Cour de cassation, Chambre criminelle, 20 janvier 2021, 19-86.702, Inédit

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

N° J 19-86.702 F-D

N° 83

EB2
20 JANVIER 2021

REJET

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 20 JANVIER 2021

M. A… G… a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Rouen – chambre correctionnelle, en date du 4 septembre 2019, qui, sur renvoi après cassation (Crim. 25 octobre 2017, n°16-85.248 ), pour prise illégale d’intérêt, l’a condamné à 20 000 euros d’amende et a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires, en demande et en défense, et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Pauthe, conseiller, les observations de Me Carbonnier, avocat de M. A… G…, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la commune de […], et les conclusions de M. Valleix, avocat général, après débats en l’audience publique du 9 décembre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Pauthe, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Bétron, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. La commune de […] (Calvados) a engagé une réflexion sur la création d’un parc de loisirs sur des terrains lui appartenant sous l’impulsion de son maire M. G…, qui a présidé plusieurs réunions sur ce sujet, s’est prononcé en faveur de cette solution et a créé, à cette fin, une commission des loisirs qui a élaboré un appel à projet.

3. Un seul dossier, présenté par le fils et le gendre du demandeur, a été déposé et retenu par la commission.

4. Le 8 février 2012, en l’absence de M. G…, lequel a toutefois préparé la convocation à cette réunion et formalisé le procès-verbal de délibération, le conseil municipal a, sur la base d’un prix de 216 802 euros déterminé par l’administration des domaines en 2008, autorisé la cession des terrains à MM. R… G… et M… L… qui ont, le 30 mai suivant, comme la délibération le leur permettait, créé, pour se substituer à eux, la société Eole Aventure, dont M. G… et son épouse et la société civile immobilière Holding Freole, détenue intégralement par ces derniers, étaient propriétaires à hauteur de 38% des parts.

5. Le notaire en charge de la réalisation de la vente et devant lequel a été signé le compromis de vente le 19 mars 2012, a, en dépit des interventions du demandeur, refusé de poursuivre la procédure en raison du conflit d’intérêt existant.

6. L’acte authentique de vente a finalement été signé le 15 février 2013 devant un autre notaire, le prévenu et son épouse ayant, préalablement, le 4 octobre 2012, cédé leurs parts dans la société Eole Aventure, tout en restant cautions solidaires des emprunts contractés par la société postérieurement à cette cession.

7. Le procureur de la République a fait citer M. G… devant le tribunal correctionnel du chef de prise illégale d’intérêt, pour avoir à […], entre le 30 mai 2012 et le 4 octobre 2012, étant investi d’un mandat électif public, à savoir maire de la commune de […], pris, reçu ou conservé directement ou indirectement un intérêt quelconque dans une entreprise ou une opération dont il avait au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement, en l’espèce en prenant part à une opération commerciale dénommée « Eole Aventure » entraînant notamment la cession de terrains appartenant à la commune de […] au profit d’une société à constituer par son fils, G… R…, à savoir la société Eole Aventure, mais opération dans laquelle il est apparu qu’il était, lui-même G… A…, également directement intéressé puisqu’il était un associé de cette société Eole Aventure avec son épouse et que par ailleurs il était également associé d’une SCI Holding Freole dont il était le cogérant et associé avec son épouse à 100% en possédant chacun la moitié des parts sociales et ce alors que ladite SCI Holding Freole était elle-même associée de la société Eole Aventure.

8. Le tribunal correctionnel a déclaré M. G… coupable, l’a condamné à un an d’emprisonnement avec sursis ainsi qu’à payer à la commune de […] la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral.

9. Sur appel du prévenu et du ministère public, la cour d’appel de Caen, par arrêt du 6 juillet 2016, a confirmé le jugement sur la culpabilité et l’infirmant sur la peine, a condamné l’intéressé à 10 000 euros d’amende dont 5 000 euros avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.

10. Cet arrêt a été cassé par arrêt de la chambre criminelle en date du 25 octobre 2017 ayant ordonné le renvoi de la cause devant la cour d’appel de Rouen.

Examen des moyens

Sur le premier moyen pris en ses deuxième et troisième branches et le troisième moyen

11. Ils ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen pris en sa première branche

Enoncé du moyen

12. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré A… G… coupable du délit de prise illégale d’intérêts sur la période du 31 mai 2012 au 4 octobre 2012, alors :

« 1°/ que le maire est chargé d’exécuter les décisions du conseil municipal, et notamment de passer les actes de vente dans les formes requises par la loi ; que par décision du 8 février 2012, le conseil municipal de la commune de […] a décidé la cession de diverses parcelles au profit de MM. R… G… et M… L… ou toute personne morale s’y substituant ; que M. A… G…, en sa qualité de maire de la commune de […], devait donc exécuter cette décision du conseil municipal et procéder à la régularisation de la vente immobilière en la forme notariée; qu’en décidant cependant que M. A… G… aurait commis le délit de prise illégale d’intérêt en participant à une réunion informelle du 13 septembre 2012 en vue d’exécuter la décision du conseil municipal (arrêt, p. 10) lorsqu’il n’agissait que dans l’exercice de ses missions dévolues par la loi, la cour d’appel a violé l’article 432-12 du code pénal, ensemble l’article L. 2122-21 du code général des collectivités territoriales. »

Réponse de la Cour

13. Pour déclarer le prévenu coupable de prise illégale d’intérêts, l’arrêt attaqué énonce notamment, que, depuis l’année 2008 A… G… avait un intérêt personnel, au moins affectif et moral, à ce que l’opération de cession des terrains soit menée à bien au profit des membres de sa famille ou au profit des sociétés auxquelles ceux-ci étaient associés, qu’il a conservé cet intérêt pendant la période de prévention, complété par des intérêts financiers avec sa participation directe ou indirecte au contrôle des sociétés Eole Aventures et Holding Freole, et après la période de prévention en reprenant, après les avoir temporairement abandonnés, des intérêts financiers dans l’opération litigieuse.

14. Les juges ajoutent que, pendant la période visée dans la prévention, M. G… était maire de la commune de […], fonction impliquant la charge de la surveillance et de l’administration des terrains communaux, incluant la mise en oeuvre du projet de cession de terrains communaux aux sociétés Eole Aventures ou Holding Freole.

15. Les juges relèvent que M. G… est intervenu personnellement, en qualité de mandataire public, pour accomplir une démarche relative à la gestion communale de cette opération en participant à la réunion du 13 septembre 2012, tenue en Mairie avec plusieurs autres élus, en présence du notaire chargé de la cession des terrains, pour que soit discuté le caractère anormal du cumul de sa fonction de maire avec sa prise d’intérêt dans la cession de terrains de la commune.

16. Ils retiennent que le caractère informel de cette réunion n’empêche pas qu’elle avait bien pour objet l’expression de sa volonté face aux oppositions exprimées non seulement par le notaire, mais également par certains membres de l’équipe municipale, et qu’il s’agit donc bien d’une intervention directe, de la part de M. G…, dans l’activité de surveillance et d’administration, par la commune, de l’opération litigieuse.

17. Ils ajoutent qu’il avait revendiqué officiellement depuis plusieurs années sa volonté de mener à bien le projet de cession des terrains en faveur des membres de sa famille ou des sociétés contrôlées par ceux-ci ou par lui- même, qu’il s’est exprimé à ce propos dans les semaines suivant la fin de la période de prévention, et qu’il est à nouveau intervenu personnellement à l’occasion de décisions de la commune en 2013, concernant l’exercice du droit de préemption lors des rétrocessions des terrains entre les sociétés et les membres de sa famille.

18. Ils précisent que M. G… ne s’est pas mis en retrait de sa charge de surveillance et d’administration de l’opération de cession pour la période du 31 mai 2012 au 4 octobre 2012, alors que des demandes avaient été déposées auprès de la commune pour la bonne fin de cette opération, et alors qu’il est activement de nouveau intervenu dans les semaines suivant la fin de la période poursuivie.

19. Ils concluent que les éléments matériels du délit, résultant de la concomitance entre, d’une part, l’activité de surveillance et d’administration de l’opération, et d’autre part la prise ou la conservation d’intérêts personnels, financiers et/ou affectifs et moraux dans ladite opération, sont réunis à l’encontre de M. G….

20. En statuant ainsi, déduisant de la participation de M. G…, maire de la commune, à la réunion informelle du 13 septembre 2012 la part prise à la surveillance, au sens de l’article 432-12 du code pénal, de l’opération litigieuse de cession de parcelles, propriété de la commune, caractérisant ainsi le délit de prise illégale d’intérêt à son encontre, la cour d’appel a justifié sa décision.

21 . Dès lors, le moyen doit être écarté.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

22. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a condamné M. G… à 20 000 euros d’amende alors « qu’en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de son auteur et de sa situation personnelle ; que la cour d’appel a condamné M. A… G… à une amende délictuelle en se prononçant par les motifs repris au moyen ; qu’en statuant de la sorte, sans s’expliquer sur la personnalité du prévenu ou sa situation personnelle, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 132-1 du code pénal et 485 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

23. Pour condamner M. G… à une amende de 20 000 euros, l’arrêt attaqué retient les circonstances dans lesquelles la cession des terrains est intervenue et le fait que M. G…, maire de la commune, a continué d’intervenir pour la mise en oeuvre de cette cession malgré les oppositions, et que celui-ci, qui n’est plus maire de la commune depuis 2014, a produit des pièces relatives a ses ressources (pensions de retraite).

24. En l’état de ces énonciations, tenant suffisamment compte de la personnalité et de la situation personnelle de l’auteur des faits, la cour d’appel n’a pas méconnu les textes visés au moyen.

25. Dès lors le moyen ne saurait être accueilli.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi

Fixe à 2 500 euros la somme que M. G… devra payer à la commune de […] au titre de l’article 618-1 du code de procédure pénale.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt janvier deux mille vingt et un.



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