Conseil d'État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 6 avril 2007, 280494

  • Mode de placement dans les établissements de soins·
  • Libertés publiques et libertés de la personne·
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Chronologie de l’affaire

Résumé de la juridiction

Par les dispositions de l’article L. 3211-3 du code de la santé publique, le législateur a entendu assurer le plein exercice du droit des personnes placées d’office d’émettre ou de recevoir du courrier. En décidant qu’une personne placée d’office ne pourrait émettre des courriers qu’à la condition qu’ils soient adressés à leurs destinataires par l’intermédiaire d’un avocat, le centre hospitalier spécialisé a illégalement restreint le droit de cette personne d’émettre des courriers.

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Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 13 mai et 13 septembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Philippe A, demeurant …; M. A demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 8 mars 2005 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté sa requête tendant à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 6 février 2001 ayant rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier spécialisé de Cadillac-sur-Garonne à lui verser la somme de 100 000 F en réparation de préjudices qu’il estime avoir subis à raison des atteintes portées par la direction du centre à sa liberté de correspondance avec une personne qui y était internée à la suite d’une mesure de placement d’office ;

2°) réglant l’affaire au fond, d’annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux et de condamner le centre hospitalier spécialisé de Cadillac-sur-Garonne à lui verser la somme de 15 000 euros ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 5 juin 1999 et les intérêts des intérêts ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier spécialisé de Cadillac-sur-Garonne le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de la santé publique

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

— le rapport de Mme Fabienne Lambolez, Maître des Requêtes,

— les observations de la SCP Bachellier, Potier de la Varde, avocat de M. Philippe A et de Me Le Prado, avocat du centre hospitalier spécialisé de Cadillac,

— les conclusions de Mme Claire Landais, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A avait introduit pour le compte de M. B., interné au centre hospitalier spécialisé de Cadillac-sur-Garonne à la suite d’une mesure de placement d’office, une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme contre la décision préfectorale de placement ; qu’il soutient que M. B., qui a été illégalement privé de sa liberté de correspondre avec autrui pendant une période de deux mois, n’a pu lui faire parvenir un mandat en bonne et due forme dans les délais prescrits par les services administratifs de la Cour pour l’instruction de sa requête ; que l’administration a rejeté ses demandes tendant à la réparation du préjudice moral résultant d’une part de l’entrave apportée à l’exercice de la mission que lui avait confiée M. B, d’autre part de l’atteinte portée à sa liberté de correspondre avec ce dernier, enfin d’un préjudice matériel ; que M. A se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 8 mars 2005 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux, confirmant le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 6 février 2001, a refusé de condamner le centre hospitalier spécialisé de Cadillac-sur-Garonne à l’indemniser  ;

Considérant que pour rejeter la demande de M. A les juges d’appel se sont fondés à titre principal sur le motif que l’action engagée devant la Cour européenne des droits de l’homme pour le compte de M. B. n’était en tout état de cause pas susceptible d’aboutir, la condition de recevabilité tenant à l’épuisement des voies de recours interne n’étant pas remplie en l’espèce ; qu’ils ont également retenu à titre surabondant que la Cour avait, par une décision du 28 avril 2000, rejeté pour ce motif la requête présentée au nom de M. B. et qu’ainsi, le préjudice invoqué ne pouvait être regardé comme la conséquence directe des mesures restrictives imputées au centre hospitalier spécialisé ;

Considérant en premier lieu, que le moyen tiré de ce que l’instance engagée devant la Cour européenne des droits de l’homme était vouée à l’échec en raison de l’absence d’épuisement des voies de recours interne a été soulevé devant la cour administrative d’appel par le centre hospitalier spécialisé de Cadillac-sur-Garonne dans son mémoire en défense, qui a été communiqué au requérant ; qu’ainsi, le moyen tiré de ce que les juges d’appel auraient soulevé d’office un moyen sans l’avoir communiqué aux parties manque en fait ;

Considérant en deuxième lieu, qu’à supposer même, que le second motif retenu par les juges d’appel ait procédé d’une dénaturation, son caractère surabondant fait en tout état de cause obstacle à ce que cette circonstance puisse entraîner l’annulation de l’arrêt ;

Considérant toutefois que le jugement du tribunal administratif de Bordeaux dont M. A demandait l’annulation avait également rejeté ses demandes tendant à la réparation du préjudice moral résultant de l’atteinte portée à son propre droit de correspondre avec M. B. et du préjudice matériel qu’il a subi ; que M. A est fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué en tant qu’il a omis de se prononcer sur ces deux chefs de préjudice  ;

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au fond ;

Considérant en premier lieu, qu’aux termes de l’article L. 326-3 du code de la santé publique alors en vigueur, aujourd’hui repris à l’article L. 3211-3, « Lorsqu’une personne atteinte de troubles mentaux est hospitalisée sans son consentement en application des dispositions du chapitre III du présent titre, les restrictions à l’exercice de ses libertés individuelles doivent être limitées à celles nécessitées par son état de santé et la mise en oeuvre de son traitement./ … En tout état de cause, elle dispose du droit :/ … 4° D’émettre ou de recevoir des courriers » ; que par ces dispositions, le législateur a entendu assurer le plein exercice du droit des personnes placées d’office d’émettre ou de recevoir du courrier ; qu’en décidant que M. B. ne pourrait émettre des courriers qu’à la condition qu’ils soient adressés à leurs destinataires par l’intermédiaire d’un avocat, le centre hospitalier spécialisé de Cadillac-sur-Garonne a illégalement restreint le droit de M. B. d’émettre des courriers ; que M. A est fondé à demander réparation du préjudice moral que lui a causé la limitation apportée par l’administration au droit de M. B de correspondre avec lui ; qu’il sera fait une juste évaluation de ce chef de préjudice en le fixant à la somme d’un euro symbolique, y compris les intérêts courus ou capitalisés à la date de la présente décision ;

Considérant en second lieu, que le préjudice matériel résultant des « complications et frais supplémentaires » occasionnés par l’entrave alléguée à l’exercice du mandat de M. A ne peut être tenu pour certain en l’état du dossier ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il y ait lieu de procéder au supplément d’instruction demandé, que M. A est seulement fondé à demander l’annulation du jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 6 février 2001 en tant qu’il a rejeté sa demande tendant à la réparation du chef de préjudice moral susmentionné, qui n’était ni nouvelle en appel ni irrecevable faute d’avoir fait l’objet d’un recours administratif préalable ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce soit mis à la charge de M. A qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante le versement de la somme que demande le centre hospitalier spécialisé de Cadillac-sur-Garonne au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge du centre hospitalier spécialisé de Cadillac-sur-Garonne le versement de la somme que demande M. A ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 8 mars 2005 est annulé en tant que la cour a omis de se prononcer sur les conclusions de M. A tendant à la réparation du préjudice moral résultant de l’atteinte à sa liberté de correspondance et du préjudice matériel résultant de l’entrave à l’exercice de son mandat devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 6 février 2001 est annulé en tant qu’il a rejeté la demande de M. A tendant à la réparation du préjudice moral résultant de la limitation apportée au droit de M. B. de correspondre librement avec lui.

Article 3 : Le centre hospitalier spécialisé de Cadillac-sur-Garonne est condamné à verser à M. A la somme de un euro, y compris tous intérêts courus ou capitalisés.

Article 4 : Le surplus des conclusions de M. A est rejeté.

Article 5 : Les conclusions du centre hospitalier spécialisé de Cadillac-sur-Garonne tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Philippe A, au centre hospitalier spécialisé de Cadillac-sur-Garonne et au ministre de la santé et des solidarités.

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