Cour de cassation, Chambre commerciale, 1 juin 2022, 19-20.999, Publié au bulletin

  • Qualification au sens du droit communautaire·
  • Notification au ministre chargé de la santé·
  • Comportement raisonnablement prévisible·
  • Pratique concurrentielle inédite·
  • Pratique anticoncurrentielle·
  • Abus de position dominante·
  • Autorité de la concurrence·
  • Médicaments à usage humain·
  • Produits pharmaceutiques·
  • Applications directes

Chronologie de l’affaire

Résumé de la juridiction

L’Autorité de la concurrence, saisie de comportements pouvant être prohibés au regard des articles 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et L.420-2 du code de commerce, n’excède pas sa compétence en analysant la réglementation juridique afférente au secteur concerné par les pratiques qui lui sont dénoncées et qu’il lui revient de qualifier et, le cas échéant, de sanctionner, dès lors qu’elle ne se livre pas, pour procéder à cette analyse, à des appréciations scientifiques relevant d’une autorité sanitaire L’omission de la notification du rapport prévue à l’article L. 463-2, alinéa 2, du code de commerce au ministre chargé de la santé, formalité requise par ce texte, n’entraîne pas l’annulation de la décision de l’Autorité de la concurrence, si cette omission n’a pas pu avoir d’influence sur le sens de la décision de l’Autorité, ce qu’il appartient à la cour d’appel de vérifier Les termes « médicament générique » et « spécialité générique » sont définis de façon identique à l’article 10, § 2, sous b), de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001, dans sa version résultant de la directive 2004/27/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 la modifiant, et à l’article L.5121-1, 5°, du code de la santé publique, de sorte qu’un médicament ne peut à la fois être qualifié de médicament générique, au sens du droit de l’Union européenne, et se voir dénier la qualité de spécialité générique, au sens du droit national. Ainsi, si une spécialité s’est vu reconnaître, par une décision de la Commission européenne, la qualité de médicament générique, au sens de la directive 2001/83/CE, dans sa version résultant de la directive 2004/27/CE, la qualité de spécialité générique, au sens des articles L. 5121-1, 5°, du code de la santé publique, qui définit cette notion, et L. 5121-10 du même code, qui prévoit l’inscription au répertoire des groupes génériques des spécialités génériques dont la mise sur le marché a été autorisée, ne peut pas lui être déniée par les autorités nationales Le comportement d’une entreprise, qui ne se limite pas à faire des préconisations scientifiques sur les modalités de substitution des génériques au princeps, est, en raison de sa responsabilité particulière née de sa position dominante sur le marché en cause, constitutif d’un abus de cette position lorsque cette entreprise soulève, devant une autorité sanitaire, une analyse juridique dont elle sait ou doit savoir qu’elle est contraire à l’interprétation des textes applicables, que le débat ainsi ouvert est susceptible d’entraver le libre jeu de la concurrence sur le marché dominé, et que l’ analyse soulevée ne s’insère pas dans un débat d’intérêt général relatif aux conséquences sanitaires de l’entrée sur le marché d’un nouveau médicament, mais dans une stratégie visant à retarder le développement sur ce marché de produits concurrents. Dans ces conditions, la condamnation de l’entreprise en cause à une sanction pécuniaire ne méconnaît pas le principe de la libre recherche scientifique et ne porte pas une atteinte injustifiée et disproportionnée au droit à la liberté d’expression, au regard de la nécessité de préserver l’ordre public concurrentiel, lequel garantit le droit des entreprises à une concurrence non faussée, également protégé par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme Le caractère inédit d’une pratique anticoncurrentielle dont les diverses manifestations possibles, compte tenu de leur variété et complexité, ne sont pas énumérées de façon exhaustive ni dans le droit de l’Union européenne, ni dans le droit interne, n’empêche pas sa sanction, dès lors que la prohibition des comportements litigieux était raisonnablement prévisible pour l’opérateur en cause

Chercher les extraits similaires

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

COMM.

FB

COUR DE CASSATION

______________________

Audience publique du 1er juin 2022

Rejet

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 360 FS-B

Pourvoi n° T 19-20.999

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 1ER JUIN 2022

1°/ La société Janssen-Cilag, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ la société Johnson & Johnson, société de droit étranger, dont le siège est [Adresse 5] (États-Unis),

ont formé le pourvoi n° T 19-20.999 contre l’arrêt rendu le 11 juillet 2019 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 7), dans le litige les opposant :

1°/ à la présidente de l’Autorité de la concurrence, domiciliée [Adresse 2],

2°/ au ministre chargé de l’Economie, domicilié [Adresse 7],

3°/ au procureur général près la cour d’appel de Paris, domicilié [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l’appui de leur pourvoi, les six moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Champalaune, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat des sociétés Janssen-Cilag et Johnson & Johnson, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la présidente de l’Autorité de la concurrence, et l’avis de Mme Beaudonnet, avocat général, à la suite duquel le président a demandé aux avocats s’ils souhaitaient présenter des observations complémentaires, après débats en l’audience publique du 5 avril 2022 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Champalaune, conseiller rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller, Mmes Comte, Bessaud, Bellino, M. Regis, conseillers référendaires, Mme Beaudonnet, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte aux sociétés Janssen-Cilag et Johnson & Johnson du désistement de leur pourvoi en ce qu’il est dirigé contre le procureur général près la cour d’appel de Paris.

Faits et procédure

2. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 11 juillet 2019), par décision n° 17-D-25 du 20 décembre 2017, l’Autorité de la concurrence (l’Autorité), considérant que la société Janssen-Cilag, qui commercialise un médicament princeps constitutif d’un dispositif transdermique de fentanyl appelé Durogesic, s’était, au cours de l’année 2008, immiscée indûment dans la procédure nationale d’examen des demandes d’autorisation de mise sur le marché (AMM) portant sur les spécialités produites par la société Ratiopharm, par une intervention juridiquement infondée auprès de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (l’AFSSAPS), devenue depuis l’Agence nationale de sécurité du médicament, (l’ANSM), afin de convaincre cette dernière de refuser l’octroi, au niveau national, du statut de générique aux spécialités concurrentes de Durogesic en dépit de l’obtention de ce statut au niveau européen, et avait, une fois ces autorisations octroyées, diffusé, jusqu’à mi-août 2009, un discours dénigrant sur les spécialités Ratiopharm auprès de professionnels de santé exerçant en milieu hospitalier et en ville, a infligé une sanction pécuniaire à la société Janssen-Cilag, ainsi qu’à la société Johnson & Johnson, en qualité de société mère, pour abus de position dominante entrant dans le champ d’application des articles 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et L. 420-2 du code de commerce.

3. Saisie d’un recours contre cette décision, la cour d’appel de Paris a réformé, en le réduisant, le montant de la sanction.

Examen des moyens

Sur le cinquième moyen, ci-après annexé

4. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Les sociétés Janssen-Cilag et Johnson & Johnson font grief à l’arrêt de rejeter le moyen d’annulation de la décision de l’Autorité pris de l’incompétence de celle-ci pour apprécier les arguments juridiques développés par la société Janssen-Cilag devant l’AFSSAPS et, par voie de réformation de cette décision, de leur infliger une sanction pécuniaire d’un montant de 21 millions d’euros, alors :

« 1°/ que le directeur général de l’AFSSAPS, auquel les articles L. 5121-10 et R. 5121-5 du code de la santé publique attribuent une compétence exclusive pour se prononcer sur l’identification d’un médicament comme une spécialité générique et sur son inscription au répertoire des groupes génériques, est seul compétent pour apprécier, sous le contrôle du juge administratif, le bien fondé, au regard des normes du code de la santé publique, des arguments juridiques et scientifiques soulevés par un laboratoire pharmaceutique dans le cadre de l’instruction préparatoire à l’édiction de telles décisions ; que l’Autorité n’a pas pour mission légale de veiller au respect des règles de santé publique ; qu’il s’ensuit que lorsque le directeur général de l’AFSSAPS a pris, en application des textes susvisés, une décision reconnaissant le bien-fondé des arguments soulevés par un laboratoire pharmaceutique, l’Autorité ne saurait, sans outrepasser les compétences que lui attribuent les articles L. 461-1 et L. 462-6 du code de commerce, se faire elle-même juge de la légalité des arguments juridiques soulevés par ce laboratoire au regard des normes du droit pharmaceutique ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté que le directeur général de l’AFSSAPS avait édicté le 28 juillet 2008 une décision par laquelle il avait refusé en l’état d’identifier les spécialités Ratiopharm comme médicaments génériques en vue de leur inscription au répertoire des groupes génériques, compte tenu de l’absence de démonstration suffisante de l’identité de la quantité de substance active libérée dans l’organisme entre les spécialités Durogesic et celles de Ratiopharm ; qu’il s’évinçait ainsi des termes de cette décision que son auteur avait nécessairement considéré qu’il disposait bien du pouvoir d’appréciation que la société Janssen-Cilag l’avait invité à exercer ; qu’en jugeant néanmoins que l’Autorité n’avait pas outrepassé sa compétence en appréciant elle-même le bien-fondé de l’argumentation juridique soulevée par le laboratoire Janssen-Cilag devant le directeur général de l’AFSSAPS sans se considérer liée par l’analyse juridique que ce dernier avait pu suivre dans le cadre du dossier des spécialités Ratiopharm, au motif que la mission de répression des pratiques anticoncurrentielles confiée à l’Autorité impliquerait une plénitude de compétence, qui ne saurait être entravée en la rendant captive d’une analyse juridique retenue par une autre autorité administrative, cependant que le directeur général de l’AFSSAPS était exclusivement compétent pour exercer le contrôle de la conformité de l’argumentation juridique soutenue devant lui aux normes du droit pharmaceutique, la cour d’appel a violé les articles L. 5121-10 et R. 5121-5 du code de la santé publique et les articles L. 461-1 et L. 462-6 du code de commerce ;

2°/ que l’Autorité était d’autant moins compétente pour faire prévaloir sa propre appréciation de la légalité de l’argumentation juridique soulevée par le laboratoire Janssen-Cilag devant le directeur général de l’AFSSAPS au regard des normes du droit pharmaceutique sur celle qu’en avait faite cette autorité sanitaire qu’une telle appréciation n’était pas dissociable d’un jugement sur la légalité de la décision administrative du 28 juillet 2008 par laquelle l’AFSSAPS avait fait droit à cette argumentation ; que l’Autorité avait énoncé dans sa décision qu’un laboratoire pharmaceutique en position dominante « ne peut pas s’immiscer indûment dans le processus décisionnel d’une autorité de santé, en présentant à cette dernière des arguments de nature à l’inciter à adopter une décision contraire au cadre juridique s’imposant à elle » et que tel était le cas en l’espèce puisque "l’agence française de santé ne disposait d’aucune marge de manoeuvre pour revenir sur ce statut [de médicament générique], reconnu par la décision du 23 octobre 2007 de la Commission européenne« , de sorte qu’elle »était tenue d’accorder une AMM nationale reconnaissant le statut de générique aux spécialités génériques de fentanyl transdermique de Ratiopharm et d’en tirer les conséquences juridiques en les inscrivant au répertoire des génériques« et que »sur les sollicitations de Janssen-Cilag, l’AFSSAPS a réuni des groupes de travail – le GTMG et le GTNPA – revenant indûment sur le statut de générique de ces spécialités« , puis »a alors rendu, le 28 juillet 2008, des décisions d’AMM concernant ces spécialités mais en refusant leur inscription au répertoire des génériques" ; qu’en affirmant néanmoins que l’Autorité n’avait pas outrepassé ses compétences dès lors qu’elle ne s’était pas prononcée sur la légalité des décisions prises par le directeur général de l’AFSSAPS, cependant qu’il ressortait des énonciations mêmes de la décision attaquée que l’examen du bien-fondé de l’argumentation soulevée par le laboratoire à laquelle l’Autorité s’était livrée n’était pas détachable d’une appréciation de la légalité de la décision administrative du 28 juillet 2008 par laquelle le directeur général de l’AFSSAPS y avait fait droit, la cour d’appel a violé derechef les textes susvisés ;

3°/ que la cour d’appel a elle-même énoncé que « dès lors que les spécialités Ratiopharm se sont vu reconnaître, par la décision de la Commission, la qualité de médicament générique, au sens de la directive 2001/83, dans sa version résultant de la directive 2004/27, la qualité de spécialité générique, au sens des articles L. 5121-1, 5° et L. 5121-10 du code de la santé publique, ne pouvait pas leur être déniée par les autorités nationales, et notamment l’AFSSAPS » , de sorte que son directeur général était « tenu, en vertu du dernier de ces articles, de les inscrire au répertoire des groupes génériques en tant que génériques de Durogesic », que « le débat concernant la qualité de générique des spécialités Ratiopharm, indûment soulevé par la société Janssen-Cilag, a parasité les travaux de l’AFSSAPS, l’empêchant de répondre d’emblée à la seule question pertinente de l’encadrement de la substitution » et qu’ainsi, « au lieu de se concentrer sur les modalités d’encadrement de la substitution en cours de traitement, l’AFSSAPS a consacré une partie de sa réflexion et de son temps à se demander si les spécialités Ratiopharm étaient des génériques de Durogesic, alors même que cette analyse avait été déjà faite par les autorités de l’Union, dont la décision s’imposait à elle » ; qu’en l’état de ces énonciations, qui font ressortir que l’examen du bien-fondé de l’argumentation juridique soulevée par le laboratoire Janssen-Cilag devant le directeur général de l’AFSSAPS n’était pas détachable d’une appréciation, fût-elle incidente, de la légalité de la décision administrative du 28 juillet 2008 par laquelle le directeur général de l’AFSSAPS y avait fait droit, la cour d’appel de Paris ne pouvait, sans méconnaître le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, se livrer elle-même à cette appréciation, qui relevait de la compétence exclusive de la juridiction administrative et qu’elle aurait dès lors dû interroger par voie préjudicielle avant d’entrer en voie de répression ; qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé l’article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

4°/ qu’en outre, lorsque la résolution d’une question de droit européen de la concurrence dépend au moins pour partie de la solution d’une question préalable imposant d’examiner la licéité de certaines pratiques au regard d’une législation interne ou européenne de droit pharmaceutique dont l’interprétation est discutée, la résolution de cette question préalable ne relève pas de la compétence des autorités nationales de concurrence, mais de celle des seules autorités administratives spécialisées dans cette matière sous le contrôle de leur propre juge et, pour autant qu’un tel examen a été effectué par ces dernières, les autorités nationales de concurrence sont tenues de se conformer à leurs décisions (CJUE, 23 janvier 2018, [Localité 4] C-179/16, §§. 60 et 61) ; qu’en l’espèce, l’Autorité avait fondé sa décision sur la considération générale d’après laquelle « l’immixtion d’une entreprise en position dominante dans le processus décisionnel d’une autorité publique est susceptible de constituer un abus de position dominante contraire aux articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce, dans la mesure où cette intervention est indue, en ce qu’elle est juridiquement infondée, et qu’elle vise à convaincre l’autorité publique de prendre une décision qu’elle ne devrait pas prendre » et avait, en l’espèce, considéré que « le laboratoire Janssen-Cilag est intervenu de façon indue auprès de l’AFSSAPS afin de la convaincre de refuser l’octroi au niveau national du statut de générique aux spécialités concurrentes de Durogesic, en dépit de l’obtention de ce statut au niveau européen », de sorte que « les interventions répétées de Janssen-Cilag devant l’agence nationale de santé ont conduit l’AFSSAPS à ne pas procéder à l’identification des spécialités de fentanyl transdermique comme génériques de Durogesic à l’occasion de la délivrance des AMM de ces spécialités en juillet 2008 » « constat », selon elle, « suffisant pour fonder une pratique d’abus de position dominante » ; qu’en jugeant que l’Autorité n’avait pas outrepassé sa compétence dès lors qu’elle avait le devoir de replacer les pratiques incriminées dans leur contexte juridique, cependant qu’il résultait des énonciations précitées de la décision attaquée que l’Autorité ne s’était pas bornée à déterminer le « cadre juridique » dans lequel s’était inscrit l’intervention du pharmacien responsable de la société Janssen-Cilag auprès de l’AFSSAPS, mais avait directement déduit l’existence d’un abus de position dominante du constat d’après lequel le laboratoire Janssen-Cilag était, selon elle, parvenu à convaincre l’autorité de santé de prendre une décision qu’elle n’aurait pas dû prendre au regard des normes du droit pharmaceutique, la cour d’appel a derechef violé les articles L. 5121-10 et R. 5121-5 de ce code et les articles L. 461-1 et L. 462-6 du code de commerce, ensemble l’article 102 du TFUE ;

5°/ qu’enfin, la distinction faite par la cour d’appel entre les appréciations de caractère juridique, pour lesquelles l’Autorité disposerait d’une plénitude de compétence, et les appréciations de caractère scientifique, qui ne relèvent que de la compétence d’une autorité spécialisée telle que l’AFSSAPS, est étrangère à la jurisprudence Hoffmann-Laroche, qui a bien affirmé l’incompétence des autorités nationales de concurrence pour trancher elles-mêmes la question de la légalité d’une pratique au regard des dispositions internes et communautaires de droit pharmaceutique ; qu’en tant que l’article L. 5121-1, 5° du code de la santé publique définit la notion de médicament générique par référence à des critères tirés de notions scientifiques telles que celle de « bioéquivalence démontrée par des études de biodisponibilité appropriées », son interprétation et sa mise en oeuvre pratique sont elles-mêmes indissociables de considérations de nature scientifique et impliquent une expertise de cette nature ; qu’en opposant les appréciations de caractère juridique, pour lesquelles l’Autorité disposerait d’une plénitude de compétence, et les appréciations de caractère scientifique, quand une telle distinction n’était pas de nature à justifier la compétence prétendue de l’Autorité de substituer sa propre appréciation du bien-fondé de l’argumentation juridique soulevée par le laboratoire Janssen-Cilag devant le directeur général de l’AFSSAPS à l’appréciation que ce dernier en avait faite dans le cadre du dossier des spécialités Ratiopharm, la cour d’appel a violé les articles L. 5121-10 et R. 5121-5 de ce code et les articles L. 461-1 et L. 462-6 du code de commerce, ensemble le principe d’indépendance des législations. »

Réponse de la Cour

6. L’arrêt rappelle que l’Autorité, qui peut être saisie de toute pratique susceptible de constituer une infraction aux règles de concurrence, quel que soit le secteur d’activité concerné, a le devoir, aux fins d’apprécier leur éventuel caractère anticoncurrentiel, de replacer les pratiques incriminées dans leur contexte juridique – qui diffère suivant le marché sur lequel les pratiques se déroulent – et factuel. Il en déduit que l’Autorité n’a pas outrepassé ses pouvoirs en déterminant, au préalable, le cadre juridique et factuel dans lequel s’inscrivait l’intervention de la société Janssen-Cilag auprès de l’AFSSAPS, sans se considérer liée par l’analyse juridique que celle-ci, ou son directeur général, avaient pu suivre dans le cadre du dossier des spécialités Ratiopharm, la question de savoir si, ce faisant, elle a fait une interprétation erronée des dispositions applicables ou une mauvaise appréciation du contexte factuel relevant de l’appréciation de la légalité interne de la décision attaquée. Il relève qu’en considérant que la décision de la Commission européenne avait définitivement tranché la question de la qualité de générique des spécialités Ratiopharm, au sens tant du droit de l’Union que du droit français, l’Autorité ne s’est pas immiscée dans le fonctionnement de l’AFSSAPS, dès lors que cette appréciation, portée en 2017, dans la décision contestée, n’a en rien empiété sur le traitement du dossier des spécialités Ratiopharm par cette autorité ou son directeur général dans le courant de l’année 2008 ni sur les décisions qu’ils ont pu prendre, et que l’Autorité, qui n’était saisie d’aucun recours contre les décisions de l’AFSSAPS ou de son directeur général et n’aurait d’ailleurs pas été compétente pour en connaître, ne s’est pas prononcée sur la légalité de ces décisions. Il estime également que l’Autorité était fondée à rechercher si les comportements de la société Janssen-Cilag, qui commercialisait le Durogesic depuis plusieurs années, ne tendaient pas à préserver sa position sur le marché des spécialités à base de fentanyl et que le fait que l’AFSSAPS fût, sans conteste, compétente pour délivrer des AMM aux spécialités Ratiopharm, et son directeur général pour les inscrire dans le répertoire des groupes génériques, n’interdisait nullement à l’Autorité d’apprécier si la société Janssen-Cilag s’était efforcée, par des moyens étrangers à une concurrence par les mérites, d’empêcher ou retarder ces délivrance et inscription. Il relève enfin que l’Autorité ne s’est, à aucun moment, prononcée sur l’éventuel caractère anticoncurrentiel des décisions de l’AFSSAPS ou de son directeur général, de sorte que la question de savoir si ces décisions sont détachables de l’exercice de prérogatives de puissance publique excluant la compétence de l’Autorité ne se pose pas.

7. L’arrêt énonce ensuite que s’il résulte de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) Hoffmann-Laroche C-179/16 du 23 janvier 2018 que la vérification de la conformité au droit de l’Union des conditions dans lesquelles un médicament est, du côté de la demande, prescrit par les médecins, et, du côté de l’offre, reconditionné en vue de son utilisation hors AMM, n’incombe pas aux autorités nationales de la concurrence, mais aux autorités ayant compétence pour contrôler le respect de la réglementation pharmaceutique, c’est parce qu’une telle vérification implique des appréciations complexes de nature scientifique. Il déduit qu’il n’en résulte pas l’impossibilité pour une autorité de concurrence d’établir le cadre juridique dans lequel se sont inscrites les pratiques sanctionnées.

8. En l’état de ces énonciations, constatations et appréciations, faisant ressortir que des appréciations scientifiques n’étaient pas requises, au cas d’espèce, pour analyser la réglementation juridique en cause et que l’Autorité ne s’était pas livrée à de telles appréciations, la cour d’appel, qui n’a méconnu ni les pouvoirs et attributions de l’AFSSAPS et de son directeur général, ni la séparation des pouvoirs, ni la jurisprudence de la CJUE sur les compétences respectives des autorités sanitaires et des autorités de concurrence, a, à bon droit, décidé que l’Autorité était compétente pour qualifier les comportements reprochés à la seule société Janssen-Cilag, au regard des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce dont elle est chargée de vérifier le respect et, le cas échéant, de sanctionner les pratiques qui y sont contraires.

9. Le moyen n’est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

10. Les sociétés Janssen-Cilag et Johnson & Johnson font grief à l’arrêt de rejeter le moyen d’annulation de la décision de l’Autorité pris du défaut de notification des actes d’instruction au ministre chargé de la santé et, par voie de réformation de cette décision, de leur infliger une sanction pécuniaire d’un montant de 21 millions d’euros, alors :

« 1°/ que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu’après avoir constaté que la décision de l’Autorité avait été prise au terme d’une procédure irrégulière au regard des dispositions de l’article L. 463-2 du code de commerce, faute pour le rapporteur ou le rapporteur général adjoint d’avoir notifié le rapport au ministre chargé de la santé, la cour d’appel a relevé d’office le moyen de défense tiré de l’application de l’article 70 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 et du principe dégagé par le Conseil d’Etat d’après lequel « un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie » (CE, Ass., 23 décembre 2011, [P], n° 335477), puis a considéré que le défaut de notification du rapport au ministre chargé de la santé n’avait privé les parties poursuivies d’aucune garantie et n’avait pu avoir d’influence sur le sens de la décision dès lors que l’Autorité disposait d’ores et déjà de l’éclairage le plus complet qui soit sur le cadre juridique et scientifique à la suite de l’audition des agents de l’AFSSAPS et de l’ANSM, de sorte que l’absence d’avis du ministre de la santé n’avait pu, en l’espèce, la priver d’éléments de compréhension dudit cadre ni, par conséquent, avoir une incidence sur son interprétation ; qu’en s’abstenant de rouvrir les débats pour provoquer les explications contradictoires des parties sur ce moyen relevé d’office, la cour d’appel a violé l’article 16 du code de procédure civile ;

2°/ qu’ en toute hypothèse, pour juger que le défaut de notification du rapport au ministre chargé de la santé n’était pas susceptible d’avoir exercé une influence sur le sens de la décision de l’Autorité, la cour d’appel a relevé que les rapporteurs avaient procédé à l’audition du chef du pôle juridique à la direction juridique et réglementaires de l’ANSM, d’un évaluateur au pôle réglementaire à la même direction, du responsable du département de l’évaluation pharmaceutique de l’AFSSAPS, d’un évaluateur à la direction générique et d’un évaluateur pharmacocinétique à la direction de l’évaluation de l’ANSM, de sorte que l’Autorité disposait d’ores et déjà de l’éclairage le plus complet qui soit sur le cadre juridique et scientifique par les agents de l’AFSSAPS et de l’ANSM ; qu’en se prononçant de la sorte, cependant qu’il résultait de ses propres constatations que l’AFSSAPS, ainsi que l’ANSM, qui lui a succédé, sont des établissements publics de l’Etat placés par l’article L. 5311-1 du code de la santé publique « sous la tutelle du ministre chargé de la santé », circonstance de droit dont il s’évinçait que les réponses que de simples agents de l’AFSSAPS et de l’ANSM avaient pu donner lors de leur audition par les services de l’instruction de l’Autorité ne pouvaient être tenues pour équipollentes à l’avis que le ministre chargé de la santé, autorité de tutelle de l’établissement dont relevaient ces agents, aurait lui-même pu donner s’il avait été mis en mesure de le faire par la communication du rapport, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales qui découlaient de ses propres constatations, a violé le texte susvisé, ensemble l’article 70 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 ;

3°/ qu’en jugeant que le défaut de notification du rapport au ministre chargé de la santé n’était pas susceptible d’avoir exercé une influence sur le sens de la décision de l’Autorité dès lors que celle-ci disposait déjà d’ores et déjà, au travers des auditions de plusieurs agents de l’AFSSAPS et de l’ANSM, de l’éclairage le plus complet qui soit sur le cadre juridique et scientifique dans lequel s’étaient déroulées les interventions reprochées à la société Janssen-Cilag, cependant qu’elle constatait par ailleurs que, par une décision du 28 juillet 2008, le directeur général de l’AFSSAPS avait délivré au laboratoire Ratiopharm les AMM demandées, mais avait refusé en l’état l’identification du fentanyl Ratiopharm comme médicament générique et son inscription au répertoire des groupes génériques, compte tenu de l’absence de démonstration suffisante de l’identité de la quantité de substance active libérée dans l’organisme entre les spécialités Durogesic et celles de Ratiopharm, circonstance dont il s’évinçait que le directeur général de l’AFSSAPS, supérieur hiérarchique des agents entendus par l’Autorité lors de son instruction, avait implicitement mais nécessairement considéré que l’AFSSAPS n’était pas, du fait de la décision de la Commission européenne du 23 octobre 2007 en situation de compétence liée pour décider de l’inscription au répertoire des groupes génériques des dispositifs transdermiques à base de fentanyl du laboratoire Ratiopharm, ce qui ne rendait que d’autant plus nécessaire de mettre le ministre chargé de la santé en mesure de faire connaître sa propre doctrine, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales qui découlaient de ses propres constatations, a derechef violé l’article L. 5311-1 du code de la santé publique, ensemble l’article 70 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 ;

4°/ qu’enfin l’article 70 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 et le principe dont il s’inspire d’après lequel « un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie » ne sont applicables au cas d’omission d’une procédure obligatoire qu’à la condition qu’une telle omission n’ait pas pour effet d’affecter la compétence de l’auteur de l’acte (arrêt [P], précité) ; qu’en relevant que l’Autorité, en sa qualité d’autorité administrative indépendante, n’est pas liée par les avis que les ministres intéressés peuvent lui transmettre, pour en déduire que l’éventuel avis du ministre chargé de la santé n’aurait pas été susceptible de modifier le sens de la décision attaquée, la cour d’appel s’est déterminée par un motif impropre à justifier sa décision, privant sa décision de base légale au regard du texte et du principe susvisés. »

Réponse de la Cour

11. En premier lieu, après avoir estimé que le ministre chargé de la santé était un ministre intéressé au sens de l’article L. 463-2, alinéas 1 et 2, du code de commerce et que la procédure suivie était, faute qu’il ait été procédé à la notification, à ce ministre, du rapport établi par les services d’instruction, irrégulière, la cour d’appel, qui était saisie d’un moyen de légalité externe de la décision de l’Autorité faisant valoir que la sanction de ce défaut de notification était la nullité, sans indiquer de quel texte celle-ci résultait, a relevé qu’aucune disposition légale ou réglementaire du code de commerce ne précisait les conséquences de cette irrégularité, ce dont elle a déduit, à juste titre, qu’il lui appartenait de les déterminer elle-même.

12. La sanction du vice de procédure relevé étant donc dans le débat, c’est sans méconnaître le principe de la contradiction qu’ayant retenu que le défaut de notification du rapport s’analysait comme un manquement à une consultation obligatoire au sens de l’article 70 de la loi n° 211-525 du 27 mai 2011 alors applicable, elle a, faisant application des règles dégagées par l’arrêt du Conseil d’Etat du 23 décembre 2011 [P], req. N° 335477, recherché si l’omission de la formalité en cause avait été susceptible d’exercer une influence sur la décision prise.

13. En second lieu, l’arrêt retient que les auditions d’agents de l’AFSSAPS et de l’ANSM, auxquelles il avait été procédé au cours de l’instruction, avaient éclairé suffisamment l’Autorité sur le cadre juridique et scientifique dans lequel les pratiques en cause avaient été relevées, de sorte que l‘absence d’avis du ministre chargé de la santé n’a pu, en l’espèce, la priver d’éléments de compréhension de ce cadre ni avoir une incidence sur son interprétation.

14. En l’état de ces seules énonciations et appréciations, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la quatrième branche, c’est souverainement que la cour d’appel a estimé que l’omission de la formalité requise n’avait pu avoir d’influence sur le sens de la décision de l’Autorité, ce dont elle a déduit qu’il n’y avait pas lieu de l’annuler.

15. Pour partie inopérant, le moyen n’est pas fondé pour le surplus.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

16. Les sociétés Janssen-Cilag et Johnson & Johnson font grief à l’arrêt de rejeter les moyens d’annulation de la décision de l’Autorité pris de ce que l’Autorité avait commis des erreurs de droit quant à la détermination du cadre réglementaire dans lequel s’était inscrite l’intervention du laboratoire Janssen-Cilag auprès de l’AFSSAPS desquelles résultait une inexacte qualification de cette intervention comme « juridiquement infondée » et de leur infliger une sanction pécuniaire, alors :

« 1°/ qu’en vertu de l’article 168, § 7 du TFUE, « l’action de l’Union est menée dans le respect des responsabilités des Etats membres en ce qui concerne la définition de leur politique de santé, ainsi que l’organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux » et « les responsabilités des Etats membres incluent la gestion de services de santé et de soins médicaux, ainsi que l’allocation des ressources qui leur sont affectées » ; que, par ailleurs, l’article 10 de la directive 2001/83/CE du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, dans sa version consolidée issue de la directive 2004/27/CE ne donne de la notion de « médicament générique », substituée à celle de « spécialité essentiellement similaire », une définition qui ne vaut qu'« aux fins du présent article », c’est-à-dire pour les seuls besoins de la détermination du contenu du dossier devant être remis aux autorités de santé en vue de l’obtention d’AMM, l’article 4 § 3 de la même directive précisant au surplus que les dispositions qu’elle renferme « n’affectent pas les compétences des autorités des Etats membres, ni en matière de fixation des prix des médicaments ni en ce qui concerne leur inclusion dans le champ d’application des systèmes nationaux d’assurance maladie, sur la base de conditions sanitaires, économiques et sociales, notamment en matière de remboursement » ; qu’il résulte de la combinaison de ces dispositions que, d’une part, les Etats membres de l’Union européenne jouissent d’une compétence exclusive pour déterminer les conditions et les procédures par lesquelles un médicament peut se voir reconnaître la qualité de médicament générique au sens et pour l’application de leur législation interne de sécurité sociale autorisant la substitution par les pharmaciens de médicaments génériques aux médicaments de référence et que, d’autre part, la décision, même prise sur la base de la procédure abrégée réservée aux spécialités génériques au sens de l’article 10 de la directive susvisée, par laquelle la Commission enjoint, en vertu de l’article 34 § 3 de cette directive, aux Etats membres concernés par une procédure de reconnaissance mutuelle d’AMM, de délivrer des AMM, n’a d’autorité de la chose décidée que dans les limites de son objet et ne saurait placer les autorités nationales de santé en situation de compétence liée pour trancher la question, distincte, de l’attribution pour la spécialité pharmaceutique concernée du statut de médicament générique conditionnant le droit de substitution du pharmacien prévu par leur législation interne ; qu’en affirmant néanmoins que, dès lors que les spécialités Ratiopharm s’étaient vu reconnaître par une décision de la Commission du 23 octobre 2007 la qualité de médicament générique, au sens de la directive 2001/83, dans sa version résultant de la directive 2004/27, le directeur général de l’AFSSAPS ne pouvait refuser de leur reconnaître la qualité de médicament générique au sens des articles L. 5121-1, 5° et L. 5121-10 du code de la santé publique et de procéder à leur inscription au répertoire des groupes génériques ouvrant le droit de substitution des pharmaciens, la cour d’appel, qui a ainsi attribué à la décision de la Commission une autorité de chose décidée qui excédait son propre objet, en méconnaissance des règles de répartition des compétences entre les organes de l’Union et les Etats membres, a violé l’ensemble des dispositions susvisées ;

2°/ que les articles L. 5121-10, alinéa 3, et R. 5121-5 du code de la santé publique ne confèrent qu’à l’AFSSAPS et à son directeur général la compétence pour identifier une spécialité pharmaceutique comme un médicament générique au sens de l’article L. 5121-1, 5° du même code et inscrire cette spécialité au répertoire des groupes génériques, sous la condition, s’il y a lieu, d’une mise en garde ; qu’aucune autre disposition légale ou réglementaire ne vient faire échec à cette compétence exclusive de l’AFSSAPS et au pouvoir qu’elle implique d’apprécier si le médicament en cause a bien la même composition qualitative et quantitative en substances actives que le médicament de référence, a la même forme pharmaceutique que le médicament de référence et fait la démonstration, par des études appropriées de biodisponibilité, de la bioéquivalence avec le médicament de référence ; qu’en relevant que l’article L. 5121-10, alinéa 3, du code de la santé publique n’avait pas subordonné l’inscription d’un médicament au répertoire des groupes génériques à d’autres conditions que la vérification de ce qu’il répond à la définition de la spécialité générique donnée à l’article L. 5121-1, 5° du même code et que ce dernier texte avait lui-même défini la spécialité générique en usant de critères similaires à ceux employés pour définir la notion de « générique » par l’article 10 de la directive 2001/83/CE du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, dans sa version issue de la directive 2004/27/CE, si bien qu’il serait « juridiquement incohérent », de la part du directeur général de l’AFSSAPS de dénier une qualification de médicament générique que la Commission européenne avait préalablement admise, la cour d’appel s’est déterminée par des motifs impropres à fonder l’existence d’une compétence liée du directeur de l’AFSSAPS par l’effet d’une décision prise par la Commission européenne en vertu de l’article 34 § 3 de la directive précitée, dont ce dernier texte restreint la portée à la seule délivrance de l’AMM ; qu’en se prononçant de la sorte, la cour d’appel a violé, par fausse interprétation, les articles L. 5121-10, alinéa 3, et R. 5121-5 du code de la santé publique, ensemble l’article L. 5121-1, 5° du même code ;

3°/ que l’article 10 de la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, dans sa version modifiée par la directive 2004/27/CE, n’ayant donné de la notion de médicament générique, substituée à celle de spécialité essentiellement similaire, une définition fonctionnelle qui ne vaut qu'« aux fins du présent article », c’est-à-dire pour les seuls besoins de la détermination du contenu du dossier devant être remis aux autorités de santé en vue de l’obtention d’AMM, il n’existe aucune « incohérence juridique » à ce que l’appréciation, par le directeur de l’AFSSAPS, de la démonstration, par des études appropriées de biodisponibilité, de la bioéquivalence du médicament en cause avec le médicament de référence soit exercée moyennant un standard d’exigence plus élevé, dès lors qu’il ne s’agit plus à ce stade de vérifier si ce médicament peut être mis sur le marché, ce qui est définitivement acquis, mais de déterminer s’il peut, sans danger et sans perte d’efficacité, être à tout moment substitué au médicament de référence pour des patients en cours de traitement ; qu’en énonçant qu’un médicament ne peut à la fois être qualifié de médicament générique, au sens du droit de l’Union et se voir dénier la qualité de spécialité générique, au sens du droit national, cependant qu’il résultait de ses propres constatations qu'"ainsi que le démontre la présente espèce, le constat de la biodisponibilité [lire : bioéquivalence] entre deux spécialités n’épuise pas toutes les questions liées à la substituabilité de l’une par l’autre", la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales qui découlaient de ses propres constatations, a violé derechef les articles L. 5121-10, alinéa 3, et L. 5121-1, 5° du code de la santé publique, ensemble l’article 10 de la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, dans sa version modifiée par la directive 2004/27/CE. »

Réponse de la Cour

17. L’arrêt retient d’abord que le droit de l’Union se borne à prévoir la possibilité d’accorder une AMM à un médicament reconnu comme le générique d’un médicament de référence ou de reconnaître, dans le cadre d’une procédure de reconnaissance mutuelle, une AMM délivrée par un Etat membre suivant la procédure abrégée édictée pour les médicaments génériques. Il constate que les termes « médicament générique » et « spécialité générique » sont définis de façon identique à l’article 10 § 2, sous b), de la directive 2001/83, dans sa version résultant de la directive 2004/27 la modifiant, et à l’article L. 5121-1, 5° du code de la santé publique qui définit la spécialité générique d’une spécialité de référence comme « celle qui a la même composition qualitative et quantitative en principe[s] actif[s], la même forme pharmaceutique et dont la bioéquivalence avec la spécialité de référence est démontrée par des études de biodisponibilité appropriées », ce même article précisant, depuis 2000, que la spécialité de référence et les spécialités qui en sont génériques constituent un groupe générique. Il relève que cette définition commune de la spécialité ou du médicament générique repose sur une liste exhaustive de trois conditions : avoir la même composition qualitative et quantitative en substances actives que le médicament de référence, avoir la même forme pharmaceutique que le médicament de référence et faire la démonstration, par des études appropriées de biodisponibilité, de la bioéquivalence avec le médicament de référence. Il en déduit que les notions scientifiques de « bioéquivalence » et de « biodisponibilité » ne sauraient recouvrer des concepts différents en droit de l’Union et en droit national. Il estime qu’il s’ensuit que les notions de médicament essentiellement similaire, au sens de la directive 2001/83, dans sa version antérieure à la directive 2004/27, de médicament générique, au sens de la directive 2001/83, dans sa version résultant de la directive 2004/27, de spécialité essentiellement similaire, au sens du code de la santé publique, dans sa version antérieure à un décret du 6 mai 2008, et de spécialité générique, au sens du code de la santé publique, tant avant qu’après l’entrée en vigueur de ce décret, ont la même signification. Il en déduit qu’un médicament ne peut à la fois être qualifié de médicament générique, au sens du droit de l’Union, et se voir dénier la qualité de spécialité générique, au sens du droit national.

18. L’arrêt retient ensuite qu’il résulte de la lecture combinée des articles 10 et 28 à 34 de la directive 2001/83, modifiée par la directive 2004/27, qu’une procédure de reconnaissance mutuelle d’une AMM nationale délivrée à un médicament sur la base d’un dossier abrégé ne peut aboutir que si la qualité de générique d’un médicament de référence est reconnue à ce médicament, puisque la procédure abrégée est réservée aux médicaments génériques par l’article 10 de la même directive. Il relève qu’il est constant que les autorités allemandes ont, le 4 avril 2006, délivré des AMM aux spécialités Ratiopharm selon la procédure abrégée, en considérant qu’elles étaient des génériques des spécialités de Durogesic et que, sur la base de ces AMM, la société Ratiopharm a, le 6 juillet 2006, lancé une procédure de reconnaissance mutuelle, la France faisant partie des États membres concernés. Il observe que des désaccords sont apparus entre Etats membres portant notamment sur la question de savoir si la bioéquivalence des spécialités Ratiopharm avec les spécialités de Durogesic, médicaments de référence, était démontrée par des études appropriées de biodisponibilité, soit l’une des trois conditions exigées pour pouvoir qualifier un médicament de générique. Il observe encore qu’il résulte d’un avis du comité des médicaments à usage humain, qu’il cite, qu’a été examinée la question de savoir si les spécialités de Ratiopharm pouvaient être qualifiées de génériques des spécialités de Durogesic et qu’à l’issue d’une analyse scientifique, il a été conclu par l’affirmative. Il estime que, compte tenu de la date des travaux en cause, l’avis s’est référé à la définition du médicament générique figurant à l’article 10 § 2, sous b) de la directive 2001/83, dans sa rédaction résultant de la directive 2004/27. Il retient encore qu’il ne saurait être déduit de l’absence, dans la décision de la Commission européenne, du mot « générique » la preuve que les autorités de l’Union n’ont pas pris position sur la qualité de médicament générique des spécialités Ratiopharm et en déduit que ces spécialités se sont vu reconnaître, par une décision de la Commission, la qualité de médicament générique, au sens de la directive 2001/83, dans sa version résultant de la directive 2004/27. Il en déduit également que du fait de cette décision, la qualité de spécialité générique au sens des articles L. 5121-1, 5° du code de la santé publique, qui définit cette notion, et L. 5121-10 du même code, qui prévoit l’inscription au répertoire des groupes génériques des spécialités génériques dont la mise sur le marché a été autorisée, ne pouvait pas leur être déniée par les autorités nationales.

19. L’arrêt relève en outre qu’en droit de l’Union, la qualification de générique n’emporte aucune conséquence quant à la possibilité, -ou à l’obligation -, de substitution d’un générique au médicament de référence par les pharmaciens, seul le droit national de chaque Etat membre étant susceptible de prévoir un tel mécanisme de substitution, et, le cas échéant, de le rendre facultatif ou obligatoire, et retient que si, compte tenu de la décision de la Commission, l’AFSSAPS avait une compétence liée en ce qui concerne l’octroi d’une AMM aux spécialités Ratiopharm, la délivrance de ces autorisations, par décision du 28 juillet 2008, a suffi pour qu’elle respecte, à son niveau, les obligations de la France à l’égard de l’Union européenne. Il en déduit que l’éventuelle obligation d’inscrire les spécialités Ratiopharm dans le répertoire des groupes génériques ne pouvait découler que de l’article L. 5121-10, alinéa 3, du code de la santé publique. Il rappelle que l’article L. 5121-1, 5° de ce code définit la spécialité générique d’une spécialité de référence comme « celle qui a la même composition qualitative et quantitative en principe[s] actif[s], la même forme pharmaceutique et dont la bioéquivalence avec la spécialité de référence est démontrée par des études de biodisponibilité appropriées », et que ce même article précise, également depuis 2000, que la spécialité de référence et les spécialités qui en sont génériques constituent un groupe générique. Il relève que l’article L. 5121-10, alinéas 2 et 3, dans sa version résultant de la loi n° 2003-1199 du 18 décembre 2003 de financement de la sécurité sociale pour 2004, dispose que « Lorsque l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a délivré une autorisation de mise sur le marché d’une spécialité générique, elle en informe le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché de la spécialité de référence. Le directeur général de l’agence procède à l’inscription de la spécialité générique dans le répertoire des groupes génériques au terme d’un délai de soixante jours, après avoir informé de la délivrance de l’autorisation de mise sur le marché de celle-ci le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché de la spécialité de référence. […] ». Il relève que l’alinéa 1er de l’article L. 5125-23 du même code, dans sa version résultant de la loi n° 2001-1246 du 21 décembre 2001 de financement de la sécurité sociale pour 2002, dispose que « [l]e pharmacien ne peut délivrer un médicament ou produit autre que celui qui a été prescrit, ou ayant une dénomination commune différente de la dénomination commune prescrite, qu’avec l’accord exprès et préalable du prescripteur, sauf en cas d’urgence et dans l’intérêt du patient ». Il retient enfin que s’il eût été loisible au législateur français d’exiger, pour que soit autorisée une telle substitution, des conditions plus strictes que celles requises pour pouvoir qualifier une spécialité de générique, il ressort de l’article L. 5121-10, alinéa 3, du code de la santé publique qu’il faut et il suffit qu’un médicament réponde à la définition de spécialité générique figurant à l’article L. 5121-1,5° du même code pour pouvoir être inscrit dans le répertoire des groupes génériques.

20. En l’état de ces seules énonciations et appréciations, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la troisième branche, la cour d’appel, qui n’a méconnu aucun des principes ni textes invoqués par le moyen, mais a au contraire mis en oeuvre, conformément au principe d’effectivité du droit de l’Union, une interprétation des textes nationaux à la lumière de ce dernier propre à garantir la cohérence de l’ensemble des législations en cause, a statué à bon droit.

21. Pour partie inopérant, le moyen n’est pas fondé pour le surplus.

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

22. Les sociétés Janssen-Cilag et Johnson & Johnson font grief à l’arrêt de rejeter les moyens d’annulation de la décision de l’Autorité pris de l’absence de réunion des conditions requises pour qu’une intervention auprès d’une autorité publique constitue un abus de position dominante ainsi que de la légitimité de l’intervention de la société Janssen-Cilag auprès de l’AFSSAPS et de leur infliger une sanction pécuniaire, alors :

« 1°/ que le simple fait, de la part d’une entreprise en position dominante, de soumettre, dans des conditions exclusives de toute manipulation par fourniture d’informations factuelles trompeuses, une argumentation juridique contraire au droit positif existant ou supposé tel à une autorité administrative pleinement compétente pour en apprécier elle-même les mérites ne relève que de l’exercice normal de la liberté fondamentale d’expression qui doit gouverner le dialogue entre les entreprises et les administrations dont elles relèvent et ne saurait être regardé comme un abus au sens des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ; qu’en affirmant néanmoins que le fait pour une entreprise dominante de soutenir devant une autorité administrative une analyse juridique dont la fausseté ressort déjà de l’état du droit est susceptible de constituer un abus de position dominante et ne relève pas de l’exercice légitime des libertés fondamentales précitées, dès lors qu’il s’avère que le débat ainsi ouvert devant ladite autorité est susceptible d’entraver le libre jeu de la concurrence, la cour d’appel a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce, ensemble les articles 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 11 et 13 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

2°/ que, outre, le simple fait, de la part d’une entreprise en position dominante, de « soulever » un débat juridiquement infondé devant une autorité administrative pleinement compétente pour se livrer à une appréciation indépendante de ses mérites ne saurait par lui-même produire un effet anticoncurrentiel ; qu’en effet, si l’autorité administrative ne fait pas droit à cette argumentation, l’effet anticoncurrentiel ne se produit pas et, dans le cas contraire, c’est la décision administrative qui en reconnaît le bien-fondé qui fait obstacle à la qualification d’abus de position dominante, car c’est d’elle seule que procède l’éventuel effet restrictif de concurrence sur le marché ; qu’en jugeant néanmoins que c’est le fait même pour la société Janssen-Cilag d’avoir « soulevé » un débat juridiquement infondé devant le directeur de l’AFSSAPS qui était de nature à produire un effet anticoncurrentiel, compte tenu de l’aversion au risque des personnes chargées d’élaborer les décisions de l’AFSSAPS et de la tendance au ralentissement du processus décisionnel qui pouvait s’ensuivre, cependant qu’il ne relevait que de la responsabilité propre de cette autorité administrative de consacrer le temps et les moyens adéquats pour examiner les arguments soutenus, fussent-ils infondés, la cour d’appel, qui n’a par ailleurs constaté aucune manoeuvre déloyale imputable à la société Janssen-Cilag dans le cadre de sa communication avec cette autorité administrative, a violé de plus fort les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;

3°/ que si l’exercice par une entreprise en position dominante de voies contentieuses ne peut, dans une société démocratique, être qualifié d’abus au sens des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce que « dans des circonstances tout-à-fait exceptionnelles » (TUE, 17 juillet 1998, T-111/96, ITT Promedia) et aux conditions cumulatives de caractériser l’absence « manifeste » de tout fondement juridique des prétentions soutenues et leur insertion dans un plan d’ensemble visant à éliminer la concurrence (TUE, 13 septembre 2012, T-119/09, Protégé International, §. 57), ces conditions ne sauraient a fortiori être moindres lorsqu’il s’agit de rechercher si l’intervention d’une entreprise dominante devant une autorité administrative a pu revêtir le caractère d’un abus ; qu’en énonçant que "ne relève pas de l’exercice légitime de [la] liberté [d’expression], le fait pour une entreprise [en position dominante] d’intervenir dans le processus décisionnel d’une autorité publique en soulevant devant celle-ci une analyse juridique dont elle sait, ou doit savoir, qu’elle est contraire à l’interprétation constante des textes applicables« et en se contentant de citer une seule décision du Conseil d’Etat, elle-même impropre à établir l’existence d’une »jurisprudence constante", pour en déduire que la société Janssen-Cilag ne pouvait pas soutenir de façon juridiquement erronée que l’AFSSAPS aurait eu le pouvoir d’apprécier si les spécialités Ratiopharm devaient être identifiées comme médicaments génériques aux fins d’exercice du droit de substitution, quand il lui appartenait de caractériser l’absence manifeste de tout fondement de cette position et son insertion dans le cadre d’un plan ayant pour but d’éliminer la concurrence, la cour d’appel a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;

4°/ que dans son arrêt Reckitt-Benkiser du 21 décembre 2007, le Conseil d’Etat avait jugé que lorsque le directeur général de l’AFSSAPS a pris une première décision par laquelle il a délivré une AMM à un médicament en l’identifiant comme un médicament générique et que cette décision est devenue définitive par l’expiration du délai de recours gracieux ou contentieux, les tiers ne sont plus fondés à contester cette qualification de médicament générique à l’appui d’un recours contentieux dirigé contre la décision subséquente d’inscription de ce médicament au répertoire des génériques ; que cet arrêt, rendu sur une configuration factuelle dans laquelle il n’apparaissait pas que la Commission fût intervenue de quelque manière dans la procédure d’AMM, ne permettait pas de fonder avec évidence la position consistant à affirmer qu’au cas d’espèce, la décision du 23 octobre 2007 par laquelle la Commission avait enjoint aux Etats membres concernés de délivrer des AMM aux spécialités Ratiopharm aurait placé l’AFSSAPS en situation de compétence liée pour trancher de la question, distincte, de l’attribution pour les spécialités pharmaceutiques concernées du statut de médicament générique conditionnant le droit de substitution du pharmacien prévu par la législation interne et ne pouvait en toute hypothèse caractériser l’existence d’une « jurisprudence constante » en ce sens ; qu’en se fondant néanmoins sur cette unique décision du Conseil d’Etat, la cour d’appel s’est déterminée par des motifs impropres à caractériser « l’interprétation » prétendument « constante des textes applicables » qui aurait, selon elle, établi l’évidence d’un défaut de pouvoir du directeur général de l’AFSSAPS pour se prononcer sur la qualification de médicament générique des spécialités Ratiopharm, et a privé sa décision de base légale au regard des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;

5°/ que la circonstance que l’autorité administrative compétente a d’abord reconnu le bien-fondé de l’argumentation juridique qui lui était soumise en édictant une première décision dans le sens souhaité suffit par elle-même à exclure la qualification d’abus de position dominante, en tant qu’elle atteste de ce que l’absence de fondement de cette argumentation juridique n’était pas manifeste ; que l’arrêt attaqué a lui-même constaté que le directeur général de l’AFSSAPS avait édicté le 28 juillet une première décision par laquelle il avait délivré aux spécialités Ratiopharm les AMM demandées, mais refusé en l’état leur identification comme médicaments génériques en vue de leur inscription au répertoire des groupes génériques, compte tenu, était-il précisé, de l’absence de démonstration suffisante de l’identité de la quantité de substance active libérée dans l’organisme entre les spécialités Durogesic et celles de Ratiopharm ; qu’il s’évinçait ainsi des termes de cette décision que le directeur général de l’AFSSAPS avait nécessairement considéré qu’il disposait bien du pouvoir d’appréciation que la société Janssen-Cilag l’avait invité à exercer ; qu’en jugeant néanmoins, pour retenir l’existence d’un abus de position dominante, que dès l’instant où les requérantes reconnaissaient que des AMM devaient être délivrées aux spécialités Ratiopharm à l’issue d’une procédure abrégée dans laquelle leur qualité de générique de Durogesic avait été constatée par la Commission, elles ne pouvaient pas soutenir, sans méconnaître les articles L. 5121-1, 5° et L. 5121-10 du code de la santé publique, que lesdites spécialités ne devaient pas être inscrites au répertoire des groupes génériques et ne pouvaient donc ignorer – et en tout cas n’aurait pas dû ignorer – que le débat qu’elles ouvraient devant l’AFSSAPS quant à la qualité de générique des spécialités Ratiopharm reposait sur une analyse juridique qui ne pouvait plus être soutenue, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales qui découlaient de ses propres constatations, a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;

6°/ que l’infraction d’abus de position dominante doit, en toute hypothèse, être écartée lorsqu’un comportement d’éviction peut être considéré comme objectivement nécessaire pour des raisons touchant à la santé ou à la sécurité qui sont liées à la nature du produit considéré ; que cette condition de nécessité objective doit s’apprécier en se plaçant à la date des faits incriminés ; qu’en l’espèce, la société Janssen-Cilag faisait valoir que l’intervention de son pharmacien responsable auprès de l’AFSSAPS avait indéniablement servi la protection de la santé publique dès lors que les informations scientifiques qui avaient été communiquées à cette autorité avaient déterminé celle-ci à publier une mise en garde informant les professionnels de santé de l’impérieuse nécessité d’une surveillance médicale attentive des patients en cours de traitement en cas de changement de spécialité à base de fentanyl ; qu’après avoir elle-même relevé que l’Autorité ne contestait pas le droit, voire le devoir, qu’avait le pharmacien responsable de la société Janssen-Cilag de porter à la connaissance de l’AFSSAPS les préoccupations de santé publique que faisait naître, selon lui, la substitution de génériques aux spécialités de Durogesic et également constaté que l’intervention de cette société était légitime en tant qu’elle avait transmis à l’AFSSAPS ses préoccupations de santé publique liées à la substitution entre dispositifs transdermiques de fentanyl en cours de traitement, la cour d’appel a néanmoins jugé que l’ouverture devant cette autorité de santé d’un débat quant à la qualité de générique des spécialités Ratiopharm n’était pas objectivement nécessaire et proportionnée à un objectif de protection de la santé publique, dès lors que l’AFSSAPS « considérait » elle-même « qu’elle pouvait encadrer la substitution d’un médicament princeps par son générique » et n’était donc pas confrontée à une alternative entre reconnaître la qualité de générique et autoriser une substitution sans limite, ou dénier la qualité de générique et interdire toute substitution ; qu’en se prononçant de la sorte, cependant qu’elle relevait que le pouvoir de l’AFSSAPS d’assortir l’inscription d’un médicament au répertoire des groupes génériques d’une mise en garde n’avait été introduit dans l’ordre juridique qu’avec le décret du 6 mai 2008, lui-même postérieur à l’intervention du pharmacien responsable de Janssen-Cilag, et que ce pouvoir n’avait jamais été concrètement exercé auparavant même si l’AFSSAPS avait envisagé de se l’arroger, ce dont il résultait que l’état du droit demeurait à tout le moins incertain à l’époque des faits, la cour d’appel a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

23. Après avoir rappelé qu’est susceptible de constituer un abus le fait, pour une entreprise, de soutenir une analyse juridique dont la fausseté ressort déjà de l’état du droit, l’arrêt énonce que, si une entreprise en position dominante a droit au respect de sa liberté d’expression et doit pouvoir proposer à une autorité publique une analyse juridique dans un contexte où l’interprétation des textes légaux et réglementaires est encore incertaine, ne relève pas de l’usage légitime de cette liberté, l’intervention, par une entreprise en position dominante, dans le processus décisionnel d’une autorité publique, consistant à soulever, devant celle-ci, une analyse juridique dont elle sait ou devait savoir qu’elle est contraire à l’interprétation des textes applicables, lorsque le débat ainsi ouvert devant l’autorité concernée est susceptible d’entraver le libre jeu de la concurrence sur le marché dominé. Il relève que le retard de l’inscription des spécialités de la société Ratiopharm au répertoire des groupes génériques repoussait d’autant la mise en oeuvre du droit de substitution, lequel constitue l’un des principaux facteurs de la conquête de parts de marché par les fabricants de génériques. Il relève également que toute contestation devant une autorité sanitaire, en raison de la responsabilité d’une telle autorité, dans le contexte d’une judiciarisation certaine des questions de santé, conduit quasi-inéluctablement à un ralentissement du processus décisionnel, ce qu’aucun laboratoire pharmaceutique ne peut ignorer. Il en déduit qu’au cas d’espèce, c’est le fait même de soulever un débat juridiquement infondé qui était de nature à produire un effet anticoncurrentiel.

24. L’arrêt rappelle ensuite qu’il est établi depuis un arrêt du 21 décembre 2007 du Conseil d’Etat, Reckitt Benckiser, que les articles L. 5121-1, 5° et L. 5121-10 du code de la santé publique doivent être interprétés en ce sens que, lorsque la décision délivrant l’AMM d’un générique est devenue définitive, ne peuvent plus être invoqués, à l’appui d’une contestation de la décision d’inscription au répertoire des groupes génériques de ce médicament, des moyens tirés de ce que celle-ci serait illégale au motif que les conditions posées à cette identification ne seraient pas satisfaites, ces moyens remettant nécessairement en cause la légalité de la décision d’AMM. Il relève que dès l’instant où la société Janssen-Cilag et la société Johnson & Johnson reconnaissent que des AMM avaient été délivrées aux spécialités de la société Ratiopharm à l’issue d’une procédure abrégée dans laquelle leur qualité de générique de Durogesic avait été constatée par la Commission, elles ne peuvent pas soutenir, sans méconnaître ces mêmes articles, que ces spécialités ne pouvaient pas être inscrites au répertoire des groupes génériques. Il en déduit qu’elles ne pouvaient pas ignorer ou n’auraient pas dû ignorer que le débat qu’elles ouvraient devant l’AFFSSAPS, quant à la qualité de générique des spécialités Ratiopharm, reposait sur une analyse juridique qui ne pouvait plus être soutenue.

25. L’arrêt relève en outre qu’il résulte d’un document intitulé « Plan produit pour 2007 », établi par la société Janssen-Cilag, que ses auteurs craignaient l’arrivée sur le marché de génériques de Durogesic dès 2007 et qu’ils savaient qu’une intervention était seulement susceptible de retarder, mais en aucun cas d’empêcher, la délivrance d’une AMM et que le projet d’obtenir le report du lancement est formalisé dans un document de stratégie commerciale qui ne fait mention d’aucun argument scientifique permettant de justifier un tel report, ce dont il déduit que le choix d’intervenir pour retarder le lancement des génériques de Durogesic est le fruit d’une approche commerciale déconnectée de toute considération de santé publique. Ayant ensuite relevé que seule une intervention auprès de l’AFSSAPS était de nature à parvenir au report souhaité, il observe que ce plan est antérieur de deux ans seulement à l’intervention incriminée. Il estime que la société Janssen-Cilag savait que les AMM avaient été délivrées à la société Ratiopham sur la base d’une procédure allégée au cours de laquelle leur qualité de générique de Durogesic avait été reconnue par les autorités allemandes et qu’ayant suivi la procédure de reconnaissance mutuelle, elle ne pouvait ignorer que la décision de la Commission européenne, qui imposait notamment aux autorités françaises de reconnaître les AMM allemandes, avait, à son tour, reconnu la qualité de générique de Durogesic des spécialités Ratiopham. Il en déduit qu’examinées à la lumière du plan produit pour 2007, ces circonstances permettent de conclure que la société Janssen-Cilag avait conscience du caractère injustifié du débat soulevé devant l’AFSSAPS et que son intervention constitue la mise en oeuvre du volet de ce plan relatif au report du lancement des génériques de Durogesic.

26. L’arrêt retient enfin qu’il était parfaitement possible que la société Janssen-Cilag échangeât avec l’AFSSAPS sur les risques liés à la substitution entre princeps et génériques qu’elle avait identifiés, sans remettre en cause la qualité de générique des spécialités Ratiopharm. Il retient également que si la possibilité d’accompagner la substitution en pharmacie par une mise en garde inscrite au répertoire des groupes génériques a été formellement introduite dans l’ordre juridique par la création de l’article R. 5121-5 du code de la santé publique par le décret n° 2008-435 du 6 mai 2008, l’AFSSAPS se reconnaissait déjà le pouvoir, avant cette date, d’encadrer la substitution au travers de messages à destination des professionnels de santé. Il en déduit que, dès avant l’entrée en vigueur de ce dernier texte, l’AFSSAPS n’était pas confrontée à une alternative entre reconnaître la qualité de générique et autoriser la substitution sans limite, ou dénier la qualité de générique et interdire toute substitution, mais pouvait choisir d’encadrer la substitution entre un médicament princeps et ses génériques.

27. En l’état de ces énonciations et appréciations, faisant ressortir que le comportement en cause ne s’insérait pas dans un débat d’intérêt général relatif aux conséquences sanitaires de l’entrée sur le marché d’un nouveau médicament mais dans une stratégie visant à retarder le développement sur le marché de produits concurrents et dont la mise en oeuvre, dans les circonstances propres au contexte dont elle a relevé les caractéristiques, pouvait, à lui seul, produire cet effet anticoncurrentiel, peu important la capacité décisionnaire exclusive de l’autorité de santé, cependant que l’état du droit devant être connu par l’opérateur dominant résultait d’un arrêt du Conseil d’Etat, aurait-il été unique, qui établissait les conséquences de plein droit, en matière d’inscription sur le répertoire des médicaments génériques, d’une AMM d’un médicament générique, peu important qu’elle fût intervenue sur la seule initiative de l’autorité nationale et non en exécution d’une décision de la Commission européenne, la loi ainsi interprétée ne faisant aucune distinction sur cet effet en fonction de la nature de l’autorité ayant pris une telle décision, la cour d’appel, qui n’a pas méconnu le principe de la libre recherche scientifique et n’a pas porté une atteinte injustifiée et disproportionnée au droit à la liberté d’expression de la société Janssen-Cilag au regard de la nécessité de préserver l’ordre public concurrentiel, lequel garantit le droit des entreprises à une concurrence non faussée, également protégé par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme (voir, mutadis mutandis, Ashby Donald et autres c. France, n° 36769/08, §§ 39-45, 10 février 2013), a, à bon droit, retenu que le comportement de cette société, qui ne s’était pas limitée à faire des préconisations scientifiques sur les modalités de substitution des génériques au princeps, ce qu’elle était en droit de faire, et peu important que le directeur général de l’AFSSAPS ait, dans l’attente d’informations complémentaires, réservé sa décision sur l’inscription des spécialités concernées sur le répertoire des génériques, était, en raison de sa responsabilité particulière née de sa position dominante sur le marché en cause, constitutif d’un abus de cette position.

28. Pour partie inopérant, le moyen n’est pas fondé pour le surplus.

Et sur le sixième moyen

Enoncé du moyen

29. Les sociétés Janssen-Cilag et Johnson &Johnson font grief à l’arrêt de leur infliger une sanction pécuniaire d’un montant de 21 millions d’euros, alors :

« 1°/ que porte atteinte aux principe de légalité des délits et des peines et de sécurité juridique l’infliction d’une sanction fondée sur l’application rétroactive d’une interprétation jurisprudentielle nouvelle des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce conduisant à regarder désormais comme un abus de position dominante un comportement dont la pratique décisionnelle de l’Autorité de concurrence de l’Union pouvait raisonnablement laisser supposer, à l’époque de sa commission, qu’il ne tombait pas sous le coup de la prohibition édictée par ces textes ; qu’à l’époque des faits litigieux, seule la décision AstraZeneca de la Commission en date du 15 juin 2005 s’était prononcée sur le point de savoir si les interventions d’un laboratoire pharmaceutique auprès d’une autorité administrative nationale pouvaient tomber sous le coup de la prohibition des abus de position dominante et qu’au titre du premier abus relevé, la Commission s’était déterminée en considération de ce que le laboratoire pharmaceutique avait soumis à l’autorité administrative en charge des brevets des informations factuelles inexactes et trompeuses en vue d’obtenir des décisions indues d’extension de la durée de ses droits de propriété industrielle, tandis qu’au titre du second, la Commission avait sanctionné le comportement d’un laboratoire ayant consisté à soumettre à des autorités de santé, qui ne disposaient d’aucune marge de manoeuvre pour refuser d’y faire droit, des demandes de radiation de ses propres AMM dans l’unique dessein d’entraver l’arrivée sur le marché de médicaments génériques ; que dans sa décision, la Commission avait expressément relevé, pour condamner cette seconde pratique, qu'« il convient de rappeler que les demandes d’AZ aux autorités publiques de radier les autorisations de marché ne sont pas des demandes adressées dans le cadre d’un processus ouvertement politique ou une tentative d’influencer les décisions prises dans un domaine où ces autorités disposent d’une marge de manoeuvre, ou en général pour recevoir un examen indépendant du bien-fondé de la requête. En l’espèce, les autorités nationales concernées ont considéré, comme le souhaitait AZ, qu’elles n’avaient pas le pouvoir discrétionnaire de maintenir l’autorisation de mise sur le marché lorsque leur retrait était demandé. Dans ces conditions, l’effet anticoncurrentiel qui en résultera ne résultera pas d’un contrôle indépendant du bien-fondé de la requête, mais plutôt de l’effet automatique (ou quasi automatique) d’une demande privée, présentée sous la forme d’un exercice d’un droit spécifique » (Décision n° C(2005)1757 du 15 juin 2005, affaire COMP/A.37.507/F3, AstraZeneca) ; qu’en se fondant sur cette décision de la Commission, pour considérer que la société Janssen-Cilag s’en trouvait nécessairement avertie que ses interventions dans le processus décisionnel d’une autorité publique pourraient, en fonction des circonstances de l’espèce, être qualifiées d’abus de position dominante, dès lors qu’elles seraient susceptibles de retarder la concurrence exercée par des médicaments générique, cependant qu’il ressortait clairement des motifs de la décision de la Commission que, par contraste avec le comportement d’AstraZeneca, le simple fait pour un laboratoire pharmaceutique de soumettre, dans des conditions exclusives de toute manipulation par fourniture d’informations factuelles trompeuses, une demande ou une prétention à une autorité administrative pleinement compétente pour en apprécier elle-même le bien-fondé et exercer ainsi un contrôle indépendant ne pourrait se voir attribuer un effet anticoncurrentiel, la cour d’appel a violé les principes de légalité des délits et des peines et de sécurité juridique, ensemble les articles 7 de la Convention européenne des droits de l’homme et 49 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

2°/ qu’en affirmant que la sanction infligée à la société Janssen-Cilag n’était pas fondée sur une interprétation nouvelle des dispositions servant de fondement aux poursuites, cependant, d’une part, que les seules décisions des juridictions de l’Union ayant sanctionné l’émission d’une prétention juridiquement infondée par une entreprise en position dominante avaient été rendues dans le cadre de l’exercice abusif d’actions en justice et avaient subordonné la qualification d’abus de position dominante à la double condition de caractériser l’absence « manifeste » de tout fondement juridique des prétentions soutenues et leur insertion dans un plan d’ensemble visant à éliminer la concurrence (TUE, 17 juillet 1998, T-111/96, ITT Promedia ; TUE, 13 septembre 2012, T-119/09, Protégé International) et, d’autre part, que la Présidente de l’Autorité avait elle-même jugé bon de communiquer la décision de sanction prise à l’encontre de la société Janssen-Cilag au syndicat pharmaceutique Les Entreprises du Médicament (LEEM) en précisant, par un courrier du 20 février 2018, que « l’Autorité a, pour la première fois, sanctionné un laboratoire en raison de son intervention juridiquement infondée », la cour d’appel a derechef violé les principes de légalité des délits et des peines et de sécurité juridique, ensemble les articles 7 de la Convention européenne des droits de l’homme et 49 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

3°/ qu’en matière d’infractions de concurrence, le principe de proportionnalité des peines commande de tenir compte du caractère plus ou moins évident de la règle violée afin d’adapter la sanction au degré de conscience que l’entreprise pouvait avoir d’agir en infraction avec les règles de concurrence (CE, 15 avril 2016, n° 375.658, Sté Copagef) ; qu’en rejetant la demande subsidiaire de la société Janssen-Cilag tendant à la réduction de la sanction prononcée à son encontre à raison de l’absence de précédent ayant sanctionné un laboratoire du fait de la présentation d’arguments juridiquement infondés à une autorité administrative, au motif que cette société devait s’estimer suffisamment avertie par la décision AstraZeneca du 15 juin 2005 que ses interventions dans le processus décisionnel d’une autorité publique pourraient, en fonction des circonstances de l’espèce, être qualifiées d’abus de position dominante, cependant que rien dans cette décision ne pouvait laisser supposer que le fait pour un laboratoire pharmaceutique de soumettre, dans des conditions exclusives de toute manipulation par fourniture d’informations factuelles trompeuses, une demande ou une prétention à une autorité administrative pleinement compétente pour en apprécier elle-même le bien-fondé pourrait être qualifié d’abus de position dominante, la cour d’appel a violé l’article L. 464-2 du code de commerce ;

4°/ que la société Janssen-Cilag faisait valoir que l’intervention de son pharmacien responsable auprès de l’AFSSAPS avait été, non seulement légitime, mais surtout directement utile à la collectivité en tant qu’elle avait permis de révéler à l’autorité de santé publique certains risques graves attachés à une substitution sans surveillance médicale suffisante des dispositifs transdermiques à base de fentanyl et avait mis celle-ci en mesure d’émettre une mise en garde à destination des professionnels de santé, de sorte qu’il devait à tout le moins en être tenu compte en tant que circonstance atténuante ; que, pour refuser de tenir compte de l’utilité de cette intervention du pharmacien responsable comme circonstance atténuante, la cour d’appel retient qu’en réduisant de 15 % à 13 % le pourcentage de la valeur des ventes permettant de calculer le montant de base de la sanction, elle a déjà tenu compte du fait qu’il est seulement reproché à cette société d’avoir soulevé devant l’AFSSAPS un débat infondé sur la qualité de générique des spécialités Ratiopharm et de ce que la procédure d’inscription de ces spécialités au répertoire des groupes génériques a aussi été ralentie par la communication légitime relative aux risques liées à la substitution en cours de traitement, de sorte que « rien ne justifie d’accorder, pour ce même motif, une réduction de la sanction à titre de circonstance atténuante » ; qu’en se prononçant de la sorte, cependant que la réformation de la décision à laquelle elle s’est livrée avait seulement pour but de tirer les conséquences du fait que l’Autorité s’était méprise sur le sens et la portée de l’intervention de la société Janssen-Cilag lorsqu’elle avait considéré que cette intervention avait pour objet de remettre en cause la délivrance d’AMM aux spécialités Ratiopharm, ce qui l’avait conduite à surestimer la gravité des faits et le dommage causé à l’économie, de sorte qu’elle ne pouvait faire double-emploi avec la demande qui lui était faite de prendre en compte l’utilité de l’intervention du pharmacien responsable pour la collectivité en tant que circonstance atténuante, la cour d’appel a dénaturé les termes du litige, en violation de l’article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

30. L’arrêt énonce d’abord que le caractère inédit d’une pratique n’implique pas nécessairement que sa qualification d’abus de position dominante et sa sanction reposent sur une nouvelle interprétation, rétroactive, des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce. Il retient qu’il est constant, depuis la décision de la Commission du 15 juin 2005 relative aux pratiques mises en oeuvre par la société AstraZeneca, que l’intervention d’une entreprise en position dominante dans le processus décisionnel d’une autorité publique est susceptible de constituer un abus de position dominante et qu’étant relative au secteur des médicaments, cette décision était nécessairement connue de la société Janssen-Cilag. Il retient également qu’une décision du Conseil de la concurrence du 3 novembre 2005 avait qualifié d’abus de position dominante le fait, pour un opérateur économique dans cette situation, d’être intervenu auprès d’une autorité publique afin qu’elle refuse un projet de convention qu’un concurrent négociait avec l’un de ses clients, sans qu’il lui ait été reproché d’avoir communiqué des informations erronées, mais seulement d’avoir exercé des pressions sur les autorités de tutelle de son concurrent. Il en déduit que toute entreprise en position dominante est avertie que son intervention dans le processus décisionnel d’une autorité publique peut, en fonction des circonstances de l’espèce, être qualifiée d’abus de position dominante et que la condamnation intervenue n’est pas fondée sur une nouvelle interprétation des dispositions servant de fondement aux poursuites. Il relève ensuite que, s’agissant du dénigrement des produits d’un concurrent, il est de pratique décisionnelle et de jurisprudence constantes que ce comportement mis en oeuvre par une entreprise en position dominante est susceptible d’être qualifié d’abus de cette position. Il retient encore qu’un laboratoire pharmaceutique, détenteur d’un médicament princeps sur le marché duquel il occupe une position dominante, qui rouvre, devant une autorité incompétente pour en connaître, un débat définitivement clos quant à la qualité de génériques des produits concurrents, mais dont il sait qu’il va retarder la concurrence de son princeps par ces spécialités, est nécessairement conscient qu’il emploie des moyens étrangers à une concurrence par les mérites et qu’il commet un abus de position dominante.

31. L’arrêt retient ensuite que dès lors qu’a déjà été prise en considération, au stade de l’appréciation des conséquences conjoncturelles et structurelles du comportement de la société Janssen-Cilag, la circonstance que la procédure d’inscription a été aussi ralentie par la communication, légitime, relative aux risques liés à la substitution en cours de traitement, de sorte que le montant de base de la sanction, fixé en considération de la gravité des faits et du dommage à l’économie, devait être réduit par rapport à celui fixé par l’Autorité, il n’y a pas lieu au surplus de considérer que l’intervention, en partie légitime, de la société Janssen-Cilag auprès de l’AFSSAPS caractérise une circonstance atténuante.

32. En l’état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que la prohibition des comportements litigieux était accessible et raisonnablement prévisible pour un opérateur tel que la société Janssen-Cilag, c’est à bon droit et sans méconnaître l’objet du litige, ni aucun des principes ni textes invoqués par le moyen, et en faisant application des critères d’infliction de la sanction défini par l’article L. 464-2 du code de commerce que la cour d’appel a retenu que le caractère inédit d’une pratique anticoncurrentielle dont les diverses manifestations possibles, compte tenu de leur variété et complexité, ne sont pas énumérées de façon exhaustive ni dans le droit de l’Union, ni dans le droit interne, n’empêche pas sa sanction.

33. Le moyen n’est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne les sociétés Janssen-Cilag et Johnson & Johnson aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, condamne in solidum les sociétés Janssen-Cilag et Johnson & Johnson à payer au président de l’Autorité de la concurrence la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du premier juin deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour les sociétés Janssen-Cilag et Johnson & Johnson.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

– sur l’incompétence de l’Autorité pour apprécier la légalité des arguments juridiques de la société Janssen-Cilag devant l’AFSSAPS au regard des normes du droit pharmaceutique –

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR rejeté le moyen d’annulation de la décision de l’Autorité de la concurrence n° 17-D-25 du 20 décembre 2017 pris de l’incompétence de l’Autorité pour apprécier les arguments juridiques développés par la société Janssen-Cilag devant l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) et d’AVOIR, par voie de réformation de cette décision, infligé aux sociétés Janssen-Cilag et Johnson & Johnson une sanction pécuniaire d’un montant de 21 millions d’euros.

AUX MOTIFS QUE : Sur le moyen pris de l’incompétence de l’Autorité pour apprécier les arguments juridiques développés par la société Janssen-Cilag devant l’AFSSAPS :

83. En premier lieu, la cour constate que l’Autorité ne conteste pas, que ce soit dans la décision attaquée ou dans ses écritures devant la cour, le droit, voire le devoir, qu’avait le pharmacien responsable de la société Janssen-Cilag de porter à la connaissance de l’AFSSAPS les préoccupations de santé publique que faisait naître, selon lui, la substitution de génériques aux spécialités de Durogesic.

84. De même, l’Autorité ne s’est livrée, dans la décision attaquée, à aucune analyse de nature scientifique. En effet, en considérant que la démarche de la société Janssen-Cilag auprès de l’AFSSAPS avait pour objet et pour finalité d’empêcher, ou à tout le moins de retarder, la délivrance d’AMM aux spécialités Ratiopharm ainsi que la reconnaissance de leur statut de générique de Durogesic, alors que, selon elle, l’AFSSAPS avait, à cet égard, une compétence liée à la suite de la décision de la Commission enjoignant aux États membres concernés par la procédure, dont la France, d’octroyer les AMM nationales demandées par la société Ratiopharm, l’Autorité s’est limitée à une analyse juridique.

85. En deuxième lieu, aux termes de l’article L. 5311-1 du code de la santé publique, l’AFSSAPS « participe à l’application des lois et règlements et prend, dans les cas prévus par des dispositions particulières, des décisions relatives à l’évaluation, aux essais, à la fabrication, à la préparation, à l’importation, à l’exportation, à la distribution en gros, au conditionnement, à la conservation, à l’exploitation, à la mise sur le marché, à la publicité, à la mise en service ou à l’utilisation des produits à finalité sanitaire destinés à l’homme et des produits à finalité cosmétique ».

86. En revanche, l’AFSSAPS n’a pas reçu le pouvoir de donner l’interprétation authentique des lois et règlements qu’elle est chargée d’appliquer, ni a fortiori des dispositions de droit de l’Union en matière de médicaments à usage humain.

87. De son côté, l’Autorité de la concurrence peut être saisie de toute pratique susceptible de constituer une infraction aux règles de concurrence, quel que soit le secteur d’activité concerné. Aux fins d’apprécier leur éventuel caractère anticoncurrentiel, elle a le devoir de replacer les pratiques incriminées dans leur contexte juridique – qui diffère suivant le marché sur lequel les pratiques se déroulent – et factuel.

88. L’Autorité n’a donc pas outrepassé ses pouvoirs en déterminant au préalable le cadre juridique et factuel dans lequel s’inscrivait l’intervention de la société Janssen-Cilag auprès de l’AFSSAPS, sans se considérer liée par l’analyse juridique que l’AFSSAPS, ou son directeur général, avaient pu suivre dans le cadre du dossier des spécialités Ratiopharm. La question de savoir si, ce faisant, l’Autorité a fait une interprétation erronée des dispositions applicables ou une mauvaise appréciation du contexte factuel relève de l’appréciation de la légalité interne de la décision attaquée.

89. En considérant que la décision de la Commission avait définitivement tranché la qualité de générique, au sens tant du droit de l’Union que du droit français, des spécialités Ratiopharm, l’Autorité ne s’est pas immiscée dans le fonctionnement de l’AFSSAPS. En effet, cette appréciation, portée dans la décision attaquée, en 2017, n’a en rien empiété sur le traitement du dossier des spécialités Ratiopharm par l’AFSSAPS ou son directeur général dans le courant de l’année 2008 et sur les décisions qu’ils ont pu prendre. Elle n’a notamment pu avoir aucun effet sur l’appréciation par l’AFSSAPS ou son directeur général de la « recevabilité » de la contestation, par la société Janssen-Cilag, de la qualité de générique des spécialités Ratiopharm.

90. Par ailleurs, l’Autorité, qui n’était saisie d’aucun recours contre les décisions de l’AFSSAPS ou de son directeur général, et n’aurait d’ailleurs pas été compétente pour en connaître, ne s’est pas prononcée sur la légalité de ces décisions.

91. En tant que de besoin, la cour relève que l’analyse adoptée par l’Autorité dans la décision attaquée, ne marque aucun changement dans l’appréciation de ses pouvoirs par rapport à la décision n° 09-D-28 du 31 juillet 2009, précitée. En effet, dans cette décision, par laquelle elle a rejeté la demande de mesures conservatoires, l’Autorité a fondé le constat de son incompétence sur le fait que l’intervention de la société Janssen-Cilag avait été faite pendant le déroulement de la phase réglementaire auprès de l’AFSSAPS, « qui est une autorité publique et dispose de la compétence et de l’expertise nécessaires pour évaluer la bioéquivalence d’un générique et les risques que peut entraîner la substitution du princeps par le générique », ne renvoyant ainsi à la compétence exclusive de l’AFSSAPS que pour ce qui concerne les seuls aspects scientifiques du dossier.

92. C’est en vain que les requérantes soutiennent que la compétence de l’Autorité se limitant à l’examen des pratiques anticoncurrentielles des opérateurs économiques sur le marché, elle était incompétente pour connaître de comportements intervenus avant la commercialisation des spécialités Ratiopharm et devant une autorité habilitée à en connaître. D’une part, l’Autorité était fondée à rechercher si les comportements de la société Janssen-Cilag, qui commercialisait Durogesic depuis plusieurs années, ne tendaient pas à préserver sa position sur le marché des spécialités à base de fentanyl. Sur ce point, la cour rappelle qu’un abus de position dominante peut consister à empêcher un concurrent potentiel d’entrer sur le marché pertinent. D’autre part, le fait que l’AFSSAPS était sans conteste compétente pour délivrer des AMM aux spécialités Ratiopharm, et son directeur général pour les inscrire dans le répertoire des groupes génériques, n’interdit nullement à l’Autorité d’apprécier si la société Janssen-Cilag s’est efforcée, par des moyens étrangers à une concurrence loyale, d’empêcher ou retarder lesdites délivrance et inscription.

93. Par ailleurs, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la jurisprudence des juridictions de l’Union n’invalide pas l’approche adoptée par l’Autorité dans la décision attaquée.

94. S’agissant, d’abord, de l’arrêt de la Cour de justice F. Hoffmann-La Roche e.a., précité (points 60 et 61), si la vérification de la conformité au droit de l’Union des conditions dans lesquelles un médicament est, du côté de la demande, prescrit par les médecins et, du côté de l’offre, reconditionné en vue de son utilisation hors AMM, n’incombe pas aux autorités nationales de la concurrence, mais aux autorités ayant compétence pour contrôler le respect de la réglementation pharmaceutique ou aux juridictions nationales, c’est parce qu’une telle vérification implique des appréciations complexes de nature scientifique. Il ne peut donc être déduit de cet arrêt l’impossibilité pour l’Autorité d’établir le cadre juridique dans lequel se sont inscrites les pratiques sanctionnées.

95. S’agissant, ensuite, des arrêts du Tribunal de l’Union et de la Cour de justice AstraZeneca/Commission, précités, la cour constate que, dans ces arrêts, les juridictions de l’Union se sont bornées à préciser, en se plaçant dans le contexte factuel de l’affaire, quels sont les éléments qui doivent, ou peuvent, être pris en considération par les autorités de concurrence afin d’apprécier si l’intervention d’une entreprise en position dominante auprès d’une autorité publique est constitutive d’un abus de position dominante. La cour constate d’ailleurs que cette jurisprudence est également invoquée par les requérantes pour soutenir, sur le fond, que les conditions requises pour qu’une telle intervention soit qualifiée d’abus de position dominante ne sont pas réunies en l’espèce. Ladite jurisprudence est en revanche étrangère à la délimitation des compétences d’une autorité de concurrence pour apprécier le caractère anticoncurrentiel d’une intervention d’un opérateur économique auprès d’une autre autorité publique.

96. La cour ajoute, à titre surabondant, d’une part, que rien, dans les arrêts AstraZeneca/Commission, précités, ne permet de considérer que les juridictions de l’Union ont défini de façon exhaustive les hypothèses dans lesquelles l’intervention d’une entreprise en position dominante auprès d’une autorité publique constitue un abus de position dominante, de sorte que c’est à tort que les requérantes soutiennent qu’une telle intervention n’est susceptible d’être anticoncurrentielle que si l’entreprise en position dominante communique à l’autorité publique des données objectivement et factuellement fausses. D’autre part, si, dans son arrêt AstraZeneca/Commission, précité (point 357), le Tribunal de l’Union a jugé que « la marge d’appréciation limitée des autorités publiques ou l’absence d’obligation leur incombant de vérifier l’exactitude ou la véracité des informations communiquées peuvent constituer des éléments pertinents devant être pris en considération devant être pris en considération aux fins de déterminer si la pratique en cause est de nature à aboutir à l’élévation d’obstacles réglementaires à la concurrence » (souligné par la cour), l’emploi du verbe « pouvoir » suffit à démontrer que cette juridiction n’a pas fait de l’existence et de l’importance d’une telle marge d’appréciation une condition sine qua non pour pouvoir qualifier une intervention auprès de l’autorité publique de pratique anticoncurrentielle.

97. Enfin, s’agissant des arrêts du Tribunal de l’Union et de la Cour de justice Agria Polska e.a./Commission et Agria Polska e.a./Commission, précités, qui statuent sur un recours contre une décision de la Commission de ne pas instruire une plainte, la seule question en débat était de déterminer la probabilité d’établir une infraction, de sorte qu’ils sont sans pertinence pour trancher la question soulevée par le présent moyen.

98. La cour ajoute encore que la thèse des requérantes ne peut être retenue dès lors qu’elle conduirait à entraver la mission confiée à l’Autorité en la rendant captive d’une analyse du contexte juridique qui pourrait avoir été retenue par une autre autorité administrative à la suite d’un comportement susceptible d’être anticoncurrentiel. À cet égard, c’est en vain que les requérantes soutiennent que le constat de l’incompétence de l’Autorité n’emporterait aucun rétrécissement du champ du droit de la concurrence ; en effet, un hypothétique recours de la société Ratiopharm contre une décision de l’AFSSAPS lui faisant grief aurait seulement permis aux juridictions administratives de se prononcer sur la légalité de cette décision, mais n’aurait pas été de nature à sanctionner l’éventuel comportement anticoncurrentiel de la société Janssen-Cilag.

99. En dernier lieu, la question de savoir si les décisions de l’AFSSAPS ou de son directeur général sont détachables de l’exercice des prérogatives de puissance publique attribuées à cette autorité, ne se pose pas en l’espèce, puisque l’Autorité ne s’est à aucun moment prononcée sur l’éventuel caractère anticoncurrentiel de ces décisions, se contentant d’apprécier le comportement de la société Janssen-Cilag. Or ce comportement n’est pas imputable à l’AFSSAPS, celle-ci n’ayant pas demandé à la société Janssen-Cilag de lui faire connaître sa position sur la qualité de générique des spécialités Ratiopharm, ainsi que celle-ci l’a fait par son courrier du 25 mars 2008.

100. La décision attaquée est, sur ce point, en conformité avec la pratique décisionnelle antérieure du Conseil de la concurrence (décisions précités n° 07-D-10 du 28 mars 2007, § 71 ; n° 09-D-10 du 27 février 2009, § 90, et n° 10-D-13 du 15 avril 2010, § 149), qui a toujours distingué le comportement des opérateurs économiques, qu’il apprécie au regard des règles de concurrence, des décisions prises par les autorités publiques dans l’exercice de leurs prérogatives de puissance publique, dont il s’interdit d’apprécier l’éventuel caractère anticoncurrentiel.

101. Par ailleurs, si la loi fait peser sur le pharmacien responsable des responsabilités particulières, dont la violation peut être sanctionnée pénalement, elle ne lui attribue aucune prérogative de puissance publique, de sorte que la question de savoir si, en l’espèce, les agissements reprochés au pharmacien responsable de la société Janssen-Cilag par l’Autorité sont « détachables » de l’exercice de telles prérogatives est sans objet.

102. Le moyen pris de l’incompétence de l’Autorité est rejeté.

1) ALORS QUE le directeur général de l’AFSSAPS, auquel les articles L. 5121-10 et R. 5121-5 du code de la santé publique attribuent une compétence exclusive pour se prononcer sur l’identification d’un médicament comme une spécialité générique et sur son inscription au répertoire des groupes génériques, est seul compétent pour apprécier, sous le contrôle du juge administratif, le bien fondé, au regard des normes du code de la santé publique, des arguments juridiques et scientifiques soulevés par un laboratoire pharmaceutique dans le cadre de l’instruction préparatoire à l’édiction de telles décisions ; que l’Autorité de la concurrence n’a pas pour mission légale de veiller au respect des règles de santé publique ; qu’il s’ensuit que lorsque le directeur général de l’AFSSAPS a pris, en application des textes susvisés, une décision reconnaissant le bien fondé des arguments soulevés par un laboratoire pharmaceutique, l’Autorité de la concurrence ne saurait, sans outrepasser les compétences que lui attribuent les articles L. 461-1 et L. 462-6 du code de commerce, se faire elle-même juge de la légalité des arguments juridiques soulevés par ce laboratoire au regard des normes du droit pharmaceutique ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté que le directeur général de l’AFSSAPS avait édicté le 28 juillet 2008 une décision par laquelle il avait refusé en l’état d’identifier les spécialités Ratiopharm comme médicaments génériques en vue de leur inscription au répertoire des groupes génériques, compte tenu de l’absence de démonstration suffisante de l’identité de la quantité de substance active libérée dans l’organisme entre les spécialités Durogesic et celles de Ratiopharm ; qu’il s’évinçait ainsi des termes de cette décision que son auteur avait nécessairement considéré qu’il disposait bien du pouvoir d’appréciation que la société Janssen-Cilag l’avait invité à exercer ; qu’en jugeant néanmoins que l’Autorité de la concurrence n’avait pas outrepassé sa compétence en appréciant elle-même le bien-fondé de l’argumentation juridique soulevée par le laboratoire Janssen-Cilag devant le directeur général de l’AFSSAPS sans se considérer liée par l’analyse juridique que ce dernier avait pu suivre dans le cadre du dossier des spécialités Ratiopharm (§. 88), au motif que la mission de répression des pratiques anticoncurrentielles confiée à l’Autorité impliquerait une plénitude de compétence, qui ne saurait être entravée en la rendant captive d’une analyse juridique retenue par une autre autorité administrative (§. 98), cependant que le directeur général de l’AFSSAPS était exclusivement compétent pour exercer le contrôle de la conformité de l’argumentation juridique soutenue devant lui aux normes du droit pharmaceutique, la cour d’appel a violé les articles L. 5121-10 et R. 5121-5 du code de la santé publique et les articles L. 461-1 et L. 462-6 du code de commerce.

2) ALORS QUE l’Autorité de la concurrence était d’autant moins compétente pour faire prévaloir sa propre appréciation de la légalité de l’argumentation juridique soulevée par le laboratoire Janssen-Cilag devant le Directeur général de l’AFSSAPS au regard des normes du droit pharmaceutique sur celle qu’en avait faite cette autorité sanitaire qu’une telle appréciation n’était pas dissociable d’un jugement sur la légalité de la décision administrative du 28 juillet 2008 par laquelle l’AFSSAPS avait fait droit à cette argumentation ; que l’Autorité avait énoncé dans sa décision qu’un laboratoire pharmaceutique en position dominante « ne peut pas s’immiscer indûment dans le processus décisionnel d’une autorité de santé, en présentant à cette dernière des arguments de nature à l’inciter à adopter une décision contraire au cadre juridique s’imposant à elle » (§. 435) et que tel était le cas en l’espèce puisque « l’agence française de santé ne disposait d’aucune marge de manoeuvre pour revenir sur ce statut [de médicament générique], reconnu par la décision du 23 octobre 2007 de la Commission européenne » (§. 432), de sorte qu’elle « était tenue d’accorder une AMM nationale reconnaissant le statut de générique aux spécialités génériques de fentanyl transdermique de Ratiopharm et d’en tirer les conséquences juridiques en les inscrivant au répertoire des génériques » (§. 441) et que « sur les sollicitations de Janssen-Cilag, l’AFSSAPS a réuni des groupes de travail – le GTMG et le GTNPA – revenant indûment sur le statut de générique de ces spécialités », puis « a alors rendu, le 28 juillet 2008, des décisions d’AMM concernant ces spécialités mais en refusant leur inscription au répertoire des génériques » (§. 482) ; qu’en affirmant néanmoins que l’Autorité n’avait pas outrepassé ses compétences dès lors qu’elle ne s’était pas prononcée sur la légalité des décisions prises par le Directeur général de l’AFSSAPS (arrêt, §. 88), cependant qu’il ressortait des énonciations mêmes de la décision attaquée que l’examen du bien-fondé de l’argumentation soulevée par le laboratoire à laquelle l’Autorité s’était livrée n’était pas détachable d’une appréciation de la légalité de la décision administrative du 28 juillet 2008 par laquelle le directeur général de l’AFSSAPS y avait fait droit, la cour d’appel a violé derechef les textes susvisés.

3) ALORS QUE la cour d’appel a elle-même énoncé que « dès lors que les spécialités Ratiopharm se sont vu reconnaître, par la décision de la Commission, la qualité de médicament générique, au sens de la directive 2001/83, dans sa version résultant de la directive 2004/27, la qualité de spécialité générique, au sens des articles L. 5121-1 5° et L. 5121-10 du code de la santé publique, ne pouvait pas leur être déniée par les autorités nationales, et notamment l’AFSSAPS » (§. 212), de sorte que son directeur général était « tenu, en vertu du dernier de ces articles, de les inscrire au répertoire des groupes génériques en tant que génériques de Durogesic » (§. 225), que « le débat concernant la qualité de générique des spécialités Ratiopharm, indûment soulevé par la société Janssen-Cilag, a parasité les travaux de l’AFSSAPS, l’empêchant de répondre d’emblée à la seule question pertinente de l’encadrement de la substitution » (§. 527) et qu’ainsi, « au lieu de se concentrer sur les modalités d’encadrement de la substitution en cours de traitement, l’AFSSAPS a consacré une partie de sa réflexion et de son temps à se demander si les spécialités Ratiopharm étaient des génériques de Durogesic, alors même que cette analyse avait été déjà faite par les autorités de l’Union, dont la décision s’imposait à elle » (§. 530) ; qu’en l’état de ces énonciations, qui font ressortir que l’examen du bien-fondé de l’argumentation juridique soulevée par le laboratoire Janssen-Cilag devant le directeur général de l’AFSSAPS n’était pas détachable d’une appréciation, fût-elle incidente, de la légalité de la décision administrative du 28 juillet 2008 par laquelle le directeur général de l’AFSSAPS y avait fait droit, la cour d’appel de Paris ne pouvait, sans méconnaître le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, se livrer elle-même à cette appréciation, qui relevait de la compétence exclusive de la juridiction administrative et qu’elle aurait dès lors dû interroger par voie préjudicielle avant d’entrer en voie de répression ; qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé l’article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III.

4) ALORS, en outre, QUE lorsque la résolution d’une question de droit européen de la concurrence dépend au moins pour partie de la solution d’une question préalable imposant d’examiner la licéité de certaines pratiques au regard d’une législation interne ou européenne de droit pharmaceutique dont l’interprétation est discutée, la résolution de cette question préalable ne relève pas de la compétence des autorités nationales de concurrence, mais de celle des seules autorités administratives spécialisées dans cette matière sous le contrôle de leur propre juge et, pour autant qu’un tel examen a été effectué par ces dernières, les autorités nationales de concurrence sont tenues de se conformer à leurs décisions (CJUE, 23 janvier 2018, [Localité 4] C-179/16, §§. 60 et 61) ; qu’en l’espèce, l’Autorité de la concurrence avait fondé sa décision sur la considération générale d’après laquelle « l’immixtion d’une entreprise en position dominante dans le processus décisionnel d’une autorité publique est susceptible de constituer un abus de position dominante contraire aux articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce, dans la mesure où cette intervention est indue, en ce qu’elle est juridiquement infondée, et qu’elle vise à convaincre l’autorité publique de prendre une décision qu’elle ne devrait pas prendre » (§. 513) et avait, en l’espèce, considéré que « le laboratoire Janssen-Cilag est intervenu de façon indue auprès de l’AFSSAPS afin de la convaincre de refuser l’octroi au niveau national du statut de générique aux spécialités concurrentes de Durogesic, en dépit de l’obtention de ce statut au niveau européen » (§. 514), de sorte que « les interventions répétées de Janssen-Cilag devant l’agence nationale de santé ont conduit l’AFSSAPS à ne pas procéder à l’identification des spécialités de fentanyl transdermique comme génériques de Durogesic à l’occasion de la délivrance des AMM de ces spécialités en juillet 2008 » (§. 524), « constat », selon elle, « suffisant pour fonder une pratique d’abus de position dominante » (§. 526) ; qu’en jugeant que l’Autorité n’avait pas outrepassé sa compétence dès lors qu’elle avait le devoir de replacer les pratiques incriminées dans leur contexte juridique (arrêt, §§. 87-88), cependant qu’il résultait des énonciations précitées de la décision attaquée que l’Autorité ne s’était pas bornée à déterminer le « cadre juridique » dans lequel s’était inscrit l’intervention du pharmacien responsable de la société Janssen-Cilag auprès de l’AFSSAPS, mais avait directement déduit l’existence d’un abus de position dominante du constat d’après lequel le laboratoire Janssen-Cilag était, selon elle, parvenu à convaincre l’autorité de santé de prendre une décision qu’elle n’aurait pas dû prendre au regard des normes du droit pharmaceutique, la cour d’appel a derechef violé les articles L. 5121-10 et R. 5121-5 de ce code et les articles L. 461-1 et L. 462-6 du code de commerce, ensemble l’article 102 du TFUE.

5) ALORS, enfin, QUE la distinction faite par la cour d’appel entre les appréciations de caractère juridique, pour lesquelles l’Autorité disposerait d’une plénitude de compétence, et les appréciations de caractère scientifique, qui ne relèvent que de la compétence d’une autorisée spécialisée telle que l’AFSSAPS, est étrangère à la jurisprudence Hoffmann-Laroche, qui a bien affirmé l’incompétence des autorités nationales de concurrence pour trancher elles-mêmes la question de la légalité d’une pratique au regard des dispositions internes et communautaires de droit pharmaceutique ; qu’en tant que l’article L. 5121-1, 5° du code de la santé publique définit la notion de médicament générique par référence à des critères tirés de notions scientifiques telles que celle de « bioéquivalence démontrée par des études de biodisponibilité appropriées », son interprétation et sa mise en oeuvre pratique sont elles-mêmes indissociables de considérations de nature scientifique et impliquent une expertise de cette nature ; qu’en opposant les appréciations de caractère juridique, pour lesquelles l’Autorité de la concurrence disposerait d’une plénitude de compétence, et les appréciations de caractère scientifique, quand une telle distinction n’était pas de nature à justifier la compétence prétendue de l’Autorité de substituer sa propre appréciation du bien-fondé de l’argumentation juridique soulevée par le laboratoire Janssen-Cilag devant le directeur général de l’AFSSAPS à l’appréciation que ce dernier en avait faite dans le cadre du dossier des spécialités Ratiopharm, la cour d’appel a violé les articles L. 5121-10 et R. 5121-5 de ce code et les articles L. 461-1 et L. 462-6 du code de commerce, ensemble le principe d’indépendance des législations.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

– sur l’irrégularité de la procédure suivie devant l’Autorité de la concurrence à raison du défaut de notification des actes de l’instruction au ministre chargé de la santé –

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR rejeté le moyen d’annulation de la décision de l’Autorité de la concurrence n° 17-D-25 du 20 décembre 2017 pris du défaut de notification des actes d’instruction au ministre chargé de la santé et d’AVOIR, par voie de réformation de cette décision, infligé aux sociétés Janssen-Cilag et Johnson & Johnson une sanction pécuniaire d’un montant de 21 millions d’euros.

AUX MOTIFS QUE : Sur l’obligation de notification du rapport au ministre chargé de la santé :

137. L’article L. 463-2, alinéas 1er et 2, du code de commerce dispose :

« Sans préjudice des mesures prévues à l’article L. 464-1, le rapporteur général ou un rapporteur général adjoint désigné par lui notifie les griefs aux intéressés ainsi qu’au commissaire du Gouvernement, qui peuvent consulter le dossier sous réserve des dispositions de l’article L. 463-4 et présenter leurs observations dans un délai de deux mois. […]

Le rapport est ensuite notifié aux parties, au commissaire du Gouvernement et aux ministres intéressés. Il est accompagné des documents sur lesquels se fonde le rapporteur et des observations faites, le cas échéant, par les intéressés. »

138. Il résulte de cette disposition que le rapport doit être notifié aux ministres intéressés, mais pas les griefs.

139. Cette interprétation, fondée sur la lettre même de l’article L. 463-2 du code de commerce n’est pas contredite par l’article R. 463-11 alinéa 1er du même code. En effet, ce texte, au demeurant de simple valeur réglementaire, aux termes duquel, « [p]our l’application de l’article L. 463-2, la notification des griefs retenus par le rapporteur et la notification du rapport sont faites par le rapporteur général à l’auteur de la saisine, aux ministres intéressés, aux autres parties intéressées et au commissaire du Gouvernement », se borne à désigner celui qui doit procéder aux notifications prévues à l’article L. 463-2. Confirme encore cette interprétation l’alinéa 2 de l’article R. 463-11, qui, précisant dans quelle mesure les ministres intéressés peuvent réagir à la notification qui leur est faite, n’envisage la notification que du seul rapport.

140. Par suite, il ne saurait être reproché au rapporteur général ou au rapporteur général adjoint désigné par lui de ne pas avoir notifié au ministre chargé de la santé les griefs adressés aux requérantes.

141. Ainsi que le soulignent tant les requérantes que l’Autorité et le ministre chargé de l’économie, un ministre n’est « intéressé », au sens de l’article L. 463-2 du code de commerce, que s’il est intervenu à un quelconque moment pour apprécier, favoriser ou condamner les pratiques en cause ou encore si les pratiques en cause ont à être appréciées au regard de textes, autres que ceux des articles L. 420-1 ou L. 420-2 du code de commerce, ayant une incidence directe ou indirecte sur leur licéité et dont la mise en oeuvre relèverait de missions propres à ce ministre.

142. En l’espèce, il n’est, d’une part, pas établi que le ministre chargé de la santé serait intervenu à un quelconque moment pour apprécier, favoriser ou condamner les pratiques d’abus de position dominante, objet du grief unique.

143. C’est à tort que les requérantes soutiennent que l’AFSSAPS a « apprécié » l’intervention de la société Janssen-Cilag – laquelle est visée par la première branche du grief unique. En effet, sans compétence aucune en matière de droit de la concurrence, l’AFSSAPS, qui s’est exclusivement concentrée sur les arguments scientifiques développés devant elle par la société Janssen-Cilag, n’a pas apprécié les pratiques d’abus de position dominante reprochées à ce laboratoire.

144. Elle n’a pas davantage « favorisé » la pratique en demandant à la société Janssen-Cilag un dossier relatif à la substitution, alors que, ainsi que la cour l’a déjà souligné, il n’est pas reproché à cette société d’avoir communiqué à l’AFSSAPS ses inquiétudes quant aux risques que feraient courir la substitution de génériques à ses spécialités de Durogesic, mais d’avoir contesté abusivement la qualité de générique des spécialités Ratiopharm et cherché à retarder, voire empêcher, la délivrance d’AMM à ces spécialités.

145. Quant à la circonstance que l’AFSSAPS a été impliquée dans les pratiques reprochées à la société Janssen-Cilag, ce constat est certes exact, puisque la première branche de l’infraction unique fait grief à cette société de s’être immiscée indûment dans le processus décisionnel de l’AFSSAPS en soulevant des arguments juridiquement infondés. Cette circonstance est cependant sans pertinence pour apprécier si le ministre chargé de la santé, en sa qualité de ministre de tutelle de l’AFSSAPS, a apprécié, favorisé ou condamné lesdites pratiques, dans la mesure où l’AFSSAPS, qui n’a pas été à l’initiative de l’intervention auprès d’elle, a, selon l’analyse de l’Autorité, été victime desdits agissements.

146. Mais, d’autre part, il est constant que le ministre chargé de la santé est en charge des questions de santé publique. À ce titre, il a la responsabilité d’assurer la délivrance et le retrait des AMM, une telle mission revêtant une importance toute particulière, eu égard aux risques inhérents à l’usage de tout médicament à usage humain.

147. La mise en oeuvre des dispositions tant de droit de l’Union que de droit national en matière d’AMM de médicament à usage humain relève donc des missions propres du ministre chargé de la santé. Un tel constat n’est pas infirmé par le fait que l’AFSSAPS s’est vu confier le soin d’octroyer les AMM conformément auxdites dispositions : établissement public de l’État « placé sous la tutelle du ministre chargé de la santé », selon les termes de l’article L. 5311-1 du code de la santé publique, sa création n’est qu’une modalité d’accomplissement de sa mission par le ministre chargé de la santé.

148. Or, en l’espèce, force est de constater que la décision attaquée, en tant qu’elle statue sur la première branche du grief unique, repose entièrement sur une interprétation des dispositions pertinentes en matière de délivrance des AMM. En effet, selon que l’on considère que la qualité de générique des spécialités Ratiopharm et leur droit à l’obtention d’AMM étaient définitivement reconnus par la décision de la Commission ou devaient encore être appréciés par l’AFSSAPS, le grief est susceptible d’être établi ou, au contraire, est nécessairement infondé.

149. Est sans fondement l’argument selon lequel, dès lors que le débat scientifique était clos et le cadre réglementaire clair, la solution du litige ne dépendait pas d’un texte que le ministre chargé de la santé était chargé d’appliquer ou sur lequel son interprétation était nécessairement requise. En effet, la clarté ou l’obscurité des textes ayant une incidence directe ou indirecte sur la licéité des pratiques n’est pas un critère pour déterminer si un ministre est ou non intéressé, seul important de savoir si la mise en oeuvre de ces textes relève de missions propres à ce ministre.

150. Dès lors que l’appréciation des pratiques était liée à la question de savoir si la qualité de générique des spécialités Ratiopharm était déjà tranchée par la décision de la Commission ou devait encore être déterminée par l’AFSSAPS, ce qui nécessitait l’interprétation des textes de droit national et de l’Union en matière d’AMM, interprétation ayant une incidence directe sur la licéité desdites pratiques, il appartenait au rapporteur général, ou au rapporteur général adjoint désigné par lui, de notifier le rapport au ministre chargé de la santé.

151. C’est en vain que l’Autorité soutient qu’en tout état de cause, il appartient au commissaire du Gouvernement d’informer, en tant que de besoin, les ministres dont il souhaite recueillir les avis. À supposer même que le commissaire du Gouvernement ait, en l’espèce, sollicité l’avis du ministre chargé de la santé en vue d’établir ses observations écrites et orales, ce qu’au demeurant l’Autorité ne démontre pas, une telle circonstance ne serait pas de nature à dispenser le rapporteur général ou le rapporteur général adjoint de notifier le rapport à ce ministre, qui était intéressé.

152. Il résulte des considérations qui précèdent que la décision attaquée a été prise au terme d’une procédure irrégulière.

Sur la sanction du défaut de notification du rapport au ministre chargé de la santé :

153. Aucune disposition légale ou réglementaire ne détermine les conséquences du défaut de notification du rapport aux ministres intéressés. Les requérantes rappellent certes que, dans sa décision n° 04-D-49 du 28 octobre 2004 relative à des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de l’insémination artificielle bovine (§ 132), le Conseil de la concurrence a considéré qu’une telle notification s’impose « à peine de nullité ». La cour souligne toutefois que la sanction légalement encourue ne saurait être fixée par les parties, fussent-elles d’accord, mais doit être recherchée par la cour au travers de l’interprétation du cadre juridique.

154. À cet égard, l’article 70 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, applicable ratione temporis, dispose : « Lorsque l’autorité administrative, avant de prendre une décision, procède à la consultation d’un organisme, seules les irrégularités susceptibles d’avoir exercé une influence sur le sens de la décision prise au vu de l’avis rendu peuvent, le cas échéant, être invoquées à l’encontre de la décision. »

155. Ces dispositions énoncent, s’agissant des irrégularités commises lors de la consultation d’un organisme, une règle qui s’inspire du principe selon lequel, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie. L’application de ce principe n’est pas exclue en cas d’omission d’une procédure obligatoire, à condition qu’une telle omission n’ait pas pour effet d’affecter la compétence de l’auteur de l’acte (CE, Ass. plén., arrêt du 23 décembre 2011, [P], req. n° 335477).

156. Eu égard à la fois au caractère obligatoire de la notification du rapport aux ministres intéressés et au fait que cette notification leur ouvre la possibilité de transmettre un avis écrit à l’Autorité, ainsi que le prévoit l’article R. 463-11 alinéa 2 du code de commerce, cette formalité s’analyse comme une consultation obligatoire au sens de l’article 70 de la loi du 17 mai 2011, précitée.

157. À l’évidence, l’omission de notification aux ministres intéressés n’a pas pour effet d’affecter la compétence de l’Autorité. Par ailleurs, cette formalité n’a ni pour objet ni pour effet de donner une garantie aux parties à la procédure devant l’Autorité, et au premier chef à l’entreprise à laquelle des griefs ont été notifiés. En conséquence, le défaut de notification du rapport aux ministres intéressés n’est susceptible d’entraîner la nullité de la procédure subséquente ainsi que celle de la décision prise à l’issue de cette procédure, que s’il ressort des pièces du dossier qu’elle a été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la décision prise.

158. En l’espèce, il n’appartient ni à l’Autorité ni à la cour de postuler que, si le rapport avait été notifié au ministre chargé de la santé, celui-ci aurait renoncé à éclairer l’Autorité par un avis.

159. Quant à la question de savoir si un tel avis aurait été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la décision attaquée, la cour rappelle, d’une part, que l’AFSSAPS – devenue aujourd’hui l’ANSM – a été spécialement instituée, sous la tutelle du ministre chargée de la santé, pour mettre en oeuvre les dispositions tant de droit de l’Union que de droit national en matière d’AMM de médicament à usage humain, de sorte que ses agents apparaissent les mieux à même de porter une analyse pertinente sur ces dispositions.

160. D’autre part, au cours de l’instruction, les rapporteurs ont procédé à l’audition :

— du chef du pôle juridique à la direction juridique et réglementaires de l’ANSM [auditions du 29 octobre 2014 (cote 37439) et du 13 février 2017 (cote 43938)] ;

— d’un évaluateur au pôle réglementaire à la même direction [audition du 22 septembre 2014 (cote 34055)] ;

— du responsable du département de l’évaluation pharmaceutique de l’AFSSAPS puis conseiller aux affaires pharmaceutiques et internationales à la direction de l’évaluation de l’ANSM [auditions du 23 mars 2012 (cote 28427) et du 22 septembre 2014 (cote 34055)] ;

— d’un évaluateur à la direction générique [audition du 22 septembre 2014 (cote 34055)] et

— d’un évaluateur pharmacocinétique à la direction de l’évaluation de l’ANSM [audition du 22 septembre 2014 (cote 34055)].

161. L’Autorité disposait donc d’ores et déjà de l’éclairage le plus complet qui soit sur le cadre juridique et scientifique par les agents de l’AFSSAPS et de l’ANSM, établissements publics placés sous la tutelle du ministre chargé de la santé, de sorte que l’absence d’avis de ce dernier n’a pu, en l’espèce, la priver d’éléments de compréhension dudit cadre ni, par conséquent, avoir une incidence sur son interprétation.

162. Il convient par ailleurs de souligner que, autorité administrative indépendante, l’Autorité n’est pas liée par les avis que les ministres intéressés peuvent lui transmettre.

163. Dès lors, la cour constate que l’éventuel avis du ministre chargé de la santé n’aurait pas été susceptible de modifier le sens de la décision attaquée, de sorte que le défaut de notification du rapport à ce ministre n’emporte pas l’annulation de la procédure subséquente et de la décision attaquée.

164. En tant que de besoin, la cour ajoute que, pour les mêmes raisons, ledit défaut de notification n’a pu causer aucun grief aux requérantes.

165. Le moyen d’annulation pris du défaut de notification du rapport au ministre chargé de la santé est rejeté.

1) ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu’après avoir constaté que la décision de l’Autorité de la concurrence avait été prise au terme d’une procédure irrégulière au regard des dispositions de l’article L. 463-2 du code de commerce, faute pour le rapporteur ou le rapporteur général adjoint d’avoir notifié le rapport au ministre chargé de la santé, la cour d’appel a relevé d’office le moyen de défense tiré de l’application de l’article 70 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 et du principe dégagé par le Conseil d’Etat d’après lequel « un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie » (CE, Ass., 23 décembre 2011, [P], n° 335477), puis a considéré que le défaut de notification du rapport au ministre chargé de la santé n’avait privé les parties poursuivies d’aucune garantie et n’avait pu avoir d’influence sur le sens de la décision dès lors que l’Autorité disposait d’ores et déjà de l’éclairage le plus complet qui soit sur le cadre juridique et scientifique à la suite de l’audition des agents de l’AFSSAPS et de l’ANSM, de sorte que l’absence d’avis du ministre de la santé n’avait pu, en l’espèce, la priver d’éléments de compréhension dudit cadre ni, par conséquent, avoir une incidence sur son interprétation ; qu’en s’abstenant de rouvrir les débats pour provoquer les explications contradictoires des parties sur ce moyen relevé d’office, la cour d’appel a violé l’article 16 du code de procédure civile.

2) ALORS, en toute hypothèse, QUE pour juger que le défaut de notification du rapport au ministre chargé de la santé n’était pas susceptible d’avoir exercé une influence sur le sens de la décision de l’Autorité, la cour d’appel a relevé que les rapporteurs avaient procédé à l’audition du chef du pôle juridique à la direction juridique et réglementaires de l’ANSM, d’un évaluateur au pôle réglementaire à la même direction, du responsable du département de l’évaluation pharmaceutique de l’AFSSAPS, d’un évaluateur à la direction générique et d’un évaluateur pharmacocinétique à la direction de l’évaluation de l’ANSM, de sorte que l’Autorité disposait d’ores et déjà de l’éclairage le plus complet qui soit sur le cadre juridique et scientifique par les agents de l’AFSSAPS et de l’ANSM ; qu’en se prononçant de la sorte, cependant qu’il résultait de ses propres constatations que l’AFSSAPS, ainsi que l’ANSM, qui lui a succédé, sont des établissements publics de l’Etat placés par l’article L. 5311-1 du code de la santé publique « sous la tutelle du ministre chargé de la santé », circonstance de droit dont il s’évinçait que les réponses que de simples agents de l’AFSSAPS et de l’ANSM avaient pu donner lors de leur audition par les services de l’instruction de l’Autorité ne pouvaient être tenues pour équipollentes à l’avis que le ministre chargé de la santé, autorité de tutelle de l’établissement dont relevaient ces agents, aurait lui-même pu donner s’il avait été mis en mesure de le faire par la communication du rapport, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales qui découlaient de ses propres constatations, a violé le texte susvisé, ensemble l’article 70 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011.

3) ALORS QU’EN jugeant que le défaut de notification du rapport au ministre chargé de la santé n’était pas susceptible d’avoir exercé une influence sur le sens de la décision de l’Autorité dès lors que celle-ci disposait déjà d’ores et déjà, au travers des auditions de plusieurs agents de l’AFSSAPS et de l’ANSM, de l’éclairage le plus complet qui soit sur le cadre juridique et scientifique dans lequel s’étaient déroulées les interventions reprochées à la société Janssen-Cilag, cependant qu’elle constatait par ailleurs que, par une décision du 28 juillet 2008, le Directeur général de l’AFSSAPS avait délivré au laboratoire Ratiopharm les autorisations de mise sur le marché (AMM) demandées, mais avait refusé en l’état l’identification du fentanyl Ratiopharm comme médicament générique et son inscription au répertoire des groupes génériques, compte tenu de l’absence de démonstration suffisante de l’identité de la quantité de substance active libérée dans l’organisme entre les spécialités Durogesic et celles de Ratiopharm, circonstance dont il s’évinçait que le Directeur général de l’AFSSAPS, supérieur hiérarchique des agents entendus par l’Autorité lors de son instruction, avait implicitement mais nécessairement considéré que l’AFSSAPS n’était pas, du fait de la décision de la Commission européenne du 23 octobre 2007 en situation de compétence liée pour décider de l’inscription au répertoire des groupes génériques des dispositifs transdermiques à base de fentanyl du laboratoire Ratiopharm, ce qui ne rendait que d’autant plus nécessaire de mettre le ministre chargé de la santé en mesure de faire connaître sa propre doctrine, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales qui découlaient de ses propres constatations, a derechef violé l’article L. 5311-1 du code de la santé publique, ensemble l’article 70 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011.

4) ALORS, enfin, QUE l’article 70 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 et le principe dont il s’inspire d’après lequel « un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie » ne sont applicables au cas d’omission d’une procédure obligatoire qu’à la condition qu’une telle omission n’ait pas pour effet d’affecter la compétence de l’auteur de l’acte (arrêt [P], précité) ; qu’en relevant que l’Autorité de la concurrence, en sa qualité d’autorité administrative indépendante, n’est pas liée par les avis que les ministres intéressés peuvent lui transmettre, pour en déduire que l’éventuel avis du ministre chargé de la santé n’aurait pas été susceptible de modifier le sens de la décision attaquée, la cour d’appel s’est déterminée par un motif impropre à justifier sa décision, privant sa décision de base légale au regard du texte et du principe susvisés.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

sur l’intervention prétendument « juridiquement infondée » du laboratoire Janssen-Cilag auprès de l’AFSSAPS –

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR rejeté les moyens d’annulation de la décision de l’Autorité de la concurrence n° 17-D-25 du 20 décembre 2017 pris de ce que l’Autorité avait commis des erreurs de droit quant à la détermination du cadre réglementaire dans lequel s’était inscrite l’intervention du laboratoire Janssen-Cilag auprès de l’AFSSAPS desquelles résultait une inexacte qualification de cette intervention comme « juridiquement infondée » et d’AVOIR, par voie de réformation de cette décision, infligé aux sociétés Janssen-Cilag et Johnson & Johnson une sanction pécuniaire d’un montant de 21 millions d’euros.

AUX MOTIFS QUE : 1) Sur les moyens pris des erreurs de l’Autorité quant à la détermination du cadre règlementaire :

Sur les notions d’ « essentiellement similaire » et de « générique » en droit de l’Union et en droit national :

195. À titre liminaire, la cour rappelle que les requérantes comme l’Autorité et le ministre chargé de l’économie s’accordent pour dire qu’en remplaçant, dans la directive 2001/83, les termes « médicament […] essentiellement similaire » par les termes « médicament générique », la directive 2004/27 n’a procédé qu’à un simple changement terminologique. Il s’ensuit que la définition du médicament générique, donnée à l’article 10, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/83, dans sa version résultant de la directive 2004/27, s’applique également à la notion de « médicament essentiellement similaire » employé dans l’article 10 de la directive 2001/83, dans sa version antérieure à la directive 2004/27.

196. D’une part, dès lors que les dispositions des articles R. 5121-29 2° c) et R. 5121-32 du code de la santé publique, dans leur version antérieure au décret du 6 mai 2008, assuraient la transposition en droit français de l’article 10 de la directive 2001/83, dans sa version antérieure à la directive 2004/27, il convient de constater la même équivalence entre la notion de spécialité essentiellement similaire figurant dans lesdites dispositions et celle de médicament générique, telle que définie à l’article 10, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/83, dans sa version résultant de la directive 2004/27.

197. D’autre part, la cour constate que les termes « médicament générique » et « spécialité générique » sont définis de façon identique à l’article 10, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/83, dans sa version résultant de la directive 2004/27, et à l’article L. 5121-1 5° du code de la santé publique, reposant sur une liste exhaustive de trois conditions :

— avoir la même composition qualitative et quantitative en substances actives que le médicament de référence ;

— avoir la même forme pharmaceutique que le médicament de référence ;

— faire la démonstration, par des études appropriées de biodisponibilité, de la bioéquivalence avec le médicament de référence.

198. S’agissant, en particulier de la dernière condition, il y a lieu de souligner que les notions scientifiques de « bioéquivalence » et de « biodisponibilité » ne sauraient recouvrer des concepts différents en droit de l’Union et en droit national. Il n’est a fortiori pas sérieux de soutenir qu’il existerait des degrés dans la bioéquivalence entre deux produits : deux médicaments sont ou ne sont pas bioéquivalents.

199. C’est, au demeurant, ce que confirme la déclaration des agents de l’ANSM en date du 22 septembre 2014, reproduite au paragraphe 178 du présent arrêt, d’où il ressort que le fait que la question se pose de savoir si deux spécialités présentent, aux fins de leur substituabilité, la même efficacité et la même tolérance ne suffit pas à remettre en cause le constat de leur bioéquivalence.

200. Il s’ensuit que les notions de médicament essentiellement similaire, au sens de la directive 2001/83, dans sa version antérieure à la directive 2004/27, de médicament générique, au sens de la directive 2001/83, dans sa version résultant de la directive 2004/27, de spécialité essentiellement similaire, au sens du code de la santé publique, dans sa version antérieure au décret du 6 mai 2008, et de spécialité générique, au sens du même code, tant avant qu’après l’entrée en vigueur dudit décret, ont la même signification.

201. C’est en vain que les requérantes soutiennent que, au moins jusqu’à l’entrée en vigueur du décret du 6 mai 2008, la pratique décisionnelle de l’AFSSAPS était de refuser, le cas échéant, l’inscription au répertoire des groupes génériques à une spécialité à laquelle elle aurait délivré une AMM dans le cadre d’une procédure abrégée, distinguant ainsi les notions de spécialité essentiellement similaire et de spécialité générique.

202. En effet, aucun des deux exemples invoqués n’établit une telle pratique. Le premier concerne les spécialités Ratiopharm, qui sont au coeur de la présente instance, pour lesquelles un refus d’inscription au répertoire des groupes génériques a été brièvement opposé à la société Ratiopharm à la suite de l’intervention de la société Janssen-Cilag auprès de l’AFSSAPS. Le second concerne la spécialité Matrifen du laboratoire Nycomed, que ce laboratoire ne souhaitait pas voir inscrite au répertoire des groupes génériques, de sorte que, même s’il devait être déduit de ce dernier exemple qu’au vu de la double terminologie ayant coexisté en droit français jusqu’au 7 mai 2008, l’AFSSAPS considérait qu’elle pouvait délivrer une AMM sur la base d’un dossier abrégé à une spécialité dont le laboratoire revendiquait la qualité de spécialité essentiellement similaire, sans l’inscrire au répertoire des groupes génériques lorsque le laboratoire n’en faisait pas la demande, la thèse des requérantes ne s’en trouverait pas confirmée pour autant.

203. En tout état de cause, et ainsi qu’il sera constaté ci-après, la présente espèce a ceci de spécifique que la qualité de médicament générique – et non de médicament essentiellement similaire – avait été reconnue par les autorités compétentes de l’Union aux spécialités Ratiopharm.

204. Il résulte des considérations qui précèdent, notamment, qu’un médicament ne peut à la fois être qualifié de médicament générique, au sens du droit de l’Union, et se voir dénier la qualité de spécialité générique, au sens du droit national.

Sur la reconnaissance mutuelle d’une AMM nationale délivrée selon la procédure abrégée

205. Il résulte de la lecture combinée des articles 10 et 28 à 34 de la directive 2001/83, modifiée par la directive 2004/27, qu’une procédure de reconnaissance mutuelle d’une AMM nationale délivrée à un médicament sur la base d’un dossier abrégé, ne peut aboutir que si la qualité de générique d’un médicament de référence est reconnue à ce médicament, puisque la procédure abrégée est réservée aux médicaments génériques par l’article 10 de la même directive.

206. En l’espèce, il est constant que les autorités allemandes ont, le 4 avril 2006, délivré des AMM aux spécialités Ratiopharm selon la procédure abrégée, en considérant qu’elles étaient des génériques des spécialités de Durogesic et que, sur la base de ces AMM, la société Ratiopharm a, le 6 juillet 2006, lancé une procédure de reconnaissance mutuelle, la France faisant partie des États membres concernés.

207. Il résulte du dossier que des points de désaccord sont apparus entre les États membres concernés, qui n’ont pu être réglés par le groupe de coordination, institué par l’article 27 de la directive 2001/83, modifiée par la directive 2004/27. Le désaccord portait notamment sur la question de savoir si la bioéquivalence des spécialités Ratiopharm avec les spécialités de Durogesic, médicaments de référence, était démontrée par des études appropriées de biodisponibilité, soit l’une des trois conditions exigées pour pouvoir qualifier un médicament de générique.

208. L’Agence européenne des médicaments ayant été saisie par l’Allemagne, le 20 décembre 2006, en application de l’article 29, paragraphe 4, de la directive 2001/83, le CHMP a rendu, le 19 juillet 2007, un avis favorable à la reconnaissance des AMM allemandes par les États membres concernés.

209. Le CHMP a notamment considéré que « la bioéquivalence entre les produits médicinaux de test et de référence a été suffisamment caractérisée au cours des 2 études (dose unique et dose multiple) réalisées avec une taille de timbre inférieure (7,5 cm²). Les légères différences observées ne sont pas considérées comme importantes d’un point de vue clinique et suggèrent que Fentanyl-Ratiopharm a un profil de libération prolongée légèrement plus prononcé, ce qui correspond aux attentes pour un timbre à matrice par rapport à un timbre réservoir ». Il a ajouté qu’ « une étude de bioéquivalence avec la dose maximale n’est pas jugée nécessaire, de la même façon qu’une étude parallèle supplémentaire ».

210. Il résulte de cet avis, auquel la décision de la Commission s’est conformée, que le CHMP a examiné la question de savoir si les spécialités Ratiopharm pouvaient être qualifiées de génériques des spécialités de Durogesic et, à l’issue d’une analyse scientifique, a conclu par l’affirmative. À cet égard, étant donné la date de la saisine de l’Agence européenne des médicaments, postérieure à la fois au 30 avril 2004, date d’entrée en vigueur de la directive 2004/27, et au 30 octobre 2005, date d’expiration du délai de transposition de cette directive, il est certain que le CHMP s’est, dans son analyse, référé à la définition du médicament générique figurant à l’article 10, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/83, dans sa version résultant de la directive 2004/27. En tant que de besoin, la cour souligne que le constat qui précède ne revient pas à appliquer aux requérantes des dispositions non encore transposées de la directive 2004/27.

211. Il ne saurait donc être déduit de l’absence, dans la décision de la Commission, du mot « générique » la preuve que les autorités de l’Union n’ont pas pris position sur la qualité de médicament générique des spécialités Ratiopharm.

212. Dès lors que les spécialités Ratiopharm se sont vu reconnaître, par la décision de la Commission, la qualité de médicament générique, au sens de la directive 2001/83, dans sa version résultant de la directive 2004/27, la qualité de spécialité générique, au sens des articles L. 5121-1 5° et L. 5121-10 du code de la santé publique, ne pouvait pas leur être déniée par les autorités nationales, et notamment l’AFSSAPS.

213. À cet égard, il est indifférent que la société Janssen-Cilag ait ou non disposé d’une voie de recours à l’encontre de la décision de la Commission pour contester les conditions d’attribution des AMM aux spécialités Ratiopharm. Aussi, même à le supposer fondé, le moyen pris de ce que l’Autorité aurait affirmé à tort qu’un tel recours était ouvert aux requérantes est inopérant, de sorte que la cour ne l’examinera pas.

Sur les conséquences de la reconnaissance de la qualité de générique

214. À titre liminaire, la cour constate que, si l’Autorité a fait mention, dans la décision attaquée, de spécialités ayant le « statut de générique », il ressort sans équivoque de la lecture de cette décision qu’elle a employé ces termes dans le sens de médicament ayant la « qualité de générique », ainsi que l’a d’ailleurs fait à de nombreuses reprises la société Janssen-Cilag elle-même, dans des documents internes comme dans les courriers adressés à l’Autorité.

215. À supposer qu’il existe un véritable « statut de générique » en droit de l’Union, il se borne à la possibilité d’accorder une AMM suivant la procédure abrégée à un médicament reconnu comme le générique d’un médicament de référence, ou de reconnaître, dans le cadre d’une procédure de reconnaissance mutuelle, une AMM délivrée par un État membre suivant la procédure abrégée.

216. En effet, en droit de l’Union, la qualification de générique n’emporte aucune conséquence quant à la possibilité – ou à l’obligation – de substitution d’un générique au médicament de référence par les pharmaciens, seul le droit national de chaque État membre étant susceptible de prévoir un tel mécanisme de substitution et, le cas échéant, de le rendre facultatif ou obligatoire.

217. C’est ainsi que, dans l’arrêt du Tribunal de l’Union AstraZeneca/Commission, précité (point 160), sur question du Tribunal, la Commission a indiqué que, dans les États qui pratiquent un système dans lequel le prix des médicaments remboursables par la sécurité sociale est fixé selon un prix de référence établi, pour chaque groupe de produits ayant un effet thérapeutique similaire, sur la base du prix relativement faible de l’un ou de plusieurs produits de ce groupe, de sorte que le prix de référence constitue le niveau de remboursement maximal pour tous les produits, « ce systèmen'[est] normalement appliqué qu’aux produits pour lesquels une version générique exist[e] » et « peut également être accompagné d’un mécanisme de substitution, qui permet aux pharmacies de, ou les oblige à, remplacer le produit prescrit par le médecin par des équivalents génériques moins chers » (souligné par la cour).

218. Il s’ensuit que, si, compte tenu de la décision de la Commission, l’AFSSAPS avait une compétence liée en ce qui concerne l’octroi d’AMM aux spécialités Ratiopharm, la délivrance de ces AMM, par décision du 28 juillet 2008, a suffi pour qu’elle respecte, à son niveau, les obligations de la France à l’égard de l’Union européenne.

219. En revanche, l’éventuelle obligation d’inscrire ces spécialités dans le répertoire des groupes génériques ne pouvait découler que du droit national, et plus précisément de l’article L. 5121-10 alinéa 3 du code de la santé publique.

220. Il ressort de cette disposition qu’il faut et il suffit qu’un médicament réponde à la définition de spécialité générique figurant à l’article L. 5121-1 5° du même code pour pouvoir être inscrit dans le répertoire des groupes génériques.

221. En effet, aucune condition supplémentaire ne doit être satisfaite pour qu’un générique soit déclaré substituable au médicament de référence : c’est parce qu’un médicament a la même composition qualitative et quantitative en principe[s] actif[s], la même forme pharmaceutique et que sa bioéquivalence avec le médicament de référence est démontrée par des études de biodisponibilité appropriées, qu’il lui est substituable. En d’autres termes, la substituabilité à la spécialité de référence est, en droit français, consubstantielle à la qualité de spécialité générique.

222. Certes, dès lors que le principe et les modalités de substitution d’une spécialité générique à la spécialité de référence sont de la compétence exclusive des autorités nationales, il eût été loisible au législateur français d’exiger, pour que soit autorisée une telle substitution, des conditions plus strictes que celles requises pour pouvoir qualifier une spécialité de générique. Une telle option eût été d’autant plus envisageable que, ainsi que le démontre la présente espèce, le constat de la biodisponibilité entre deux spécialités n’épuise pas toutes les questions liées à la substituabilité de l’une par l’autre (à cet égard, voir l’audition des agents de l’ANSM, reproduite au paragraphe 178 présent arrêt). Mais force est de constater que tel n’a pas été le choix du législateur : aux termes de l’article L. 5121-10 du code de la santé publique, dans sa version résultant de la loi n° 2003-1199, restée inchangée pendant toute la période couverte par les faits de l’espèce, il suffit qu’ait été délivrée une « autorisation de mise sur le marché d’une spécialité générique » pour que le directeur général de l’AFSSAPS – désormais de l’ANSM – inscrive cette spécialité au répertoire des groupes génériques avec la spécialité de référence dont il a été constaté qu’elle était le générique.

223. C’est d’ailleurs en ce sens que le Conseil d’État a statué : dans son arrêt du 21 décembre 2007, Reckitt Benckiser, précité, il a jugé qu’il résulte des dispositions des articles L. 5121-1 5° et L. 5121-10 du code de la santé publique que l’identification d’un médicament comme générique d’une spécialité se fait à l’occasion de la délivrance de l’AMM à ce médicament, laquelle est subordonnée à la vérification que le médicament remplit les conditions pour être identifié comme générique ; que l’autorisation ainsi délivrée et qui est notifiée au titulaire de l’AMM de la spécialité de référence comporte la mention expresse de cette identification qui est reproduite dans l’avis publié au Journal officiel ; que l’inscription de ce médicament au répertoire des groupes génériques, si elle constitue une décision distincte de la délivrance de l’AMM et si elle produit des effets propres consistant à permettre au pharmacien de substituer un générique à la spécialité de référence, se borne néanmoins à tirer les conséquences de la délivrance de l’AMM en qualité de générique, après que le titulaire de l’AMM de la spécialité de référence a été mis à même de faire valoir, le cas échéant, ses droits, sans donner lieu à une nouvelle procédure d’instruction visant à vérifier si le médicament répond aux conditions fixées par le code de la santé publique pour être identifié comme générique ; que, dans ces conditions, lorsque la décision délivrant l’AMM d’un générique est devenue définitive, ne peuvent plus être invoqués à l’appui d’une contestation de la décision d’inscription au répertoire des groupes génériques de ce médicament des moyens tirés de ce que celle-ci serait illégale au motif que les conditions posées à cette identification ne seraient pas satisfaites, ces moyens remettant nécessairement en cause la légalité de la décision d’AMM. Il ressort notamment de cet arrêt que ce sont bien les mêmes conditions qui doivent être remplies par une spécialité pour à la fois obtenir la délivrance d’une AMM selon la procédure abrégée et son inscription au répertoire des groupes génériques.

224. Il importe peu que, comme en l’espèce, la décision de délivrance d’AMM soit prise par l’AFSSAPS en exécution d’une décision de reconnaissance mutuelle de la Commission. En effet, dans une telle hypothèse, le constat que la spécialité qui a bénéficié d’une AMM nationale suivant la procédure abrégée remplit les conditions pour être qualifiée de générique est effectué, sur la base de l’avis du CHMP, par la Commission, qui se voit attribuer la compétence pour procéder à un tel constat en lieu et place des autorités nationales de santé des États membres concernés par la demande de reconnaissance mutuelle.

225. En conséquence, dès lors que la qualité de spécialité générique, au sens des articles L. 5121-1 5° et L. 5121-10 du code de la santé publique, ne pouvait être déniée aux spécialités Ratiopharm par l’AFSSAPS, le directeur général de cette autorité était tenu, en vertu du dernier de ces articles, de les inscrire au répertoire des groupes génériques en tant que génériques de Durogesic.

226. Il résulte des considérations qui précèdent que l’Autorité, qui n’a pas fait application d’une directive non transposée, a exactement analysé le cadre juridique.

227. L’ensemble des moyens pris de l’interprétation juridiquement erronée du cadre juridique sont rejetés, sans qu’il soit besoin de saisir la Cour de justice d’un renvoi préjudiciel.

(…)

2) Sur le moyen pris de la dénaturation du contenu, de la portée et des effets de l’intervention de la société Janssen-Cilag auprès L’AFSSAPS

228. Au paragraphe 432 de la décision attaquée, l’Autorité a dit que, dans le cadre de son intervention auprès de l’AFSSAPS, la société Janssen-Cilag « est revenu[e] sur les conditions de fond d’attribution d’une AMM pour les spécialités génériques de fentanyl transdermique (remise en causedela bioéquivalence, de la condition d’identité de quantité et qualité du principe actif et de la condition relative à la forme pharmaceutique), afin de remettre en cause la délivrance d’AMM et la reconnaissance du statut de générique à ces spécialités ». Elle a ajouté, au paragraphe 454, que cette société « a présenté à l’autorité française de santé des arguments dont l’objet était de remettre en cause l’octroi d’AMM pour les spécialités génériques de fentanyl » et, au paragraphe 469, qu’elle « a, en réalité, présenté un argumentaire remettant en cause l’octroi même de l’AMM pour les spécialités génériques de fentanyl transdermique ».

(…)

235. Il est constant – et non contesté – que, dans le cadre de son intervention auprès de l’AFSSAPS, la société Janssen-Cilag a remis en cause la qualité de générique des spécialités Ratiopharm et s’est opposée à leur inscription dans le répertoire des groupes génériques, condition sine qua non pour pouvoir les substituer aux spécialités de Durogesic, spécialités de référence.

236. En revanche, ainsi que le font valoir les requérantes, cette intervention ne visait pas à remettre en cause la délivrance d’AMM aux spécialités Ratiopharm.

237. Il résulte sans équivoque des différents courriers de la société Janssen-Cilag à l’AFSSAPS (courriers des 25 mars, 14 avril, 19 mai et 22 octobre 2008) qu’à aucun moment elle n’a contesté le principe même de la délivrance d’AMM aux spécialités Ratiopharm. Il ressort au contraire du courrier du 25 mars 2008 que son auteur considère comme acquis que ces spécialités bénéficient d’une AMM : « Les autres spécialités en cours d’enregistrement ont, selon nos informations, obtenu leur AMM sur la base d’un dossier allégé faisant référence à notre spécialité DUROGESIC®. » (cote 380).

238. Il doit d’ailleurs être souligné que l’argumentaire développé par la requérante est resté inchangé dans son courrier du 22 octobre 2008, pourtant rédigé postérieurement à la délivrance d’AMM aux spécialités Ratiopharm, par décisions de l’AFSSAPS du 28 juillet 2008.

239. Dans ses courriers à l’AFSSAPS, la société Janssen-Cilag ne soutient pas que la mise sur le marché des spécialités Ratiopharm ferait courir un risque aux patients. Les préoccupations de santé publique qu’elle exprime portent exclusivement sur les conséquences susceptibles de découler de la substitution d’une de ces spécialités à ses propres dispositifs en cours de traitement.

240. Dès lors, la « crainte dans l’esprit de l’AFSSAPS » (décision attaquée, § 194) susceptible d’être générée par les arguments de la société Janssen-Cilag ne pouvait pas porter sur le principe même de la délivrance d’AMM aux spécialités Ratiopharm, mais uniquement sur les conséquences d’une telle substitution en cours de traitement, une fois ces spécialités mises sur le marché.

241. Cette analyse est confirmée par les procès-verbaux des réunions des groupes de travail de l’AFSSAPS qui ont eu à connaître du dossier.

242. Dans le procès-verbal de sa réunion du 19 juin 2008 (cote 312), le GTMG précise qu’il s’est réuni pour répondre aux deux questions suivantes : « Y a-t-il un obstacle à la substitution entre les dispositifs transdermiques de fentanyl ? Si non, faut-il accompagner la substitution de mesures particulières ? ». Il ajoute que la discussion « s’est appuyée sur la documentation versée par le Laboratoire Jannsen Cilag pour contester le caractère substituable des AMM génériques », formulation démontrant que, pour le GTMG, le principe de la mise sur le marché des spécialités Ratiopharm est acquis. Par ailleurs, si, dans le dernier paragraphe de sa conclusion, le GTMG « émet de fortes réserves sur l’interprétation juridique faite de la définition du générique afin de pouvoir y inclure les dispositifs transdermiques » – critique implicite de la décision de la Commission –, il n’en tire aucune conséquence s’agissant de la délivrance d’AMM aux spécialités Ratiopharm, dont à aucun moment il ne remet le principe en cause puisque, au contraire, sa seule conclusion opérante est en faveur de l’autorisation de la substitution – laquelle suppose la délivrance préalable des AMM – « à condition que celle-ci soit associée à des recommandations des prescripteurs et des pharmaciens à leurs patients lors du switch ».

243. Il ressort pareillement du procès-verbal de la réunion du GTNPA du 10 juillet 2008 (cote 318), que celui-ci est réuni pour répondre aux deux mêmes questions que le GTMG. Déclarant qu’il « soutient l’avis du GTMG, que les différences en composition quantitatives des différents patchs proposés pourraient potentiellement, pour ce produit dont la marge thérapeutique est étroite, poser des problèmes de sécurité en particulier chez les sujets âgés ou en cas d’hyperthermie dont on sait qu’elle peut augmenter le passage transcutané) », le GTNPA conclut qu’il y a un obstacle à la substitution entre les patchs de fentanyl. Là encore, la délivrance d’AMM à ces spécialités n’est pas mise en cause.

244. Par ailleurs, le fait que, lors de sa séance du 17 juillet 2008 (cotes 354 à 374), la commission d’AMM a renvoyé à une séance ultérieure la question de la substituabilité à Durogesic des spécialités Ratiopharm « pour poursuivre l’évaluation », n’a pas empêché que des AMM soient délivrées à ces spécialités par décisions du 28 juillet 2008 (cote 425), preuve qu’il n’y avait pas pour l’AFSSAPS corrélation entre la délivrance des AMM et la question de la substitution en pharmacie.

245. Ainsi, la requérante, qui ne pouvait ignorer que la décision de la Commission obligeait l’AFSSAPS à délivrer les AMM sollicitées par la société Ratiopharm, ne lui a pas demandé de refuser de les accorder, et l’AFSSAPS, qui n’ignorait pas qu’elle était tenue de les délivrer, n’a pas interprété en ce sens les démarches de la société Janssen-Cilag.

246. L’Autorité et le ministre font certes valoir à juste titre qu’il n’existe pas deux notions de « générique » en droit de l’Union et en droit français. Mais il s’ensuit seulement que la position de la société Janssen-Cilag, admettant, d’un côté, la délivrance d’AMM à des spécialités dont la qualité de générique de Durogesic avait été constatée dans le cadre de la procédure abrégée, tout en leur refusant, de l’autre, cette même qualité de générique au stade de la substitution, était juridiquement incohérente.

247. Le constat erroné que l’intervention de la société Janssen-Cilag tendait à empêcher la délivrance d’AMM aux spécialités Ratiopharm a nécessairement conduit l’Autorité à considérer le premier terme de l’infraction unique comme plus grave qu’il n’était, ce dont il sera tenu compte, le cas échéant, au stade de la détermination de la sanction.

248. En revanche, c’est à tort que les requérantes soutiennent que l’erreur commise par l’Autorité « anéantit complètement » la décision attaquée en ce qui concerne la première pratique constitutive de l’infraction unique. En effet, ladite erreur n’affecte pas le constat que la société Janssen-Cilag a ouvert devant l’AFSSAPS un débat juridiquement infondé quant à la qualité de générique des spécialités Ratiopharm.

1) ALORS QU’EN vertu de l’article 168, § 7 du TFUE, « l’action de l’Union est menée dans le respect des responsabilités des Etats membres en ce qui concerne la définition de leur politique de santé, ainsi que l’organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux » et « les responsabilités des Etats membres incluent la "gestion de services de santé et de soins médicaux, ainsi que l’allocation des ressources qui leur sont affectées » ; que, par ailleurs, l’article 10 de la directive 2001/83/CE du 6 novembre 2001 instituant un Code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, dans sa version consolidée issue de la directive 2004/27/CE ne donne de la notion de « médicament générique », substituée à celle de « spécialité essentiellement similaire », une définition qui ne vaut qu’ « aux fins du présent article », c’est-à-dire pour les seuls besoins de la détermination du contenu du dossier devant être remis aux autorités de santé en vue de l’obtention d’autorisations de mise sur le marché (AMM), l’article 4 §. 3 de la même directive précisant au surplus que les dispositions qu’elle renferme « n’affectent pas les compétences des autorités des Etats membres, ni en matière de fixation des prix des médicaments ni en ce qui concerne leur inclusion dans le champ d’application des systèmes nationaux d’assurance maladie, sur la base de conditions sanitaires, économiques et sociales, notamment en matière de remboursement » ; qu’il résulte de la combinaison de ces dispositions que, d’une part, les Etats membres de l’Union européenne jouissent d’une compétence exclusive pour déterminer les conditions et les procédures par lesquelles un médicament peut se voir reconnaître la qualité de médicament générique au sens et pour l’application de leur législation interne de sécurité sociale autorisant la substitution par les pharmaciens de médicaments génériques aux médicaments de référence et que, d’autre part, la décision, même prise sur la base de la procédure abrégée réservée aux spécialités génériques au sens de l’article 10 de la directive susvisée, par laquelle la Commission enjoint, en vertu de l’article 34 §. 3 de cette directive, aux Etats membres concernés par une procédure de reconnaissance mutuelle d’AMM de délivrer des AMM n’a d’autorité de la chose décidée que dans les limites de son objet et ne saurait placer les autorités nationales de santé en situation de compétence liée pour trancher la question, distincte, de l’attribution pour la spécialité pharmaceutique concernée du statut de médicament générique conditionnant le droit de substitution du pharmacien prévu par leur législation interne ; qu’en affirmant néanmoins que, dès lors que les spécialités Ratiopharm s’étaient vu reconnaître par une décision de la Commission du 23 octobre 2007 la qualité de médicament générique, au sens de la directive 2001/83, dans sa version résultant de la directive 2004/27, le directeur général de l’AFSSAPS ne pouvait refuser de leur reconnaître la qualité de médicament générique au sens des articles L. 5121-1 5° et L. 5121-10 du code de la santé publique et de procéder à leur inscription au répertoire des groupes génériques ouvrant le droit de substitution des pharmaciens, la cour d’appel, qui a ainsi attribué à la décision de la Commission une autorité de chose décidée qui excédait son propre objet, en méconnaissance des règles de répartition des compétences entre les organes de l’Union et les Etats membres, a violé l’ensemble des dispositions susvisées.

2) ALORS, de deuxième part, QUE les articles L. 5121-10 alinéa 3 et R. 5121-5 du code de la santé publique ne confèrent qu’à l’AFSSAPS et à son directeur général la compétence pour identifier une spécialité pharmaceutique comme un médicament générique au sens de l’article L. 5121-1, 5° du même code et inscrire cette spécialité au répertoire des groupes génériques, sous la condition, s’il y a lieu, d’une mise en garde ; qu’aucune autre disposition légale ou réglementaire ne vient faire échec à cette compétence exclusive de l’AFSSAPS et au pouvoir qu’elle implique d’apprécier si le médicament en cause a bien la même composition qualitative et quantitative en substances actives que le médicament de référence, a la même forme pharmaceutique que le médicament de référence et fait la démonstration, par des études appropriées de biodisponibilité, de la bioéquivalence avec le médicament de référence ; qu’en relevant que l’article L. 5121-10 alinéa 3 du code de la santé publique n’avait pas subordonné l’inscription d’un médicament au répertoire des groupes génériques à d’autres conditions que la vérification de ce qu’il répond à la définition de la spécialité générique donnée à l’article L. 5121-1, 5° du même code et que ce dernier texte avait lui-même défini la spécialité générique en usant de critères similaires à ceux employés pour définir la notion de « générique » par l’article 10 de la directive 2001/83/CE du 6 novembre 2001 instituant un Code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, dans sa version issue de la directive 2004/27/CE, si bien qu’il serait « juridiquement incohérent », de la part du directeur général de l’AFSSAPS de dénier une qualification de médicament générique que la Commission européenne avait préalablement admise, la cour d’appel s’est déterminée par des motifs impropres à fonder l’existence d’une compétence liée du directeur de l’AFSSAPS par l’effet d’une décision prise par la Commission européenne en vertu de l’article 34 §. 3 de la directive précitée, dont ce dernier texte restreint la portée à la seule délivrance de l’AMM ; qu’en se prononçant de la sorte, la cour d’appel a violé par fausse interprétation les articles L. 5121-10 alinéa 3 et R. 5121-5 du code de la santé publique, ensemble l’article L. 5121-1, 5° du même code.

3) ALORS, de troisième part, QUE l’article 10 de la directive 2001/83/CE instituant un Code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, dans sa version modifiée par la directive 2004/27/CE, n’ayant donné de la notion de médicament générique, substituée à celle de spécialité essentiellement similaire, une définition fonctionnelle qui ne vaut qu’ « aux fins du présent article », c’est-à-dire pour les seuls besoins de la détermination du contenu du dossier devant être remis aux autorités de santé en vue de l’obtention d’autorisations de mise sur le marché (AMM), il n’existe aucune « incohérence juridique » à ce que l’appréciation, par le directeur de l’AFSSAPS, de la démonstration, par des études appropriées de biodisponibilité, de la bioéquivalence du médicament en cause avec le médicament de référence soit exercée moyennant un standard d’exigence plus élevé, dès lors qu’il ne s’agit plus à ce stade de vérifier si ce médicament peut être mis sur le marché, ce qui est définitivement acquis, mais de déterminer s’il peut, sans danger et sans perte d’efficacité, être à tout moment substitué au médicament de référence pour des patients en cours de traitement ; qu’en énonçant qu’un médicament ne peut à la fois être qualifié de médicament générique, au sens du droit de l’Union et se voir dénier la qualité de spécialité générique, au sens du droit national, cependant qu’il résultait de ses propres constatations qu’ « ainsi que le démontre la présente espèce, le constat de la biodisponibilité [lire : bioéquivalence] entre deux spécialités n’épuise pas toutes les questions liées à la substituabilité de l’une par l’autre », la Cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales qui découlaient de ses propres constatations, a violé derechef les articles L. 5121-10 alinéa 3 et L. 5121-1, 5° du code de la santé publique, ensemble l’article 10 de la directive 2001/83/CE instituant un Code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, dans sa version modifiée par la directive 2004/27/CE.

QUATRIEME MOYEN DE CASSATION

– subsidiairement, sur la qualification d’abus de position dominante de l’intervention « juridiquement infondée » du laboratoire Janssen-Cilag auprès de l’AFSSAPS –

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR rejeté les moyens d’annulation de la décision de l’Autorité de la concurrence n° 17-D-25 du 20 décembre 2017 pris de l’absence de réunion des conditions requises pour qu’une intervention auprès d’une autorité publique constitue un abus de position dominante ainsi que de la légitimité de l’intervention de la société Janssen-Cilag auprès de l’AFSSAPS et d’AVOIR, par voie de réformation de cette décision, infligé aux sociétés Janssen-Cilag et Johnson & Johnson une sanction pécuniaire d’un montant de 21 millions d’euros.

AUX MOTIFS QUE : Sur les moyens pris de l’absence de réunion des conditions requises pour qu’une intervention auprès d’une autorité publique constitue un abus de position dominante :

268. En premier lieu, ainsi que la cour l’a relevé au paragraphe 96 du présent arrêt, dans les arrêts AstraZeneca/Commission, précités, les juridictions de l’Union n’ont pas défini de façon exhaustive toutes les hypothèses dans lesquelles l’intervention auprès d’une autorité publique est susceptible de constituer une pratique anticoncurrentielle. Dans ces arrêts, en effet, les juridictions de l’Union ont raisonné en référence aux seules circonstances de l’espèce.

269. Dans l’affaire ayant donné lieu à ces arrêts, une entreprise cherchait à obtenir d’une autorité publique une décision lui reconnaissant des droits exclusifs. Tant que cette décision n’était pas prise, aucun effet anticoncurrentiel n’était susceptible de se produire. C’est dans ce contexte que les juridictions de l’Union ont dit qu’il ne pouvait y avoir abus de position dominante que si les déclarations de l’entreprise étaient réellement de nature à conduire l’autorité publique sollicitée à lui accorder les droits exclusifs qu’elle demandait et ont, par conséquent, jugé que la marge d’appréciation limitée de l’autorité publique ou l’absence d’obligation lui incombant de vérifier l’exactitude ou la véracité des informations communiquées « peuvent constituer des éléments pertinents devant être pris en considération ».

270. Or la présente espèce est factuellement très différente de cette affaire.

271. L’intervention de la société Janssen-Cilag n’avait pas pour objet, et ne pouvait pas avoir pour effet, d’obtenir une décision positive en faveur de ses spécialités. En revanche, elle pouvait conduire le directeur général de l’AFSSAPS à refuser d’inscrire les spécialités de la société Ratiopharm, entreprise concurrente, au répertoire des groupes génériques, ou du moins à retarder leur inscription, repoussant d’autant la mise en oeuvre du droit de substitution, lequel constitue l’un des principaux vecteurs de conquête de parts de marché pour les fabricants de génériques.

272. Certes, ainsi que la cour l’a relevé aux paragraphes 212 et 225 du présent arrêt, l’AFSSAPS et son directeur général n’avaient aucune marge de manoeuvre quant à la reconnaissance de la qualité de générique des spécialités Ratiopharm et à leur inscription au répertoire des groupes génériques, de sorte que la contestation de cette qualité par la société Janssen-Cilag ne pouvait pas aboutir à un refus définitif de les inscrire à ce répertoire.

273. Il ne saurait toutefois en être déduit que l’intervention de la société Janssen-Cilag ne pouvait pas, en tant que telle, produire des effets anticoncurrentiels. En effet, ainsi que l’Autorité l’a justement fait valoir aux paragraphes 414 et 419 de la décision attaquée, il existe une aversion au risque des professionnels de santé, et notamment des personnes chargées d’élaborer les décisions de l’AFSSAPS, en raison notamment d’une certaine judiciarisation des questions de santé. S’agissant, en particulier, de l’AFSSAPS, l’importance de ses décisions sur la santé publique est considérable, et se traduit par une responsabilité non moins importante. Ceci a pour conséquence que toute contestation, fondée ou non, conduit quasi-inéluctablement à un ralentissement du processus décisionnel au sein de l’AFSSAPS, ce qu’aucun laboratoire pharmaceutique ne peut ignorer.

274. Ainsi, à la différence de l’affaire AstraZeneca, où les arguments avancés par l’entreprise ne pouvaient produire un effet anticoncurrentiel qu’à la condition que l’autorité les fasse siens et prenne la décision sollicitée, dans la présente espèce, c’est le fait même de soulever un débat juridiquement infondé qui était de nature à produire un effet anticoncurrentiel.

275. La cour relève encore que les requérantes reconnaissent qu’une controverse juridique peut être constitutive d’un abus de droit, au stade d’un éventuel recours, lorsqu’il apparaît que l’entreprise, qui ne peut plus ignorer que son analyse juridique ne peut plus être soutenue, exerce néanmoins un recours à seule fin de retarder un concurrent. Mais, d’une part, est susceptible de constituer un abus, à toute étape de la procédure, le fait pour une entreprise de soutenir une analyse juridique dont la fausseté ressort déjà de l’état du droit. D’autre part, tel est le cas dans la présente espèce. En effet, depuis l’arrêt du Conseil d’État du 21 décembre 2007, Reckitt Benckiser, précité, il est établi que les articles L. 5121-1 5° et L. 5121-10 du code de la santé publique doivent être interprétés en ce sens que, lorsque la décision délivrant l’AMM d’un générique est devenue définitive, ne peuvent plus être invoqués à l’appui d’une contestation de la décision d’inscription au répertoire des groupes génériques de ce médicament des moyens tirés de ce que celle-ci serait illégale au motif que les conditions posées à cette identification ne seraient pas satisfaites, ces moyens remettant nécessairement en cause la légalité de la décision d’AMM. Or, dès l’instant où les requérantes reconnaissaient que des AMM devaient être délivrées aux spécialités Ratiopharm à l’issue d’une procédure abrégée dans laquelle leur qualité de générique de Durogesic avait été constatée par la Commission, elles ne pouvaient pas soutenir, sans méconnaître ces mêmes articles, que lesdites spécialités ne devaient pas être inscrites au répertoire des groupes génériques. Elles ne pouvaient donc pas ignorer – et en tout cas n’aurait pas dû ignorer – que le débat qu’elles ouvraient devant l’AFSSAPS quant à la qualité de générique des spécialités Ratiopharm reposait sur une analyse juridique qui ne pouvait plus être soutenue.

276. En second lieu, c’est en vain que les requérantes soutiennent que qualifier de pratique anticoncurrentielle la présentation d’arguments juridiques ou scientifiques par une entreprise à l’autorité publique habilitée à en connaître viole le droit de cette entreprise à la liberté d’expression.

277. D’une part, la cour rappelle que, par la décision attaquée, l’Autorité n’a pas reproché à la société Janssen-Cilag d’avoir fait part à l’AFSSAPS de ses préoccupations de santé publique liées à la substitution de génériques à son médicament princeps en cours de traitement. Par cette décision, l’Autorité reproche seulement à cette société d’avoir remis en cause la reconnaissance de la qualité de générique de Durogesic des spécialités Ratiopharm, estimant, à juste titre, que cette question était déjà tranchée.

278. La liberté des requérantes de communiquer à l’AFSSAPS tous arguments scientifiques de leur choix n’est donc pas atteinte par la décision attaquée.

279. D’autre part, s’il est vrai que la constatation de l’existence d’une position dominante n’implique par elle-même aucun reproche envers l’entreprise concernée, le comportement d’une telle entreprise, du fait que la structure concurrentielle du marché est déjà affaiblie, peut donner lieu à une exploitation abusive de sa position dominante (CJUE, arrêt du 6 octobre 2015, Post Danmark, C-23/14, point 70). C’est pourquoi pèse sur l’entreprise qui détient une position dominante la responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée dans le marché intérieur (CJUE, arrêts Post Danmark, précité, point 71, et du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C-413/14 P, point 135).

280. Une entreprise en position dominante a certes droit au respect de sa liberté d’expression et doit pouvoir proposer à l’autorité publique compétente une analyse juridique dans un contexte où l’interprétation des textes légaux et réglementaires est encore incertaine. Toutefois, ne relève pas de l’exercice légitime de cette liberté, le fait pour une telle entreprise d’intervenir dans le processus décisionnel d’une autorité publique en soulevant devant celle-ci une analyse juridique dont elle sait, ou doit savoir, qu’elle est contraire à l’interprétation constante des textes applicables, lorsqu’il s’avère que le débat ainsi ouvert devant ladite autorité est susceptible d’entraver le libre jeu de la concurrence sur le marché où elle détient une position dominante.

281. En l’espèce, ainsi que la cour l’a constaté, c’est l’ouverture d’un débat devant l’AFSSAPS quant à la qualité de générique des spécialités Ratiopharm qui était, en elle-même, de nature à retarder leur inscription au répertoire des groupes génériques et, par conséquent, à repousser la possibilité de les substituer au dispositif princeps, alors même que ce débat avait déjà été tranché par les autorités européennes de santé et que l’AFSSAPS n’avait pas compétence pour remettre en cause ladite qualité de générique.

282. Si la société Janssen-Cilag était libre de considérer que la qualité de générique de Durogesic n’aurait pas dû être reconnue aux spécialités Ratiopharm, et même d’exprimer ce regret devant l’AFSSAPS, elle ne pouvait pas, en revanche, soutenir de façon juridiquement erronée, et chercher à faire accroire à l’AFSSAPS, que cette question restait pendante et qu’il appartenait à cette dernière de la trancher, alors que cette prise de position était susceptible de retarder la mise en oeuvre du droit de substitution, dont la cour a souligné l’importance qu’il revêt pour la pénétration du marché par les génériques.

283. Enfin, il y a lieu de constater, à titre surabondant, que le cadre juridique et le contexte factuel n’étaient pas d’une complexité telle que la société Janssen-Cilag, appartenant à un groupe d’envergure mondiale, ait pu se méprendre sur les conséquences de la décision de la Commission et considérer de bonne foi que l’AFSSAPS devait encore se prononcer sur la qualité de générique des spécialités Ratiopharm, au sens du droit français.

284. Dès lors, l’Autorité, qui ne s’est pas fondée sur une interprétation subjective du cadre réglementaire, mais à la fois sur le constat objectif que la notion de générique est définie en termes strictement identiques à l’article 10, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/83, dans sa version résultant de la directive 2004/27, et à l’article L. 5121-1 5° du code de la santé publique et sur l’interprétation de l’article L. 5121-10 du code de la santé publique par la plus haute juridiction administrative, fait valoir à juste titre qu’elle n’a pas sanctionné l’expression d’une opinion, mais un comportement anticoncurrentiel.

285. Sont donc rejetés les moyens des requérantes pris de l’absence de réunion des conditions requises pour qu’une intervention auprès d’une autorité publique constitue un abus de position dominante.

ET AUX MOTIFS QUE :

95. S’agissant (…) des arrêts du Tribunal de l’Union et de la Cour de justice AstraZeneca/Commission, précités, la cour constate que, dans ces arrêts, les juridictions de l’Union se sont bornées à préciser, en se plaçant dans le contexte factuel de l’affaire, quels sont les éléments qui doivent, ou peuvent, être pris en considération par les autorités de concurrence afin d’apprécier si l’intervention d’une entreprise en position dominante auprès d’une autorité publique est constitutive d’un abus de position dominante. La cour constate d’ailleurs que cette jurisprudence est également invoquée par les requérantes pour soutenir, sur le fond, que les conditions requises pour qu’une telle intervention soit qualifiée d’abus de position dominante ne sont pas réunies en l’espèce. Ladite jurisprudence est en revanche étrangère à la délimitation des compétences d’une autorité de concurrence pour apprécier le caractère anticoncurrentiel d’une intervention d’un opérateur économique auprès d’une autre autorité publique.

96. La cour ajoute, à titre surabondant, d’une part, que rien, dans les arrêts AstraZeneca/Commission, précités, ne permet de considérer que les juridictions de l’Union ont défini de façon exhaustive les hypothèses dans lesquelles l’intervention d’une entreprise en position dominante auprès d’une autorité publique constitue un abus de position dominante, de sorte que c’est à tort que les requérantes soutiennent qu’une telle intervention n’est susceptible d’être anticoncurrentielle que si l’entreprise en position dominante communique à l’autorité publique des données objectivement et factuellement fausses. D’autre part, si, dans son arrêt AstraZeneca/Commission, précité (point 357), le Tribunal de l’Union a jugé que « la marge d’appréciation limitée des autorités publiques ou l’absence d’obligation leur incombant de vérifier l’exactitude ou la véracité des informations communiquées peuvent constituer des éléments pertinents devant être pris en considération devant être pris en considération aux fins de déterminer si la pratique en cause est de nature à aboutir à l’élévation d’obstacles réglementaires à la concurrence » (souligné par la cour), l’emploi du verbe « pouvoir » suffit à démontrer que cette juridiction n’a pas fait de l’existence et de l’importance d’une telle marge d’appréciation une condition sine qua non pour pouvoir qualifier une intervention auprès de l’autorité publique de pratique anticoncurrentielle.

ET ENCORE AUX MOTIFS QUE :

— Sur le moyen pris de la légitimité de l’intervention de la société Janssen-Cilag auprès de l’AFSSAPS :

323. A titre liminaire, la cour constate que la question de savoir si l’intervention de la société Janssen-Cilag était légitimée par des considérations de santé publique était au coeur du débat devant le collège de l’Autorité, eu égard aux arguments que soulevaient les requérantes. La cour doit donc examiner le moyen pris de l’existence d’une justification objective.

324. En premier lieu, la cour rappelle que l’Autorité, qui n’a pas mis en cause l’exactitude des informations scientifiques communiquées par la société Janssen-Cilag à l’AFSSAPS, n’a pas reproché à cette société d’avoir fait part à cette autorité de santé des préoccupations de santé publique que faisait naître la possibilité de substitution des génériques de Durogesic à son dispositif princeps.

325. Dans ces conditions, il est indifférent de savoir si la communication de ces préoccupations entrait ou non dans les obligations de pharmacovigilance de son pharmacien responsable. De même, le fait qu’une telle communication a joué un rôle dans la décision de l’AFSSAPS d’assortir l’inscription des spécialités Ratiopharm au répertoire des groupes génériques d’une mise en garde est inopérant.

326. En second lieu, il était parfaitement possible que la société Janssen-Cilag échangeât avec l’AFSSAPS sur les risques liés à la substitution qu’elle avait identifiés, sans remettre en cause la qualité de générique des spécialités Ratiopharm.

327. Aussi le fait que le pharmacien responsable de la société Janssen-Cilag était fondé à attirer l’attention de l’AFSSAPS sur les risques liés à la substitution n’est-il pas susceptible de légitimer l’ouverture devant cette autorité d’un débat juridiquement infondé quant à la qualité de générique des spécialités Ratiopharm.

328. A cet égard, la cour souligne que, si la possibilité d’accompagner la substitution en pharmacie par une mise en garde inscrite au répertoire des groupes génériques a été formellement introduite dans l’ordre juridique par la création de l’article R. 5121-5 du code de la santé publique par le décret du 6 mai 2008, l’AFSSAPS se reconnaissait déjà le pouvoir, avant cette date, d’encadrer la substitution au travers de messages à destination des professionnels de santé. En effet, il résulte des propres écritures des requérantes (observations récapitulatives, § 503 et 504) qu’une commission ad hoc de l’AFSSAPS, réunie le 22 novembre 2007, ainsi que son comité technique de pharmacovigilance, réuni en janvier 2008, ont recommandé l’encadrement de la substitution de génériques antiépileptiques d’ores et déjà inscrits au répertoire des groupes génériques. Même si, in fine, la commission nationale de l’AFSSAPS a jugé l’alerte infondée et refusé de limiter la substitution (pièce n° 25 des requérantes), cette affaire démontre que l’AFSSAPS considérait qu’elle pouvait encadrer la substitution d’un médicament princeps par son générique.

329. Ce constat est confirmé par les déclarations suivantes des agents de l’ANSM, lors de leur audition, le 22 septembre 2014, concernant cette même affaire : « Par ailleurs, lorsque les antiépileptiques (carbamazépine, acide valproïque, etc.) ont été inscrits au répertoire, il n’y avait pas de possibilité d’assortir cette inscription d’une mise en garde sur la substitution. C’est pourquoi l’Agence a, à l’époque, émis des recommandations directement auprès des professionnels de santé (pharmaciens et médecins). Ces lettres et communiqués de presse recommandaient d’éviter la substitution en cas de réticences ou a fortiori des craintes des patients. » (cote 34061).

330. Ainsi, dès avant l’entrée en vigueur du décret du 6 mai 2008, l’AFSSAPS n’était pas confrontée à une alternative entre reconnaître la qualité de générique et autoriser une substitution sans limite, ou dénier la qualité de générique et interdire toute substitution, mais pouvait choisir d’encadrer la substitution entre un médicament princeps et ses génériques.

331. Dès lors, force est de constater que les requérantes ne démontrent pas que ladite contestation portée devant l’AFSSAPS était légitime au regard des enjeux de santé publique liés à la substitution entre dispositifs transdermiques de fentanyl.

1) ALORS QUE le simple fait, de la part d’une entreprise en position dominante, de soumettre, dans des conditions exclusives de toute manipulation par fourniture d’informations factuelles trompeuses, une argumentation juridique contraire au droit positif existant ou supposé tel à une autorité administrative pleinement compétente pour en apprécier elle-même les mérites ne relève que de l’exercice normal de la liberté fondamentale d’expression qui doit gouverner le dialogue entre les entreprises et les administrations dont elles relèvent et ne saurait être regardé comme un abus au sens des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ; qu’en affirmant néanmoins que le fait pour une entreprise dominante de soutenir devant une autorité administrative une analyse juridique dont la fausseté ressort déjà de l’état du droit est susceptible de constituer un abus de position dominante et ne relève pas de l’exercice légitime des libertés fondamentales précitées, dès lors qu’il s’avère que le débat ainsi ouvert devant ladite autorité est susceptible d’entraver le libre jeu de la concurrence, la cour d’appel a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce, ensemble les articles 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 11 et 13 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

2) ALORS, en outre, QUE le simple fait, de la part d’une entreprise en position dominante, de « soulever » un débat juridiquement infondé devant une autorité administrative pleinement compétente pour se livrer à une appréciation indépendante de ses mérites ne saurait par lui-même produire un effet anticoncurrentiel ; qu’en effet, si l’autorité administrative ne fait pas droit à cette argumentation, l’effet anticoncurrentiel ne se produit pas et, dans le cas contraire, c’est la décision administrative qui en reconnaît le bien-fondé qui fait obstacle à la qualification d’abus de position dominante, car c’est d’elle seule que procède l’éventuel effet restrictif de concurrence sur le marché ; qu’en jugeant néanmoins que c’est le fait même pour la société Janssen-Cilag d’avoir « soulevé » un débat juridiquement infondé devant le directeur de l’AFSSAPS qui était de nature à produire un effet anticoncurrentiel, compte tenu de l’aversion au risque des personnes chargées d’élaborer les décisions de l’AFSSAPS et de la tendance au ralentissement du processus décisionnel qui pouvait s’ensuivre (arrêt, §§. 273-274), cependant qu’il ne relevait que de la responsabilité propre de cette autorité administrative de consacrer le temps et les moyens adéquats pour examiner les arguments soutenus, fussent-ils infondés, la Cour d’appel, qui n’a par ailleurs constaté aucune manoeuvre déloyale imputable à la société Janssen-Cilag dans le cadre de sa communication avec cette autorité administrative, a violé de plus fort les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce.

3) ALORS, en toute hypothèse, QUE si l’exercice par une entreprise en position dominante de voies contentieuses ne peut, dans une société démocratique, être qualifié d’abus au sens des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce que « dans des circonstances tout-à-fait exceptionnelles » (TUE, 17 juillet 1998, T-111/96, ITT Promedia) et aux conditions cumulatives de caractériser l’absence « manifeste » de tout fondement juridique des prétentions soutenues et leur insertion dans un plan d’ensemble visant à éliminer la concurrence (TUE, 13 septembre 2012, T-119/09, Protégé International, §. 57), ces conditions ne sauraient a fortiori être moindres lorsqu’il s’agit de rechercher si l’intervention d’une entreprise dominante devant une autorité administrative a pu revêtir le caractère d’un abus ; qu’en énonçant que « ne relève pas de l’exercice légitime de [la] liberté [d’expression], le fait pour une entreprise [en position dominante] d’intervenir dans le processus décisionnel d’une autorité publique en soulevant devant celle-ci une analyse juridique dont elle sait, ou doit savoir, qu’elle est contraire à l’interprétation constante des textes applicables » et en se contentant de citer une seule décision du Conseil d’Etat, elle-même impropre à établir l’existence d’une « jurisprudence constante », pour en déduire que la société Janssen-Cilag ne pouvait pas soutenir de façon juridiquement erronée que l’AFSSAPS aurait eu le pouvoir d’apprécier si les spécialités Ratiopharm devaient être identifiées comme médicaments génériques aux fins d’exercice du droit de substitution, quand il lui appartenait de caractériser l’absence manifeste de tout fondement de cette position et son insertion dans le cadre d’un plan ayant pour but d’éliminer la concurrence, la cour d’appel a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce.

4) ALORS QUE dans son arrêt Reckitt-Benkiser du 21 décembre 2007, le Conseil d’Etat avait jugé que lorsque le directeur général de l’AFSSAPS a pris une première décision par laquelle il a délivré une AMM à un médicament en l’identifiant comme un médicament générique et que cette décision est devenue définitive par l’expiration du délai de recours gracieux ou contentieux, les tiers ne sont plus fondés à contester cette qualification de médicament générique à l’appui d’un recours contentieux dirigé contre la décision subséquente d’inscription de ce médicament au répertoire des génériques ; que cet arrêt, rendu sur une configuration factuelle dans laquelle il n’apparaissait pas que la Commission fût intervenue de quelque manière dans la procédure d’AMM, ne permettait pas de fonder avec évidence la position consistant à affirmer qu’au cas d’espèce, la décision du 23 octobre 2007 par laquelle la Commission avait enjoint aux Etats membres concernés de délivrer des AMM aux spécialités Ratiopharm aurait placé l’AFSSAPS en situation de compétence liée pour trancher de la question, distincte, de l’attribution pour les spécialités pharmaceutiques concernées du statut de médicament générique conditionnant le droit de substitution du pharmacien prévu par la législation interne et ne pouvait en toute hypothèse caractériser l’existence d’une « jurisprudence constante » en ce sens ; qu’en se fondant néanmoins sur cette unique décision du Conseil d’Etat, la Cour d’appel s’est déterminée par des motifs impropres à caractériser « l’interprétation » prétendument « constante des textes applicables » qui aurait, selon elle, établi l’évidence d’un défaut de pouvoir du Directeur général de l’AFSSAPS pour se prononcer sur la qualification de médicament générique des spécialités Ratiopharm, et a privé sa décision de base légale au regard des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce.

5) ALORS QUE la circonstance que l’autorité administrative compétente a d’abord reconnu le bien-fondé de l’argumentation juridique qui lui était soumise en édictant une première décision dans le sens souhaité suffit par elle-même à exclure la qualification d’abus de position dominante, en tant qu’elle atteste de ce que l’absence de fondement de cette argumentation juridique n’était pas manifeste ; que l’arrêt attaqué a lui-même constaté que le directeur général de l’AFSSAPS avait édicté le 28 juillet une première décision par laquelle il avait délivré aux spécialités Ratiopharm les AMM demandées, mais refusé en l’état leur identification comme médicaments génériques en vue de leur inscription au répertoire des groupes génériques, compte tenu, était-il précisé, de l’absence de démonstration suffisante de l’identité de la quantité de substance active libérée dans l’organisme entre les spécialités Durogesic et celles de Ratiopharm ; qu’il s’évinçait ainsi des termes de cette décision que le directeur général de l’AFSSAPS avait nécessairement considéré qu’il disposait bien du pouvoir d’appréciation que la société Janssen-Cilag l’avait invité à exercer ; qu’en jugeant néanmoins, pour retenir l’existence d’un abus de position dominante, que dès l’instant où les requérantes reconnaissaient que des AMM devaient être délivrées aux spécialités Ratiopharm à l’issue d’une procédure abrégée dans laquelle leur qualité de générique de Durogesic avait été constatée par la Commission, elles ne pouvaient pas soutenir, sans méconnaître les articles L. 5121-1 5° et L. 5121-10 du code de la santé publique, que lesdites spécialités ne devaient pas être inscrites au répertoire des groupes génériques et ne pouvaient donc ignorer – et en tout cas n’aurait pas dû ignorer – que le débat qu’elles ouvraient devant l’AFSSAPS quant à la qualité de générique des spécialités Ratiopharm reposait sur une analyse juridique qui ne pouvait plus être soutenue, la Cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales qui découlaient de ses propres constatations, a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce.

6) ALORS, enfin, QUE l’infraction d’abus de position dominante doit, en toute hypothèse, être écartée lorsqu’un comportement d’éviction peut être considéré comme objectivement nécessaire pour des raisons touchant à la santé ou à la sécurité qui sont liées à la nature du produit considéré ; que cette condition de nécessité objective doit s’apprécier en se plaçant à la date des faits incriminés ; qu’en l’espèce, la société Janssen-Cilag faisait valoir que l’intervention de son pharmacien responsable auprès de l’AFSSAPS avait indéniablement servi la protection de la santé publique dès lors que les informations scientifiques qui avaient été communiquées à cette autorité avaient déterminé celle-ci à publier une mise en garde informant les professionnels de santé de l’impérieuse nécessité d’une surveillance médicale attentive des patients en cours de traitement en cas de changement de spécialité à base de fentanyl ; qu’après avoir elle-même relevé que l’Autorité de la concurrence ne contestait pas le droit, voire le devoir, qu’avait le pharmacien responsable de la société Janssen-Cilag de porter à la connaissance de l’AFSSAPS les préoccupations de santé publique que faisait naître, selon lui, la substitution de génériques aux spécialités de Durogesic (§. 83) et également constaté que l’intervention de cette société était légitime en tant qu’elle avait transmis à l’AFSSAPS ses préoccupations de santé publique liées à la substitution entre dispositifs transdermiques de fentanyl en cours de traitement (§. 517), la cour d’appel a néanmoins jugé que l’ouverture devant cette autorité de santé d’un débat quant à la qualité de générique des spécialités Ratiopharm n’était pas objectivement nécessaire et proportionnée à un objectif de protection de la santé publique, dès lors que l’AFSSAPS « considérait » elle-même « qu’elle pouvait encadrer la substitution d’un médicament princeps par son générique » et n’était donc pas confrontée à une alternative entre reconnaître la qualité de générique et autoriser une substitution sans limite, ou dénier la qualité de générique et interdire toute substitution ; qu’en se prononçant de la sorte, cependant qu’elle relevait que le pouvoir de l’AFSSAPS d’assortir l’inscription d’un médicament au répertoire des groupes génériques d’une mise en garde n’avait été introduit dans l’ordre juridique qu’avec le décret du 6 mai 2008, lui-même postérieur à l’intervention du pharmacien responsable de Janssen-Cilag, et que ce pouvoir n’avait jamais été concrètement exercé auparavant même si l’AFSSAPS avait envisagé de se l’arroger, ce dont il résultait que l’état du droit demeurait à tout le moins incertain à l’époque des faits, la Cour d’appel a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce.

CINQUIEME MOYEN DE CASSATION

sur la communication de Janssen-Cilag auprès des professionnels de santé –

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR rejeté les moyens d’annulation de la décision de l’Autorité de la concurrence n° 17-D-25 du 20 décembre 2017 contestant le caractère anticoncurrentiel de la communication de la société Janssen-Cilag auprès des professionnels de santé et d’AVOIR, par voie de réformation de cette décision, infligé aux sociétés Janssen-Cilag et Johnson & Johnson une sanction pécuniaire d’un montant de 21 millions d’euros.

AUX MOTIFS QUE : 352. A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que toute pratique, y compris le dénigrement des concurrents actuels ou potentiels, est susceptible de constituer un abus prévu par les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce dès lors qu’elle a pour objet ou peut avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence et, s’agissant du premier de ces textes, qu’elle est susceptible d’affecter le commerce entre États membres de l’Union européenne.

353. Il convient également de souligner, d’une part, que la divulgation d’une information de nature à jeter le discrédit sur un concurrent constitue un dénigrement, peu important qu’elle soit exacte (Com., 24 septembre 2013, pourvoi n° 12-19.790), d’autre part, que la divulgation d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit est constitutive de dénigrement, à moins que l’information en cause ne se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure (Com., 9 janvier 2019, pourvoi n° 17-18.350).

354. En l’espèce, c’est à juste titre que les requérantes font valoir que le seul fait que la société Janssen-Cilag ait cherché à riposter à l’arrivée sur le marché des génériques de Durogesic ne caractérise pas un abus de position dominante. L’Autorité ne le soutient d’ailleurs pas.

355. De même, communiquer sur la mise en garde prise par l’AFSSAPS afin d’encadrer la substitution entre dispositifs transdermiques de fentanyl n’est pas, à soi seul, constitutif d’un dénigrement, quand bien même le rappel du contenu de cette mise en garde est susceptible d’avoir un effet dissuasif auprès des professionnels de santé appelés à décider d’une telle substitution. Encore faut-il qu’une telle communication fasse une présentation exacte du sens et du contenu de cette mise en garde et que les propos qui l’accompagnent soient exprimés avec une certaine mesure.

356. La cour relève que la qualité principale d’un générique est de présenter les caractéristiques essentielles du médicament princeps et de lui être substituable. En effet, une spécialité qui ne remplit pas les conditions mentionnées au paragraphe 197 du présent arrêt ne peut prétendre à la qualité de générique. Par ailleurs, ainsi que la cour l’a déjà souligné, le droit de substitution, inhérent à la qualité de générique, constitue l’un des principaux vecteur de conquête de parts de marché pour les fabricants de génériques.

357. Il s’ensuit que toute communication du laboratoire princeps à destination des médecins et pharmaciens qui remet en cause le fait que le générique présente les mêmes caractéristiques essentielles que le princeps et lui est substituable, ou qui soutient que la substitution fait courir au patient un risque non identifié par les autorités de santé ayant autorisé la substitution ou, à tout le moins, supérieur à celui retenu par ces autorités, est de nature à jeter le discrédit sur ce produit et s’analyse comme un dénigrement du générique.

358. Il convient de vérifier si tel a été le cas en l’espèce, ainsi que l’Autorité et le ministre le soutiennent.

– S’agissant des caractéristiques des génériques de Durogesic

359. Le document de support à la réunion des visiteurs médicaux du 28 novembre 2008 (cotes 15460 à 15469) avait pour objet de fournir à ces derniers un argumentaire à déployer dans leurs relations avec les professionnels de santé. Aussi n’y a-t-il aucun doute que les arguments y figurant sont ceux-là même qui ont été utilisés auprès des médecins et pharmaciens démarchés par les visiteurs médicaux de la société Janssen-Cilag.

360. Or ce document met en cause, au moins implicitement, la qualité de générique de Durogesic des autres patchs de fentanyl, et notamment des spécialités Ratiopharm, en contestant qu’ils remplissent pleinement les trois conditions requises pour se voir reconnaître cette qualité.

361. En effet, s’agissant de l’identité de composition qualitative et quantitative en substances actives du princeps et des génériques, le document précise que « [t]ous ces patchs de fentanyl [… n]'ont pas la même composition quantitative : pas la même quantité de fentanyl » (cote 15464). De même, s’agissant de l’identité de forme pharmaceutique, le document indique que « [t]ous ces patchs de fentanyl [… n]'ont pas les mêmes caractéristiques qualitatives : pas la même taille des patchs » (cote 15464).

362. Par ailleurs, dans le document intitulé « Réponses à objections » (cotes 15474 et 15475), remis aux visiteurs médicaux lors de la réunion du 28 novembre 2008, il est recommandé de répondre à la question « Y a-t-il des différences entre les patchs de fentanyl génériques et Durogesic® ? », que :

« Les patchs de fentanyl génériques n’ont pas la même composition, ni la même quantité de fentanyl et taille, que le patch de Durogesic.

Le dossier d’enregistrement des génériques est un dossier allégé contenant seulement des études de bioéquivalence.

Ces études de bioéquivalence sont basées uniquement sur des paramètres pharmacocinétiques avec des concentrations plasmatiques variant – 20 à + 25 % par rapport à la spécialité de référence. »

363. Une telle communication, qui a diffusé auprès des médecins et pharmaciens l’idée que la reconnaissance par les autorités de santé de la qualité de générique des spécialités transdermiques de fentanyl concurrentes de Durogesic n’avait pas été faite avec la rigueur nécessaire, notamment s’agissant des études de bioéquivalence, et donc de la biodisponibilité de ces spécialités et du princeps, de sorte qu’elles n’étaient pas tout à fait des génériques, idée d’ailleurs clairement exprimée dans le document de support par l’indication que les patchs de fentanyl sont « [d]es génériques pas comme les autres » (cote 15464), jette le discrédit sur les qualités desdites spécialités.

– S’agissant des risques associés à la substitution en cours de traitement

364. En premier lieu, il résulte du document de support de la réunion du 28 novembre 2008 que le discours que le laboratoire a demandé à ses visiteurs médicaux de tenir consistait à affirmer que toute substitution en cours de traitement peut entraîner des risques pour le patient, le « message-clé » étant : « Pour garantir l’efficacité et la sécurité des patients, veiller à l’absence de changement de marque de patch de fentanyl en cours de traitement : un patient initié sous Durogesic doit rester préférentiellement sous Durogesic » (cote 15466).

365. L’un des « arguments clés » au soutien de ce discours était notamment que « [t]out changement en cours de traitement de Spécialité à base de fentanyl peut entraîner un risque particulier pour les patients » (cote 15466). Sur la page même où se trouvaient les arguments clés, figurait la phrase suivante : « Les patients en officine sont des patients traités en ambulatoire, le pharmacien doit donc être conscient du risque encouru lors du passage d’un type de patch de fentanyl à l’autre chez un patient en cours de traitement » (cote 15466).

366. Par ailleurs, dans le document « Réponses à objections », il était recommandé aux visiteurs médicaux de répondre à la question « Puis-je changer de patch de fentanyl chez un patient qui ne répond pas aux trois populations des mises en garde ? », que :

« Tout patient qui est traité par un patch de fentanyl est susceptible à un moment donné d’être sujet à des augmentations de températures corporelles et donc de rentrer dans le cadre des populations concernées par les mises en garde ».

367. De même, à la question, « Que signifie ‘adopter une surveillance attentive du patient en cours de traitement’ ? », ce même document invitait les visiteurs médicaux à répondre :

« Une absence d’encadrement médical approprié pourrait entraîner des conséquences cliniques préjudiciables pour le patient, en cas de changement de spécialité à base de fentanyl en cours de traitement notamment chez les personnes âgées, les enfants et les patients fébriles.

Pour les patients traités en ambulatoire, aucune surveillance médicale continue permettant d’alerter sur les symptômes d’un surdosage ne pourra être garantie. »

368. Ainsi, alors même que l’AFSSAPS a considéré que, de façon générale, la substitution en cours de traitement ne fait pas courir de risques au patient, en réservant uniquement le cas des patients fébriles, des personnes âgées et des enfants, pour lesquels elle n’a d’ailleurs pas interdit la substitution, mais seulement recommandé qu’elle se fasse sous « une surveillance attentive », la communication de la société Janssen-Cilag insistait sur le fait que tous les patients, et pas seulement ceux visés dans la mise en garde, couraient un risque en cas de substitution en cours de traitement. Doit en particulier être souligné le caractère spécieux de l’argument selon lequel tout patient peut être sujet à une augmentation de sa température corporelle, alors qu’un patient peut ne pas traverser d’épisode fébrile au moment de la substitution.

369. Il doit encore être relevé que le discours à destination des pharmaciens était particulièrement anxiogène, insistant sur le fait que, s’agissant des patients traités en ambulatoire, c’est-à-dire précisément ceux qui s’approvisionnent directement auprès de leur pharmacien, « le pharmacien doit donc être conscient du risque encouru lors du passage d’un type de patch de fentanyl à l’autre chez un patient en cours de traitement ». Un tel message, encore renforcé par l’argument que, « [p]our les patients traités en ambulatoire, aucune surveillance médicale continue permettant d’alerter sur les symptômes d’un surdosage ne pourra être garantie », ne pouvait poursuivre d’autre finalité que de dissuader les pharmaciens de substituer un patch de fentanyl à un autre, et notamment un générique au princeps, pour tous les patients.

370. Plusieurs témoignages de pharmaciens d’officine confirment que les visiteurs médicaux ont véhiculé un message dont la teneur explicite était de ne pas substituer un générique à Durogesic en cours de traitement pour des raisons de sécurité, et qu’ils y ont accordé du crédit. La cour renvoie, à cet égard, aux paragraphes 326 à 338 de la décision attaquée.

371. Au demeurant, l’un de ces témoignages atteste que le message est allé jusqu’à critiquer les qualités intrinsèques des génériques, le visiteur médical lui ayant indiqué que « l’AFSSAPS reconnaissait que le générique était mauvais » (cotes 30766 à 30768).

372. En recommandant, pour des raisons d’ « efficacité » et de « sécurité du patient », que tout patient ayant commencé à être traité avec Durogesic continue de l’employer, la société Janssen-Cilag est allée à l’encontre de la position de l’AFSSAPS selon laquelle, de façon générale, la substitution ne soulevait pas de problème de santé publique et ne méritait une surveillance que pour certains types de patients. Elle ne s’est donc pas bornée à relayer la mise en garde établie par l’AFSSAPS mais a diffusé, sans mesure, des informations de nature à jeter le discrédit sur les génériques arrivant sur le marché.

373. Il est indifférent que le document de support de la réunion des visiteurs médicaux du 28 novembre 2008 ait été établi à un moment où la version finale de la mise en garde n’était pas fixée, dans la mesure où il n’est pas contesté que cette version finale a été transmise à la société Janssen-Cilag le 3 novembre 2008, de sorte qu’il appartenait à cette dernière d’y adapter sa communication future.

374. De même, c’est en vain que les requérantes invoquent une déclaration qu’aurait faite la directrice générale adjointe de l’AFSSAPS à la presse, le 20 novembre 2008, recommandant de s’en tenir, dans la suite du traitement, à la gamme de la spécialité de référence ou à celle du générique avec laquelle le traitement a commencé. En effet, dans l’article de presse en faisant état (cotes 6640 à 6642), cette déclaration n’est citée qu’en style indirect, et il n’est rien dit du contexte dans lequel elle aurait été faite, de sorte qu’il est impossible d’apprécier l’exactitude de la citation. En tout état de cause, une déclaration non officielle à la presse de l’adjoint du directeur général ne saurait primer une mise en garde inscrite au répertoire groupes génériques, ce que la société Janssen-Cilag ne pouvait ignorer.

375. En deuxième lieu, le même constat que la politique de communication de la société Janssen-Cilag est allée au-delà de la mise en garde de l’AFSSAPS, peut également être tiré de la « lettre d’information médicale » de son pharmacien responsable, dans sa version initiale, datée du 27 novembre 2008 (cote 15110). Cette lettre était ainsi libellée :

« Les laboratoires Janssen-Cilag […] souhaitent porter à votre connaissance la décision de l’Afssaps de faire figurer dans le répertoire des génériques (à paraître) une mise en garde spécifique au changement de traitement qui pourrait intervenir lors de la prescription des systèmes transdermiques à base de fentanyl.

En effet, en application du décret du 06/05/2008, modifiant l’article R-6221 5 du Code de la Santé Publique, le Directeur Général de [l’Afssaps] a décidé de préciser que tout changement en cours de traitement de systèmes transdermiques à base de fentanyl, et notamment, la substitution de la spécialité de référence Durogesic® par la spécialité générique, peut entraîner un risque particulier pour la santé de certains patients dans certaines conditions d’utilisation.

Pour la première fois, figurera au répertoire des génériques (à paraître) le texte suivant :

‘Le fentanyl est un antalgique opioïde puissant à marge thérapeutique étroite.

Comme indiqué à la rubrique ‘mises en garde spéciales et précautions d’emploi’ dans le résumé des caractéristiques des produits (RCP), il est rappelé que :

— des augmentations importantes de la température corporelle sont susceptibles d’accélérer l’absorption du fentanyl. C’est pourquoi, les patients fébriles doivent être surveillés, à la recherche d’éventuels effets indésirables des opioïdes ;

— les patients âgés et les enfants (de 2 à 16 ans) risquent d’être plus sensibles à la substance active.

Compte tenu des variations inter-individuelles qui pourraient survenir chez certains patients âgés ou certains enfants et afin de prévenir tout risque de surdosage ou de sous-dosage*, une surveillance attentive du patient en cours de traitement est particulièrement nécessaire en cas de changement de spécialité à base de fentanyl (spécialité de référence par spécialité générique, spécialité générique par spécialité de référence ou spécialité générique par spécialité générique).'

Compte tenu de l’importance de cette mise en garde qui ne devrait figurer que dans le répertoire des génériques, Janssen Cilag, dans un souci d’information large du corps médical et de la protection des patients, a demandé que son autorisation de mise sur le marché soit modifiée afin d’intégrer cette mise en garde dans le RCP de ses spécialités Durogesic®.

[…]

* Le risque de surdosage expose à la dépression respiratoire potentiellement fatale en l’absence de mesure d’assistance respiratoire chez les patients traités en ambulatoire et donc en dehors de structure de soin disposant de moyens de réanimation. »

376. La cour constate que l’AFSSAPS a jugé nécessaire d’adresser à la société Janssen-Cilag, sous la plume de son directeur général, le courrier suivant, en date du 12 février 2009 (cotes 580 et 581) :

« Monsieur le Pharmacien Responsable,

Par lettre en date du 1er décembre 2008, votre laboratoire a transmis à l’Agence le courrier qu’il allait adresser à l’ensemble du corps médical concerné en vue de lui apporter des informations relatives à la bonne utilisation des dispositifs transdermiques de Fentanyl, dans le contexte de l’inscription de plusieurs produits au répertoire des médicaments génériques.

Certaines des formulations de cette lettre appellent de ma part des commentaires, dans la mesure ou elles ne reflètent pas exactement la teneur de la position que l’Afssaps a prise à l’issue d’une évaluation approfondie de ce sujet et qu’elle a d’ailleurs communiquée aux professionnels de santé par lettre en date du 10 décembre 2008.

Le deuxième alinéa du courrier de votre laboratoire fait référence de manière générale a tout changement en cours de traitement avec deux systèmes transdermiques à base de Fentanyl, et met particulièrement en relief, par l’emploi du terme ‘notamment', le cas de la substitution de la spécialité de référence DUROGESIC par la spécialité générique.

Je souligne à cet égard que si l’Agence a jugé nécessaire de rappeler dans le cadre d’une mise en garde la nécessité d’une surveillance attentive du patient en cas de spécialité à base de Fentanyl, elle a explicitement entendu couvrir l’ensemble des cas possibles de changement, sans aucune distinction ni hiérarchie (spécialité de référence par spécialité de générique, spécialité générique par spécialité de référence ou spécialité générique par spécialité générique).

Par ailleurs, il importe de garder à l’esprit que les types de situation thérapeutique justifiant cette surveillance attentive faisaient déjà l’objet de mentions dans la rubrique ‘mises en garde spéciales et précautions d’emploi’ du résumé des caractéristiques des produits de Fentanyl, même si bien entendu l’intégralité des termes de la mise en garde décidée récemment par l’Afssaps en application du nouvel article R-5121-5 du Code de la Santé Publique ne figurait pas dans le RCP.

Enfin, s’il est vrai que, comme le relève le troisième alinéa du courrier de votre laboratoire, c’est la première fois qu’une mise en garde figurera au répertoire des génériques, il y a lieu de rappeler que la possibilité de prévoir une telle mise en garde est très récente, puisqu’elle a été introduite par l’article 5 du décret du 6 mai 2008 […].

Il m’a paru nécessaire de formuler auprès de vous ces commentaires, afin de dissiper toute ambiguïté quant à la portée de la décision de l’Agence, qui visait non pas à faire obstacle à toute substitution au moment même où l’inscription au répertoire était prononcée, mais à appeler l’attention des professionnels de santé concernés sur les précautions nécessaires en cas de changement de spécialité. »

377. L’AFSSAPS a ainsi constaté que les termes de cette lettre ne reflétaient pas exactement la teneur de la position qu’elle avait prise sur le sujet de la substitution entre dispositifs transdermiques de fentanyl, et alerté la société Janssen-Cilag sur l’ambiguïté de certaines des formulations employées par elle.

378. De fait, compte tenu de ce que la lettre d’information médicale a été publiée et très largement diffusée, fût-ce pendant un mois seulement, au moment où les visiteurs médicaux de la société Janssen-Cilag commençaient à véhiculer un message hostile à la substitution des génériques à Durogesic, le deuxième alinéa de cette lettre, en mettant en exergue le remplacement de Durogesic par un générique, était de nature à renforcer ce message.

379. Par ailleurs, l’indication que « c’est la première fois qu’une mise en garde figurera au répertoire des génériques » était de nature à accréditer l’idée du caractère exceptionnel d’un tel encadrement de la substitution et, de ce fait, à renforcer le sentiment que l’autorisation de substitution elle-même avait quelque chose d’anormal, alors même que, d’une part, la possibilité d’inscrire une mise en garde au répertoire venait à peine d’être introduite dans la réglementation, de sorte qu’il ne pouvait rien être déduit de ce qu’il s’agissait d’une « première fois » et, d’autre part, ainsi que la cour l’a relevé, aux paragraphes 328 et 329 du présent arrêt, un tel encadrement, certes rare, s’était néanmoins déjà produit sous l’empire de la réglementation antérieure au décret du 6 mai 2008.

380. En troisième lieu, s’agissant des formations à distance proposées par la société Janssen-Cilag (« edetailing »), la cour constate que le document de support de ces formations (cotes 14468 à 17473) ne se borne pas à reproduire fidèlement la mise en garde de l’AFSSAPS (cote 14470). La page suivante de ce document communique, sous le titre « Conséquences cliniques potentielles en cas d’un changement de traitement », les conséquences d’un surdosage ou d’un sous-dosage de fentanyl. Le choix de ce titre est contestable en ce sens qu’il laisse entendre que les risques de surdosage ou de sous-dosage sont spécifiques au changement de dispositif transdermique de fentanyl en cours de traitement, alors que, ainsi qu’il ressortait déjà du résumé des caractéristiques du produit (RCP) pour Durogesic, ces risques existent également lors de la première utilisation d’un tel dispositif par un patient, et peuvent même se produire, en dehors de tout changement en cours de traitement, en cas d’épisode fébrile. Ainsi, le message véhiculé par cette page, renforcé par sa place aussitôt après la reproduction de la mise en garde de l’AFSSAPS, était que seule la substitution, et non d’abord la nature même des dispositifs transdermiques de fentanyl, fait courir un risque au patient.

381. Intervenant dans le contexte du discours dénigrant et alarmiste propagé par les visiteurs médicaux, la formation à distance, dont les requérantes ne contestent pas qu’elle a été délivrée à 5 400 pharmacies sur une période allant du 14 décembre 2008 au 20 mars 2009 (décision attaquée, § 322 et 324), n’a pu qu’étayer ce discours et, par conséquent, en augmenter l’efficacité.

382. En troisième lieu, c’est à juste titre que, au paragraphe 595 de la décision attaquée, l’Autorité a considéré que, dans le contexte du discours véhiculé par la société Janssen-Cilag, les économiseurs d’écran installés dans les logiciels des professionnels de santé étaient de nature à renforcer la crainte des professionnels de la santé à substituer.

383. Certes, ces économiseurs d’écran reproduisaient fidèlement la mise en garde, et le fait que cette mise en garde ait été qualifiée, dans le titre de l’encart, de « spéciale », comme l’AFSSAPS l’avait fait elle-même sur son site internet, n’est pas critiquable. Néanmoins, compte tenu du message alarmiste parvenu aux professionnels de santé, ceux-ci ont nécessairement interprété les panneaux de signalisation triangulaire, qui évoquent l’existence d’un danger, non pas comme une simple référence aux risques ayant justifié la mise en garde de l’AFSSAPS, mais comme un rappel des dangers que la société Janssen-Cilag, par sa communication d’envergure, avait associé, dans l’esprit des médecins et pharmaciens, à toute substitution d’un générique au princeps.

384. Ce faisant, les économiseurs d’écran ont permis de rappeler, avec une grande fréquence et pendant plusieurs mois, le discours dénigrant de cette société et d’en prolonger les effets dans le temps.

385. En revanche et en dernier lieu, s’agissant des appels téléphoniques aux pharmaciens en vue d’ « entretiens confraternels », la cour considère que c’est à tort que l’Autorité a retenu leur caractère dénigrant aux paragraphes 590 et 591 de la décision attaquée.

386. Ainsi que le font justement valoir les requérantes, rien, dans le script des entretiens confraternels (cotes 38374 et 38375) ne caractérise un discours dénigrant à l’égard des génériques de Durogesic. Ce script constitue une paraphrase fidèle de la mise en garde de l’AFSSAPS. N’est notamment pas mise en exergue la seule hypothèse de substitution d’un générique au princeps, puisque le script vise expressément tous « cas de changement de spécialité à base de fentanyl (spécialité de référence par générique, générique par générique, ainsi que pour générique par spécialité de référence) ». La seule circonstance que la conversation débute par la question, adressée à l’interlocuteur, médecin ou pharmacien, de savoir s’il a pu prendre connaissance de la lettre d’information médicale, ne saurait suffire à donner à ces entretiens confraternels un caractère dénigrant, alors que, ainsi que la cour l’a indiqué au paragraphe 355 du présent arrêt, la communication sur la mise en garde prise par l’AFSSAPS n’est pas, à elle seule, constitutive d’un dénigrement lorsqu’il est fait une présentation exacte du sens et du contenu de cette mise en garde et dans des termes exprimés avec une certaine mesure, peu important alors que le simple rappel de ladite mise en garde soit susceptible d’avoir un effet dissuasif auprès des professionnels de santé.

387. Certes, un pharmacien d’officine a témoigné que, dans le cadre d’un entretien confraternel, il avait reçu un appel le mettant en garde contre les génériques et insistant « lourdement » pour obtenir un rendez-vous pour une formation en ligne, démarche que ce pharmacien a trouvée « incorrecte et agressive » (cote 14060). Toutefois, le caractère unique de ce témoignage ne suffit pas à démontrer que ces entretiens confraternels ont été conçus et mis en oeuvre dans l’objectif de diffuser un message dénigrant sur les génériques de Durogesic.

388. En conclusion, il résulte de l’ensemble des constatations qui précèdent que le discours de la société Janssen-Cilag à destination des professionnels de santé a consisté, d’une part, à mettre en cause le bien-fondé de la reconnaissance de la qualité de générique de Durogesic aux patchs de fentanyl mis sur le marché par des laboratoires concurrents, d’autre part, à contester, pour des raisons d’efficacité et de sécurité, la substitution en cours de traitement de ces génériques à son médicament princeps, et ce pour l’ensemble des patients.

389. Un tel discours, à l’opposé des décisions de l’AFSSAPS et de son directeur général, s’analyse, dans le contexte particulier du marché des médicaments à usage humain, comme une remise en cause de ce qui constitue l’intérêt principal de la mise sur le marché d’un générique, à savoir le fait qu’il présente les mêmes caractéristiques essentielles que le médicament princeps et lui est substituable, et, par conséquent, comme un dénigrement de l’ensemble des génériques de Durogesic sur le marché à l’époque des faits.

390. En aucun cas, une telle pratique de dénigrement ne saurait être justifiée par le comportement des concurrents. Aussi, à supposer même que soit rapportée la preuve que les sociétés Ratiopharm et Nycomed se livraient à une communication trompeuse, cette circonstance serait inopérante. Elle ne saurait être davantage justifiée par les obligations de pharmacovigilance de la société Janssen-Cilag.

391. La seconde pratique constitutive de l’infraction unique reprochée aux requérantes est donc établie, la cour soulignant, en tant que de besoin, qu’à elles seules, les instructions données aux visiteurs médicaux caractérisent le dénigrement.

392. La cour souligne que les éléments de communications mis en oeuvre par la société Janssen-Cilag à partir du 28 novembre 2008 suffisent, à eux seuls, à caractériser la pratique de dénigrement pour toute la période retenue par l’Autorité (décision attaquée, § 628). Aussi, n’examinera-t-elle pas les critiques dirigées par les requérantes contre l’analyse que l’Autorité a faite des réunions « Team ANTI-générique Durogesic » du 29 mars 2005, « Plan produit pour 2007 » du 12 juin 2006 et « Point sur la situation des génériques » du 11 janvier 2007, ainsi que du courrier interne du 17 octobre 2007, de la présentation en support de la réunion « Anémie-douleur » du 18 mars 2008, du document « Pain Franchise Product plan » de juin 2008, des différentes versions du « Plan d’action Durogesic », ces critiques n’étant pas de nature à infirmer le constat qui précède.

1) ALORS QUE le dénigrement n’est pas constitué lorsque l’information véhiculée se rapporte à un sujet d’intérêt général, repose sur une base factuelle suffisante et a été exprimée avec mesure ; que le caractère dénigrant de la communication d’un laboratoire pharmaceutique auprès des professionnels de santé doit s’apprécier objectivement au regard du seul contenu des déclarations faites dans le cadre de cette communication et non de l’interprétation supposée qui pourrait en être faite par ses destinataires ; que, pour caractériser l’existence d’une pratique de dénigrement imputable au laboratoire Jenssen-Cilag, l’arrêt attaqué retient son discours à destination des pharmaciens était particulièrement « anxiogène », qui ne pouvait poursuivre d’autre finalité que de dissuader les pharmaciens de substituer un patch de fentanyl à un autre, et notamment un générique au princeps, pour tous les patients ; qu’il retient encore que, certes les économiseurs d’écran installés dans les logiciels des professionnels de santé reproduisaient fidèlement la mise en garde émise par l’AFSSAPS, mais que, compte tenu du message alarmiste parvenu aux professionnels de santé, « ceux-ci ont nécessairement interprété les panneaux de signalisation triangulaire, qui évoquent l’existence d’un danger, non pas comme une simple référence aux risques ayant justifié la mise en garde de l’AFSSAPS, mais comme un rappel des dangers que la société Janssen-Cilag, par sa communication d’envergure, avait associé, dans l’esprit des médecins et pharmaciens, à toute substitution d’un générique au princeps » ; qu’en s’attachant ainsi, non au contenu de l’information diffusée auprès des professionnels de santé, mais à la manière dont elle supposait que cette information pourrait être interprétée et aux sentiments qu’elle pourrait faire naître chez ses destinataires, la cour d’appel a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce.

2) ALORS QU’UN laboratoire pharmaceutique, fût-il en position dominante, est légitimement fondé, dans le cadre de la responsabilité qui est la sienne de contribuer au bon usage des médicaments, à exposer aux professionnels de santé les conséquences pratiques qu’il est raisonnablement permis de tirer de la publication de la part de l’Autorité de santé d’une mise en garde destinée à encadrer la substitution de médicaments appartenant à un même groupe générique ; qu’en l’espèce, il résulte des constatations mêmes de la cour d’appel que la mise en garde publiée par l’AFSSAPS exposait que « compte tenu des variations inter-individuelles qui pourraient survenir chez certains patients âgés ou certains enfants et afin de prévenir tout risque de surdosage ou de sous-dosage, une surveillance attentive du patient en cours de traitement est particulièrement nécessaire en cas de changement de spécialité à base de Fentanyl (spécialité de référence par spécialité générique, spécialité générique par spécialité de référence ou spécialité générique par spécialité générique) » ; qu’en considérant néanmoins qu’était constitutif d’un acte de dénigrement le fait pour le laboratoire Jannsen-Cilag d’avoir exposé dans sa communication aux professionnels de santé que, pour les patients traités en ambulatoire, aucune surveillance médicale continue, telle que celle exigée par l’AFSSAPS, permettant d’alerter sur les symptômes d’un surdosage, ne pourrait être garantie, sans préciser en quoi cette observation aurait excédé le cadre des conséquences pratiques qu’il était raisonnablement permis de déduire du contenu même de la mise en garde publiée par l’autorité administrative, la cour d’appel a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce.

3) ALORS, ensuite, QU’IL résultait des termes mêmes de la lettre d’information médicale du pharmacien responsable de Janssen-Cilag, dans sa version initiale, datée du 27 novembre 2008, que le contenu de la mise en garde émise par le directeur général de l’AFSSAPS y avait été textuellement reproduit ; qu’en jugeant néanmoins que le fait pour le pharmacien responsable d’avoir ajouté en commentaire que serait concernée « notamment, la substitution de la spécialité de référence Durogesic par la spécialité générique » sans avoir précisé que seraient également concernés l’ensemble des cas possibles de changement, sans distinction, ni hiérarchie (spécialité de référence par spécialité de générique, spécialité générique par spécialité de référence ou spécialité générique par spécialité générique), caractérisait un dénigrement du médicament générique, cependant que le commentaire incriminé ne renfermait aucune inexactitude et que la citation fidèle du texte de la mise en garde suffisait en toute hypothèse à rendre l’information complète, la cour d’appel s’est déterminée par un motif impropre à caractériser un acte de dénigrement, privant sa décision de base légale au regard des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce.

4) ALORS QU’EN réponse au reproche qui lui était fait d’avoir communiqué un message allant à l’encontre de la position de l’AFSSAPS en tant qu’il laissait entendre que la substitution de patchs de fentanyl imposait une surveillance pour tous types de patients cependant que la mise en garde de l’AFSSAPS ne visait que certaines catégories d’entre eux, la société Janssen-Cilag faisait valoir que la directrice générale adjointe de l’AFSSAPS avait elle-même déclaré sans réserve à un organe de presse médical le 20 novembre 2008 « [qu']il est conseillé de ne pas passer de l’un à l’autre », « de commencer avec la gamme de la spécialité de référence ou celle du générique mais de s’y tenir dans la suite du traitement » ; qu’en écartant ce moyen de défense, aux motifs inopérants que cette déclaration de presse n’était citée qu’en style indirect, de sorte qu’il était impossible d’en apprécier l’exactitude, et qu’une déclaration non officielle à la presse de l’adjoint du directeur général ne saurait primer une mise en garde inscrite au répertoire groupes génériques, cependant qu’il n’était pas soutenu que ces déclarations de presse eussent elles-mêmes fait l’objet d’une mise au point de la part de l’AFSSAPS, de sorte qu’elles pouvaient être tenues par les professionnels de santé pour l’expression de la position de cette institution, la Cour d’appel a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce.

5) ALORS, enfin, QUE la responsabilité particulière qui pèse sur un laboratoire pharmaceutique en position dominante ne lui interdit pas de riposter de manière proportionnée aux déclarations trompeuses émanant du nouvel entrant affectant un sujet de santé publique ; qu’en l’espèce, la société Janssen-Cilag rappelait dans ses écritures que la société Ratiopharm avait communiqué de manière mensongère sur le thème de la supériorité supposée de son médicament générique sur la spécialité Durogesic et avait publiquement déclaré, en contradiction avec les termes de la mise en garde de l’AFSSAPS que « la substitution est possible, sans aucune restriction (pour tous les patients quels que soient leurs âges, à l’exception des enfants de moins de 12 ans) » et qu’il était possible de « substituer quel que soit l’état de santé du patient » ; qu’en tenant ces éléments pour inopérants, quand il lui appartenait de rechercher si la campagne « anxiogène » qu’elle reprochait à la société Janssen-Cilag d’avoir mise en oeuvre auprès des professionnels de santé n’était pas une riposte proportionnée aux déclarations mensongères précitées du laboratoire générique, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce.

SIXIEME MOYEN DE CASSATION

sur la sanction –

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR infligé aux sociétés Janssen-Cilag et Johnson & Johnson une sanction pécuniaire d’un montant de 21 millions d’euros.

AUX MOTIFS QUE : Sur le principe de la sanction :

433. A titre liminaire, la cour souligne que le caractère inédit d’une pratique n’implique pas nécessairement que sa qualification d’abus de position dominante et sa sanction reposent sur une nouvelle interprétation rétroactive des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce.

434. La cour constate que, dans la décision attaquée, l’Autorité ne s’est pas fondée sur une nouvelle interprétation rétroactive de ces dispositions.

435. S’agissant de la pratique d’intervention auprès de l’AFSSAPS, d’une part, il est constant, depuis la décision AstraZeneca du 15 juin 2005, que l’intervention d’une entreprise en position dominante dans le processus décisionnel d’une autorité publique est susceptible de constituer un abus de position dominante. Il doit être souligné qu’étant relative au secteur des médicaments, mettant en cause l’intervention d’un laboratoire pharmaceutique auprès d’une autorité publique de santé et adoptée par la Commission, cette décision était nécessairement connue de la société Janssen-Cilag à l’époque de la pratique incriminée.

435. La même conclusion peut être tirée, au plan national, de la décision du Conseil de la concurrence n° 05-D-58 du 3 novembre 2005, précitée, également antérieure à la pratique incriminée, dans laquelle il a été reproché à un opérateur économique en position dominante, le Syndicat des eaux de l’Île-de-France (SEDIF), d’être intervenu auprès de la mairie de [Localité 6], autorité de tutelle de son concurrent, afin qu’elle refuse un projet de convention que ce concurrent négociait avec l’un de ses clients. Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, dans cette décision, il n’était pas reproché au SEDIF d’avoir communiqué des informations objectivement erronées à la mairie de [Localité 6], mais seulement d’avoir exercé des pressions sur les autorités de tutelle de son concurrent.

436. Rien, dans ces décisions n’indique que l’intervention auprès d’une autorité publique n’est susceptible de constituer une pratique anticoncurrentielle que si l’opérateur économique communique à cette autorité des informations trompeuses. Au contraire, ainsi que la cour vient de le souligner, par la décision n° 05-D-58, précitée, le Conseil de la concurrence a sanctionné le SEDIF, bien qu’il ne lui soit pas reproché la communication d’informations erronées.

437. Aussi, depuis ces décisions, toute entreprise en position dominante est avertie que son intervention dans le processus décisionnel d’une autorité publique peut, en fonction des circonstances de l’espèce, être qualifiée d’abus de position dominante.

438. D’autre part, compte tenu de l’importance du droit de substitution pour la pénétration du marché par un nouveau générique, la qualification d’abus de position dominante du comportement d’un laboratoire princeps qui soulève devant une autorité de santé un débat juridiquement infondé sur la qualité de générique d’un médicament concurrent et dont la conséquence, à tout le moins potentielle, est de retarder la décision de cette autorité ouvrant la possibilité de substituer ce médicament au princeps, ne procède pas d’une nouvelle interprétation de la notion d’abus de position dominante, mais s’inscrit dans le fil d’une pratique décisionnelle et d’une jurisprudence constantes.

439. Aussi, même à supposer établi le caractère inédit de la présente affaire, la condamnation des requérantes n’est pas fondée sur une nouvelle interprétation des dispositions servant de fondement aux poursuites.

440. S’agissant de la pratique de dénigrement, il est de pratique décisionnelle et de jurisprudence constantes qu’un dénigrement des produits d’un concurrent par une entreprise en position dominante est susceptible d’être qualifié d’abus de position dominante.

441. Dès lors, la décision attaquée n’a violé ni le principe de légalité des délits et des peines ni le principe de sécurité juridique et le moyen des requérantes est rejeté.

Sur la détermination du montant de base de la sanction

(…)

465. S’agissant de l’intervention auprès de l’AFSSAPS, la cour rappelle que, pour les motifs déjà exposés aux paragraphes 324 à 327 du présent arrêt, il est indifférent que la société Janssen-Cilag ait été fondée à attirer l’attention de cette autorité de santé sur les risques liés à la substitution en cours de traitement, cette circonstance n’étant pas de nature à minimiser la gravité du seul comportement reproché à cette société, qui est d’avoir indûment contesté devant ladite autorité de santé la qualité de générique des spécialités Ratiopharm.

466. Par ailleurs, l’argument pris du caractère inédit de l’analyse menée en l’espèce par l’Autorité doit être écarté.

467. D’une part, ainsi que la cour l’a relevé aux paragraphes 444 à 446 du présent arrêt, à la date des faits, avaient déjà été sanctionnées l’intervention d’un laboratoire en position dominante auprès d’une autorité publique de santé, ainsi que, en dehors du secteur de la santé, l’intervention d’une entreprise en position dominante auprès d’une autorité publique dans le cadre de laquelle n’avaient pas été communiquées d’informations erronées.

468. D’autre part, au point 164 de son arrêt AstraZeneca/Commission, précité, la Cour de justice, après avoir constaté que les abus reprochés à la société AstraZeneca avaient pour objectif délibéré de tenir les concurrents à l’écart du marché, a jugé que, même si la Commission et les juridictions de l’Union n’avaient pas encore eu l’occasion de se prononcer spécifiquement sur un comportement comme celui ayant caractérisé ces abus, la société AstraZeneca était consciente de la nature fortement anticoncurrentielle de son comportement et aurait dû s’attendre à ce que celui-ci soit incompatible avec les règles de concurrence du droit de l’Union.

469. Or un laboratoire pharmaceutique détenteur d’un médicament princeps sur le marché duquel il occupe une position dominante, qui rouvre, devant une autorité incompétente pour en connaître, un débat définitivement clos quant à la qualité de générique de spécialités concurrentes, mais dont il sait qu’il va retarder la concurrence de son princeps par ces spécialités, est nécessairement conscient qu’il emploie des moyens étrangers à une concurrence par les mérites et qu’il commet donc un abus de position dominante.

470. Aussi la société Janssen-Cilag ne peut-elle prétendre qu’il lui était impossible d’anticiper que son comportement serait qualifié d’abus de position dominante, et ce alors qu’il pèse sur toute entreprise en position dominante une responsabilité particulière qui lui impose d’adapter son comportement afin d’éviter tout abus de cette position dominante.

471. S’agissant de la communication dénigrante à l’égard des génériques de Durogesic, la cour constate que l’argumentation des requérantes repose sur une analyse de la pratique contraire aux constatations que la cour a faites aux paragraphes 359 à 391du présent arrêt, la rendant inopérante.

472. L’ensemble des moyens par lesquels les requérantes contestent l’appréciation de la gravité des faits par l’Autorité sont rejetés.

473. Toutefois, ainsi que la cour l’a constaté aux paragraphes 235 à 247 du présent arrêt, c’est à tort que l’Autorité a considéré que l’intervention de la société Janssen-Cilag auprès de l’AFSSAPS visait également à empêcher la délivrance d’AMM aux spécialités Ratiopharm. Le refus de délivrance d’une AMM à un médicament interdisant toute concurrence, puisque celui-ci n’est alors pas commercialisable, tandis qu’un refus d’inscription au répertoire des groupes génériques permet une concurrence minimale, il doit être tenu compte du fait que l’objectif poursuivi par l’intervention incriminée présente un degré de gravité moindre que celui pris en compte dans la décision attaquée, nonobstant le fait que cette intervention reste une pratique particulièrement grave.

474. Cette circonstance justifie de revoir à la baisse le calcul du montant de base de la sanction

(…)

516. À titre liminaire, la cour souligne, d’une part, que le constat, aux paragraphes 235 à 247 du présent arrêt, que la société Janssen-Cilag ne s’est pas opposée à la délivrance d’AMM aux spécialités Ratiopharm, ne tranche pas la question de savoir si le débat juridiquement infondé qu’elle a ouvert devant l’AFSSAPS relativement à la qualité de générique de ces spécialités a été de nature à entraîner un retard dans l’octroi des AMM.

517. D’autre part, aux fins d’apprécier si des retards dans la délivrance d’AMM aux spécialités Ratiopharm et dans l’inscription de ces dernières au répertoire des groupes génériques sont imputables à la société Janssen-Cilag, il y a lieu de tenir compte de ce que l’intervention de cette société était légitime en tant qu’elle a transmis à l’AFSSAPS ses préoccupations de santé publique liées à la substitution entre dispositifs transdermiques de fentanyl en cours de traitement.

518. Ainsi, le constat que le débat indûment ouvert devant l’AFSSAPS relativement à la qualité de générique des spécialités Ratiopharm a entraîné de tels retards suppose de pouvoir affirmer que les délais auraient été plus courts si la société Janssen-Cilag s’était limitée à attirer l’attention de l’AFSSAPS sur les conséquences de la substitution en cours de traitement sans remettre en cause la qualité de générique desdites spécialités.

519. S’agissant du point de savoir si la délivrance d’AMM aux spécialités Ratiopharm a été retardée par l’intervention de la société Janssen-Cilag, la cour rappelle que c’est seulement par deux avis des 24 janvier et 27 mars 2008 que la commission d’AMM s’est penchée sur la question de la délivrance d’AMM aux spécialités Ratiopharm et a conclu en faveur d’une telle délivrance. Le délai de trois mois qui s’est écoulé entre la décision de la Commission, le 23 octobre 2007, et le dernier de ces avis n’est en rien imputable à l’intervention de la société Janssen-Cilag, dont le premier courrier date du 25 mars 2008 et a été reçu le 27 mars 2008.

520. Il n’y a en revanche aucun doute que, sans cette intervention, la délivrance d’AMM aux spécialités Ratiopharm aurait suivi de quelques semaines tout au plus l’avis du 27 mars 2008. Il est par ailleurs constant que la saisie pour avis des GTMG et GTNPA est la conséquence directe de ladite intervention, ces groupes de travail ayant été sollicités aux fins d’examiner les arguments de la société Janssen-Cilag.

521. La preuve n’est toutefois pas rapportée que les AMM, finalement octroyées par décision du 28 juillet 2008, auraient été délivrées plus rapidement si la société Janssen-Cilag s’était bornée à arguer des risques pour la santé publique que la substitution en cours de traitement fait naître, sans contester la qualité de générique des spécialités Ratiopharm. En effet, d’abord, la seule invocation de tels risques aurait pareillement conduit l’AFSSAPS à consulter le GTMG et le GTNPA ; la cour relève d’ailleurs que les questions auxquelles il a été demandé à ces groupes de travail de répondre étaient : « Y a-t-il un obstacle à la substitution entre les dispositifs transdermiques de fentanyl ? Si non, faut-il accompagner la substitution de mesures particulières ? ». Ensuite, le GTMG, lors de sa réunion du 19 juin 2008, et le GTNPA, lors de sa réunion du 10 juillet 2008, ont examiné à la fois la question de la qualité de générique des patchs de fentanyl et celle des problèmes de sécurité que pourrait provoquer une substitution en cours de traitement, de sorte qu’il ne peut être affirmé que le délai dans lequel ces groupes de travail ont statué eût été plus court si la société Janssen-Cilag n’avait pas contesté aux spécialités Ratiopharm la qualité de générique. Enfin, la brièveté de l’intervalle de temps entre le dernier avis du 10 juillet 2008 et la séance de la commission d’AMM, le 17 juillet 2008, puis entre cette séance, et la décision de délivrance d’AMM aux spécialités Ratiopharm, le 28 juillet 2008, permet d’exclure que cet intervalle aurait pu être plus court.

522. Dans ces conditions, la preuve d’un allongement du délai d’octroi des AMM imputable au comportement incriminé de la société Janssen-Cilag n’est pas établie.

523.. S’agissant du point de savoir si l’inscription des spécialités Ratiopharm au répertoire des groupes génériques a été retardée par l’intervention de la société Janssen-Cilag, la cour rappelle qu’aux termes de l’arrêt du Conseil d’État du 21 décembre 2007, Reckitt Benckiser, précité, l’identification d’un médicament comme générique d’une spécialité de référence se fait à l’occasion de la délivrance de l’AMM à ce médicament. Par ailleurs, conformément à l’article R. 5121-5 alinéa 3 du code de la santé publique, dans sa version antérieure au décret du 6 mai 2008, la notification de ladite identification au laboratoire princeps doit intervenir dans un délai maximum d’un mois, ce délai pouvant donc être plus court. Enfin, si, aux termes de cette même disposition, le directeur général de l’AFSSAPS doit laisser s’écouler un délai de soixante jours suivant cette information, avant de procéder à l’inscription de la spécialité générique au répertoire des groupes génériques, un tel délai vise seulement à permettre au laboratoire princeps de se préparer aux conséquences de la mise en oeuvre du droit de substitution, de sorte que rien ne justifie que le directeur général de l’AFSSAPS laisse s’écouler un délai plus long pour procéder à l’inscription effective.

524. Ainsi, même s’il est exact que l’article R. 5121-5 alinéa 3 du code de la santé publique ne fixe aucun délai impératif dans lequel l’inscription d’un générique au répertoire des groupes génériques doit intervenir, il résulte de l’économie de cette disposition que l’inscription intervient en principe dans un délai de trois mois à compter de la délivrance d’une AMM à ce générique.

525. En l’espèce, l’identification des spécialités Ratiopharm comme génériques de Durogesic découlait automatiquement de la décision de la Commission, qui datait du 23 octobre 2007, dispensant l’AFSSAPS de toute analyse sur cette question. Par ailleurs, le GTMG et le GTNPA se sont réunis respectivement le 19 juin et le 10 juillet 2008 pour se prononcer sur les questions soulevées par la société Janssen Cilag concernant la substitution entre les dispositifs transdermiques de fentanyl, ainsi que sur la nécessité éventuelle d’un encadrement.

526. Dans ces conditions, même en tenant compte des spécificités incontestables des dispositifs transdermiques de fentanyl, le délai de quatre mois et demi qui s’est écoulé entre la délivrance des AMM et l’inscription effective au répertoire des groupes génériques doit être qualifié de long.

527. L’analyse des éléments du dossier démontre qu’un tel délai s’explique par le fait que le débat concernant la qualité de générique des spécialités Ratiopharm, indûment soulevé par la société Janssen-Cilag, a parasité les travaux de l’AFSSAPS, l’empêchant de répondre d’emblée à la seule question pertinente de l’encadrement de la substitution.

528. C’est ainsi que, si le GTMG a recommandé un encadrement de la substitution, le GTNPA, dans son avis du 10 juillet 2008, s’est borné à s’opposer à la substitution, sur la base d’une mise en cause de la qualité de générique des dispositifs transdermiques de fentanyl. C’est encore ainsi que, par courrier du 29 juillet 2008, le directeur général de l’AFSSAPS a notifié à la société Ratiopharm un refus d’inscription de ses spécialités au répertoire des groupes génériques au motif que leur qualité de générique de Durogesic n’était pas établie en l’état du dossier.

529. Ceci explique pourquoi la prise de position de la commission d’AMM en faveur d’une inscription des spécialités Ratiopharm au répertoire des groupes génériques, qui aurait normalement dû intervenir lors de sa séance du 17 juillet 2008, a été repoussée à sa séance du 25 septembre 2008, après qu’a été sollicité un nouvel avis du GTNPA concernant l’encadrement de la substitution en cours de traitement (avis qui ne figure pas au dossier, mais dont l’existence et le contenu sont connus grâce au compte rendu de cette séance).

530. Il apparaît ainsi que, au lieu de se concentrer sur les modalités d’encadrement de la substitution en cours de traitement, l’AFSSAPS a consacré une partie de sa réflexion et de son temps à se demander si les spécialités Ratiopharm étaient des génériques de Durogesic, alors même que cette analyse avait été déjà faite par les autorités de l’Union, dont la décision s’imposait à elle.

531. Dans ces conditions, le délai qui s’est écoulé entre la délivrance d’AMM aux spécialités Ratiopharm, le 28 juillet 2008, et leur inscription effective dans le répertoire des groupes génériques, le 10 décembre 2008, a été inutilement prolongé par le débat juridiquement infondé soulevé par la société Janssen-Cilag, et aurait été plus court si ce débat n’avait pas été indûment ouvert et que l’AFSSAPS avait pu se limiter à apprécier la nécessité d’une mise en garde et à en élaborer le contenu.

532. La cour déduit de l’ensemble des éléments du dossier que l’augmentation du délai imputable au comportement incriminé de la société Janssen-Cilag est d’environ deux mois, correspondant au délai séparant les séances de la commission d’AMM des 17 juillet et 25 septembre 2008.

533. Eu égard aux volumes et aux sommes en jeu [en 2008, les ventes annuelles de dispositifs transdermiques de fentanyl se sont élevées à 8 millions d’unités sur le marché de la ville, pour un montant de 70 millions d’euros, et à 1,7 million d’unités sur le marché de l’hôpital, pour un montant de 11 millions d’euros (décision attaquée, § 103)], ce délai n’est pas négligeable.

534. En effet, si, ainsi que le font justement valoir les requérantes, les spécialités Ratiopharm étaient en mesure de concurrencer leurs spécialités princeps dès la délivrance des AMM, le 28 juillet 2008, les effets sur les prix n’ont pu se produire pleinement qu’une fois ces spécialités inscrites au registre des groupes génériques en tant que génériques de Durogesic. Au surplus, jusqu’à cette inscription, aucune substitution n’était possible, de sorte que la société Janssen-Cilag a bénéficié d’un monopole de fait à l’égard de l’ensemble des patients en cours de traitement à la date du 28 juillet 2008, et ce jusqu’au 10 décembre 2008, monopole de fait qui s’est trouvé artificiellement prolongé pour une durée d’environ deux mois.

535. Dès lors, le dommage causé à l’économie apparaît certain, même s’il est moindre que celui retenu par l’Autorité dans la décision attaquée.

(…)

569. Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le montant de base de la sanction doit être ramené à la somme de 12 756 817 euros (84 594 281 euros x 13 % x 1,16).

Sur l’individualisation de la sanction

591. En premier lieu, le moyen pris du caractère inédit de l’infraction ou de ce que la qualification d’abus de position dominante était complexe et ambiguë à l’époque des faits doit être écarté. En effet, s’agissant de la pratique d’intervention auprès de l’AFSSAPS, la cour renvoie aux considérations figurant aux paragraphes 466 à 469 du présent arrêt. Quant à la pratique de dénigrement, la sanction d’un tel comportement n’est à l’évidence pas inédite, et sa qualification d’abus de position dominante ni complexe ni ambiguë.

592. En second lieu, aucun des autres éléments d’individualisation invoqués ne constitue une circonstance atténuante.

593. S’agissant, d’une part, du fait que la société Janssen-Cilag était à la fois tenue de et légitime à alerter l’AFSSAPS sur les risques liés à la substitution qu’elle avait identifiés sur la base d’éléments scientifiques tangibles, la cour rappelle, d’une part, qu’il est seulement reproché à cette société d’avoir soulevé devant l’AFSSAPS un débat infondé sur la qualité de générique des spécialités Ratiopharm, d’autre part, qu’au stade de l’appréciation des conséquences conjoncturelles et structurelles de ce comportement, la cour a tenu compte de ce que la procédure d’inscription de ces spécialités au répertoire des groupes génériques avait aussi été ralentie par la communication légitime relative aux risques liées à la substitution en cours de traitement. Elle a notamment pris cette circonstance en cause, avec d’autres éléments, pour réduire de 15 % à 12 % [lire 13 %] le pourcentage de la valeur des ventes retenu pour le calcul du montant de base de la sanction. Aussi rien ne justifie d’accorder, pour ce même motif, une réduction de la sanction à titre de circonstance atténuante.

594. S’agissant, d’autre part, du fait que la société Janssen-Cilag aurait mis fin de sa propre initiative, dès la fin décembre 2008, à la diffusion de la version contestée de la lettre d’information médicale, la cour rappelle que la pratique de dénigrement s’est poursuivie sous d’autres formes (visites médicales, formations à distance, économiseurs d’écran) jusqu’à la mi-août 2009, de sorte que, même à supposer ce fait établi, il ne justifie pas une réduction de la sanction.

1) ALORS QUE porte atteinte aux principe de légalité des délits et des peines et de sécurité juridique l’infliction d’une sanction fondée sur l’application rétroactive d’une interprétation jurisprudentielle nouvelle des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce conduisant à regarder désormais comme un abus de position dominante un comportement dont la pratique décisionnelle de l’Autorité de concurrence de l’Union pouvait raisonnablement laisser supposer, à l’époque de sa commission, qu’il ne tombait pas sous le coup de la prohibition édictée par ces textes ; qu’à l’époque des faits litigieux, seule la décision AstraZeneca de la Commission en date du 15 juin 2005 s’était prononcée sur le point de savoir si les interventions d’un laboratoire pharmaceutiques auprès d’une autorité administrative nationale pouvaient tomber sous le coup de la prohibition des abus de position dominante et qu’au titre du premier abus relevé, la Commission s’était déterminée en considération de ce que le laboratoire pharmaceutique avait soumis à l’autorité administrative en charge des brevets des informations factuelles inexactes et trompeuses en vue d’obtenir des décisions indues d’extension de la durée de ses droits de propriété industrielle, tandis qu’au titre du second, la Commission avait sanctionné le comportement d’un laboratoire ayant consisté à soumettre à des autorités de santé, qui ne disposaient d’aucune marge de manoeuvre pour refuser d’y faire droit, des demandes de radiation de ses propres AMM dans l’unique dessein d’entraver l’arrivée sur le marché de médicaments génériques ; que dans sa décision, la Commission avait expressément relevé, pour condamner cette seconde pratique, qu’ « il convient de rappeler que les demandes d’AZ aux autorités publiques de radier les autorisations de marché ne sont pas des demandes adressées dans le cadre d’un processus ouvertement politique ou une tentative d’influencer les décisions prises dans un domaine où ces autorités disposent d’une marge de manoeuvre, ou en général pour recevoir un examen indépendant du bien-fondé de la requête. En l’espèce, les autorités nationales concernées ont considéré, comme le souhaitait AZ, qu’elles n’avaient pas le pouvoir discrétionnaire de maintenir l’autorisation de mise sur le marché lorsque leur retrait était demandé. Dans ces conditions, l’effet anticoncurrentiel qui en résultera ne résultera pas d’un contrôle indépendant du bien-fondé de la requête, mais plutôt de l’effet automatique (ou quasi automatique) d’une demande privée, présentée sous la forme d’un exercice d’un droit spécifique » (Décision n° C(2005)1757 du 15 juin 2005, affaire COMP/A.37.507/F3, AstraZeneca) ; qu’en se fondant sur cette décision de la Commission, pour considérer que la société Janssen-Cilag s’en trouvait nécessairement avertie que ses interventions dans le processus décisionnel d’une autorité publique pourraient, en fonction des circonstances de l’espèce, être qualifiées d’abus de position dominante, dès lors qu’elles seraient susceptibles de retarder la concurrence exercée par des médicaments générique, cependant qu’il ressortait clairement des motifs de la décision de la Commission que, par contraste avec le comportement d’AstraZeneca, le simple fait pour un laboratoire pharmaceutique de soumettre, dans des conditions exclusives de toute manipulation par fourniture d’informations factuelles trompeuses, une demande ou une prétention à une autorité administrative pleinement compétente pour en apprécier elle-même le bien-fondé et exercer ainsi un contrôle indépendant ne pourrait se voir attribuer un effet anticoncurrentiel, la Cour d’appel a violé les principes de légalité des délits et des peines et de sécurité juridique, ensemble les articles 7 de la Convention européenne des droits de l’homme et 49 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

2) ALORS, en outre, QU’EN affirmant que la sanction infligée à la société Janssen-Cilag n’était pas fondée sur une interprétation nouvelle des dispositions servant de fondement aux poursuites, cependant, d’une part, que les seules décisions des juridictions de l’Union ayant sanctionné l’émission d’une prétention juridiquement infondée par une entreprise en position dominante avaient été rendues dans le cadre de l’exercice abusif d’actions en justice et avaient subordonné la qualification d’abus de position dominante à la double condition de caractériser l’absence « manifeste » de tout fondement juridique des prétentions soutenues et leur insertion dans un plan d’ensemble visant à éliminer la concurrence (TUE, 17 juillet 1998, T-111/96, ITT Promedia ; TUE, 13 septembre 2012, T-119/09, Protégé International) et, d’autre part, que la Présidente de l’Autorité avait elle-même jugé bon de communiquer la décision de sanction prise à l’encontre de la société Janssen-Cilag au syndicat pharmaceutique Les Entreprises du Médicament (LEEM) en précisant, par un courrier du 20 février 2018, que « l’Autorité a, pour la première fois, sanctionné un laboratoire en raison de son intervention juridiquement infondée », la Cour d’appel a derechef violé les principes de légalité des délits et des peines et de sécurité juridique, ensemble les articles 7 de la Convention européenne des droits de l’homme et 49 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

3) ALORS, en toute hypothèse, QU’EN matière d’infractions de concurrence, le principe de proportionnalité des peines commande de tenir compte du caractère plus ou moins évident de la règle violée afin d’adapter la sanction au degré de conscience que l’entreprise pouvait avoir d’agir en infraction avec les règles de concurrence (CE, 15 avril 2016, n° 375.658, Sté Copagef) ; qu’en rejetant la demande subsidiaire de la société Janssen-Cilag tendant à la réduction de la sanction prononcée à son encontre à raison de l’absence de précédent ayant sanctionné un laboratoire du fait de la présentation d’argument juridiquement infondés à une autorité administrative, au motif que cette société devait s’estimer suffisamment avertie par la décision AstraZeneca du 15 juin 2005 que ses interventions dans le processus décisionnel d’une autorité publique pourraient, en fonction des circonstances de l’espèce, être qualifiées d’abus de position dominante, cependant que rien dans cette décision ne pouvait laisser supposer que le fait pour un laboratoire pharmaceutique de soumettre, dans des conditions exclusives de toute manipulation par fourniture d’informations factuelles trompeuses, une demande ou une prétention à une autorité administrative pleinement compétente pour en apprécier elle-même le bien-fondé pourrait être qualifié d’abus de position dominante, la Cour d’appel a violé l’article L. 464-2 du code de commerce.

4) ALORS, enfin, QUE la société Janssen-Cilag faisait valoir que l’intervention de son pharmacien responsable auprès de l’AFSSAPS avait été, non seulement légitime, mais surtout directement utile à la collectivité en tant qu’elle avait permis de révéler à l’autorité de santé publique certains risques graves attachés à une substitution sans surveillance médicale suffisante des dispositifs transdermiques à base de fentanyl et avait mis celle-ci en mesure d’émettre une mise en garde à destination des professionnels de santé, de sorte qu’il devait à tout le moins en être tenu compte en tant que circonstance atténuante ; que, pour refuser de tenir compte de l’utilité de cette intervention du pharmacien responsable comme circonstance atténuante, la cour d’appel retient qu’en réduisant de 15 % à 13 % le pourcentage de la valeur des ventes permettant de calculer le montant de base de la sanction, elle a déjà tenu compte du fait qu’il est seulement reproché à cette société d’avoir soulevé devant l’AFSSAPS un débat infondé sur la qualité de générique des spécialités Ratiopharm et de ce que la procédure d’inscription de ces spécialités au répertoire des groupes génériques a aussi été ralentie par la communication légitime relative aux risques liées à la substitution en cours de traitement, de sorte que « rien ne justifie d’accorder, pour ce même motif, une réduction de la sanction à titre de circonstance atténuante » ; qu’en se prononçant de la sorte, cependant que la réformation de la décision à laquelle elle s’est livrée avait seulement pour but de tirer les conséquences du fait que l’Autorité s’était méprise sur le sens et la portée de l’intervention de la société Janssen-Cilag lorsqu’elle avait considéré que cette intervention avait pour objet de remettre en cause la délivrance d’AMM aux spécialités Ratiopharm (arrêt, §§. 235-247), ce qui l’avait conduite à surestimer la gravité des faits (§. 473) et le dommage causé à l’économie (§. 535), de sorte qu’elle ne pouvait faire double-emploi avec la demande qui lui était faite de prendre en compte l’utilité de l’intervention du pharmacien responsable pour la collectivité en tant que circonstance atténuante, la Cour d’appel a dénaturé les termes du litige, en violation de l’article 4 du code de procédure civile.

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour de cassation, Chambre commerciale, 1 juin 2022, 19-20.999, Publié au bulletin