Cour de discipline budgétaire et financière, Société nationale de constructions aéronautiques du Nord (SNCAN), 22 mai 1957

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Sur la décision

Référence :
CDBF, 22 mai 1957, n° 22
Numéro(s) : 22
Publication : Journal officiel, 23/06/1957, p. 6288 (bref résumé de l'arrêt, anonymisé) Recueil Lebon, 1961, p.890 (extraits anonymisés) ; Pourvoi en cassation initialement déposé par le sieur Piette auprès du conseil d'Etat, suivi de désistement.Cahiers de comptabilité publique, n°2. - Centre de publications de l'université de Caen, 1990, p. 13
Date d’introduction : 22 mai 1957
Date(s) de séances : 22 mai 1957
Textes appliqués :
Loi 48-24 1948-01-06 articles 56 et suivants. Loi 48-1484 1948-09-25. Loi 1867-07-24. Loi 1936-08-11. Décret 1937-01-16. Décret 1937-10-22. Décret 1939-03-20. Décret 1940-03-09. Lettre 1956-06-22 Parquet de la cour des comptes. Réquisitoire 1956-07-13 Procureur Général de la République. Avis 1957-01-20 Ministre des Affaires économiques et financières. Avis 1957-01-10 Secrétaire d’Etat aux Forces Armées (Air).
Identifiant Cour des comptes : JF00077533

Sur les parties

Texte intégral

LA COUR,

Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l’égard de l’Etat et de diverses collectivités et portant création d’une Cour de discipline budgétaire ;

Vu la loi du 24 juillet 1867 et les lois subséquentes relatives aux sociétés anonymes ;

Vu la loi du 11 août 1936 sur la nationalisation de la fabrication des matériels de guerre ;

Ensemble le décret du 16 janvier 1937 relatif aux participations financières de l’Etat dans les entreprises se livrant à la fabrication ou au commerce du matériel de guerre et le décret du 22 octobre 1937 autorisant la participation de l’Etat dans la Société nationale de constructions aéronautiques du Nord;

Vu les articles 56 et suivants de la loi 48-24 du 6 janvier 1948 instituant la Commission de vérification des comptes des entreprises publiques ;

Vu le décret du 9 mars 1940 réglementant le démarchage relatif aux marchés de défense nationale et aux sous-traités et commandes secondaires correspondants ;

Vu les statuts de la société nationale de constructions aéronautiques du Nord;

Vu la lettre enregistrée au Parquet de la Cour le 22 juin 1956 par laquelle la Commission de vérification des comptes des entreprises publiques a saisi la Cour de discipline budgétaire d’irrégularités relevées à l’encontre du sieur PIETTE dans la gestion de la société nationale de constructions aéronautiques du Nord;

Vu le réquisitoire du Procureur général de la République en date du 13 juillet 1956 tendant à la transmission du dossier à la Cour de discipline budgétaire ;

Vu la décision du Président désignant M Lucien MEHL, maître des requêtes au Conseil d’Etat, en qualité de rapporteur ;

Vu l’accusé de réception de la lettre recommandée adressée le 26 juillet 1956 au sieur PIETTE, l’informant des poursuites engagées contre lui et l’avisant qu’il était autorisé à se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation ;

Vu l’avis émis le 20 janvier 1957 par le ministre des affaires économiques et financières ;

Vu l’avis émis le 10 janvier 1957 par le secrétaire d’Etat aux forces armées (Air) ;

Vu l’accusé de réception de la lettre recommandée adressée le 28 février 1957 au sieur PIETTE l’avisant qu’il pouvait, dans un délai de quinze jours, prendre connaissance du dossier de l’affaire, soit par lui-même, soit par un mandataire, soit par un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation ;

Vu les mémoires présentés par le sieur PIETTE et par son conseil ;

Vu l’accusé de réception de la lettre recommandée adressée le 6 avril 1957 au sieur PIETTE et l’invitant à comparaître ;

Vu les autres pièces du dossier et, notamment, le procès-verbal d’interrogatoire ;

Ouï, M Lucien MEHL, maître des requêtes au Conseil d’Etat en son rapport ;

Ouï le Procureur général de la République en ses conclusions ;

Ouï le prévenu et son conseil Me JOLLY en leurs observations ;

Ouï M le Procureur général de la République en ses réquisitions ;

Ouï les observations du sieur PIETTE et de Me JOLLY, son conseil, qui ont eu la parole les derniers ;

Considérant qu’aux termes de l’article 5, premier alinéa, de la loi 48-1484 du 25 septembre 1948 : « Tout fonctionnaire civil ou militaire, tout agent du gouvernement, des établissements publics de l’Etat à caractère administratif, des organismes subventionnés soumis au contrôle de la Cour des comptes, conformément à l’article 5 du décret du 20 mars 1939, et des organismes visés au premier alinéa de l’article 56 de la loi n° 48-24 du 6 janvier 1948, et généralement de tout organisme bénéficiant du concours financier de l’Etat ou dont les résultats d’exploitation intéressent le Trésor par suite d’une disposition statutaire ou réglementaire prévoyant une participation aux bénéfices ou aux pertes, tout membre du cabinet d’un ministre, d’un secrétaire ou sous-secrétaire d’Etat, qui, en dehors des cas prévus aux articles précédents, aura enfreint les règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses de l’Etat ou des collectivités susvisées ou à la gestion des biens leur appartenant, sera passible d’une amende dont le maximum pourra atteindre le montant du traitement ou salaire brut annuel qui lui était alloué à la date de l’infraction » ; qu’aux termes de l’article 6 de la même loi : "Tout fonctionnaire ou agent visé à l’article 5 ci-dessus qui, dans l’exercice de ses fonctions, aura procuré ou tenté de procurer à ceux avec lesquels il contracte un bénéfice au moins double, à dire d’experts, du bénéfice normal, en omettant soit :

1) d’assurer une publicité suffisante aux opérations qu’il effectue ;

2) d’organiser la concurrence des cocontractants, dans la mesure où elle est compatible avec la nature et l’importance des mêmes opérations ; 3) généralement de faire toute diligence pour faire prévaloir les intérêts dont il a la charge.

sera passible d’une amende dont le minimum ne pourra être inférieur à 10 000 francs et dont le maximum pourra atteindre le montant du traitement brut annuel qui lui était alloué à la date à laquelle il a contracté" ;

En ce qui concerne le contrat passé avec la société NIMEX :

Considérant qu’il résulte de l’instruction que par échanges de lettres en date des 30 septembre 1952, 6 janvier et 4 mai 1953, le sieur PIETTE, alors président directeur général de la Société nationale de constructions aéronautiques du Nord (SNCAN), a conclu avec le sieur KAMINSKI, gérant de la société à responsabilité limitée NIMEX, un contrat aux termes duquel la première société confiait à la seconde le service commercial de son usine de Villeurbanne ; que le dit contrat chargeait notamment la société NIMEX « de la publicité, de l’établissement des prix et des conditions de vente, de la surveillance des ordres de la clientèle et de la liaison technique entre les services de la SNCAN et la clientèle » ; qu’il est constant que ledit contrat n’a pas été soumis au conseil d’administration de la SNCAN; qu’il ressort en outre des pièces du dossier que les commissions payées à la société NIMEX, calculées d’ailleurs sur la base de taux qui ont dû être réduits par la suite, se sont appliquées notamment à des commandes passées à la SNCAN par l’une de ses filiales, la Société française d’études et de constructions de matériels aéronautiques spéciaux (SFECMAS), et par des sociétés nationales telles que la Société nationale de constructions aéronautiques du Sud-Est, ainsi qu’à un marché de défense nationale ; que toutefois une partie des commissions perçues dans ces conditions et s’élevant à la somme de 2 670 735 Fr a été restituée ;

Considérant que si le sieur PIETTE a fait valoir que les pouvoirs étendus qu’il tenait du conseil d’administration de la SNCAN l’habilitaient à désigner des mandataires, il ressort de ce qui précède que la mission confiée à la société NIMEX, qui avait pour effet de transférer à une société privée, sans lien de filiation avec la SNCAN, un service essentiel de cette dernière société, excédait la notion usuelle de mandat et qu’en tout cas la passation du contrat dont s’agit ne pouvait être regardée comme un acte de gestion courante au sens de l’article 25 des statuts de la SNCAN et de la délégation de pouvoir consentie au sieur PIETTE par délibération du conseil d’administration en date du 13 avril 1951 ; que si le sieur PIETTE a soutenu, en faisant état notamment d’une note de service de la direction commerciale de la SNCAN en date du 3 décembre 1952, que ladite direction conservait le contrôle des activités de la société NIMEX, il ressort d’une déclaration écrite du directeur commercial en date du 9 mai 1957 que ce contrôle a échappé en fait à ses services ; qu’aussi bien, la note sus- rappelée avait pour objet de fournir à la direction commerciale de simples éléments d’information et non de restreindre l’étendue de la mission confiée à la société NIMEX aux termes du contrat précité ; que, dès lors, ledit contrat ne pouvait être régulièrement conclu, par application des articles 24 et 25 des statuts de la SNCAN, sans l’autorisation préalable du conseil d’administration ;

Considérant que les faits sus-relatés, d’où il résulte que les prescriptions concernant les compétences respectives du conseil d’administration de la SNCAN et du président-directeur général de ladite société ont été méconnues pour la passation d’un contrat de représentation commerciale, constituent des infractions aux règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses de la SNCAN et par suite tombent sous le coup de l’article 5 de la loi du 25 septembre 1948 ;

Considérant d’ailleurs que ledit contrat, ainsi intervenu dans des conditions irrégulières, a entraîné le versement de commissions sur des commandes provenant d’une filiale de la SNCAN, d’entreprises publiques ou services de l’Etat, pour lesquelles l’entremise de la société NIMEX n’était pas nécessaire ; que la circonstance qu’une partie de ces commissions aient été restituées par la suite ne supprime pas le fait qu’à l’origine le contrat a abouti à l’octroi d’avantages injustifiés à la société NIMEX : qu’au surplus en consentant une commission sur un marché de défense nationale, le sieur PIETTE a méconnu les dispositions du décret du 9 mars 1940 qui interdit le démarchage en la matière, sauf autorisation spéciale qui n’a pas été sollicitée ;

En ce qui concerne l’affaire SOCOMEC

Considérant que par contrat conclu les 14 et 23 avril 1954 entre le sieur PIETTE et le sieur KAMINSKI, ce dernier représentant alors la Société de constructions mécaniques de Colombes (SOCOMEC) qui venait de se constituer, la SNCAN a cédé à ladite société, après autorisation de principe du Conseil d’administration donné le 24 février 1954 qui laissait au sieur PIETTE le soin et la responsabilité de déterminer les conditions de l’opération, le droit au bail portant sur un immeuble à usage industriel sis à Colombes moyennant un prix de 400 000 francs, soit pour un montant égal à celui du loyer annuel ; que l’administration de l’enregistrement a refusé d’accepter cette évaluation et a calculé les droits de mutation suivant soumission du 24 décembre 1954, sur la base de 3 000 000 francs et infligé à l’acquéreur une amende de 50 000 francs ; qu’en outre une expertise a fixé la valeur du droit au bail à 5 000 000 francs ; qu’à la suite de l’intervention d’un administrateur représentant l’Etat au conseil d’administration, le contrat a été révisé, le prix porté à 3 000 000 francs, et le complément de prix payé par la société SOCOMEC à la SNCAN ;

Considérant que le sieur PIETTE n’a pas été en état de justifier l’écart anormal constaté entre la valeur estimée du droit au bail et le prix de cession initialement consenti ; qu’il a invoqué l’offre d’entremise faite par une société immobilière antérieurement à la cession à la société SOCOMEC, mais que cette offre, qui ne constituait d’ailleurs qu’une première indication, mentionnait qu’un prix de 700 000 francs environ, c’est-à-dire nettement supérieur au prix de cession ultérieurement consenti à la société SOCOMEC, pourrait être obtenu ; que contrairement aux allégations du sieur PIETTE aucun motif d’urgence ne pouvait justifier, ni même expliquer une cession à bas prix ; que d’ailleurs lors de son audition l’intéressé a indiqué que l’une des raisons de l’opération a été de reconnaître les services que le sieur KAMINSKI aurait rendus à la SNCAN ;

Considérant qu’en cédant dans les circonstances sus-relatées au prix de 400 000 francs le droit au bail dont s’agit, le sieur PIETTE, en omettant d’organiser une publicité suffisante préalablement à la passation du contrat, de recourir à la concurrence et de faire toute diligence pour faire prévaloir les intérêts dont il avait la charge, a procuré à la société SOCOMEC un profit qui dépasse le double de l’avantage qu’elle pouvait normalement retirer de l’opération ; qu’en effet si le sieur PIETTE conteste la valeur de l’expertise sus- rappelée, il ressort tant des déclarations de l’intéressé que du versement complémentaire opéré par la société SOCOMEC que, sans qu’il y ait lieu d’ordonner une nouvelle expertise, la valeur minimum de trois millions, admise par l’acquéreur lui-même, ne peut être mise en doute ; qu’ainsi l’infraction sus-décrite entre dans le champ d’application de l’article 6 de la loi du 25 septembre 1948 ; que le fait qu’un complément de prix ait été payé par la société SOCOMEC n’est pas de nature à supprimer l’infraction, l’article 6 réprimant la simple tentative, ni même à l’atténuer, dès lors que la régularisation a eu pour origine l’intervention du conseil d’administration ; qu’aussi bien les faits incriminés tombent également sous le coup de l’article 5 de la même loi puisqu’en procédant dans les conditions sus-rappelées, le sieur PIETTE a méconnu les règles relatives à l’exécution des recettes de la SNCAN, règles qui comportaient notamment l’obligation, pour le président-directeur général de cette société nationale, de veiller en tout état de cause à la sauvegarde des intérêts matériels de l’organisme dont il assurait la gestion ; qu’en outre, si le sieur PIETTE estimait opportun de consentir un avantage particulier au sieur KAMINSKI, il ne pouvait le faire, étant donné le caractère extraordinaire et anormal d’un tel avantage, qu’avec l’agrément du conseil d’administration, par application des articles 24 et 25 des statuts ;

En ce qui concerne l’affaire GESCOFI :

Considérant qu’il résulte de l’instruction qu’en février et mai 1954, la SNCAN a cédé à la société de gestion commerciale et financière (GESCOFI) des machines provenant de l’usine du Havre de la SNCAN pour un prix fixé globalement à 3 342 450 francs ; qu’il n’est pas contesté que le conseil d’administration n’a pas été consulté ; que le prix, déjà inférieur à la valeur nette comptable réévaluée qui était de 3 888 799 francs ne représentait qu’une faible fraction de l’estimation faite tant par les services du Havre, soit 9 685 000 francs, que par la direction générale, soit 14 088 000 francs ; qu’il ressort en outre des pièces du dossier et de l’audition du sieur PIETTE que la vente dont s’agit n’a pas été précédée d’une publicité suffisante ;

Considérant qu’il est constant que le sieur PIETTE avait reçu de son conseil d’administration, le 13 avril 1951, une délégation de pouvoir très large, mais qui ne s’étendait pas et ne pouvait d’ailleurs s’étendre, ainsi qu’il ressort des articles 24 et 25 des statuts, aux actes de disposition ; qu’ainsi la cession dont s’agit était irrégulière, dès lors qu’elle portait sur une importante partie de l’ensemble du matériel d’une usine en liquidation ; que le sieur PIETTE reconnaît d’ailleurs la faiblesse du prix consenti et invoque, pour la justifier, la vétusté des machines, mais que cet argument ne saurait prévaloir contre les estimations sus-rappelées ; qu’en outre si l’intéressé affirme avoir procédé à une publicité, qui aurait été d’ailleurs limitée en raison des circonstances locales, il résulte de l’instruction que l’appel effectif à la concurrence a été postérieur à la vente faite à la société GESCOFI ; qu’enfin lors de son audition le sieur PIETTE n’a pas nié que les machines cédées à la société GESCOFI étaient destinées pour une large part à la société SOCOMEC, récemment constituée par le sieur KAMINSKI ;

Considérant que si, en l’absence d’une expertise au sens de l’article 6 de la loi du 25 septembre 1948, il ne peut être fait application en l’espèce dudit article, il reste que les faits sus- relatés tombent sous le coup de l’article 5 de la même loi, dès lors qu’en omettant de consulter le conseil d’administration, en n’organisant pas une suffisante publicité, négligences qui ont eu pour conséquence la cession d’un important matériel à un prix particulièrement bas, le sieur PIETTE a méconnu les règles de gestion de la SNCAN, lesquelles découlent non seulement des textes applicables aux sociétés anonymes et des statuts, mais aussi des principes traditionnels et constants qui sont la base même d’une saine gestion industrielle et commerciale ;

Sur l’appréciation de la gravité des infractions et le montant de la pénalité :

Considérant que les trois infractions qui viennent d’être décrites révèlent des imprudences et des négligences dans la gestion de la SNCAN par le sieur PIETTE qui, en ces occasions, n’a pas rempli les devoirs de sa charge avec toute la vigilance requise d’un administrateur diligent, et a, de plus, favorisé un tiers au détriment des intérêts de la société ;

Considérant toutefois qu’il y a lieu de tenir compte des difficultés particulières auxquelles le sieur PIETTE a eu à faire face sur le plan technique, économique et social au cours de sa gestion ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier de 1952 à 1954 le traitement brut annuel du sieur PIETTE non compris l’indemnité de fonctions et autres avantages, s’est élevé à 2 875 000 francs ;

CONDAMNE le sieur PIETTE à une amende d’un million de francs.

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