Cour de cassation, Chambre commerciale, 13 octobre 2021, 19-25.591, Inédit

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
Cass. com., 13 oct. 2021, n° 19-25.591
Juridiction : Cour de cassation
Numéro(s) de pourvoi : 19-25.591
Importance : Inédit
Décision précédente : Cour d'appel de Montpellier, 21 octobre 2019
Dispositif : Rejet
Date de dernière mise à jour : 6 mars 2024
Identifiant Légifrance : JURITEXT000044220523
Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2021:CO00706
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Texte intégral

COMM.

CH.B

COUR DE CASSATION

______________________

Audience publique du 13 octobre 2021

Rejet

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 706 F-D

Pourvoi n° J 19-25.591

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 13 OCTOBRE 2021

M. [T] [R], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° J 19-25.591 contre l’arrêt rendu le 22 octobre 2019 par la cour d’appel de Montpellier (2e chambre), dans le litige l’opposant :

1°/ à M. [Q] [J], domicilié [Adresse 3],

2°/ à la société PFH, société à responsabilité limitée,

3°/ à la société Proboat, société par actions simplifiée,

4°/ à la société Barcarès Yachting, société par actions simplifiée,

5°/ à la société CMB, société par actions simplifiée,

ayant toutes quatre leur siège [Adresse 4],

6°/ à la société Marine Center, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. [R], de la SCP Buk Lament-Robillot, avocat de M. [J] et des sociétés PFH, Proboat, Barcarès Yachting, CMB et Marine Center, et l’avis de Mme Gueguen, premier avocat général, après débats en l’audience publique du 6 juillet 2021 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller rapporteur, M. Guérin, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Montpellier, 22 octobre 2019), M. [J], gérant de la société PFH, qui contrôle la société Proboat, laquelle contrôle elle-même les sociétés CMB, Barcarès Yachting et Marine Center, après que des anomalies dans les comptes des sociétés du groupe ont été constatées, a confié à M. [G], expert-comptable, la mission de rechercher et d’évaluer les anomalies et fraudes dans la comptabilité des sociétés du groupe pour la période du 1er octobre 2013 au 30 septembre 2017. A la suite de cette enquête, reprochant à M. [R], commissaire aux comptes, de n’avoir pas mis en oeuvre les procédures d’audit dans le respect des normes d’exercice professionnel et de n’avoir pas consacré à cette mission le volume d’heures minimum qui lui aurait permis de détecter les fraudes, M. [J] et les sociétés PFH, Proboat, CMB, Barcarès Yachting et Marine Center (les sociétés du groupe) l’ont assigné en référé en vue d’obtenir qu’il soit relevé de ses fonctions de commissaires aux comptes.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. M. [R] fait grief à l’arrêt de rejeter la protection du secret professionnel soulevée par lui et de le relever de ses fonctions de commissaires aux comptes des sociétés Proboat, Barcarès Yachting, CMB et Marine Center, alors « que si le juge ne peut refuser d’examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à l’initiative de l’une des parties ; que pour retenir que M. [R] avait commis une négligence caractérisée dans l’audit des comptes des sociétés du groupe Proboat, la cour d’appel s’est exclusivement fondée sur les expertises amiables établies de façon non contradictoire par M. [G] à la demande des sociétés précitées ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé l’article 16 du code de procédure civile, ensemble l’article 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

3. L’arrêt relève que selon le rapport d’expertise privé établi par M. [G], expert-comptable, les procédures d’audit mises en oeuvre n’ont pas respecté certaines normes d’exercice professionnel, qu’il cite, dont l’application aurait permis la détection des fautes constatées. Il relève encore que M. [R] a produit un rapport d’expertise privé établi par un expert agréé par la Cour de cassation qu’il a sollicité, lequel se prononce sur le rapport de M. [G] et précise que, pour vérifier l’exécution par le commissaire aux comptes, dans le respect des normes d’exercice professionnel, des procédures de contrôle, il serait nécessaire de consulter le dossier de travail de M. [R], cependant partiellement communiqué.

4. Il en résulte que la cour d’appel ne s’est pas fondée sur les seules expertises établies de façon non contradictoire par M. [G].

5. Le moyen n’est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [R] aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [R] et le condamne à payer à M. [J] et aux sociétés PFH, Proboat, Barcarès Yachting, CMB et Marine Center la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du treize octobre deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour M. [R].

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu’il avait rejeté la protection du secret professionnel soulevée par M. [R] et d’avoir relevé ce dernier de ses fonctions de commissaire aux comptes des sociétés Proboat, Barcarès Yachting, CMB et Marine Center ;

AUX MOTIFS PROPRES QU’ « il résulte de l’article L. 823-7 du code de commerce que les commissaires aux comptes peuvent être relevés de leurs fonctions avant l’expiration normale de celles-ci, sur décision de justice, notamment en cas de faute ; qu’ainsi, une négligence caractérisée dans l’audit des comptes, qui est à l’origine de la non-révélation d’anomalies comptables, est de nature à justifier la révocation du commissaire aux comptes, tenant à la suspicion d’incompétence qu’elle fait naître chez son mandant ;

Que dans le cas présent, il est constant que diverses irrégularités dans la tenue de la comptabilité des sociétés du groupe Proboat ont été découvertes après le départ de l’ancien responsable administratif et financier de la société Proboat, le 30 mai 2017, puisque les rapports d’expertise privés établis par M. [G], expert-comptable, les 21 décembre 2017 et 5 avril 2018, ont mis en évidence des détournements, dont le montant a été finalement chiffré à 508 132 euros pour la période du 15 mars 2013 au 30 mai 2017, consistant en des détournements portant sur les recettes remontant des différents points de vente, non reversées en banque, qui avaient été masqués par des écritures comptables, essentiellement des frais d’intérêts fictifs ou des fausses factures de fournisseurs ;

Que comme le rappelle l’article L. 823-9 du code de commerce, le rôle du commissaire aux comptes est de certifier, en justifiant ses appréciations, que les comptes annuels sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat des opérations de l’exercice écoulé ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la personne ou de l’entité à la fin de cet exercice ; que M. [R] rappelle à juste titre que la certification des comptes ne conduit qu’à l’assurance raisonnable de ce que les comptes audités ne comportent pas d’anomalies significatives, la norme d’exercice professionnel (NEP) 200 définissant l’anomalie significative comme l’information comptable ou financière inexacte, insuffisante ou omise, en raison d’erreurs ou de fraude, d’une importance telle que, seule ou cumulée avec d’autres, elle peut influencer le jugement de l’utilisateur d’une information comptable ou financière ;

Que les sociétés du groupe Proboat reprochent, en premier lieu, à M. [R] d’avoir consacré à l’audit des comptes un nombre d’heures de travail insuffisant, ce qui révélerait une carence de sa part dans la mise en oeuvre des procédures de contrôle, ne lui ayant pas permis de déceler l’existence de détournements, qui se sont produits sur cinq exercices comptables successifs ;

Que l’article R. 823-12 du code de commerce définit, en fonction du montant du bilan de la personne ou de l’entité, augmenté des produits d’exploitation et des produits financiers hors TVA, le nombre d’heures de travail nécessaire à l’exécution de l’audit des comptes, en sorte qu’en l’espèce, M. [R] était tenu, hors dérogation du président de la compagnie régionale des commissaires aux comptes, de consacrer aux sociétés Proboat, Barcarès Yachting, CMB et Marine Center un nombre d’heures de travail compris, selon les cas, entre 50 et 80 heures, 70 et 120 heures, 120 et 200 heures, 180 et 360 heures ;

Qu’or l’intéressé ne justifie, pas, par la communication de son dossier de travail, qu’il a effectivement consacré à chacune des sociétés du groupe Proboat, pour les cinq exercices concernés (2011-2012, 2012-2013,2013-2014, 2014-2015 et 2016-2017), le nombre d’heures de travail nécessaire à l’exercice de sa mission, la norme NEP 230 obligeant en particulier le commissaire aux comptes à consigner dans son dossier les éléments qui permettent à toute autre personne ayant une expérience de la pratique de l’audit et n’ayant pas participé à la mission d’être en mesure de comprendre notamment la nature, le calendrier et l’étendue des procédures d’audit effectuées ; qu’il se borne à fournir des extraits de documents établis par ses soins pour les seuls exercices comptables clos les 30 septembre 2015 et 30 septembre 2016 incluant des programmes de travail prédéfinis, qui ne permettent pas d’apprécier les dates, lieux, durées et objets de ses interventions successives, sachant que sur trois dérogations présentées comme obtenues du président de la compagnie régionale, une seule se trouve justifiée (120 heures de travail pour l’audit des comptes de la société Marine Center au 30 septembre 2016 pour 120 heures au lieu de 180 heures minimum) ;

Que M. [R] ne pouvait, comme il l’a fait par courrier du 17 février 2018, refuser de communiquer à M. [J], président des sociétés Proboat, Barcarès Yachting, CMB et Marine Center, les éléments de son dossier de travail en invoquant le secret professionnel, alors précisément qu’un tel secret n’est pas opposable, conformément à l’article L. 823-16 du code de commerce, aux dirigeants des sociétés auditées à l’égard desquels le commissaire aux comptes est précisément tenu d’un devoir d’information ;

Qu’il est ensuite fait grief au commissaire aux comptes d’une absence de lettres de mission ayant ainsi privé les sociétés du groupe Proboat de la possibilité de discuter les termes du contrat ; qu’à cet égard, la norme NEP 210 dispose que pour favoriser le bon déroulement de la mission du commissaire aux comptes, il est nécessaire que ce dernier définisse les termes et conditions de ses interventions et qu’il consigne celles-ci dans une lettre de mission définissant en particulier la nature et l’étendue des interventions qu’il entend mener conformément aux normes d’exercice professionnel ; qu’en l’espèce, force est de constater que M. [R] ne communique que quatre lettres de mission au nom des sociétés Proboat, Barcarès Yachting, CMB et Marine Center afférentes aux exercices comptables clos le 30 septembre 2015, mais l’absence de lettres de mission n’a pas en soi d’incidence sur la non-révélation des irrégularités comptables en cause ;

Qu’enfin, dans le rapport d’expertise privé, qu’il a établi le 5 avril 2018, M. [G], expert-comptable, retient que les procédures d’audit mises en oeuvre pour répondre aux risques d’anomalies significatives n’ont pas respecté les normes d’exercice professionnel et que l’application de ces normes par le commissaire aux comptes aurait permis la détection des fraudes lors de l’audit des comptes de l’exercice clos le 30 septembre 2012, soit au plus tard le 15 mars 2013 ;

Qu’à cet égard, l’expert privé des sociétés Proboat évoque, tour-à-tour, le non-respect de la norme NEP 240 visant à la prise en considération de la possibilité de fraude lors de l’audit des comptes, de la norme NEP 265 visant à identifier les faiblesses du contrôle interne qui, si elles sont significatives, doivent être communiquées, par écrit, aux dirigeants, de la norme NEP 300 sur la planification de l’audit consistant notamment à prévoir les procédures à mettre en oeuvre, de la norme NEP 315 sur la connaissance de l’entité et de son environnement et l’évaluation du risque d’anomalies significatives dans les comptes par l’utilisation de techniques de contrôle, de la norme NEP 330 prévoyant, en cas d’évaluation du risque d’anomalies significatives au niveau des assertions, la mise en oeuvre de procédures d’audit complémentaires comprenant des tests de procédure et des contrôles de substance, de la norme NEP 500 définissant en particulier les techniques de contrôle et permettant aux commissaires aux comptes de collecter les éléments nécessaires dans le cadre de l’audit, de la norme NEP 505 sur les demandes de confirmation auprès des tiers des éléments collectés, de la norme NEP 520 sur les procédures analytiques, de la norme NEP 530 sur la sélection des éléments à contrôler, qui aurait pu pallier le non-respect de la norme précédente, et de la norme NEP 580 sur les déclarations de la direction, recueillies par le commissaire aux comptes ;

Que ces conclusions sont contestées par M. [R] qui, outre le caractère non contradictoire de ce rapport privé et le défaut d’inscription de son auteur sur la liste nationale des commissaires aux comptes, communique un rapport, également privé, de M. [W], expert agréé par la Cour de cassation, lequel conclut que la plupart des affirmations de M. [G] paraissent formulées sans l’objectivité nécessaire à la formulation d’un avis d’expert, que ces affirmations ne sont pas, dans les faits documentées et qu’il est impossible, à partir des travaux de celui-ci, de conclure à l’affirmation de manquements du commissaire aux comptes dans l’exercice de ses contrôles sur les comptes de la société Proboat et de ses filiales (sic) ; qu’il ajoute que trois normes d’exercice professionnel auraient dû également être citées dans le rapport présenté, la norme NEP 610 sur la prise de connaissance et l’utilisation des travaux de l’audit interne, la norme NEP 630 sur l’utilisation des travaux d’un expert-comptable intervenant dans l’unité et la norme NEP 910 sur la certification des comptes annuels des entités mentionnées à l’article L. 823-12-1 du code de commerce ;

Que si, en novembre 2015, une mission de présentation des comptes annuels des sociétés du groupe Proboat a été confiée au cabinet d’expertise-comptable Serra-Hudellet, il n’en demeure pas moins que la comptabilité était tenue par les services comptables de la société Proboat, laquelle avait bénéficié jusqu’à l’arrêté des comptes au 30 septembre 2014, de l’assistance de la société MSA Groupe alors actionnaire à 50%, par un responsable comptable salarié, M. [H], qui disposait d’une procuration sur les comptes ouverts à la Caisse d’épargne ; que M. [G] affirme que ce responsable comptable cumulait des fonctions (l’enregistrement avec le paiement des factures fournisseurs, l’enregistrement des factures de vente et des recettes avec le dépôt en banque des espèces, l’enregistrement des opérations bancaires avec l’émission des chèques et virements, le contrôle de ces opérations) qui, dans une structure de petite taille, auraient dû être séparées ; que l’analyse objective des tâches confiées à ce salarié aurait dû ainsi conduire le commissaire aux comptes, dans le respect de la norme NEP 265, à attirer l’attention, par écrit, de la direction sur les faiblesses du contrôle interne, d’autant qu’il existait un maniement significatif d’espèces au sein des sociétés du groupe ; qu’il ne pouvait se contenter des déclarations de la direction des sociétés Barcarès Yachting, CMB et Marine Center, notamment exprimées dans trois courriers des 10 février 2015 et 10 mars 2016, selon lesquelles un contrôle interne destiné à prévenir et détecter les erreurs et les fraudes avait été conçu et mis en oeuvre ;

Que pour l’expert privé des sociétés Proboat, le nombre élevé d’opérations frauduleuses ayant échappé au commissaire aux comptes tient pour l’essentiel au non-respect de la norme NEP 315 en raison de l’insuffisance des contrôles de substances, inspections, observations physiques, contrôles des procédures analytiques, tests de détails, qui ont ignoré, sur la période considéré, des éléments importants comme la concordance entre les tickets de caisse et les enregistrements comptables, la concordance arithmétique entre les relevés bancaires et les rapprochements bancaires, l’existence de pièces justificatives pour les nombreux frais bancaires comptabilisés et la réalité du débit bancaire de ces nombreux frais bancaires comptabilisés ; qu’il indique ainsi qu’un examen sommaire des procédures manuelles informatisées et de leur enregistrement comptable aurait permis de déceler, par exemple, les nombreuses différences entre les écritures comptables sur le logiciel Sage et les informations reçues des sites via le logiciel de caisse Menlog, l’absence sur les relevés bancaires de nombreux versements d’espèces préparés sur les sites de vente au détail et enregistrés manuellement sur cahier ou la présence de nombreux bordereaux de versements d’espèces, signés ou non, tamponnés ou non, enregistrés en comptabilité ou non, crédités en banque ou non, le fraudeur n’ayant même pas pris la précaution d’escamoter ces documents compromettants ;

Qu’il appartient à M. [R], tenu à cet égard d’une obligation de moyens, d’établir qu’il a mis en oeuvre les procédures de contrôle appropriées, permettant de déceler l’existence d’anomalies significatives dans les comptes, comme en l’occurrence des détournements de recettes ; que M. [W] lui-même admet que pour vérifier l’exécution par le commissaire aux comptes, dans le respect des normes d’exercice professionnel, des procédures de contrôle, il serait notamment nécessaire de consulter le dossier de travail de celui-ci ; or M. [R] verse seulement aux débats un document intitulé « analyse de Benford » (une loi mathématique destinée à détecter les fraudes financières ou comptables), qui ne concerne que la société CMB au titre de l’exercice 2013-2014, des questionnaires intitulés « trésorerie », « environnement de contrôle » et « système d’information » concernant encore la société CMB pour l’exercice comptable clos le 30 septembre 2017, ainsi qu’un autre document intitulé « synthèse générale du dossier de contrôle interne » toujours relatif à la société CMB au titre du même exercice comptable ;

Qu’il résulte de tout ce qui précède que M. [R], qui ne communique que des éléments parcellaires de son dossier de travail sans pouvoir légitiment opposer aux sociétés du groupe Proboat le secret professionnel, ne justifie pas de la mise en oeuvre des procédures de contrôle prévues par les normes d’exercice professionnel, qui auraient permis de détecter, lors de l’audit des comptes, les irrégularités finalement découvertes, consistant en des détournements de recettes pour plus de 500 000 euros, qui se sont échelonnées sur cinq exercices comptables successifs, alors surtout qu’il ne pouvait ignorer l’insuffisance du contrôle interne ; que l’incapacité dans laquelle il se trouve de justifier du temps de travail effectivement consacré à chacune des sociétés du groupe pour les cinq exercices concernés permet également d’en déduire des investigations insuffisantes dans le cadre de l’exercice de sa mission et donc, une négligence caractérisée de sa part dans l’audit des comptes ; que dans ces conditions, la décision du premier juge de le relever de ses fonctions de commissaire aux comptes sur le fondement de l’article L. 823-7 du code de commerce se trouve justifiée ;

que le jugement entrepris doit en conséquence être confirmé dans toutes ses dispositions (…) » ;

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE : « Sur les moyens des parties en droit Que selon l’article R. 823-5 du code de commerce, il est précisé que : « Dans les cas prévus aux articles L. 823-6 et L. 823-7, le Tribunal de commerce statue en la forme des référés sur la récusation ou le relèvement de fonctions d’un commissaire aux comptes. La demande de récusation ou de relèvement de fonctions est formée contre le commissaire aux comptes et la personne ou l’entité auprès de laquelle il a été désigné » ;

Que dans les conclusions du défendeur, celui-ci écrit, en substance : « l’action en relèvement de fonctions vise exclusivement à préserver l’efficience du contrôle légal en évitant le maintien d’un commissaire aux comptes dont l’incurie ou la mauvaise foi menace l’efficacité » ;

Que selon les mêmes conclusions du défendeur, la chambre commerciale de la Cour d’appel de Limoges, dans un arrêt du 1er avril 2006, précise que « seule peut justifier le relèvement, la faute commise de mauvaise foi ou celle qui révèle soit un manquement délibéré du commissaire aux comptes aux obligations tant légales que réglementaires régissant sa profession, soit son incurie » ;

Que par ailleurs, la Cour d’appel de Versailles, le 16 octobre 2009, a jugé que, « alors que des détournements importants avaient été opérés pendant 8 ans par un salarié, détournements révélés lors d’un contrôle fiscal, le commissaire aux comptes a gravement manqué, au sens de l’article L. 823-7 du code de commerce, aux obligations lui incombant, ce qui justifie son relèvement » ;

Que le rapport de l’expert, mandaté par la société, « récapitule de manière précise, les anomalies relevées et indique les raisons pour lesquelles le commissaire aux comptes ne pouvait manquer de détecter les anomalies en cause » (Cour d’appel de Lyon du 15 novembre 2007) ;

Que selon l’article L. 823-9 du code de commerce, « les commissaires aux comptes certifient que les comptes annuels sont réguliers et sincères » ;

Que selon le défendeur, « l’action en relèvement ne saurait avoir d’autre objectif que celui de la prévention », les fautes constatées empêchant la poursuite de la mission jusqu’au terme normal ;

Que la seule démonstration que des fautes ont été commises, ne peut conclure à elle seule à une défaillance du commissaire aux comptes ;

Mais que M. [T] [R] ne produit pas de pièces démontrant la mise en oeuvre de tests de contrôle énumérés dans les normes d’exercice professionnel ;

que la sincérité des comptes certifiés ne peut être retenue en l’espèce, et qu’il semble difficile de concevoir la poursuite d’une collaboration avec un commissaire aux comptes qui n’a pas été en mesure de déceler des détournements récurrents sur 5 exercices, détournements constatés au bout de six mois par le nouveau responsable financier ; et qu’au surplus, la production de tests et de contrôles par le défendeur, correspondant aux normes d’exercice professionnel, sont insuffisants pour lui permettre de soutenir le niveau de certification des comptes à un « seuil d’assurance raisonnable » ;

Qu’en conséquence, il convient de retenir en droit, la défaillance de M. [T] [R] dans ses fonctions de commissaire aux comptes, auprès des sociétés demanderesses ;

Sur les moyens des parties dans les faits ;

Que M. [G], expert mandaté par les demandeurs, a bien exercé les fonctions de commissaire aux comptes jusqu’en décembre 2017, puis les fonctions d’expert près la cour d’appel de Montpellier ;

Que le fait de n’avoir pas eu accès aux documents de travail de M. [T] [R], ne retire rien à la pertinence du constat de fraude, d’ailleurs non contesté par le défendeur ;

Que M. [T] [R], pour sa défense, avance la faiblesse du pourcentage de fraude par rapport au chiffre d’affaires du Groupe, argument qui ne saurait être retenu ;

Que la quasi-totalité des mouvements comptables frauduleux était constituée par la comptabilisation de fausses dépenses qui ont permis de compenser les virements enregistrés pour de faux montants ;

Que le respect strict des normes d’exercice professionnel aurait conduit à l’évidence, à la découverte de ces mouvements frauduleux ;

Que le secret professionnel du commissaire aux comptes est défini à l’article L. 822-15 du code de commerce ; qu’il précise que « sous réserve des dispositions de l’article L. 823-12, (relatives aux faits délictueux) et des dispositions législatives particulières, les commissaires aux comptes, ainsi que leurs collaborateurs et experts, sont astreints au secret professionnel pour les faits, actes et renseignements dont ils ont pu avoir connaissance à raison de leurs fonctions.

Toutefois ils sont déliés du secret professionnel à l’égard du président du Tribunal de commerce ou du Tribunal de Grande Instance lorsqu’ils font application des dispositions du chapitre IV du titre III du livre II ou du chapitre II du titre Ier du Livre VI. » ;

Que la chambre commerciale de la Cour de cassation, dans son arrêt du 14 novembre 1995, indique que « les commissaires aux comptes ne peuvent invoquer le secret professionnel auquel ils sont tenus, dans l’intérêt de la société bénéficiaire… » ;

Que concernant le secret professionnel, M. [T] [R] écrit : « en application de la doctrine de la CNCAC, je ne peux donner une suite favorable aux demandes transmises sans contrevenir au secret professionnel auquel nous sommes tenus » ;

Qu’à la barre, le défendeur a cependant indiqué accepter se soumettre aux demandes réitérées de la demanderesse, à présent que le tribunal s’en trouvait saisi ;

Qu’il convient de rejeter la protection du secret professionnel à l’encontre de la société bénéficiaire ;

Qu’il convient de retenir dans les faits, la défaillance de M. [T] [R] dans ses fonctions de commissaire aux comptes, auprès des demandeurs ;

Qu’en conséquence, il convient de relever M. [T] [R] de ses fonctions de commissaire aux comptes auprès des sociétés « PFH », Proboat, Barcarès Yachting, CMB et Marine Center, et de procéder à la nomination d’un autre cabinet exerçant ces fonctions, suite à la collaboration récente de Mme [P], commissaire aux comptes suppléant, avec M. [M] [Z], expert-comptable des sociétés concernées (…) » ;

ALORS QUE si le juge ne peut refuser d’examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à l’initiative de l’une des parties ; que pour retenir que M. [R] avait commis une négligence caractérisée dans l’audit des comptes des sociétés du groupe Proboat, la cour d’appel s’est exclusivement fondée sur les expertises amiables établies de façon non contradictoire par M. [G] à la demande des sociétés précitées ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé l’article 16 du Code de procédure civile, ensemble l’article 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

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