civil, en l’absence de consentement des deux époux, le mariage est nul ; qu’il n’y a point de consentement lorsque les époux, ou l’un d’eux, ne se sont prêtés à la cérémonie que pour atteindre un résultat étranger à l’union matrimoniale ; que selon l’article 12 du code de la famille russe, le consentement libre et réciproque de l’homme et de la femme contractant mariage est nécessaire pour la conclusion de celui-ci, et que le mariage est déclaré nul en cas de violation de cette condition, ainsi qu’en cas de mariage fictif consistant en ce que les deux époux ou l’un d’entre eux a procédé aux formalités de mariage sans intention de fonder une famille ; qu’ainsi, la loi personnelle de chacun des époux exige pour la validité du mariage une intention de vivre une véritable union matrimoniale et de se soumettre aux droits et obligations légales qui en découlent ; que cette intention matrimoniale doit exister au jour de la célébration, et qu’il appartient à celui qui se prévaut de son absence pour obtenir l’annulation du mariage sur le fondement de l’article 180 du code civil d’en rapporter la preuve ; qu’en l’espèce, M. D… Y… soutient que Mme L… s’est mariée dans l’unique but d’obtenir un titre de séjour français et d’améliorer son confort de vie, et afin de le démontrer se prévaut, notamment de propos tenus en langue russe par son épouse lors de conversations Skype ; que le premier juge a justement estimé qu’il n’était pas démontré que la captation par M. Y… sur l’ordinateur familial de messages échangés par Mme L… avec certaines de ses amies ait été obtenue par violence ou par fraude ; que devant la cour, l’appelante prétend que M. Y… s’est livré à des trucages, falsifications et modifications délibérées de prétendues retranscriptions de conversations Skype ; qu’elle invoque un rapport d’une Sarl Belfort immatriculée en Russie dont l’activité est la production et la réparation d’ordinateurs et de matériel périphérique, improprement qualifié de « rapport d’expertise », aucun élément n’accréditant la qualité d’expert de son auteur ; que selon ce rapport traduit du russe par un traducteur assermenté, il est possible, exemple à l’appui, de modifier le contenu des données du fichier « main.db » affichées par le logiciel Skype grâce à une application DB Browser forSQLite ; que cependant, rien dans ce rapport ne permet de penser que M. Y… s’est effectivement livré à de telles falsifications, et surtout, qu’un constat d’huissier du 19 avril 2017 produit par ce dernier démontre d’une part qu’une modification volontaire du contenu du fichier historique « main.db » entraîne une mise à jour de sa date de modification, d’autre part, que le dernier message de Mme L… est daté du 6 avril 2015 ce qui correspond également à la date de la dernière modification ; qu’ainsi, aucun élément ne permet de remettre en question l’authenticité des conversations imprimées à partir du fichier historique « main.db » de Mme L… puis traduites du russe par une traductrice interprète ; que l’appelante ne fait d’ailleurs état d’aucune plainte déposée du chef de faux ; que certaines de ces conversations sont datées de mars 2013, alors que Mme L… était en France pour rencontrer pour la première fois M. Y… dont elle avait fait la connaissance sur un site Internet, d’autres de juillet 2013, alors qu’elle est installée chez M. Y… quelques semaines avant le mariage ; que les premiers messages montrent à la fois une anxiété de Mme L… face à aux attitudes de M. Y… (« ou bien il manque de patience, ou bien je ne lui conviens pas »), et une certaine attirance tempérée par la différence d’âge (« bien sûr je ne suis pas vraiment enthousiaste… en tant qu’homme et femme il me semble nous nous convenons – ma première impression – il est un peu vieux », puis 9 jours plus tard « je jouis de la France et de l’homme, il commence à me plaire beaucoup maintenant »), puis en juillet 2013, elle fait part de sa satisfaction (« Il cuisine vraiment très bien… Il me semble que je viens juste de commencer à vivre

Il fait tout ») ; qu’au cours de ces conversations, elle explique à une amie « fatiguée de ne pas avoir assez d’argent » et « prête à tout » comment s’inscrire via une intermédiaire russe vivant en France, sur un site permettant de rencontrer des Français, ajoutant qu’elle aussi en était « arrivée là », et indique qu’elle a rencontré M. Y… dès sa première connexion (conversation du 26 juin 2013) ; que le 22 juillet 2013, elle explique à une amie qu’elle pense être enceinte, mais que « D… ne veut pas d’enfant », qu’elle est « déchirée entre l’envie et la peur » et que s’il ne veut pas cela signifie qu’elle n’aura plus jamais d’enfants ; qu’elle reçoit également des conseils de sa « marieuse », Mme B…, qui en mars 2013 lui conseille d’obtenir un maximum d’impressions agréables, ajoutant « qu’il n’y a pas de mal à ne pas réussir du premier coup », lui rappelle que son objectif est de se faire aimer de lui, l’incitant à lui dire des mots doux, ajoutant qu’elle décidera une fois rentrée en Russie si elle veut répondre ou non à son amour ; que le 4 juin 2014 cette même marieuse, en réponse aux plaintes de Mme L… (seulement je finis par déraisonner… comment supporter tout ça, il me fais perdre mon équilibre), lui conseille d’attendre sa carte de résident de 10 ans, et que si c’est au dessus de ses forces, d’attendre sa prochaine carte de séjour d’un an ; que le 2 juillet 2014, Mme L… répond à sa mère qui lui propose de faire la connaissance d’un Anglais qui veut se marier avec une Russe de 26-34 ans, que ce n’est pas réaliste, que « c’est compliqué tout ça », et qu’à cause du stress perpétuel elle est « complètement perdue » ; qu’enfin, le 11 mai 2015, Mme L… a reçu un SMS d’une amie lui proposant de rencontrer un homme russe qui vit en France depuis 15 ans et rêve de fonder une famille ; que la famille et les amis de M. Y… ont attesté des efforts de celui-ci pour offrir une vie agréable à Mme L… et à son fils W…, et de l’absence de manifestation d’affection de celle-ci envers son mari en leur présence ; qu’ils témoignent également de ce que M. Y… manifestait son désarroi face au changement d’attitude de son épouse ; que selon attestation de Mme R… épouse E…, associée de Mme B…, Mme L… a, face à son étonnement d’un mariage décidé très vite avec le premier homme rencontré, déclaré en mai 2013 qu’elle ne cherchait pas l’amour, mais voulait se marier rapidement pour s’installer en France, pouvant trouver un autre homme en cas de soucis ; qu’il est certain que Mme L… souhaitait rencontrer un homme français et vivre en France, ce qui n’implique pas nécessairement qu’elle ait été dépourvue de toute intention matrimoniale à l’égard de M. Y… ; qu’il ne résulte pas des pièces produites qu’à la date de son mariage avec M. Y…, Mme L… n’avait pas la volonté de se soumettre aux obligations qui en résultent, soit la fidélité, le secours, l’assistance, la cohabitation, fonder une famille ; qu’elle souhaitait au contraire que son futur époux lui convienne, n’envisageait pas de poursuivre une grossesse sans son accord, et se projetait dans un avenir avec lui puisqu’elle pensait que s’il ne voulait pas d’enfant elle n’en n’aurait plus jamais ; qu’elle ait ou non éprouvé envers lui des sentiments amoureux est certes très important pour l’intimé et que la cour le comprend, mais est indifférent au regard du droit ; qu’il n’y a pas davantage lieu dans le cadre de l’instance en nullité de mariage de rechercher si des violences ont été commises durant le mariage et les raisons pour lesquelles Mme L… a quitté le domicile conjugal ; que les conditions dans lesquelles le mariage est intervenu, soit après seulement 10 jours passés ensemble fin mars 2013 puis le mois précédant la cérémonie ont pu ne pas suffire, nonobstant les échanges sur Skype, à déceler une incompatibilité de caractère ou une inadéquation des attentes réciproques dans le cadre de la vie commune ; que le défaut d’intention matrimoniale de Mme L… à la date du mariage n’est en conséquence pas démontré, que la décision déférée sera donc infirmée, l’action en nullité de mariage initiée par M. Y… étant rejetée, et par suite sa demande de dommages et intérêts ;

Alors que 1°) le mariage est nul, faute de consentement, dès lors que l’un des époux n’est pas animé par l’intention matrimoniale qui suppose la volonté de se conformer, postérieurement au mariage, aux droits et devoirs énoncés aux articles 212 et suivants du code civil ; qu’en l’espèce, M. Y… soutenait qu’il avait fait l’objet de violences physiques de la part de son épouse, sans aucune raison, immédiatement après le mariage, et que cette dernière, une fois son titre de séjour obtenu, avait quitté le domicile conjugal puis avait déposé plainte contre lui pour des faits de violences dénoncées de manière mensongère mais qui, en application de l’article L. 313-12 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, étaient la seule solution qui restait à Mme L… pour obtenir le renouvellement de son titre de séjour ; qu’en retenant par principe qu’il n’y avait pas lieu dans le cadre de l’instance en nullité de mariage de rechercher si des violences avaient été commises durant le mariage et les raisons pour lesquelles Mme L… avait quitté le domicile conjugal, la cour d’appel a refusé de prendre en compte des éléments de nature à établir l’absence de volonté de se conformer aux droits et devoirs des époux et ainsi méconnu les articles 146, 184, 212 et 215 du code civil ;

Alors que 2°) l’intention matrimoniale doit s’exprimer à l’égard de l’époux exclusivement, et non comme un projet à visée matérielle pouvant se concrétiser avec toute personne quelconque susceptible de satisfaire à cet objectif ; qu’après avoir constaté que Mme L… avait confié en mai 2013 « ne pas chercher l’amour mais vouloir se marier rapidement pour s’installer en France, pouvant trouver un autre homme en cas de soucis », ce dont il résultait qu’elle avait des intentions de mariage avec un homme quelconque de nationalité française à des fins matérielles, mais non d’intention matrimoniale spécifiquement à l’égard de M. Y… ; qu’après avoir ainsi admis que Mme L… poursuivait un but matériel, mais en retenant ensuite que cela n’impliquait pas nécessairement que cette dernière fût dépourvue de toute intention matrimoniale à l’égard de M. Y…, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant les articles 146, 184, 212 et 215 du code civil :

Alors que 3°) s’il y a eu erreur dans la personne ou sur ses qualités essentielles, l’autre époux peut demander la nullité du mariage ; qu’en supposant même qu’un époux entende se soumettre aux obligations du mariage, le fait que sa démarche soit exclusivement ou principalement mue par un intérêt matériel peut révéler une erreur sur ses qualités essentielles de nature à vicier le consentement de l’autre époux ; qu’en ne recherchant pas, ainsi qu’elle y était invitée (notamment conclusions, p. 5 et 6), si les motivations réelles de l’épouse, à savoir épouser n’importe quel homme français afin de s’établir en France, ne révélaient pas l’existence d’une erreur sur ses qualités essentielles ayant vicié le consentement de l’époux, qui cherchait pour sa part une relation sincère et désintéressée, la cour d’appel a privé son arrêt de base légale au regard 180 du code civil.

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