Conseil d'État, 12 novembre 2001, n° 239794

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CE, 12 nov. 2001, n° 239794
Juridiction : Conseil d'État
Numéro : 239794
Décision précédente : Tribunal administratif de Montpellier, 18 octobre 2001

Sur les parties

Texte intégral

CONSEIL D’ETAT statuant Cette décision sera mentionnée dans les au contentieux tables du Recueil LEBON

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE N° 239794

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS MINISTRE DE L’INTERIEUR

c/Mlle Y X

LE JUGE DES RÉFÉRÉS

Ordonnance du 12 novembre 2001

Vu le recours du MINISTRE DE L’INTERIEUR, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le 6 novembre 2001, tendant à ce que le juge des référés du Conseil

d’Etat :

1°) annule l’ordonnance du 19 octobre 2001 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, statuant en application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, a enjoint au préfet de l’Hérault d’achever l’instruction de la demande de titre de séjour présentée par Mlle X dans les quinze jours de la notification de l’ordonnance et, dès cette notification, de lui délivrer un récépissé de demande de titre de séjour ;

2°) rejette la demande de Mlle X devant le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier;

ministre soutient que la condition d’urgence n’est pas remplie ; que Mlle X qui affirme être entrée en France en 1990 n’a sollicité un titre de séjour que le 26 avril 1999; que la circonstance que son dossier est depuis lors à l’instruction ne crée pas de situation d’urgence; que

l’absence de réponse de l’administration à sa demande ne modifie pas sa situation de fait ou de droit ; que Mlle X, entrée irrégulièrement en France et qui n’établit pas avoir déposé un dossier complet à la préfecture, ne saurait prétendre au libre exercice d’une profession; qu’aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale n’a été commise ;

Vu l’ordonnance attaquée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 9 novembre 2001, présenté pour

Mlle Y X qui conclut, d’une part, au rejet du recours du ministre, d’autre part, par voie d’appel incident, à l’annulation de l’ordonnance en tant qu’elle rejette sa demande tendant à ce qu’il soit enjoint à

l’administration de lui délivrer un titre de séjour sous astreinte de 1 000 F par jour et, enfin, à ce que

l’Etat soit condamné à lui payer la somme de 5 000 F au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative; elle soutient qu’elle est née en 1980 ; que son père, entré en France en 1972, est titulaire

d’une carte de résident de 10 ans ; qu’elle a quatre frères et sœurs qui tous résident en France en situation régulière ; qu’elle-même est entrée en France en 1990 sous couvert du passeport de son père et y a


toujours vécu depuis lors ; qu’elle a demandé le 13 avril 1999 la délivrance d’un titre de séjour ; que, par lettre du 25 avril 1999, le préfet lui a fait savoir qu’un titre de séjour lui serait prochainement accordé et que, dans l’attente de son établissement, un récépissé d’une durée de validité de 3 mois lui serait délivré ; que ni le titre de séjour ni le récépissé ne lui ont en fait été remis malgré de nombreuses relances; que

l’illégalité commise par l’administration est certaine ; que la lettre du 26 avril 1999 du préfet de l’Hérault a créé des droits à son profit et ne pouvait être retirée ; que Mlle X peut prétendre à la délivrance immédiate d’un titre de séjour ou, à tout le moins, à celle du récépissé qui vaut autorisation de séjour ; que la position de l’administration à l’égard de Mlle X porte atteinte à une liberté fondamentale; qu’elle méconnaît la liberté d’aller et venir, le droit de mener une vie familiale normale et la liberté

d’exercer une activité professionnelle ; que l’urgence résulte de la seule attitude de l’administration; qu’en effet, Mlle X, qui a présenté sa demande de titre dès qu’elle a eu l’âge de 18 ans, se trouve depuis le mois d’avril 1999 dans une situation précaire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions

d’entrée et de séjour des étrangers en France ;

Vu le décret n° 46-1574 du 30 juin 1946;

Vu le code de justice administrative;

Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, le ministre de

l’intérieur, d’autre part, Mlle Y X ;

Vu le procès-verbal de l’audience publique du lundi 12 novembre 2001 à 11 heures

à laquelle a été entendu Me Delvolvé, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mlle

Y X;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

"Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public

(…) aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale (…)";

Sur l’appel principal du ministre de l’intérieur :

Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 6 de l’ordonnance du

2 novembre 1945: « Tout étranger doit, s’il séjourne en France et après l’expiration d’un délai de trois mois depuis son entrée sur le territoire français, être muni d’une carte de séjour délivrée dans les conditions prévues à la présente ordonnance (…)/ La carte de séjour peut provisoirement être remplacée par le récépissé de la demande de délivrance ou de renouvellement de ladite carte (…) » ; que le premier alinéa de l’article 9 de la même ordonnance dispose que : « Les étrangers en séjour en France, âgés de plus de dix-huit ans, doivent être titulaires d’une carte de séjour temporaire ou d’une carte de résident » ;

Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article 3 du décret du 30 juin 1946 réglementant les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France: "Tout étranger, âgé de plus de dix-huit ans, est tenu de se présenter à Paris à la préfecture de police et dans les autres départements à la préfecture ou à la sous-préfecture, pour y souscrire une demande de carte de séjour du type correspondant à la catégorie à laquelle il appartient (…)/ La demande doit être présentée par l’intéressé dans les deux mois de son entrée en France. S’il y séjournait déjà, il doit présenter sa demande : 1. (…)


au plus tard, avant l’expiration de l’année qui suit son dix-huitième anniversaire, si l’étranger peut obtenir de plein droit un titre de séjour en application soit de l’article 12 bis, soit des 2°, 5°, 10° ou 11° ou du dernier alinéa de l’article 15 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 (…)"; que l’article 4 du même décret prévoit enfin que : « Il est délivré à tout étranger admis à souscrire une demande de première délivrance ou de renouvellement de carte de séjour un récépissé valant autorisation de séjour pour la durée qu’il précise (…) »;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que Mlle X, née le

12 décembre 1980, de nationalité marocaine, est entrée en France en dernier lieu en 1990 alors qu’elle était âgée de 10 ans, sous couvert du passeport de son père, M. Z X, qui réside lui-même en France depuis 1972 et est titulaire d’une carte de résident; que, dans le délai prévu par les dispositions précitées de l’article 3 du décret du 30 juin 1946, elle s’est présentée à la préfecture de

l’Hérault pour y souscrire une première demande de titre de séjour ; que, par une lettre du 26 avril 1999, le préfet lui a fait savoir qu’il lui avait paru possible d’accueillir sa demande, que, sous réserve des vérifications d’usage, un titre de séjour temporaire lui serait prochainement délivré et que, dans l’attente de l’établissement de ce titre, un récépissé d’une durée de validité de trois mois lui serait remis ; que, malgré plusieurs relances de l’intéressée, ni le titre de séjour ni même le récépissé ne lui ont été délivrés;

Considérant qu’il résulte des dispositions précitées de l’ordonnance du

2 novembre 1945 et du décret du 30 juin 1946 que l’étranger qui sollicite pour la première fois la délivrance d’un titre de séjour a le droit, s’il a déposé un dossier complet, d’obtenir un récépissé de sa demande qui vaut autorisation provisoire de séjour ; qu’il n’est pas soutenu par le ministre de l’intérieur que le dossier de demande présenté par Mlle X n’était pas complet ;

Considérant, ainsi qu’il résulte de ce qui a été dit ci-dessus, qu’un délai de 2 ans et

7 mois s’est écoulé depuis que l’administration a fait savoir à Mlle X qu’elle avait droit à un titre de séjour et qu’un récépissé allait lui être remis et qu’il n’a été donné aucune suite à la décision ainsi prise ; que, contrairement à ce que soutient le ministre de l’intérieur, ce retard n’est en rien imputable à Mlle

X qui a présenté sa demande de titre de séjour dans les mois qui ont suivi son dix-huitième anniversaire comme l’exige l’article 3 précité du décret du 30 juin 1946; que la prolongation pendant une durée anormalement longue de la situation précaire ainsi imposée à Mlle X crée une situation d’urgence au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative;

Considérant que Mlle X qui a d’abord séjourné régulièrement en France en qualité d’enfant mineur d’un étranger titulaire d’une carte de résident puis a demandé, dans le délai prévu par le décret du 30 juin 1946, la délivrance d’un titre de séjour n’a pas cessé d’être en situation régulière ; qu’en la privant de tout document lui permettant d’établir la régularité de sa situation, l’administration a porté une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs des libertés fondamentales reconnues aux étrangers en situation régulière et notamment à sa liberté d’aller et venir;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’en enjoignant au préfet de l’Hérault

d’achever, dans les quinze jours de la notification de son ordonnance, l’instruction de la demande de titre de séjour de Mlle X et de lui délivrer dès cette notification un récépissé valant autorisation de séjour, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a fait une exacte application des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ; que le ministre de l’intérieur n’est, par suite, pas fondé à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée ;

Sur l’appel incident de Mlle X :

Considérant que si, dans le cas où l’ensemble des conditions posées à l’article



L. 521-2 du code de justice administrative sont remplies, le juge des référés peut prescrire « toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale », de telles mesures doivent, ainsi que

l’impose l’article L. 511-1 du code, présenter un caractère provisoire ; qu’il en résulte que le juge des référés ne peut, sans excéder sa compétence, ni décider l’annulation d’une décision administrative ni prononcer une injonction qui, ayant des effets identiques à la mesure d’exécution que devrait prendre

l’administration à la suite d’une annulation pour excès de pouvoir, n’aurait pas le caractère d’une mesure provisoire ;

Considérant que l’injonction de délivrer à Mlle X le titre de séjour que, sous réserve des vérifications d’usage, le préfet de l’Hérault, par sa décision du 26 avril 1999, lui a reconnu le droit d’obtenir, aurait les mêmes effets que la mesure d’exécution que le préfet serait tenu de prendre en cas d’annulation pour excès de pouvoir du retrait illégal de cette décision ; qu’il n’appartient, dès lors, pas au juge des référés de prononcer une telle injonction ; qu’il y a lieu, en revanche, d’assortir les injonctions prononcées par le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier d’une astreinte de

1 000 F par jour de retard dans l’exécution de ces injonctions aux dates fixées par le juge de première instance;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu de faire application de ces dispositions et de condamner

l’Etat à verser à Mlle X la somme de 5 000 F qu’elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens;

ORDONNE:

Article 1er: Le recours du ministre de l’intérieur est rejeté.

Article 2 : Une astreinte de 1 000 F par jour est prononcée à l’encontre de l’Etat s’il n’est pas justifié de

l’exécution des injonctions prononcées par l’ordonnance du 19 octobre 2001 du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier aux dates qu’elle prévoit.

Article 3: L’Etat est condamné à verser à Mlle X la somme de 5 000 F au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4: Le surplus des conclusions de l’appel incident de Mlle X est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre de l’intérieur et à Mlle Y X.

Copie en sera adressée pour information au préfet de l’Hérault.

Fait à Paris, le 12 novembre 2001

Signé Marie-Eve Aubin



La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers à ce requis, en ce qui conceme les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir

à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le secrétaire,

Санди я

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